Babylone
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Babylone (akkadien : Bāb-ili(m)[1] ; sumérien : KÁ.DINGIR.RA[1] ; arabe : بابل, Bābil ; araméen : Babel) était une ville antique de Mésopotamie. C'est aujourd'hui un site archéologique majeur qui prend la forme d'un champ de ruines incluant des reconstructions partielles dans un but politique ou touristique. Elle est située sur l'Euphrate dans ce qui est aujourd'hui l'Irak, à environ 100 km au sud de l'actuelle Bagdad, près de la ville moderne de Hilla.
Babylone Bābil, (ar) بابل | ||
Les ruines de la ville de Babylone. | ||
Localisation | ||
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Pays | Irak | |
Gouvernorat | Babil | |
Région antique | Babylonie | |
Coordonnées | 32° 32′ 31″ nord, 44° 25′ 12″ est | |
Superficie | 1 000 ha | |
Géolocalisation sur la carte : Irak
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Histoire | ||
Empires d'Akkad et Ur III | c. 2340-2000 av. J.-C. | |
Période d'Isin-Larsa | c. 2000-1800 av. J.-C. | |
Première dynastie de Babylone | c. 1800-1595 av. J.-C. | |
Dynastie kassite de Babylone | c. 1595?-1155 av. J.-C. | |
Empire assyrien | 728-626 av. J.-C. | |
Empire néo-babylonien | 626-539 av. J.-C. | |
Empire achéménide | 539-331 av. J.-C. | |
Empire macédonien | 331-311 av. J.-C. | |
Empire séleucide | 311-141 av. J.-C. | |
Empire parthe | c. 141 av. J.-C.-224 apr. J.-C. | |
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Sous le règne de Hammurabi, dans la première moitié du XVIIIe siècle av. J.-C., cette cité jusqu'alors d'importance mineure devient la capitale d'un royaume qui étend progressivement sa domination sur toute la Basse Mésopotamie et même au-delà. Elle connaît son apogée au VIe siècle av. J.-C. durant le règne de Nabuchodonosor II qui dirige alors un empire dominant une vaste partie du Moyen-Orient. Il s'agit à cette époque d'une des plus vastes cités au monde, ses ruines actuelles occupant plusieurs tells sur près de 1 000 hectares. Son prestige s'étend au-delà de la Mésopotamie, notamment en raison des monuments célèbres qui y ont été construits, comme ses grandes murailles, sa ziggurat (Etemenanki) qui pourrait avoir inspiré le mythe de la tour de Babel et ses légendaires jardins suspendus dont l'emplacement n'a toujours pas été identifié, si tant est qu'ils aient bien existé.
Babylone occupe une place à part en raison du caractère mythique qui devint le sien après son déclin et son abandon, qui a lieu dans les premiers siècles de notre ère. Ce mythe est porté par plusieurs récits bibliques et par ceux des auteurs gréco-romains qui l'ont décrite. Ils ont assuré une longue postérité à cette ville, mais souvent sous un jour négatif. Son site, dont l'emplacement n'a jamais été oublié, n'a fait l'objet de fouilles importantes qu'au début du XXe siècle sous la direction de l'archéologue allemand Robert Koldewey, qui a exhumé ses monuments principaux. Depuis, l'importante documentation archéologique et épigraphique mise au jour dans la ville, complétée par des informations provenant d'autres sites antiques ayant eu un rapport avec Babylone, a permis de donner une représentation plus précise de l'ancienne ville, au-delà des mythes.
Des zones d'ombre demeurent malgré tout, sur ce qui constitue l'un des plus importants sites archéologiques du Proche-Orient ancien, tandis que les perspectives de nouvelles recherches ont longtemps été réduites du fait de la situation politique actuelle de l'Irak.
Les explorations des sites de la Mésopotamie antique débutèrent dans le courant de la première moitié du XIXe siècle et se firent plus intenses dans les décennies qui suivirent ; elles concernaient cependant en premier lieu les sites assyriens dont les ruines étaient plus spectaculaires. Si le site de Babylone a rapidement attiré l'attention en raison de l'importance du nom qui lui était attaché, il n'a fait l'objet de fouilles que tardivement, au début du XXe siècle, lesquelles permirent de nombreuses découvertes. D'autres campagnes suivirent durant la seconde moitié du XXe siècle, permettant un accroissement des connaissances sur le site dont la majeure partie reste inexplorée, alors que les perspectives de fouilles sont limitées depuis la mise en œuvre d'un programme de reconstruction de certains monuments, surtout depuis le déclenchement de plusieurs conflits en Irak à partir de 1990.
Les premières explorations et fouilles du site
Malgré quelques confusions possibles avec les sites voisins de Birs Nimrud (Borsippa) et Aqar Quf (Dur-Kurigalzu) où les ruines des ziggurats rappelaient la Tour de Babel, l'emplacement du site de Babylone ne fut jamais réellement perdu, une partie de celui-ci conservant son ancien nom, Bābil. Plusieurs voyageurs venus d'Europe visitèrent ses ruines : Benjamin de Tudèle au XIIe siècle, Pietro della Valle au XVIIe siècle, et au XVIIIe siècle l'abbé de Beauchamp, un diplomate français[2]. Le premier à y effectuer un travail scientifique fut le Britannique Claudius James Rich, qui établit au début du XIXe siècle le premier travail de cartographie du site, travail pionnier dans l'exploration scientifique de la Mésopotamie[3]. Plusieurs de ses compatriotes le suivirent sur le site, notamment Austen Henry Layard en 1850 et Henry Rawlinson en 1854, deux des principaux découvreurs des sites des capitales assyriennes, qui y restèrent peu de temps car le site de Babylone présentait moins de découvertes spectaculaires que ceux du nord de la Mésopotamie, ce qui explique pourquoi il resta en marge des principales fouilles de cette période. En 1852, des Français entreprirent des fouilles sur le site, dirigés par Fulgence Fresnel assisté de Jules Oppert et de Félix Thomas[4]. Les maigres découvertes (des sépultures avant tout), qu'ils firent au cours de fouilles menées dans un contexte difficile, ne purent être rapatriées en France car le convoi fluvial qui les transportait (qui transportait surtout des bas-reliefs assyriens) fut attaqué par des tribus hostiles dans le sud de l'Irak et coula en 1855. Après ces premiers chantiers, le site de Babylone fut régulièrement parcouru par des fouilleurs dans la seconde moitié du XIXe siècle . En 1862, le consul français Pacifique-Henri Delaporte trouva une tombe parthe richement dotée en objets qui furent expédiés au musée du Louvre. Des habitants locaux qui jusqu'à présent collectaient surtout des briques sur place s'emparèrent aussi des objets anciens qu'ils y trouvaient pour les revendre sur les marchés voisins. Cela se faisait parallèlement à des fouilles, organisées par des équipes britanniques, sous la direction d'Hormuzd Rassam dans les années 1870, qui réussit à rapporter plusieurs objets de choix au British Museum, notamment le cylindre de Cyrus. Les fouilles britanniques reprirent de temps en temps sur fond de scandale lié à des soupçons de collusion entre fouilleurs clandestins et Rassam, avant que les Allemands ne s'intéressent à Babylone à partir de 1897.
Les fouilles allemandes
C'est en 1897 que Robert Johann Koldewey vint à Babylone et décida de prendre en charge ses fouilles à une échelle sans précédent. L'année suivante, la Deutsche Orient-Gesellschaft (DOG, Société orientale allemande) est créée pour mobiliser les fonds nécessaires à ce projet, en même temps que le département oriental des musées prussiens qui devra recevoir les objets découverts lors des fouilles, le tout bénéficiant de l'appui de l'empereur Guillaume II qui manifeste un vif intérêt pour l'antiquité orientale. Les fouilles débutent l'année même et durent jusqu'en 1917, chantier exceptionnel par sa durée pour l'époque, d'autant plus que les recherches ne s'interrompaient pas une seule fois dans l'année, contrairement aux pratiques actuelles. Du fait de l'ampleur du site et des objectifs (redécouvertes scientifiques du site et dégagement puis envoi de pièces majeures à Berlin), une logistique lourde est mise en place par Koldewey et ses assistants, notamment Walter Andrae[5].
Plusieurs chantiers ont lieu en même temps (souvent trois, parfois cinq), les effectifs d'ouvriers qui dégagent les tells explorés atteignent rapidement 150 à 200 personnes, 250 au maximum. L'équipe a également pour but d'entreprendre des chantiers sur d'autres sites, et elle explore Birs Nimrud (Borsippa), Fara (Shuruppak), puis Qala'at Shergat (Assur) où Andrae est affecté en permanence de 1903 à 1913. Les fouilles à Babylone permettent de dégager plusieurs monuments majeurs et d'en établir des plans et d'autres données d'une qualité inédite jusqu'alors dans l'histoire de l'archéologie mésopotamienne ; le directeur des fouilles, architecte de formation, a un intérêt marqué pour la restitution des bâtiments anciens, à la différence de nombre d'autres archéologues l'ayant précédé, qui se focalisaient avant tout sur les trouvailles d'objets sans trop se soucier de préserver les bâtiments anciens[5].
Le Kasr, le tell des palais royaux principaux, est le premier exploré, avant le complexe de Marduk (tells Amran Ibn Ali et le Sahn). Ils restent les chantiers principaux. Le palais du tell Babil est également exploré, ainsi que des temples sur le tell d'Ishin Aswad, la « Voie processionnelle » et le quartier résidentiel du Merkès à partir de 1907. Dès 1913, Koldewey publie les résultats des découvertes dans l'ouvrage Das wiedererstehende Babylon (« La résurrection de Babylone »), livre qui fait l'objet de plusieurs rééditions avant sa mort, en 1925, devenu depuis un classique de l'archéologie mésopotamienne[6],[5].
Finalement, une documentation impressionnante et de grande qualité, au regard des autres chantiers de l'époque, a pu être collectée pour être analysée, mais l'ampleur du site fait que seule une petite partie en est connue, même si les principaux bâtiments ont été explorés. Parallèlement, des trouvailles sont expédiées en Allemagne, comme prévu dans les objectifs des fouilles, notamment les reliefs glaçurés de la porte d'Ishtar et de la Voie processionnelle qui sont reconstitués au Pergamon Museum. Les fouilles sont moins intenses à partir du déclenchement de la guerre, en 1914, qui appelle de nombreux fouilleurs allemands et locaux sous les drapeaux. Koldewey reste sur le chantier jusqu'en 1917 avec une équipe limitée[5].
Les fouilles après 1945
Les explorations archéologiques à Babylone ne reprennent que plusieurs décennies après le départ de Koldewey. Des équipes allemandes fouillent le secteur de la ziggurat et d'autres bâtiments, notamment un complexe qui correspond peut-être à l'ancien temple de la fête-akītu, en 1962 puis entre 1967 et 1973[7]. À partir de 1974, c'est une mission italienne menée par G. Bergamini qui investit le site. Un premier objectif est d'effectuer des relevés topographiques et stratigraphiques visant à corriger et compléter les fouilles de l'époque de Koldewey, en mettant notamment en avant le rehaussement de la cité en lien avec les problèmes hydrographiques du site[8]. Des bâtiments sont également mis au jour dans le secteur d'Ishin Aswad. En 1979 et 1980, une équipe irakienne fouille le temple de Nabû ša harê, où elle retrouve un important lot de tablettes[9]. Les chantiers sont interrompus en 1990 par la guerre du Golfe.
Reconstructions et dégradations : une histoire récente tourmentée
Durant les années 1960 et 1970, les équipes archéologiques irakiennes entreprennent la restauration des monuments antiques du pays, en particulier le temple de Ninmah, le tout en parallèle avec de nouvelles fouilles. Le site de Babylone est au premier rang, vu qu'il est rapidement devenu un symbole de l'Irak dès les débuts de cet État, une statue de lion du site figurant par exemple sur des timbres. À partir de 1978, le programme de reconstruction se fait plus intense, en lien avec la volonté de Saddam Hussein, qui dirige l'Irak de 1979 à 2003 et se tourne vers le passé antique de la Mésopotamie pour renforcer sa légitimité et la cohésion du pays, en se présentant par exemple comme le successeur d'une lignée de grands chefs d'États « nationaux » où figurent Hammurabi et Nabuchodonosor II (et également des souverains assyriens). Les enjeux politiques se mêlent donc à des enjeux touristiques, et Babylone doit (à nouveau) servir de lieu de manifestation du pouvoir : les murs de certains monuments sont restaurés, une partie des murailles, avec la porte d'Ishtar, et certains bâtiments sont remaniés, comme le palais Sud dont la salle du trône est adaptée pour pouvoir servir lors de concerts et de réceptions ou le théâtre grec qui est doté de 2 500 places pour servir lors de spectacles (par exemple une pièce de théâtre adaptant l'Épopée de Gilgamesh). Saddam Hussein laisse même des inscriptions de fondation comme le faisaient les anciens souverains babyloniens et se fait construire un palais sur une des trois collines artificielles qui sont alors érigées sur le site. Des festivités ont régulièrement lieu à Babylone[10]. Ces actions sont critiquées par les archéologues, parce qu'elles empêchent les fouilles sur une grande partie du site et accélèrent la dégradation de certains des monuments anciens, déjà endommagés par les fouilles précédentes qui avaient emporté des parties de certains d'entre eux vers les musées européens et par l'érosion qui s'accélérait depuis qu'ils avaient été dégagés.
Les dégradations du site de Babylone ont empiré à la suite de l'invasion de l'Irak de 2003 par les armées américaines. En effet, le site de Babylone est retenu pour établir le « camp Alpha », une base militaire américano-polonaise de 150 hectares et au moins 2 000 soldats, comprenant notamment un héliport militaire. Les activités militaires ont endommagé certains édifices, à cause du passage des véhicules militaires (hélicoptères, blindés à chenilles), d'une garnison conséquente, et surtout à cause d'importants travaux de terrassement, le tout en plein milieu du secteur monumental de la ville entre le Kasr, le Tell Homera et le Sahn. Des tranchées sont creusées sur des sites archéologiques, le pavement de la Voie processionnelle est endommagé par les véhicules. Les critiques contre les dégradations que subissait le site incitèrent finalement les autorités militaires coalisées à le restituer aux autorités irakiennes en décembre 2004, permettant alors de constater l'ampleur des dégradations. Celles-ci se sont poursuivies par la suite en raison du manque d'entretien du site, avant que ne commencent à être mis en place des projets de préservation[11],[12].
Babylone est inscrite sur la liste du patrimoine mondial par l'UNESCO le [13].
Babylone apparaît tardivement dans l'histoire de la Mésopotamie antique, en comparaison des autres grandes villes de cette civilisation, comme Kish, Uruk, Ur, Eridu, Nippur ou Ninive. Son ascension rapide n'en est donc que plus remarquable.
Alors que la ville est peu mentionnée dans la documentation de la seconde moitié du IIIe millénaire av. J.-C., elle connaît une croissance rapide sous l'impulsion d'une dynastie amorrite qui remporte plusieurs succès militaires majeurs, durant la période dite « paléo-babylonienne » (2004-1595 av. J.-C.). La période suivante, dite « médio-babylonienne » (1595 – fin du XIe siècle av. J.-C.), voit Babylone confirmer durablement son rang de capitale de la Mésopotamie méridionale, notamment parce qu'elle devient un grand centre religieux en plus d'un centre politique, sous les dynasties kassite et d'Isin II. Le Ier millénaire av. J.-C. débute par des périodes très difficiles, qui se prolongent dans les guerres provoquées par les tentatives de domination des rois assyriens sur la Babylonie. Ceux-ci sont finalement vaincus par les rois qui fondent le puissant empire « néo-babylonien » (626-539 av. J.-C.) et entreprennent les chantiers qui font de Babylone la ville la plus prestigieuse de son temps.
Après leur chute, plusieurs dynasties étrangères se succèdent à Babylone, et même si la ville n'est pas leur capitale, elle conserve une importance notable jusqu'aux derniers siècles av. J.-C., durant les phases tardives de l'histoire babylonienne, avant son abandon durant les premiers siècles de notre ère.
Origines de la ville et du nom
La plus ancienne attestation possible du nom de la ville de Babylone se trouve sur une tablette, de provenance inconnue, datée d'après les critères paléographiques des alentours de 2500 av. J.-C. (période des dynasties archaïques)[14],[15]. Ce texte mentionne une ville nommée BA7.BA7 ou BAR.KI.BAR, dont le souverain (ENSÍ) commémore la construction du temple du dieu AMAR.UTU, qui est aux périodes ultérieures la forme sumérienne du nom de Marduk, divinité tutélaire de Babylone, ce qui semble un argument probant pour l'identification de cette ville.
Le nom « Babylone » provient du grec, lui-même dérivé de l'akkadien bāb-ili(m), signifiant « Porte (bābu(m)) du Dieu (ili(m)) », qui se trouve également dans les textes sous la forme bāb-ilāni, « Porte des Dieux ». Il aurait pour origine le terme Babal ou Babulu, peut-être issu du langage, disparu, d'une population antérieure à la présence sumérienne et sémitique en Mésopotamie méridionale, donc inexplicable ; une autre hypothèse est qu'il s'agisse d'un terme d'origine sumérienne, signifiant peut-être « bosquet[16] ». Ce terme originel aurait alors évolué en étant interprété (en raison de la proximité phonétique) par les locuteurs de l'akkadien peuplant la ville comme signifiant « Porte du Dieu », puisqu'il apparaît couramment dans les textes les plus anciens en logogrammes sumériens, sous la forme KÁ.DINGIR ou KÁ.DINGIR.RA, qui a le même sens (KÁ « Porte », DINGIR « Dieu », -A étant la marque du génitif) et en est donc une traduction et non pas une simple transposition phonétique comme pour les autres adaptations du mot dans d'autres langues[14]. Le nom akkadien de la ville est par ailleurs à l'origine de l'hébreu Babel ou encore de l'arabe Bābil qui désignent la cité dans ces langues.
La première attestation assurée du nom de Babylone est sous sa forme sumérienne KÁ.DINGIR, dans un texte de l'époque du règne de Shar-kali-sharri (2218 – 2193 av. J.-C.), roi de l'Empire d'Akkad dont elle fait partie, et qui commémore y avoir restauré deux temples, dédiés à Annunitum (Ishtar) et à Ilaba[17]. Par la suite, Babylone apparaît dans plusieurs textes de la période de l'empire d'Ur III au XXIIe siècle av. J.-C., dont elle est un centre provincial, dirigé par un gouverneur (portant l'ancien titre royal ENSÍ). Il s'agit avant tout de documents fiscaux provenant de Puzrish-Dagan, indiquant qu'elle participe au système de prélèvements mis en place par cet empire[18]. Les niveaux de la ville du IIIe millénaire av. J.-C. n'ayant pas été fouillés, il reste difficile de dater ses origines ; quelques objets de ce millénaire ont été récupérés lors de prospections[19].
Babylone sous la dynastie amorrite
L'essor de Babylone survient avec l'émergence d'une dynastie d'origine amorrite, qui débute vers 1894 avec un certain Sumu-abum (1894-)[20]. Cette période est qualifiée de « paléo-babylonienne », ou babylonienne ancienne. Sumu-la-El (1880-) est le véritable ancêtre de la première dynastie de Babylone, car il est sans lien familial avec son prédécesseur tandis que tous ses successeurs sont ses descendants. Ceux-ci agrandissent progressivement le royaume qui était alors limité à la ville et ses alentours. Sîn-muballit (1812-), fait de Babylone une puissance capable de rivaliser avec les grands royaumes amorrites voisins que sont Larsa, Eshnunna, Isin et Uruk. Son fils Hammurabi (1792-) sait jouer intelligemment son rôle dans le concert international de son temps pour faire du royaume babylonien la principale puissance de son temps[21]. Après une première partie de règne sans grande victoire, il parvient à soumettre les royaumes qui l'entourent : Larsa, Eshnunna, puis Mari. Babylone domine alors une grande partie de la Mésopotamie. Son fils et successeur Samsu-iluna (1749-) maintient encore pendant un certain temps cette suprématie, mais il fait face à plusieurs révoltes qui affaiblissent son royaume. Les rois suivants voient leur territoire se désagréger sous l'effet de rébellions et d'attaques de peuples ennemis, en premier lieu les Kassites mais aussi le Pays de la Mer, problèmes qui se conjuguent à une crise économique voire écologique. Samsu-ditana (1625-), dont le royaume ne comporte plus que les environs immédiats de Babylone, est acculé. Selon ce que la tradition babylonienne ultérieure a retenu, le coup fatal lui est porté par le roi hittite Mursili Ier, qui réussit en un raid sur Babylone. La ville est pillée et la dynastie amorrite disparaît, alors que les statues de culte du dieu Marduk et de sa parèdre Sarpanitum seraient emportées chez les vainqueurs en signe de soumission de la ville vaincue[22].
« CTH 10.1 : [...] qui étaient [Hattusili], l'homme de Kussar. [Ses troupes], les pays [voi]sins ennemis ils [les détruis]irent [tous], les uns après les autres, et les biens [ils amenèrent vers Hattusa]. Ils faisaient prosperer et enrichis[saient le pays de Hatti]. [De]... ils faisaient la frontiere.
Ensuite Mursili devint roi]. Lui aussi [fut un roi] puissant (?). Il aneantit [la ville d'Alep]. Il aneantit [...]. Les Hourrites [il aneantit. Ensuite il alla au pays] de la Babylonie, [il l'aneantit] et il am[ena les bien]s vers Hattusa.
CTH 10.2 : Nous avons offensé les dieux au ciel. Les biens de la ville de Babylone qui sont à eux nous avons enlevés. [Les dieux cherchai]ent après notre bétail et nos moutons. Il a tué et son sang et sa chair. Nous avons mis, nous sommes allés et leur champ nous avons envahi. Le bœuf agressif, du pays nous avons laché. Un vêtement fin babylonien... Quand il grandissait, il rejetait la parole de son pere. [Il] declare [ainsi] : « Aujourd'hui Mursili est mort ». Mursili : personne ne peut prononcer son nom. [Celui qui le nomme] ne [sera] plus mon principal serviteur. [Sa gorge, ils la trancheront et ils le pendront] a sa porte. »
— Fragments de textes hittites sur la prise de Babylone[23].
Peu de choses sont connues sur le visage de Babylone à l'époque de sa première dynastie[24]. Il s'agit manifestement de la période de son premier essor. Cela est dû à plusieurs facteurs : avant tout la présence d'une puissante dynastie, mais aussi une situation géographique dont elle sait profiter, dans une riche région d'agriculture irriguée, le long d'un bras de l'Euphrate et non loin du Tigre qui constitue un axe de communication majeur entre la Syrie, la Haute Mésopotamie, le plateau Iranien et le sud mésopotamien ouvrant sur le golfe Persique. La ville a ainsi pu devenir une sorte de carrefour sur des voies commerciales importantes[25]. Les niveaux archéologiques paléo-babyloniens n'ont pu être atteints qu'à un endroit, dans un quartier résidentiel, car ils sont en général recouverts par la nappe phréatique et endommagés irrémédiablement[26]. Les relevés archéologiques sont maigres et les apports les plus appréciables des fouilles sont plusieurs lots de tablettes scolaires, religieuses et économiques trouvés dans la zone du Merkes[27]. L'organisation générale de la ville se faisait sans doute déjà autour de son quartier religieux (le futur Eridu) situé sur la rive gauche de l'Euphrate. Mais son extension exacte reste à déterminer : il est souvent avancé qu'elle serait plus petite que la ville intérieure néo-babylonienne, mais elle pourrait déjà occuper la même surface. Se pose notamment la question de savoir si l'enceinte de l'époque passe par certaines portes qui sont situées un millénaire plus tard à l'intérieur de la ville en raison de son extension (porte de Lugal-irra, porte du Marché), ou bien si ses portes sont déjà localisées aux mêmes emplacements que celles du temps de Nabuchodonosor II. Il semble en tout cas que la ville s'étendait dès cette période sur la rive droite du fleuve (futur quartier de Kumar) où plusieurs temples sont attestés par les textes[28].
Les meilleures sources d'information sur les constructions de la ville sont les inscriptions de fondation et les noms d'années des rois paléo-babyloniens commémorant leurs travaux de constructions[29]. Le premier roi de la dynastie, Sumu-la-El, a construit un nouveau mur d'enceinte pour la ville et le palais royal que ses successeurs occupent après lui. Ammi-ditana semble en construire un autre, à moins qu'il ne s'agisse d'une restauration (les textes ne distinguant pas forcément les deux). La vie au palais royal de Babylone n'est approchable que par quelques tablettes du temps de Hammurabi, provenant de la correspondance diplomatique du roi de Mari, évoquant avant tout des tractations intéressant ce dernier[30]. Les rois paléo-babyloniens entreprennent régulièrement des chantiers dans leur capitale, qui concernent avant tout ses murailles, ses portes et surtout ses nombreux temples. Ils rapportent également les offrandes somptueuses dont ils gratifient certaines divinités de la ville. L'Esagil, le temple du grand dieu local Marduk, fait en particulier l'objet de leurs attentions. Sa ziggurat n'est pas mentionnée, mais les relevés archéologiques semblent dater sa phase la plus ancienne de cette période. Les textes du Merkes indiquent pour leur part que le quartier situé en ce lieu était nommé « Ville neuve orientale », et était notamment habité par une catégorie de prêtresses appelées nadītum, caractéristiques de l'époque paléo-babylonienne[31].
La période kassite
Après la prise de Babylone par les Hittites, la situation politique de la Babylonie est particulièrement obscure. Cette région tombe dans des conditions mal établies sous la coupe d'une dynastie d'origine kassite. Un texte du VIIe siècle av. J.-C. retrouvé à Ninive en Assyrie se présente comme une copie d'une inscription du roi kassite Agum II, qui dit avoir rapporté les statues de culte de Marduk et Sarpanitu à Babylone et restauré l'Esagil. On ne sait rien quant à l'authenticité de ce texte, d'autant plus que ce roi Agum n'est mentionné que dans des textes postérieurs à son règne[32]. En l'état actuel des connaissances, la domination kassite sur la Babylonie n'est assurée que vers le début du XVe siècle av. J.-C., sous Burna-Buriash Ier et surtout ses successeurs directs[33]. Les rois de cette dynastie, qui se présentent comme monarques du pays de « Karduniaš » (correspondant à la Babylonie), plutôt que comme « rois de Babylone », n'apparaissent que rarement en relation avec la ville de Babylone où leurs travaux ne sont pas ou peu mentionnés. Le statut de Babylone en tant que centre politique n'est pas clair : sous Kurigalzu Ier (ou le deuxième du nom) au début du XIVe siècle av. J.-C., une nouvelle capitale est fondée à Dûr-Kurigalzu (« fort Kurigalzu », du nom de son fondateur), située plus au nord dans la région où l'Euphrate et le Tigre sont proches. Les liens entre les deux villes sont à préciser : Dur-Kurigalzu, qui dispose d'un vaste palais royal, pourrait servir de résidence de la cour, tandis que Babylone resterait le siège de l'administration du royaume[34].
Quoi qu'il en soit, Babylone reste une ville très importante et prestigieuse notamment parce que son rôle de centre religieux se développe, comme en témoigne le fait que l'Esagil reçoive des donations de terres conséquentes et que Marduk s'affirme peu à peu en tant que figure divine souveraine dans les sources de cette période[35]. De façon significative, les défaites les plus marquantes des rois kassites voient la prise de Babylone par leurs ennemis. Vers elle est pillée par le roi Tukulti-Ninurta Ier d'Assyrie. Selon une chronique historique babylonienne surnommée Chronique P, ce roi aurait fait abattre ses murailles puis enlever à son tour la statue de Marduk. Il a ensuite fait rédiger dans son pays un long texte célébrant sa victoire[36]. Les conflits entre Babylone et l'Assyrie se poursuivent jusqu'à l'intervention d'un troisième camp, celui des rois d'Élam Shutruk-Nahhunte et son fils Kutir-Nahhunte qui s'emparent de Babylone en 1158 puis 1155 av. J.-C. et emportent à leur tour ses trésors dont la statue de son grand dieu[37].
L'apparence de la ville de Babylone est encore moins bien connue à la période kassite qu'à la paléo-babylonienne, en l'absence d'inscriptions de fondation commémorant des travaux dans cette ville et parce que les niveaux archéologiques n'ont pas pu être fouillés pour les mêmes raisons que ceux de la période précédente[38]. Seuls quelques niveaux ont été atteints dans le secteur du Merkes. Plusieurs lots de tablettes économiques privées et un de textes religieux appartenant à un devin ont été exhumés pour cette époque[39]. C'est peut-être à cette période que le plan de Babylone avec son enceinte principale se fixe, si ce n'est pas déjà fait à la période précédente[40].
La seconde dynastie d'Isin et la période d'affaiblissement de la Babylonie
Les Élamites sont finalement repoussés de Babylonie par une nouvelle dynastie trouvant ses origines à Isin, qui réussit à reprendre Babylone. Son plus grand roi, Nabuchodonosor Ier (1126-1105 av. J.-C.), bat ensuite les Élamites dans leur propre pays et peut ramener triomphalement la statue de Marduk à Babylone, événement rapporté dans un long texte figurant sur un acte de donation[41]. Ce fait est particulièrement important pour l'histoire religieuse de la Babylonie, car c'est de cette période que doit sans doute être datée la primauté accordée à Marduk sur les autres dieux mésopotamiens, avec la rédaction de l'Épopée de la Création (Enūma eliš) qui narre comment il est devenu roi des dieux[42]. Ce récit fait de Babylone une cité construite par les dieux et située au centre du Monde, au contact du Ciel et de la Terre (matérialisé par sa ziggurat, dont le nom signifie « Maison-lien du Ciel et de la Terre »). Il est généralement considéré que c'est à ce moment qu'est rédigé le texte topographique appelé d'après son incipit TINTIR=Babilu, qui rapporte notamment l'emplacement de tous les lieux de culte de la ville, célébration du statut de ville sainte qu'a acquis Babylone[43]. Cela indiquerait aussi que la ville a alors son plan quasi-définitif car ce que décrit le texte s'apparente à ce qui a été observé par les fouilles des niveaux du millénaire suivant, même s'il reste possible que ce texte (et donc l'organisation intérieure finale de Babylone) soit plus tardif.
Le retour du royaume babylonien au premier plan politique est cependant de courte durée : à partir des alentours , la Babylonie entre dans une période de crise, notamment parce qu'elle fait face à des incursions de peuples venus de l'extérieur, les Araméens et les Chaldéens. La fin du règne de Nabû-shum-libur (1032-1025 av. J.-C.) marque pour Babylone le début d'un chaos et de changements dynastiques fréquents, alors que les sources écrites concernant la Babylonie se tarissent, signe d'un déclin. Il semble que les grandes villes de cette région aient subi plusieurs périodes de fortes violences, et Babylone ne fait sans doute pas exception[44].
Babylone face à la domination assyrienne
La situation commence à se rétablir à partir du IXe siècle av. J.-C. même si les perturbations restent courantes. Les rois de Babylone ont du mal à affirmer leur domination sur la région et les dynasties sont très instables[45]. À ces problèmes s'ajoute la reprise de la lutte contre l'Assyrie, qui est en position de force en raison de sa plus grande stabilité interne. Après plusieurs années de lutte, le roi assyrien Teglath-Phalasar III parvient à prendre Babylone en , et à s'en proclamer roi.
La domination assyrienne n'est pas assurée pour autant, et le nouveau souverain Sargon II, qui restaure les temples et les remparts de Babylone, doit faire face à un adversaire redoutable en Babylonie, Merodach-Baladan II, qui réussit à régner sur la cité à deux reprises. Sennachérib, le successeur de Sargon II, fait face à son tour à de nouvelles révoltes en Babylonie, et place l'un de ses fils sur le trône de la cité[46]. Ce dernier tient peu de temps, car une nouvelle révolte babylonienne survient. Les comploteurs le capturent et le livrent à leurs alliés élamites qui l'exécutent. La réaction de Sennachérib est terrible, et le récit qu'il en laisse est plein de haine contre Babylone : il aurait massacré une grande partie de sa population et détruit une grande partie de la ville, en détournant les eaux du fleuve sur elle puis en rasant ses murailles ainsi que le sanctuaire de Marduk dont il emporte la statue.
« J'avançai rapidement contre Babylone dont j'avais planifié la conquête. Je soufflai comme l'assaut d'une tempête, je l'enveloppai comme un brouillard. J'assiégeai la ville, et je la conquis au moyen de brèches et d'échelles. (…) Je n'épargnai personne, je remplis les places de la ville de leurs corps. (…) ; mes gens s'emparèrent des dieux qui s'y trouvaient et les détruisirent. (…) ; je détruisis de fond en comble la ville et les maisons, des fondations jusqu'au toit et je la brûlai par le feu. Je rasai les murs, intérieur et extérieur, e la ville, je nivelai la terre sur ses côtés en l'inondant. Je détruisis même le plan de ses fondations. Je l'aplanis plus que ne l'aurait fait un déluge afin qu'on ne se souvînt jamais de cette ville et de ses temples : je la dévastai par une inondation, en sorte qu'elle devînt semblable à une prairie »
— Extrait des Annales de Sennachérib rapportant la prise de Babylone[47].
La réalité de l'ampleur des destructions opérées par Sennachérib reste discutée. Selon toute vraisemblance, la ville n'est pas entièrement détruite malgré ce que prétend le roi assyrien. Son fils et successeur Assarhaddon choisit la voie de l'apaisement et entreprend de restaurer la cité, malgré l'interdiction de la reconstruire avant 70 ans qui aurait été proclamée par le dieu Marduk en colère contre la population (Sennachérib n'ayant alors été que le bras de sa vengeance). Sennachérib justifie cette entreprise par un jeu d'écriture portant sur la graphie cunéiforme du nombre 70 (un clou vertical suivi d'un chevron) : il retourne le signe, ce qui donne 11 (un chevron suivi d'un clou vertical) années et lui permet d'entreprendre le chantier[48].
La succession d'Assarhaddon, en , a en fait donné lieu à une organisation politique spéciale : Assurbanipal règne depuis l'Assyrie, tandis que son frère Shamash-shum-ukin est placé sur le trône de Babylone, en position de vassal mais auréolé du retour de la statue de Marduk qui accompagne son intronisation[46]. Le second se révolte finalement en 652, mais est vaincu après une guerre de quatre ans et le siège de sa capitale qui dure plusieurs mois, en 648. Il meurt lors du siège de Babylone, brûlé par l'incendie de son palais, un épisode qui donnera naissance au mythe grec de Sardanapale. Après une première phase de répression, Assurbanipal se révèle moins brutal que son grand-père et fait restaurer la ville, à la tête de laquelle il place un souverain vassal, Kandalanu. Les rois assyriens ont donc profondément marqué l'histoire de Babylone et sans doute aussi son paysage urbain[49].
L'Empire néo-babylonien et l'apogée de Babylone
Cette succession de révoltes en Babylonie a sans doute affaibli l'Assyrie, tandis qu'à Babylone l'esprit de résistance est de plus en plus fort, et les résistants de plus en plus actifs et unis. À la mort d'Assurbanipal, qui survient entre 631 et , ses successeurs entrent dans une querelle de succession qui est fatale à leur royaume. Nabopolassar, sans doute gouverneur de la région du pays de la Mer, et peut-être d'origine chaldéenne, profite des troubles en Assyrie pour prendre le pouvoir à Babylone, en Il porte peu à peu le conflit chez son voisin du nord[50] et, après quelques années de conflit, réussit à abattre l'empire assyrien avec l'aide du roi des Mèdes, Cyaxare, entre et Son fils Nabuchodonosor II (-) lui succède. Avec lui, Babylone connaît son apogée. C'est la période de l'« empire néo-babylonien », qui couvre une grande partie du Proche-Orient, des frontières de l'Égypte jusqu'au Taurus anatolien et aux abords de la Perse.
Les règnes de Nabopolossar et Nabuchodonosor II correspondent à une période de profondes transformations de la ville, initiées par le premier et achevées par le second, connues par de nombreuses inscriptions de fondation[51]. Ces rois mobilisent les ressources de tout l'empire, qu'il s'agisse des pays conquis ou bien de la Babylonie ; ainsi des tablettes provenant de l'Eanna, le temple d'Ishtar à Uruk, une autre ville majeure du sud mésopotamien, indiquent que le sanctuaire fournit des ressources considérables pour la construction d'un palais de Nabuchodonosor[52]. Ce sont ces travaux qui vont contribuer à l'image, légendaire, reproduite par des auteurs étrangers comme Hérodote, Ctésias ou les rédacteurs de la Bible hébraïque, d'une ville ceinte par des murailles impressionnantes et dominée par des monuments remarquables qui sont alors agrandis ou restaurés : palais royaux, temples, ziggurat, artères principales, dont la « Voie processionnelle » qui part de la porte d'Ishtar. La vie économique et sociale de la ville transparaît également dans des textes économiques, administratifs et scolaires de cette période[53].
Les successeurs de Nabuchodonosor II réussissent à tenir tant bien que mal leur royaume, mais ils n'ont pas l'autorité des fondateurs de la dynastie. Le dernier roi de Babylone, Nabonide (556-–), est un personnage énigmatique qui se met à dos une partie de l'élite de son royaume, dont le clergé de Marduk, car il semble délaisser ce dieu au profit du dieu-lune Sîn. Nabonide quitte pendant plusieurs années la cité de Babylone pour s'installer à Tayma en Arabie. Son absence de Babylone empêche de facto aux prêtres de Marduk de célébrer la nouvelle année, ce qui requiert la présence du roi[54].
Babylone sous domination étrangère
Quand le roi des Perses Cyrus II attaque Babylone en par une offensive surprise contre la porte d'Enlil au nord-ouest de la ville, la lutte tourne court et la cité et l'empire tout entier tombent entre ses mains, manifestement sans grande effusion de violences. Dès lors, Babylone perd son indépendance[55].
« Au mois de Teshrit, Cyrus ayant livré bataille à l'armée d'Akkad (Babylone) à Upû (Opis), sur la [rive] du Tigre, le peuple d'Akkad reflua. Il se livra au pillage et massacra la population. Le 14, Sippar fut prise sans combat. Nabonide s'enfuit. Le 16, Ugbaru, gouverneur de Gutium, et l'armée de Cyrus firent, sans combat, leur entrée dans Babylone. Plus tard, étant revenu, Nabonide fut pris dans Babylone. Jusqu'à la fin du mois les (porte-)boucliers de Gutium cernèrent les portes de l'Esagil (le grand temple de Babylone) mais il n'y eut nulle interruption (des rites) d'aucune sorte dans l'Esagil ou dans quelque autre temple et aucune échéance (festive) ne fut manquée. Au mois d'Arahsamnu, le 3e jour, Cyrus entra dans Babylone. On emplit devant lui les chalumeaux (à boire) (?). La paix régna dans la ville. Cyrus décréta la paix pour Babylone toute entière. »
— Extrait de la Chronique de Nabonide rapportant la chute de Babylone[56].
Le nouveau maître proclame néanmoins son souhait de préserver la ville et s'attache les faveurs du clergé local en proclamant un décret très favorable envers eux, qui a été retrouvé inscrit sur un cylindre d'argile trouvé à Babylone, dans lequel il reprend à son compte l'idéologie royale babylonienne et se présente comme l'élu du dieu Marduk. La chute du royaume babylonien et la fin de l'indépendance politique ne signifient pas le déclin de la métropole mésopotamienne. Certes à plusieurs reprises la ville se révolte : contre Darius Ier vers , puis plus tard contre son fils Xerxès Ier, à qui les auteurs grecs postérieurs ont attribué la décision de détruire le sanctuaire de Marduk, répression dont l'ampleur réelle est débattue[57]. Babylone reste une ville importante de l'empire même si elle n'en est pas la capitale, et la Babylonie entière, en raison de sa prospérité, est une région cruciale où la noblesse perse dispose de vastes domaines.
En , Babylone ouvre ses portes au roi macédonien Alexandre le Grand après la victoire de Gaugamèles et les envahisseurs sont manifestement bien accueillis par la population. Alexandre patronne des restaurations de canaux et dans l'Esagil, s'y installe quelques mois après son expédition en Inde avant d'y mourir en juin 323[58]. C'est donc à Babylone que s'ébauche le premier partage de l'empire entre ses généraux, les Diadoques, qui ne tardent pas de se déchirer dans des luttes qui touchent durement la Babylonie et sa plus grande ville. Celle-ci est exsangue au moment où Séleucos Ier réussit, à l'issue de la guerre babylonienne, à raffermir sa domination sur la région en 311[59]. Le nouveau souverain ne garde pas Babylone comme capitale, puisqu'il en construit une nouvelle une soixantaine de kilomètres au nord-est, à Séleucie du Tigre[60]. Babylone reste cependant importante à cette époque, comme en témoigne par exemple le fait que son fils Antiochos Ier y demeure plusieurs années avant de prendre seul le pouvoir. Les deux premiers rois séleucides y font restaurer les édifices religieux. Cependant le centre de gravité de leur royaume se déplace progressivement vers l'ouest, en Syrie, et Antioche devient la capitale principale de leurs successeurs. Ils perdent ensuite la Babylonie face à l'avancée des Parthes, qui entraîne plusieurs conflits voyant la région passer d'un côté puis de l'autre, avant la domination définitive des Parthes sous Mithridate II (123-). Ces conflits ont une nouvelle fois fortement touché Babylone et sa région, notamment du fait des exactions perpétrées par le général parthe Himéros, qui agit comme une sorte de vice-roi de la région pendant la période troublée des années 130-120[61].
Babylone reste donc une ville importante dans l'administration des empires dirigés par des dynasties étrangères au cours de la seconde moitié du Ier millénaire av. J.-C. Sous les Achéménides, son gouverneur, appelé dans les textes cunéiformes par le titre babylonien paḫātu et non par celui, plus connu, de satrape, dirige une vaste province couvrant au départ tout l'ancien empire babylonien, donc jusqu'à la Méditerranée, avant que son territoire ne soit réduit à la seule Mésopotamie[62]. Sous les Séleucides, Babylone est supplantée par Séleucie en tant que principale cité de l'administration et devient donc une capitale provinciale secondaire. Le roi y est représenté par un personnage appelé dans les textes locaux šaknu (« préposé », autre titre d'un ancien dignitaire du royaume babylonien), qui dirige le personnel du palais royal local[63]. À partir du règne d'Antiochos IV (vers ), Babylone devient une cité grecque (polis) avec sa communauté de citoyens (grec politai, que l'on retrouve dans les textes babyloniens sous la forme puliṭē ou puliṭānu) dirigée par un épistate (à qui échoit apparemment le titre de paḫātu dans les sources cunéiformes), groupe qui se réunit dans le théâtre qui est alors construit dans la ville[64]. La communauté babylonienne indigène, qui reste sans doute dominante en nombre, forme la troisième entité politique de cette société complexe. Elle est représentée devant les autorités grecques par le personnel chargé de l'Esagil, qui a donc pris un poids dominant dans la vie de la cité en tant que seule autorité traditionnelle d'origine locale encore en place. Il est dirigé par une assemblée (kiništu) dont l'autorité supérieure est l'administrateur du sanctuaire (šatammu). Des autorités semblables semblent encore en place sous les Parthes, qui ne modifient pas la structure politique et sociale de la cité. Pour ces différentes périodes, les archives cunéiformes de familles privées et de sanctuaires restent en nombre assez important par rapport aux autres villes de la région où elles se tarissent progressivement, et renseignent sur les activités cultuelles et économiques[65].
La fin de la Babylone antique
La période parthe voit Babylone décliner et se dépeupler progressivement, les grands centres du pouvoir s'étant définitivement déplacés plus au nord sur le Tigre (Séleucie, Ctesiphon, et bien plus tard Bagdad). Mais ses monuments principaux sont encore en activité : Pline l'Ancien écrit au début du Ier siècle de notre ère que le temple continue à être actif, bien que la cité soit en ruines[66] et une inscription en grec datable du IIe siècle apr. J.-C. indique que le théâtre est encore restauré[67]. Elle reste une ville commerciale active, où on trouve des communautés de divers horizons en plus des communautés babylonienne et grecque (qui se sont sans doute liées depuis longtemps), notamment des marchands de Palmyre, tandis que les premières communautés chrétiennes s'installent dans la région[68]. Les mentions de cette ville comme un champ de ruines dans les textes gréco-romains, ainsi Dion Cassius quand il rapporte la venue sur place de l'empereur Trajan lors de sa campagne de 115 apr. J.-C., illustrent néanmoins le fait que son déclin a été important et a marqué les visiteurs imprégnés des récits relatifs à sa splendeur passée[69].
« (Trajan) était venu ici (à Babylone) aussi bien en raison de sa célébrité — bien qu'il ne vit rien que des monticules et des pierres et des ruines attestant de cela — qu'en raison d'Alexandre, à l'esprit duquel il offrit un sacrifice dans la pièce où il était mort. »
— Extrait de l’Histoire romaine de Dion Cassius rapportant la venue de Trajan à Babylone[70].
Son temple principal fonctionnerait encore au début du IIIe siècle apr. J.-C., et son abandon est à dater des siècles suivants, donc sous la domination des Sassanides qui est généralement considérée comme la période de disparition définitive de l'antique culture mésopotamienne dans ce lieu même[71]. Durant la période islamique, l'emplacement de Babylone n'a pas été oublié, mais Bābil, comme elle est désignée dans les textes en arabe, n'est plus qu'un petit village selon le géographe Ibn Hawqal au Xe siècle. Les écrivains des siècles suivants ne parlent plus que de ses ruines et du fait qu'elles sont dépouillées de leurs briques les plus solides qui sont employées pour construire des bâtiments dans les habitations des alentours. On trouve aussi ainsi des récits sur la signification des monuments et les croyances locales[72]. La ville antique a totalement basculé du côté de la légende.