Joseph Bologne de Saint-George
compositeur, violoniste, chef d'orchestre, escrimeur français, et capitaine dans la garde nationale à Lille / De Wikipedia, l'encyclopédie encyclopedia
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Chevalier Saint-George
Pour les articles homonymes, voir Saint-Georges, Chevalier de Saint-George et Bologne (homonymie).
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Joseph Bologne de Saint-George, plus connu sous les pseudonymes de « Chevalier de Saint-George » ou « Saint-George »[1],[2], né le sur l'Habitation-Sucrerie Clairefontaine à Baillif, près de Basse-Terre (Guadeloupe) et mort le à Paris, est un compositeur, escrimeur et musicien français, et l'un des plus célèbres personnages sous les règnes de Louis XV puis Louis XVI [3].
Homme de couleur, il poursuit une carrière artistique et sportive relativement exceptionnelle dans la société de cour du siècle des Lumières, pourtant sujette à bien des préjugés sur l'appartenance sociale et la couleur de peau. Il participe à la Révolution française et prend le commandement de la légion franche des Américains. Incarcéré pendant la Terreur pour être l'un des acteurs de l'affaire Dumouriez, il recouvre la liberté après le 9 Thermidor 1794.
Sa participation aux opérations de maintien de l'ordre durant les troubles de Saint-Domingue semble incertaine. Lorsqu'il meurt à Paris le , il est rendu à une vie civile depuis plusieurs années déjà. Aucun de ses talents n'a été oublié au cours des siècles passés.
Le lieu de naissance de Saint-George n'est pas attesté par une source écrite. Les déductions des historiens et généalogistes penchent pour une naissance à la Guadeloupe plutôt qu'à la Martinique ou à Saint-Domingue. La tendance prédominante s'accorde à penser que Joseph Bologne de Saint-George serait né en Guadeloupe sur le site de la sucrerie de Clairefontaine.
Le personnage, homme des Lumières, dont il est question ici a un état civil des plus complexes, du fait qu'il est né esclave[7], au milieu du XVIIIe siècle, dans l'île de la Guadeloupe, appartenant alors à l'empire colonial français des Amériques et que l'esclave n'a pas de patronyme, qu'il n'a de passé ni individuel ni collectif à l'époque de Saint-George, qu'il ne détient aucun patrimoine ni foncier, ni financier, ni culturel – tout au plus a-t-il une famille.
Géohistoire d'un monde atlantique
De la Hollande aux colonies françaises d'Amérique, en passant par le Brésil, la France, y compris la Guadeloupe et la Martinique, l'Autriche, l'Angleterre, la Belgique, la cartographie du monde saint-georgien recouvre une partie importante des empires coloniaux dans le second XVIIIe siècle européen. Les connaissances accumulées au cours de ses voyages pourraient expliquer l'aisance avec laquelle Saint-George traverse les territoires géographiques, les cultures et les civilisations.
Résurgences des Nouveaux Mondes en France
Les gens de couleur sont toujours en quête de meilleures conditions d'existence et investissent les secteurs de la société qui faciliteront leur ascension sociale tout en garantissant leur sécurité. Les métiers des armes, l'armée présentent alors des opportunités. L'art, au service des princes, des nobles ou des riches bourgeois aussi. Or, c'est en migrant vers le centre de l'empire, vers les métropoles, que l'aspirant peut atteindre l'excellence. Ainsi, les gens de couleur arrivent sur la terre de France et sont affranchis par le pouvoir du sol du royaume de libérer de la servitude. Cette progression démographique n'est pas sans inquiéter les populations de la France européenne et la monarchie.
« […] tel était l'esprit de désordre du XVIIIe siècle, qu'on avait mis plus d'un mulâtre en grand honneur, et la fortune du chevalier de Saint-George, sa renommée si bruyante, montrait quel pas on avait fait pour l'abolition de ce qu'on appelait un préjugé ! »
— Jean-Baptiste Honoré Raymond Capefigue, 1843[8].
Le , Guillaume Poncet de La Grave, procureur du Roi à l’Amirauté de Paris, recommande au roi de faire un recensement de tous les hommes et femmes de couleur vivant sur le sol français, hors les colonies. Joseph est représenté par Nicolas Texier de La Boëssière[9], son maître d’armes et père spirituel. Anne, dite Nanon, mère de Joseph, domiciliée au 49 Rue Saint-André-des-Arts à partir de 1755 après avoir débarqué à Bordeaux, du navire L'Aimable Rose le [10],[11],[12], se présente devant cette juridiction. Gabriel Banat a retrouvé le document de son inscription[13]. Nous pouvons y lire que Nanon est âgée de 34 ans. Elle serait donc née en 1728.
État civil de Joseph l'Américain
Généralement nés d'une mère esclave, les gens de couleur sont eux-mêmes nés esclaves. Tel est le cas de Joseph, futur chevalier de Saint-George. Même en l'absence de tout document d'archive, le statut social de Saint-George à sa naissance est une certitude étayée par chacune de ses biographies quelle qu'en soit la taille et la valeur en tant que source historique. Il semble donc évident pour ses biographes que ses père et mère sont respectivement un colon, européen et noble, et une esclave originaire d'Afrique. Historiens, généalogistes et romanciers ont répondu diversement à cette question.
Si le jeune Joseph qui arrive à Bordeaux en 1753 avec le statut antérieur d'esclave (tout esclave qui pose le pied sur le sol français est affranchi, depuis un édit de Louis X en 1315) est bien celui qui deviendra Saint-George, nous pouvons alors affirmer que l'un de ses parents au moins était esclave selon le code noir en vigueur à l'époque de sa naissance : sa mère en l'occurrence, puisque l'histoire nous dit que son père était un colon blanc. Les biographes de Saint-George pensent volontiers que sa mère, prénommée Anne, dite Nanon, était une esclave née vers 1728 au Lamentin[14], en Guadeloupe. Cependant les documents établissant l’identité de Nanon sont rares et ne permettent de rien affirmer. Pierre Bardin affirme avoir retrouvé Nanon à Paris, signant le 17 juin 1778, devant notaires, son testament en faveur de son fils. Nicolas Texier de La Boëssière et un gantier, Jean François Aubry, attestent de son identité au moment de sa mort le 28 frimaire an IV, samedi 19 décembre 1795. Nanon serait Anne Dannevau, demeurant à Paris, rue des Boucheries n° 214[15].
On donne Georges de Bologne Saint-Georges (1711-1774) comme père de Joseph plus tard chevalier de Saint-George. Mais entre « Bologne », « Boulogne », « Boullongne », la confusion est facile[16]. Si la filiation n'est pas évidente, les registres pour les esclaves n'ont été mis en œuvre que très tardivement, la législation et les documents de l'époque relatifs aux populations serviles[17] sous influence notamment de lobbys colonialistes, indiquent que le port d'un nom d'une famille de blanc était interdit aux affranchis.
Les conclusions des historiens et généalogistes reposent sur des documents d'époque indiquant l'âge d'un jeune Joseph accompagné de sa mère, tous deux esclaves voyageant avec les époux Boulogne. On a retenu longtemps le mais une attestation enregistrée dans les archives du département de la Gironde, en date du , indique que l'esclave Joseph, fils de Nanon, elle-même esclave, qui accompagne dame Saint-George Boulogne, est âgé de deux ans. Saint-George serait dès lors né en 1745[18]. Ce document des archives départementales de la Gironde cité en référence permettrait de situer cette date insaisissable de la naissance de Saint-George en 1745 et de confirmer la même date donnée par Texier La Boëssière (fils)[19].
La plaque de la rue du Chevalier-de-Saint-George à Paris portait 1739[20], la même année que Charles François Dumouriez, ministre de la Guerre, général des armées de la Première République, né le , sous lequel Saint-George a servi à l'Armée du Nord, jusqu'en 1794. Le texte de la plaque a été modifié pour prendre acte des résultats des travaux des chercheurs en sciences humaines et sociales. Nous retiendrons que Saint-George est officiellement né le 1745 .
Dans ses mémoires, Alexandre Dumas dit qu’en 1780 son père, né en 1762, est âgé de 18 ans tandis que Saint-George est âgé de 48 ans[21]. Selon Alexandre Dumas, Saint-George serait donc né en 1732. Plus près de nous, Theodore Baker, dans un ouvrage publié en 1900 dit que Saint-George est né le et décédé le [22]. Tandis que l’archiviste et historienne Anne Pérotin-Dumon, dans un ouvrage paru en 2001[23], indique l’année 1739, sans autre précision. En 1992, Lucien-René Abénon retient 1745 pour date de naissance de Joseph Bologne[24]. Fétis nous dit aussi que Saint-George est né le .
« Saint-George (le chevalier de), né à la Guadeloupe, le 25 décembre 1745, était fils de M. de Boulogne, fermier général, qui l'avait eu d'une négresse[25]. »
On ne dispose pas aujourd'hui de documents prouvant la naissance de Saint-George en un lieu précis. Les déductions des historiens et généalogistes penchent pour une naissance à la Guadeloupe plutôt qu'à la Martinique ou à Saint-Domingue. Joseph Bologne de Saint-George, Saint-George, serait né en Guadeloupe sur le site de la Sucrerie de Clairefontaine au Baillif dont on peut encore visiter les machineries et la maison de maître aujourd’hui en ruines sur un espace privé[26]. Certains chercheurs[Qui ?] détiendraient des documents prouvant le séjour de Saint-George à Saint-Domingue où il aurait vécu une partie de son enfance. Il y serait retourné durant la Révolution française.
Le Père du chevalier et sa famille
Né esclave, fils d'une esclave, mais homme du meilleur monde, pas exactement noble mais habile dans l'exercice de tout ce qui est considéré comme tel, la paternité de Joseph de Bologne, fut l'enjeu de publications contradictoires[27] dès le XIXe, et parfois même encore aujourd'hui[28], mais la vérité est encore incertaine aujourd'hui malgré l'article de Luc Nemeth en 2005[29]. Les Bologne, ou Boulogne selon la prononciation de l'époque, huguenots flamands établis aux îles vers 1664[30], ont gardé de solides attaches dans la cité d'Angoulême[31]. C'est dans cette ville, chez son frère Pierre, que Georges se réfugiera après son duel en Guadeloupe.
En 1747[32], Georges de Bologne Saint-Georges, colon, d’origine protestante néerlandaise, propriétaire de plantation à la Guadeloupe[33] tire à l'épée avec des membres de sa famille et un voisin. Georges de Bologne Saint-Georges provoque une blessure qui entraîna la mort de la victime.
C'est par ce coup d'épée d'un père duelliste et aventureux que commence les biographies contemporaines de Joseph[citation nécessaire]. Georges de Bologne Saint-Georges sait qu’il va être accusé d’homicide et qu’il risque la peine de mort et la confiscation de ses propriétés. En il quitte précipitamment Basse-Terre pour Bordeaux. Monsieur de Saint-Georges, craignant que le bébé Joseph et sa mère Nanon soient vendus avec la plantation, a prié sa femme, de les accompagner en France. Contenu du document : « Permission [de l'Amirauté de Guadeloupe] à Madame St. Georges Bologne habitante de cette isle, d'ammener avec elle en France la negresse nommée Nanon, creole de cette dite Isle Agé d'environ vingt ans, (description de Nanon) et un petit mulattre son fils nommé Joseph, âge deux ans… »[34] Daté à la Guadeloupe le 1er septembre, 1748, ce document atteste que Joseph, futur Chevalier de Saint-Georges, âgé de deux ans en , naquit en .
Mais, deux ans plus tard, son frère Pierre de Bologne, conseiller du Dauphin, a obtenu sa grâce et Georges de Bologne Saint-Georges peut reprendre le navire pour Basse-Terre.
D'autres personnes remarquables composent la famille putative de Saint-George :
- une sœur naturelle : Élisabeth de Bologne de Saint-George, marquise de Clairfontaine[35] ;
- une tante : Christine de Boulogne, vicomtesse de Thibault, épouse de Annet-Guillaume de Chambaud-Jonchère, fils de Pierre de Chambaud, établie à Servanches dans le Périgord, sœur de Georges de Boulogne de Saint-Georges[36] ;
- un oncle : Pierre de Bologne, homme politique et poète[37].
Joseph Bologne de Saint-George doit son destin fabuleux d'abord à la famille et parentèle de son père, ensuite à son maître d'armes, Monsieur de La Boëssière, et à lui-même pour le panache, le brio, l'intelligence, l'efficacité de sa conduite face au préjugé de couleur qui structurait la société-monde du XVIIIe siècle[38]. Quand Joseph fut devenu un jeune cherchant à « faire fortune par le moyen de son talent »[39], il rencontra François-Joseph Gossec, de treize ans son aîné, et dont Saint-George suit d'assez près la trajectoire professionnelle. Joseph avait alors trois cordes à son arc : l'escrime de La Boëssière, la musique et une carrière militaire assurée. Avec chacune il développa avec excellence[40] toutes ses compétences.
Les années de formation
Amené fort jeune en France, il y reçut l'éducation d'un homme du monde, et montra une aptitude extraordinaire pour les arts et pour les exercices du corps[25]. Saint-George sera éduqué dans une famille adoptive, les La Boëssière. C'est dans cette famille qu'il vivra comme un affranchi et un homme de couleur libre. C'est en étroite relation avec leur salle d'armes qu'il développera ses talents sportifs et ses compétences professionnelles[41].
En 1761, à l'âge de 14 ans, il est admis dans l'un des corps de la maison militaire du Roi : les gendarmes de la garde du Roi[42],[43].
Saint-George chez La Boëssière
En 1749, le jeune Joseph arrive en France[44] et commence une éducation de jeune aristocrate. À 13 ans, il est en pension chez Nicolas Texier de La Boëssière, homme de lettres et homme politique mais surtout excellent maître d’armes, qui va coordonner les études du jeune Joseph et devenir son père spirituel.
« Pendant les six années qu'il demeura chez La Boëssière, il s'occupait le matin d'études sérieuses ; et le reste de sa journée était employé à la salle d'armes. »
Saint-George reçoit ainsi l’éducation d’un gentilhomme français de la seconde moitié du XVIIIe siècle.
« Tant d'avantages, un esprit vif et orné, des manières distinguées, enfin une bonté véritable, procurèrent au chevalier de Saint-George de brillans succès et une jeunesse heureuse. »
Le maître d'armes La Boëssière lui-même n'était pas peu fier des résultats de son éducation. « Racine fit Phèdre et moi j'ai fait Saint-George », nous dit-il dans la préface de son poème élégiaque La mort généreuse du Prince Léopold de Brunswick ; associant ainsi les qualités de Saint-George et du valeureux prince qui périt victime immortelle de son dévouement dans une inondation de l'Oder[46].
Saint-George et la franc-maçonnerie
Saint-George est le premier franc-maçon noir de France. L'initiation en loge commence après un choix personnel à l'âge adulte. Choix à la fois culturel et politique, déterminé par l'environnement culturel et politique du jeune homme[47]. Il est probablement affilié à la loge des Neuf Sœurs, à Paris [48].
Ses prouesses sportives font de Saint-George un modèle pour les meilleurs athlètes de cette discipline sportive. Nicolas Texier de La Boëssière était le meilleur professeur et substitut paternel que Joseph Bologne eût pu trouver sur son chemin. La Boëssière fera de son élève un fleurettiste[51] d’exception et, dès l’âge de quinze ans[52], le jeune Joseph domine les plus forts tireurs. Il apparaît comme la plus fine lame de son temps, peut-être « l’homme le plus prodigieux qu’on ait vu dans les armes », dira de lui Antoine Texier La Boëssière qui, ayant été élevé avec Saint-George de vingt-et-un ans son aîné, sera son indéfectible admirateur.
« Ayant été mis en pension à l'âge de treize ans chez La Boëssière, célèbre maître d'armes, il acquit en six années une si grande habileté dans l'art de l'escrime, qu'on l'appela l'inimitable. Doué d'une force de corps et d'une agilité prodigieuses, il eut dans cet art une supériorité devenue proverbiale, et brilla également dans tous les autres exercices. Personne ne pouvait l'atteindre à la course ; dans la danse il était le modèle de la perfection ; excellent écuyer, il montait à cru les chevaux les plus difficiles et les rendait dociles ; il patinait avec une grâce parfaite, et se distinguait parmi les meilleurs nageurs de son temps. »
— François-Joseph Fétis[25].
On doit à Antoine Texier La Boëssière et à Henry Angelo, deux professionnels de l’escrime, quelques pages sur la personnalité de Saint-George et surtout son habileté exceptionnelle comme fleurettiste. Joseph Bologne est cité par presque tous les maîtres d’armes des XIXe et XXe siècles, auteurs de traités ou de livres sur l’histoire de l’escrime. Notons cependant que les exercices du corps ne sont pas encore des disciplines sportives. Au cours de la seconde moitié du XVIIIe siècle, Saint-George et son époque créent le sport tel qu’il est connu aujourd'hui.
Assauts célèbres
Assaut contre Faldoni
Le , Joseph, jeune champion, rencontre Gian Giuseppe Faldoni, son alter-ego italien[53]. L'un des premiers duels de Saint-George, le pendant de celui contre la D'Éon, qui assoit sa renommée de meilleur escrimeur, non pas invincible, mais en duel amical[54].
Saint-George et la D'Éon
Le chevalier d'Éon avait plaisir à rencontrer le chevalier de Saint-George : le chevalier d'Éon « allait ainsi faire assaut d'armes, en public, hélas ! de pair à confrère avec un prévôt de salle appelé St.-Georges !… » (Renée-Caroline-Victoire de Froulay)[55]. Le prévôt d'une salle d'escrime est le second d'un maître d'armes principal, celui qui professe sous le maître d'escrime – en l'occurrence Nicolas Texier de La Boëssière – et donne les leçons d'escrime[56].
Toutefois, la rencontre publique entre les chevaliers d'Éon et Saint-George revêtit une dimension européenne qui marque une rupture historique, un changement sociétal. Elle eut lieu à la demande expresse du prince de Galles, Georges Auguste de Hanovre, dont on murmure qu'il était le fils de la d'Éon.
« Le prince aimait alors à l'opposer aux plus vaillants hommes d'armes. À sa prière, la chevalière d'Éon consentit à soutenir, sous ses habits de femme, contre le fameux Saint-Georges, un assaut dont les gravures anglaises ont conservé le souvenir […].
À la fin du combat, quand la face du chevalier d'Éon, enflammée par l'ardeur de la lutte, s'illumina des éclairs du triomphe, aux applaudissements du prince royal penché sur sa tribune, il y eut un moment où l'assemblée entière fut frappée d'une sorte de ressemblance spontanée qui s'était produite aux yeux et comme révélée entre le jeune homme et la vieille guerrière ! »
— Charles d'Éon de Beaumont, Frédéric Gaillardet[57].
« Cet assaut devenu historique, qui eut lieu à Londres le 9 avril 1787 dans Carlton-House »[57], devant un parterre choisi présidé par le Prince de Galles Georges Auguste de Hanovre, futur George IV du Royaume-Uni, laisse des traces picturales non seulement dans les gravures anglaises mais aussi dans les collections de la Couronne d'Angleterre. Le tableau de Alexandre-Auguste Robineau The fencing-match between the Chevalier de Saint-George and the Chevalier d'Éon[58] fut réalisé, semble-t-il, à la demande du prince de Galles. La rencontre immortalisée fut à la fois une courtoisie entre personnes de même situation sociale, de même titre et de même fonction, appartenant au même corps social[56].
« Tout ce que l'Angleterre possédait de grands noms et de belles dames y assista. Le prince de Galles présidait. »
— Charles d'Éon de Beaumont, Frédéric Gaillardet[57].
Ce fut, en dépit des mondanités et de la révérence à un prince, un exploit sportif entre deux escrimeurs habitués à tirer ensemble dans la même salle, un athlète portant une blessure à la cheville et une vieille guerrière[57].
« Sept fois Saint-Georges fut atteint par sa rivale, malgré la gêne que devait causer à celle-ci ses vêtements de femme. »
— Charles d'Éon de Beaumont, Frédéric Gaillardet[57].
Et un événement sociétal illustrant une évolution historique d'ampleur mondiale, abolissant les frontières sociales entre genres mais aussi entre les races construites depuis 1492, aussi bien dans le sens de groupes de personnes de même lignée, socle de la hiérarchie sociale durant l'Ancien Régime, que de castes définies par le préjugé de l'épiderme et en fonction du statut d'esclave.
Après nous avoir informé que Saint-George était prévôt à la salle d'armes de La Boëssière et qu'il tirait régulièrement avec le chevalier d'Éon, la marquise de Créquy exprime son indignation sur ce qu'elle nomme « prostitution » et qui porte atteinte à « l'honneur militaire et national » par la fréquentation d'un être inférieur :
« C'était grand deuil et grand pitié, mon Enfant, de voir un gentilhomme français, un chevalier de l'ordre de St.-Louis, un vieillard employé pour la couronne et connu de l'étranger, qui spadassinait comme sur un théâtre et contre un mulâtre ; avec un histrion d'escrime, un gagiste de manège, un protégé de Mlle de Montesson ! »
— Renée-Caroline-Victoire de Froulay[55].
- Saint-Georges agressé
Lorsque le , vers minuit, Saint-George est agressé dans les rues de Paris alors qu’il rentre chez lui en compagnie de l’un de ses amis, des esprits malveillants avancent que cette expédition punitive a été décidée par les services secrets du monarque[59]. Il est intéressant de savoir que cette agression est rapportée différemment par plusieurs mémorialistes de l’époque et ultérieurement par les biographes du chevalier, exemples parmi bien d’autres de la fragilité des témoignages, fussent-ils écrits par des contemporains.
Dans l’un des trente-six volumes de ses Mémoires secrets, Louis Petit de Bachaumont mentionne que l’agression a eu lieu dans la nuit du . Cette date est erronée et, de plus, il rapporte que Saint-George a été assailli par six hommes. Lui et son ami se seraient vaillamment défendus et ont été providentiellement sauvés par le guet et ses hommes en armes.
« 1er mai 1779. M. de Saint George est un mulâtre, c'est-à-dire fils d'une négresse […] Dernièrement, dans la nuit, il a été assailli par six hommes, il étoit avec un de ses amis, ils se sont défendus de leur mieux contre des bâtons dont les quidams vouloient les assommer ; on parle même d'un coup de pistolet qui a été entendu : le guet est survenu & a prévenu les suites de cet assassinat,- de sorte que M. de Saint George en est quitte pour des contusions & blessures légères ; il se montre même déjà dans le monde. Plusieurs des assassins ont été arrêtés. M. le duc d'Orléans a écrit à M. le Noir, dès qu'il a été instruit du fait, pour lui recommander les recherches les plus exactes, & qu'il fût fait une justice éclatante des coupables. Au bout de 24 heures M. le duc d'Orléans a été invité de ne pas se mêler de cette affaire là, & les prisonniers, qui ont été reconnus pour des gens de la police, parmi lesquels étoit un nommé Desbrugnieres, si renommé dans l'affaire du comte de Morangiès, ont été élargis, ce qui donne lieu à mille conjectures. »
Pierre Lefebvre de Beauvray, un échotier de l’époque, auteur d’un ouvrage intitulé Journal d’un bourgeois de Popincourt, attribue à Saint-George une liaison amoureuse avec la marquise Marie-Joséphine de Montalembert, salonnière et romancière[61], jeune épouse d’un vieux général. Le marquis de Montalembert[62], désireux de venger son honneur et de punir le séducteur en montant une opération nocturne, serait-il le commanditaire de l’agression[63] ?
Portraits de Saint-George
Saint-George était « bel homme » et il « bégayait », écrit Alexandre Dumas dans ses Mémoires[64],[65]. Saint-George était un « bel homme de cinq pieds six pouces » reprend Henri Bangou, maire de Pointe-à-Pitre en Guadeloupe de 1965 à 2008, dans son Histoire de la colonisation de l'île liée à l'esclavage noir de ses débuts à sa disparition[66]. Au XVIIIe siècle, ses exploits sportifs provoquaient l'admiration et, de son vivant, ses meilleurs amis ont souhaité avoir chez eux son portrait. Ainsi de Henry Angelo qui parmi tous ses trésors a sauvé le portrait gravé par Ward des flammes qui détruisirent sa salle d'armes. Roger de Beauvoir attribue un portrait de Saint-George à Carle Vernet[67]. Serait-ce pour ce portrait que le poète français, Pierre-Louis Moline[68], auteur de théâtre et de livrets d’opéras, a composé le poème, preuve de son admiration pour Saint-George. Le portrait aurait été alors très probablement peint avant 1768 puisque c'est à cette date que Pierre-Louis Moline composa ces vers destinés à être ajoutés au bas d'une copie d'un portrait de Saint-George[69].
Enfant du Goût & du Génie,
ll nâquit au Sacré vallon,
Et fut de Terpsichore[70] émule & nourrisson.
S’il eût à la musique unie la poésie,
On l’aurait pris pour Apollon.
– Pierre-Louis Moline
En 1847, Augustin Grisier publie, dans Les Armes et le Duel, un portrait en buste de Saint-George dont le dessin est d’Eugène de Beaumont comme annoncé en titre[71].
On peut citer quatre tableaux :
- Reproductions du tableau de Mather Brown
- Joseph Bologne de Saint-George escrimeur
- Joseph Bologne de Saint-George en pied
- Portraits en buste de Joseph Bologne de Saint-George inaugurés par Eugène de Beaumont, d’après Carle Vernet.
Portrait par Brown & Ward
À partir de l'œuvre originale de Mather Brown (1761-1831) et Gravé par William Ward (1766-1826), de nombreux portraits de Joseph Bologne de Saint-George ont été réalisés. Les outils numériques de production d'images et l'internet ont accentué le phénomène depuis l'an 2000.
Le seul portrait du Chevalier de Saint-George[72] dont il nous reste une trace directe de l'original a été peint par Mather Brown, portraitiste de la famille royale d'Angleterre, gravé à Londres, publié dans la même ville le , chez Bradshaw, no 4 Coventry Street. Le tableau évoque les deux arts exercés par Saint-George, l'escrime et la musique. Saint-George est habillé pour le concert. Il tient dans sa main droite une épée, placée au niveau du cœur, qui symbolise aussi bien l'archet du violoniste que la baguette de chef d'orchestre. Il porte une lourde veste de cuir avec double rangée de boutons dont l'ouverture laisse voir un jabot de dentelle blanche, des gants épais et une perruque. Au second plan, une partition, un violon et son archet sur fond de ciel nuageux. L'original fut confié au graveur William Ward, l'un des maîtres de la gravure anglaise et frère du célèbre peintre animalier James Ward. Saint-George fit don de ce portrait à son ami Henry Angelo.
« Saint George's picture, which he sat purposely for, and offered me after our fencing together, the second day of his arrival in this country. It was painted by Mather Brown, an American artist, much encouraged here at the time[73]. »
— Henry Angelo.
Le jour où Henry Angelo exposa la toile dans sa salle d’armes, on plaça en regard du tableau le poème de Moline composé en 1768[74]. Saint-Georges n'était pas du tout satisfait de son image. Henry Angelo rapporte cet échange entre sa mère et le Chevalier[73] :
« The last day of his sitting he dined at my father's, when my mother inquiring of him if it was a good likeness, he smiled, and replied (he was a Creole). — Oh, Madame, c'est si ressemblant c'est affreux. »
— Henry Angelo.
Angelo songea spontanément à envoyer un exemplaire de la gravure à Texier La Boëssière. Le maître composa plus tard des vers en hommage à son disciple et fils spirituel dont les deux derniers sonnent comme un adieu post-mortem[75].
Dans les armes, jamais on ne vit son égal,
Musicien charmant, compositeur habile,
À la nage, au patin, à la chasse, à cheval,
Tout exercice enfin, pour lui semble facile,
Et dans tous, il découvre un mode original.
Si joindre à ses talents autant de modestie
Est le nec plus ultra de l’Hercule français
C’est que son bon esprit exempt de jalousie
N’a trouvé de bonheur en cette courte vie
Que dans les vrais amis que son cœur s’était faits.
Depuis, ce portrait a été réinterprété moult fois. Mais, l'original nous est encore caché après avoir été sauvé des flammes par une prouesse de Henry Angelo, fils.
« For some years I had a fencing-room at the Opera-house, Haymarket[76], over the entrance of the pit door. On the evening of June 17, 1789, about eight o'clock, when in Berkeley-square, I saw a black smoke ascending ; and soon hearing that there was a fire in the Haymarket, I directly hastened there, when, to my surprise, I beheld the Operahouse in flames. Having the key of my room in my pocket, and the crowd making way for me, I soon got there, at the time the back part was burning. I first secured the portrait of Monsieur Saint George (the famous fencer), which hung over the chimney-piece, and removed it to St. Alban's-street, where I then resided[73]. »
— Henry Angelo.