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magazine hebdomadaire humoristique et satirique français De Wikipédia, l'encyclopédie libre
L’Assiette au beurre est un magazine satirique illustré français ayant paru de 1901 à 1936. La publication est hebdomadaire et continue jusqu'en 1912. Après une interruption, une deuxième série est publiée mensuellement de 1921 à 1925, puis décline et disparaît définitivement en 1936.
L'Assiette au beurre | |
Premier numéro, couverture de Steinlen[A 1]. | |
Pays | France |
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Langue | français |
Format | 24,7 × 32,7 cm |
Date de fondation | 4 avril 1901 |
Date du dernier numéro | avril 1936 |
Ville d’édition | Paris |
Directeur de publication | Samuel-Sigismond Schwarz, André de Joncières, Georges-Anquetil |
ISSN | 2021-0558 |
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Dans sa première période, L'Assiette au beurre est une revue innovatrice sur le plan graphique, notamment par le choix d'illustrations en pleine page et la dévolution de numéros entiers à un thème unique, voire à l’œuvre d'un seul artiste.
Elle rassemble certains des meilleurs illustrateurs européens à une époque où, par conviction politique, des artistes délaissent l’œuvre unique pour se tourner vers l'imprimé. Tirant parti de la carte blanche qui leur est laissée, ces artistes y critiquent avec une grande liberté de ton le militarisme, le colonialisme, le cléricalisme, le féminisme et les conditions de travail.
Proche, à ses débuts, de la sensibilité anarchiste, L'Assiette au beurre n'est cependant pas une revue militante, même si, entre 1905 et 1911, elle s'engage nettement sur le plan politique, notamment contre le colonialisme.
Ayant publié près de 10 000 dessins produits par environ 200 dessinateurs, elle constitue un précieux témoignage iconographique sur la Belle Époque.
Dans un texte à valeur « programmatique[1] » publié dans le septième numéro du , Samuel Schwarz précise ainsi ce qu'il estime être l'avantage compétitif de son périodique :
« Au lieu de suivre l'exemple de certains journaux et de nous contenter de varier la couleur de notre couverture, nous a[v]ons résolument pris le parti de paraître dans l'ensemble sur papier de couleur qui variera suivant les numéros [...] Nous désirons, qu’au bout de l’année, la collection de L’Assiette au beurre constitue une véritable histoire artistique de tous les progrès réalisés, tant par l’art de l’imprimeur que par celui du graveur et du papetier. Est-il besoin d’ajouter que L’Assiette au beurre dépassant le point de vue même de l’art se consacrera à la défense sociale ? Nous sommes, en effet, arrivés à ce tournant de l’histoire où il est du devoir d’aborder de front, particulièrement dans un journal qui s’adresse aux penseurs et aux artistes, la question sociale sous ses aspects les plus divers[2]. »
La maquette traduit ce projet. Elle distingue la revue des « feuilles humoristiques » comme Le Rire ou Le Sourire, dont Christian Delporte souligne la profusion à l'époque en France[3] et même, dans un registre plus proche, du Cri de Paris : chaque numéro est édité en format album et comprend principalement — voire parfois exclusivement — des dessins et caricatures en bi- ou trichromie et en pleine (ou double) page (au lieu de quarts de page plus courants), avec un minimum de 16 pages illustrées[1]. Régulièrement, la réalisation d'un numéro sur un thème précis est confiée à un seul artiste, ce qui fait de cette livraison un véritable album. Des numéros spéciaux peuvent contenir jusqu'à 48 pages. Les images sont obtenues à partir de dessins originaux qui sont ensuite gravés suivant le procédé de la zincographie[4].
L'Assiette au beurre se caractérise ainsi par la « recherche d’une certaine qualité visuelle mettant en valeur un contenu essentiellement politique[1] », grâce au recours aux « meilleurs dessinateurs de la Belle Époque[5] ». En témoignent le slogan de la revue, « la plus artistique des revues politiques » ou cette publicité insérée dans un numéro de 1904 : « Pourquoi L’Assiette au beurre passe pour être le premier satirique du monde. Parce que L’Assiette au beurre a compris qu’on pouvait fort bien allier l’ART avec la SATIRE, sans faire avaler au public les images épinalesques ou les caricatures informes des journaux à gros tirage[1] ». Anne-Marie Bouchard souligne à cet égard la capacité de la revue à rémunérer les dessinateurs, une pratique alors rare dans le milieu de la presse politique[N 1], qui permet à l'éditeur de « fédérer un ensemble d’individus, et ce en dépit de l’absence d’orientation éditoriale expressément affichée au-delà d’une volonté de « défense sociale »[1] ». La rémunération des contributions suit un barème complexe, qui tient compte aussi bien de la notoriété de l'artiste que de la nature de la contribution, selon la taille de l'illustration et l'existence de prestations annexes, telle la composition typographique ou les légendes, et varie ainsi de 200 à 2 000 francs[4]. Les artistes n'en considèrent pas pour autant leurs contributions comme correctement rémunérées[6],[N 2]. Ce regroupement se fait sur la base de ce que Serge Fauchereau décrit comme un programme minimum, le mécontentement de l'état de la société et la critique des responsables présumés, en particulier « ces trois parasites, le prêtre, le juge, le soldat »[N 3], qui fédère des artistes que l'affaire Dreyfus avait opposés, tels les dreyfusards Hermann-Paul et Ibels et les anti-dreyfusards Forain et Caran d'Ache[9]. Il rassemble des artistes qui « pour la plus grande partie »[10] sont nés entre 1874 et 1879, tels Camara, Cappiello, Carlègle, Delannoy, Florès, Galanis, Grandjouan, Naudin[N 4] ou Poulbot, à côté de quelques « maîtres » comme Forain, Willette, Caran d'Ache et Steinlen, nés dans les années 1850, ou Vallotton et Jossot, nés durant la décennie suivante, et de nouveaux venus, des peintres « qui pratiquent le dessin satirique autant par conviction que par nécessité financière »[10], tels Jacques Villon, Van Dongen[N 5], Soffici et Kupka[N 6] Ce n'est cependant que dans les dernières années de la revue qu'ils seront rejoints par de plus jeunes gens, tels Marcoussis, Valensi ou Gris[10][N 7]. Certains des dessinateurs de L'Assiette au beurre lui donnent l'essentiel de leur production dessinée, tels Grandjouan[N 8] ou d'Ostoya, aucun d'entre eux n'en est un collaborateur exclusif[10]. Quelques-uns parmi eux publient des dessins dans des journaux comiques, tels Jacques Villon[N 9], Roubille, Van Dongen, Marcoussis ou Juan Gris, tandis que d'autres artistes, tels Delannoy[N 10], Hermann-Paul, Grandjouan ou Jossot sont plus sensibles à la qualité du message et collaborent à des publications anarchistes ou anarchisantes[10].
Patricia Leighten note que L'Assiette au beurre est également un périodique « ouvertement propagandiste », s'adressant à la classe ouvrière et exprimant une sensibilité anarchiste dans le traitement des événements, à travers des thèmes principaux qui sont l'opposition au gouvernement, l'anticléricalisme, l'antimilitarisme, l'anticolonialisme et la critique de la police et des tribunaux[11]. Pour cette historienne, Schwarz et plus tard Joncières « ont de nombreux amis dans les cercles anarchistes et sans aucun doute leurs propres positions politiques, mais le point de vue exprimé par les caricatures [de L'Assiette] n'est ni toujours le même, ni dirigé [...] Les deux éditeurs ont considéré leur publication comme une entreprise destinée à faire du profit, pas comme le véhicule de leurs propres idées (qu'elles aient été définies ou non) et certainement pas comme un journal « militant » »[11].
Selon Élisabeth et Michel Dixmier, il ne faut pas oublier que « L’Assiette au beurre était une affaire financière qui devait être rentable. Elle a toujours appartenu à des groupes de presse qui par ailleurs éditaient toutes sortes de journaux, revues, livres qui n’avaient aucun caractère politique »[25]. Selon eux, si la revue a parfois « été amenée à prendre des positions voisines de l'extrême gauche, […] cela tient davantage à la liberté d'expression laissée à quelques dessinateurs engagés qu'à la poursuite d'une ligne politique précise »[26]. Ils relèvent que Léon Bloy et André Salmon considéraient Schwarz comme un « industriel », André Salmon le qualifiant même de « marchand de papier qui eût vendu n'importe lequel »[25], et, concernant Joncières, se limitent à rapporter que si, selon la fille de ce dernier, il « avait, depuis sa jeunesse, gardé un certain idéal de fraternité humaine, de justice », que son « milieu familial [était] attaché à des valeurs traditionnelles tant dans le domaine de l'art que dans celui de la politique »[27].
Selon André Laingui, « compte tenu de la personnalité des deux propriétaires successifs, il faut écarter l'idée que L'Assiette au beurre est un brûlot anarchiste. Et il ne serait sans doute pas inexact de penser que L'Assiette au beurre a défendu par hasard des idées socialistes [...] parce que ces idées étaient alors en faveur et que les meilleurs dessinateurs du temps — sauf Forain et Caran d'Ache — professaient de telles idées »[28].
En résumé, estime Anne-Marie Bouchard, « L'Assiette au beurre est libertaire dans les cadres financiers et politiques qu'implique la constitution d'une entreprise capitaliste viable ». Par conséquent, estime-t-elle, ces postulats « tendaient à éloigner esthétiquement la revue des publications de tendance anarchiste, tout en partageant néanmoins avec elles certains de ses illustrateurs » et considère comme significative « l'absence de texte détaillant les objectifs et les principes de la revue célébrée par les éditeurs comme un choix en faveur de la qualité esthétique de la satire ». Ce « manque de direction éditoriale explicite » est, pour Anne-Marie Bouchard, caractéristique « des médias capitalistes, dans lesquels les cadres éditoriaux ne se fondent plus sur la singularité d'une position ou d'une opposition politique, mais sur un statut économique, dont l'originalité se cristallise dans la loi de l'offre et de la demande ». Elle souligne à cet égard que Jossot est « renvoyé » en 1904 après que plusieurs numéros qu'il avait conçus aient été particulièrement mal reçus[N 11] et juge que « l'image dans L'Assiette au beurre est au centre d'une transformation du monde des médias par le biais de laquelle les structures d'édition capitaliste assurent le développement d'un fétichisme de l'image reproduite dans la revue devenue objet de collection »[31].
Vidocq donne en 1837 le terme « beurre » comme désignant en argot l'argent monnayé[32],[N 12]. Durant la première moitié du XIXe siècle, cet emploi coexiste avec celui de « graisse » et d'« huile » pour le même usage[36], Alfred Delvau notant à propos de la mise en équivalence de l'argent et du gras que le peuple « sait que c'est avec cela qu'on enduit les consciences pour les empêcher de crier lorsqu'elles tournent sur leurs gonds »[37]. Ces termes d'argot sont toutefois vieillis à la fin du XIXe siècle, Lucien Rigaud estimant en 1888 qu'ils « ne sont plus employés que par quelques vieux débris des anciens bagnes »[38]. Quant à « l'assiette au beurre », Pierre Dupré fait remonter l'expression « probablement au premier quart du XIXe siècle ». Il note que dès 1831 une lithographie de Charlet a pour légende : « C'est toujours les mêmes qui tient l'assiette au beure » [sic][39] et signale également qu'en 1871, Jules Perrin chante aux Ambassadeurs une chanson de Paul Burani sur une musique de Charles Pourny, dont le refrain est : « C'est pas toujours les mêmes / Qu'auront l'assiette au beurr'/Et allons y tout d'même/Au p'tit bonheur »[40]. Pour Lucien Rigaud, en 1888, l'expression « avoir l'assiette au beurre » signifie « être un des heureux de ce monde [...], [avoir] toutes les jouissances que procure la fortune et celles que procure une haute situation »[38]. Selon Georges Delesalle en 1896, « avoir l'assiette au beurre », c'est « être dans l'aisance, avoir sa grande part de chance », tandis que l'« accaparer » signifie « prendre tout pour soi »[41]. Pour Charles Virmaître, en 1900, « avoir l'assiette au beurre », c'est « être au pouvoir, dans les honneurs, s'engraisser, s'arrondir la panse et s'enfler les poches », étant observé, précise cet auteur, que la chanson de Burani « n'a pas été prophète car, depuis vingt cinq ans que cette expression a cours, c'est toujours les mêmes qui ont la fameuse assiette, même la soupière »[42]. Selon Reto Monico, l'expression désigne une « place lucrative », un « ensemble de privilèges des personnes au pouvoir » ou encore une « source de profit plus ou moins licite »[43]. Elle est particulièrement employée pour désigner « le profit jugé indu, excessif » de politiciens accaparant le pouvoir[44], en dénotant souvent l'antiparlementarisme[45],[46],[47], dans le contexte de la Troisième République où les métaphores culinaires appliquées à la politique sont courantes[48]. Ces aspects sont déclinés dans la revue-spectacle L'Assiette au beurre, un « quadrille naturaliste » lié aux Arts Incohérents et présenté en sur la scène du théâtre Beaumarchais, dont le programme est illustré, dans un esprit typiquement montmartrois, par Choubrac[49] et Adolphe Willette. En 1893, Alphonse Allais, membre de « la joyeuse bande du Chat noir »[50], comme Willette, Steinlen, Forain et Caran d'Ache[N 13], prête au Captain Cap le programme électoral suivant : « Loin d’être l’apanage de certains, l’assiette au beurre doit devenir le domaine de tous »[51]. Seize ans plus tard, Willette reprendra la même revendication humoristique en réclamant, en page deux du premier numéro de L'Assiette au beurre, « l'assiette au beurre pour tous ».
Samuel-Sigismond Schwarz, directeur et fondateur de la revue, est un immigré hongrois naturalisé français. Il arrive à Paris en 1878 et devient courtier en librairie. Il est, dès 1895, installé au 9 rue Sainte-Anne à Paris en tant qu'éditeur de romans paraissant en feuilletons[52]. Il se spécialise dans la vente par abonnement des œuvres de Victor Hugo, pour laquelle il jouit d'un quasi-monopole, ainsi que dans la vente par livraison de romans populaires, toutes activités qui lui procurent de confortables revenus[53]. L'engouement pour ce genre d'ouvrages déclinant, il s'oriente vers l'édition de journaux hebdomadaires illustrés et lance, avec des succès divers, sept à huit titres, dont les titres reflètent l'attente supposée du lectorat, parmi lesquels Le Frou-frou (où Picasso livre des croquis), Le Tutu[N 14], Le Pompon[N 15], des magazines assez légers, voire grivois et parfois antidreyfusards[55], ainsi que L'Art décoratif[53]. À l'époque du lancement de L'Assiette au beurre, Schwarz est donc un éditeur spécialisé dans des périodiques illustrés légers ou utilitaires, manifestant peu d'ambition intellectuelle[56]. En lançant « un journal hebdomadaire satirique illustré en couleur qui parlera sous une forme très mordante, très cinglante, des problèmes de la vie sociale actuelle[57], » il cherche avant tout à compléter son portefeuille de périodiques[58].
Le premier numéro de L'Assiette au beurre, sous-titrée « satirique, humoristique, hebdomadaire », parait, sans thème précis, le jeudi au prix de 25 centimes. La couverture est illustrée par Steinlen. Titrée « Caisse de grève », elle fait sans doute allusion aux mouvements ouvriers de Montceau-les-Mines et à Pierre Waldeck-Rousseau, entre autres ministre de l'Intérieur. Willette signe ensuite une lettre illustrée qui joue sur l'expression « l'assiette au beurre ». S'adressant à Schwarz, Willette écrit sur deux pages et sous une forme manuscrite entrecoupée de vignettes illustrant l'histoire de l'assiette au beurre censée représenter la richesse des nations[7] : « L'assiette au beurre pour tous ! Voilà bien une géniale, une généreuse idée, et l'insigne du Mérite agricole ne serait pas déplacé sur votre vaste poitrine ! [...] « L'assiette au beurre » pour un journal, n'est pas un titre ordinaire et me paraît aussi difficile à justifier que mettre du beurre en broche. »
Un dessin de Jean Veber occupe ensuite une double page, suivie par des créations de Charles Léandre, Jossot, Steinlein, Jacques Villon, Charles Huard, Hermann Vogel, Jeanniot, Ibels, Kupka, Roubille, et Hermann-Paul en 4e de couverture. Peu de textes donc et aucun programme anarchiste, ce qui fait dire à Anne-Marie Bouchard qu'il « apparaît que le quasi-monopole de l’image dans L’Assiette au beurre constitue une pratique de presse visant à dépolitiser les images en dehors de tout discours » et la conduit à estimer que cette identité éditoriale « témoign[e] de la perte d’influence de la presse anarchiste dans la vie politique française au début du XXe siècle »[1]. En revanche, le ton est férocement satirique et irrespectueux des institutions et des nantis ; cette tendance ira croissant.
Il est à noter qu'à ses débuts, L'Assiette au beurre ne contient aucun encart publicitaire mais seulement un tiré à part de 4 pages inséré dans l'album[4], mettant en valeur les productions périodiques et « littéraires » de Schwarz, notamment celles de La Bibliothèque générale qui lui appartenait également[N 16]. Ici, avec ses quatre périodiques, Schwarz revendique « le plus gros tirage de la presse satirique et humoristique ».
Dès ses premiers numéros, L'Assiette au beurre se caractérise par « une présentation très novatrice, au format 25 × 32 cm, sur seize pages en général, avec des dessins majoritairement en pleine page et, pour environ la moitié d'entre eux, imprimés en couleurs[59] »,[N 17], la plupart des autres publications se contentant de mélanger vignettes, demi-pages et peu de pleines pages. Durant les deux premières années de parution, la pagination fluctue autour de 16 pages et le prix augmente de 25 à 40 centimes[4]. Chaque numéro est ainsi composé d'environ 16 dessins, généralement à pleine page, et pour une bonne moitié en couleurs, le plus souvent accompagnés d'un texte bref[61]. Le type et la couleur du papier sont également fluctuants et différentes solutions sont expérimentées[4].
À partir du no 4, la composition du titre sur la couverture évolue en fonction de l'actualité. Ces variations typographiques sont assez inhabituelles dans l'univers de la presse de cette époque, bien que précédemment, Cocorico ait ouvert la voie, un dessinateur s'y voyant confier la possibilité de détourner la charte graphique.
Avec le no 14, apparaît une autre « caractéristique véritablement distinctive[4] » de la publication, la dévolution d'un numéro entier à un thème unique, en l'occurrence « La guerre », illustrée par 14 lithographies signées d'Hermann-Paul. Un premier numéro triple et hors-série, vendu 1 franc, sort en et porte sur les « empoisonneurs patentés », avec une couverture signée Camara fustigeant le lait frelaté et l'alimentation industrielle. En , le journal commence à imprimer une « fausse » couverture sans images, permettant de se prémunir contre la censure, et du même coup, de proposer des annonces publicitaires au verso.
L'un des numéros les plus surprenants sur le plan artistique est celui intitulé « Crimes et châtiments » publié le et confié à Félix Vallotton. Il est composé de 23 lithographies détachables en suivant des perforations pointillées. Ces pages, imprimées uniquement sur une face, constituent un véritable album d'estampes sur le thème de la dénonciation des violences de l'ordre sécuritaire[64]. Le prix de ce numéro exceptionnel est fixé à 50 centimes mais l'expérience ne sera que très peu renouvelée[N 20] Le même mois de , un numéro de 24 pages, non lithographié, est également mis en vente au prix majoré de 30 à 50 centimes[65].
Vers le milieu de la troisième année de parution, la maquette se stabilise et du no 125 () à l'automne 1912, seuls trois numéros dépassent 16 pages, le prix passant de 40 à 50 centimes au cours de l'année 1904[4].
Le niveau des ventes des premiers numéros, distribués par les Messageries Hachette dans toute la France et souvent mis en avant par les kiosques parisiens, se situe entre 25 000 et 40 000 exemplaires[69],[11]. Le succès dépasse d'ailleurs les frontières[16]. L'éditeur Schwarz se montre donc satisfait, son titre est rentable. En 1901, il enregistre même des ventes approchant les 250 000 exemplaires pour le numéro où figure la caricature censurée de Veber sur l'impudique Albion[N 21]. Le lancement successif de plusieurs nouveaux titres met toutefois Schwarz dans une situation financière délicate. En , il est placé en liquidation judiciaire[70]. Le rapport du liquidateur, rendu en mai, montre que le passif est sensiblement supérieur à l'actif, une situation que Schwarz lui-même explique par « la création et le lancement de divers journaux et la mévente produite par suite de la création de journaux similaires »[71]. Le rapport du liquidateur montrant que l'activité courante est rentable, les créanciers de Schwarz acceptent en de créer la Société anonyme des journaux illustrés réunis, destinée à lui racheter ses actifs tout en lui laissant la direction[71]. Le concordat est cependant refusé par le tribunal de commerce, qui met Schwarz en faillite en 1903[71]. Ses actifs sont mis aux enchères et L'Assiette au beurre et Frou-frou achetés à bas prix par la Société anonyme des journaux illustrés réunis, qui compte désormais l'épouse de Schwarz parmi ses actionnaires, mais dont il quitte la direction[72].
Fin 1904, les deux titres sont cédés par cette dernière société à André de Joncières, héritier d'une importante fortune grâce à son mariage avec la fille d'un des principaux actionnaires de la Compagnie des compteurs à gaz[52]. Ces péripéties juridiques ne sont toutefois pas annoncées aux lecteurs et ne se traduisent que par des modifications administratives sans incidence sur le contenu éditorial[52]. Joncières conservera la propriété de la revue jusqu'en [73],[N 22]. Moins impliqué que Schwarz dans la conception des numéros, il la délègue à un rédacteur en chef, Paul Perrin[75]. la Nonobstant, selon sa fille, « un certain idéal de fraternité humaine, de justice humaine », Joncières est, tout comme Schwarz, un entrepreneur de presse et éditeur de romans populaires, et non un militant[74]. Dans une lettre non datée à Francis Jourdain, Jules Grandjouan lui écrit que « L'Assiette fut acheté par un jeune fêtard désœuvré, riche, il était le gendre de l'inventeur du compteur à gaz »[75].
L'orientation de la nouvelle direction est précisée en décembre 1904 dans une annonce au lecteur pour justifier l'augmentation à 50 centimes du prix au numéro. Ce « léger sacrifice » demandé l'engage à produire une « Assiette au beurre très améliorée sous tous les rapports : collaboration des artistes les plus éminents et des maîtres de la satire ; tirage irréprochable sur un papier de luxe assurant la conservation parfaite de nos collections ; souci de plus en plus grand de l'actualité[76]. » Joncières fait appel à un certain Paul Perrin, homme de lettres, pour le seconder. Il écrit également quelques articles et, en , témoigne en tant que « rédacteur en chef » lors du procès intenté contre le dessinateur Aristide Delannoy[73].
Entre 1907 et 1912, Joncières ouvre sensiblement son magazine au lectorat étranger, via l'Internationale ouvrière et la CGT, les différents partis socialistes européens, proposant des numéros franco-allemands, franco-italiens ou franco-anglais, avec des légendes bi- voire quadrilingues, tel le no 324 du , titré « Europa, numéro illustré international War Guerre Krieg Guerra », auquel participent notamment Walter Crane et Alfred Kubin. De même, le , le no 544 est consacré à la grève dans les chemins de fer anglais (en)[77].
L'Assiette au beurre est un périodique exigeant d'un point de vue artistique, et son prix de revient est, dès le départ, sensiblement élevé. Dans les années 1910-1911, il accuse une baisse de qualité technique et artistique due à des ennuis financiers. Joncières consacre une partie de sa fortune à subventionner le journal pour maintenir le prix de vente à 50 centimes.
En 1911, Paul Perrin est remercié. Le magazine déménage rue du Rocher en des locaux plus petits et Joncières lance un appel de fonds discret à ses lecteurs via Le Frou-frou. Il y a moins de dessins et de couleurs. Les textes sont essentiellement rédigés par Henri Guilbeaux, qui a quitté Les Hommes du jour pour diriger L'Assiette[78], par Raoul Pélissier et un certain « Ludger » (pseudonyme de Joncières). Guilbeaux n'a pas la partie facile : il renonce au projet d'album de dessins signé Frans Masereel[79]. En , la périodicité change, et devient bimensuelle, économies obligent. Le paraît le dernier numéro de L'Assiette au beurre (594), un mois s'est même écoulé depuis le 592. La première série compte 593 numéros sans compter les numéros hors-série, les numéros bis et les albums spéciaux, soit 600 livraisons en tout.
Joncières meurt en . Georges-Anquetil relance L'Assiette au beurre le dans une édition mensuelle avec une nouvelle numérotation. D' à , Le Merle blanc, fondé par Eugène Merle, en fait son supplément littéraire[80].
Une troisième série commence en , au moment de l'affaire Stavisky, sur grand format. Le troisième numéro, en mai, est sous-titré « satirique, illustré, pamphlétaire », jusqu'au douzième, sorti en . On note la participation de dessinateurs comme Bogislas ou Étienne Le Rallic[80].
En 1943, un numéro destiné à la propagande antisémite et antibritannique est publié. Il détourne le no 119, « Vive l'Angleterre », en reprenant ses dessins mais en modifiant les légendes[80].
L'Assiette au beurre est essentiellement un périodique d'illustrateurs[N 23] : plus de 9 600 dessins ont été répertoriés[81] exécutés par 216 artistes[82]. Camara, Delannoy, Ricardo Florès, Galanis, Grandjouan, Hermann-Paul, Jossot, Georges d'Ostoya, Maurice Radiguet sont les plus prolifiques[82].
Selon Michel et Élisabeth Dixmier, s'il existe une nette différence entre les dessins de presse des années 1900 et ceux de la période 1870-1880, due notamment à l'influence du « trait japonais » et à l'évolution des techniques de reproduction, le style des illustrations de L'Assiette au beurre ne se distingue pas notablement de celles d'autres publications comparables, telles Le Rire ou Le Sourire, les auteurs y étant souvent les mêmes. C'est une revue d'art social et non d'art moderne[83], avec pour conséquence que les œuvres produites, investies d'une portée sociale, suivent des codes esthétiques correspondant à leur fonction et restent lisibles, compréhensibles et efficaces[84]. Michel et Élisabeth Dixmier estiment qu'au total, le style des dessins reste à l'écart des mouvements picturaux novateurs, même si certains y ont contribué. Jacques Villon estime toutefois que « dans cette période, l'influence des journaux sur les arts fut considérable. Grâce à eux, la peinture se libéra plus rapidement de l'académisme[85]; et Patricia Leighten, s'appuyant notamment sur ce propos, écrit que L'Assiette au beurre a été un lieu d'expérimentation visuelle influant en retour sur le travail pictural des peintres engagés socialement qui y ont participé[11]. »
Comme le rappelle Kevin Robbins, « les plus grands et plus inventifs illustrateurs de presse de l'époque, tels le Tchèque František Kupka, l'Allemand Hermann Vogel, le Grec Démétrios Galanis, le Polonais Louis Marcoussis (Ludwig Casimir Markus), le Portugais Thomas Leal da Camara, l'Espagnol Juan Gris et le Suisse Félix Vallotton[86] », ont apporté leur contribution à L'Assiette au beurre.
Plus de deux cents dessinateurs ont participé à L'Assiette au beurre, dont un tiers d'Européens venus se former à Paris ou exilés pour des raisons politiques, et cent trente d'entre eux ont réalisé au moins un numéro complet[75]. La liste ci-dessous énumère les illustrateurs les plus notables de la revue jusqu'en 1912.
L'Assiette au beurre comprend, parfois, des textes signés d'écrivains, comme :
L'hebdomadaire satirique, à tendance anarchiste et résolument transgressif, se moque de toutes les formes d'autorité sans jamais s'acharner sur une personnalité (un numéro fut d’ailleurs coordonné par Octave Mirbeau autour des « têtes de turc »). Chacun en prend pour son compte à travers des figures convenues, obéissant aux codes de la caricature fin-de-siècle : autocrates, riches, militaires, policiers, artistes et écrivains, scientifiques, académiciens, politiciens, prêtres et croyants, à travers des caricatures souvent féroces. Les questions politiques, à travers des dessins, parfois antisémites[N 28] et souvent antimaçonniques[93] et anti-impérialistes[N 29], sont également traitées. La ploutocratie est systématiquement attaquée. L'Assiette au beurre, qui a employé plus de deux cents artistes, se caractérise par son ouverture internationale (cf. le no 26). Des sujets de société, souvent tabous, figurent également dans L'Assiette au beurre : la peine de mort, la traite des enfants, la sexualité. Plusieurs numéros traitent du rôle des femmes dans la société, en particulier du féminisme et de la revendication du droit de vote pour les femmes, globalement considéré comme un mouvement de bourgeoises[94]. Trois numéros y sont consacrés : « Quand les femmes voteront », en 1908, illustré par Grandjouan[A 21] ; « Féminisme et féministes » en 1909, illustré par Bing[N 30] et Sigl[A 22] ; « Les Q. M. féminins » en 1910, illustré par Galanis et Gris[A 15]. Un numéro de 1912,« Les Mesdam' Messieurs »[A 23], texte écrit par Raoul Pellissier, illustré par Jils Garrine, est entièrement consacré aux lesbiennes. L'Assiette aborde aussi ceux de la vie quotidienne comme « L'argent », « Le gaz », « La police [et ses excès] », « L'alcool » ou « Paris la nuit », sans verser dans le misérabilisme (dont elle se moque d'ailleurs), tout en s'affirmant, parfois, pro-ouvriers (voire populiste).
Au total, les thèmes abordés, variables, peuvent être analysées selon un découpage en trois périodes :
Le prix d'appel est relativement normal pour un hebdomadaire de cette qualité, soit 25 centimes (en moyenne, 4 fois le prix d'un quotidien non illustré) qui, selon la pagination, peut atteindre 60 centimes. Il est fixé à 30 centimes en mai 1901 puis à 50 centimes en 1905 quand Schwarz se retire. Le prix est alors jugé beaucoup trop élevé par certains, dont Jules Grandjouan[N 8], qui écrit à Joncières que, pour un lectorat qui se compose de « bourgeois humanitaires, libéraux, un peu sceptiques, mais foncièrement sensibles, (...) il est donc inutile et nuisible de faire de l’Assiette un journal nettement révolutionnaire. Le public à 10 sous ne sera jamais révolutionnaire[101]. »
Ce support ne s'encombre pas de textes ou de longs développements théoriques. En étant principalement illustré, il s'adresse à un public éclairé, capable de déchiffrer l'ironie derrière chaque dessin. Son insolence, son mordant, son défi à toutes formes d'obédience répondent, à l'époque, à un sentiment diffus de ras-le-bol à l'égard des élites et des symboles d'autorité, mais aussi des discours politiques en général[81].
Les relations de L'Assiette au beurre et du pouvoir s'inscrivent dans le contexte des lois sur la presse existant à la Belle Époque. Si la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse définit un cadre libéral, ce dernier donne à craindre un « déferlement d'images obscènes »[105], qui est notamment limité par la « loi scélérate » du , rendant le tribunal correctionnel compétent en matière d'offense ou de « provocation » envers les chefs d'état étrangers[105], puis par la loi du contre la « licence des rues », passée à l'initiative du sénateur René Bérenger, en vertu de laquelle « Les journaux satiriques sont visés à double titre : d’abord parce que les bandeaux d’abonnement ne couvrent pas l’ensemble des couvertures, et ensuite parce qu’ils accueillent une publicité abondante pour [d]es produits illicites »[105].
Dans ce contexte, aucun numéro de L'Assiette au beurre n'a été interdit de publication, ni dû subir de procès pour raisons de politique intérieure[106],[N 38]. En revanche, certains numéros sont interdits de vente dans la rue[103], leurs dessins ayant mis le gouvernement français en émoi sur le plan diplomatique, lorsqu'ils visent la personnalité des souverains britannique, russe, portugais ou espagnol, quatre alliés de la France. En particulier, le numéro du sur les « camps de reconcentration du Transvaal » qui vise explicitement l'attitude de l'armée britannique à l'égard des populations boers. Dans ce numéro au très grand succès et plusieurs fois réimprimé, on trouve, en dernière page, un dessin intitulé « L'impudique Albion », montrant « Britannia » jupes relevées, le visage du roi Édouard VII à la place des fesses. L'affaire traîna jusqu'en 1904, et Schwarz fut obligé de le réimprimer en mettant à couvert lesdites fesses[109]. Les numéros 65[A 69] et 92[A 70], qui visent également les Anglais, font aussi l'objet d'une interdiction de vente dans la rue[110].
Le tsar Nicolas II est systématiquement caricaturé, parfois dans des postures d'une violence assumée, sans doute proportionnelle à celle de la révolution russe de 1905, comme dans « Le Tzar Rouge » (édition du )[A 36]. Par ordre du préfet de police, Louis Lépine, ce numéro est interdit d'exposition au public. Dans un article anonyme intitulé « La liberté de la presse », publié le , L'Assiette au beurre ironise sur l'hypocrisie consistant à en autoriser la vente mais à en interdire l'affichage « aux tenancières des kiosques », feint de s'étonner que cela puisse être jugé subversif de représenter Nicolas II « avec une légère éclaboussure de sang, alors qu'il eût été parfaitement légitime de le faire patauger dans une mare rouge » et assure le lecteur que « l'étouffement n'a pas réussi. Le numéro de L'Assiette au beurre s'est vendu et se vend toujours, car nos machines n'ont pas cessé de le tirer depuis quinze jours, et elles le tirent encore »[111].
Charles 1er, roi du Portugal, en visite à Paris fin , fait également l'objet d'un portrait-charge de Camara sur la couverture de l'édition du , dont la violence suscite l'émotion du gouvernement. Le préfet Louis Lépine en fait également interdire l'affichage. « Sous quel prétexte ? », feint de s'étonner L'Assiette dans son supplément : « Les marchandes que nous avons interrogées supposent — car on ne s'est pas donné la peine de leur fournir des explications — que M. Lépine n'a pas trouvé assez « joli » ni assez flatteur pour notre hôte le portrait-charge qui figurait sur la première page de L'Assiette au beurre »[112].
Nonobstant ces incidents diplomatiques, Michel et Élisabeth Dixmier estiment que le pouvoir fait preuve à l'égard de L'Assiette au beurre d'une relative indifférence entre 1901 et 1906. Les raisons en sont, selon eux de deux ordres. D'une part, le magazine ne défend aucun parti et ne parle pour aucun candidat et, d'autre part, il s'adresse à des lecteurs bourgeois cultivés : une élite d'environ 50 000 personnes, ce qui n'en fait pas un média de masse à potentiel subversif[113],[N 39].
En , le sénateur René Bérenger, surnommé « Père la Pudeur », rédige une proposition de loi, visant la prostitution des mineurs, qui cache en réalité une mise en application du principe de « l'atteinte aux bonnes mœurs » sans que celles-ci ne puissent être définies autrement que par des mots comme pornographie, obscénité, etc. Ce flou juridique permet, jusqu’à son adoption avec modifications par la Chambre des députés en , de mettre L'Assiette au beurre sous la menace de sanctions policières. Dès lors le magazine se retrouve frappé d'interdiction de publicité dans les gares, mais souvent du seul fait des kiosquiers eux-mêmes, qui, par excès de zèle, espèrent ainsi « protéger les yeux chastes de certains publics »[115],[N 40]. Par ailleurs, Clemenceau, alors ministre de l'Intérieur, poursuit, pour délits de presse, quelques collaborateurs de L'Assiette au beurre mais jamais directement le magazine[116],[117]. Tel est notamment le cas d'Aristide Delannoy[N 41] et de Jules Grandjouan[N 42], deux dessinateurs habituels de L'Assiette au beurre[N 8], condamnés pour des dessins qu'ils avaient au demeurant publiés dans d'autres périodiques.
Après , il apparaît que le magazine cesse toute forme de promotion d'une « plus grande liberté de la presse ».
Jusqu'à la fin de l'année 1911, la publicité est rarement intégrée dans la composition des pages de L'Assiette. Elle est proposée sous la forme d'encarts glissés ou de suppléments facilement détachables, non par hostilité de principe, mais plutôt par souci de cohérence avec le positionnement du titre comme un journal d'art social dont la collection « est rendue plus précieuse par l'absence de toute réclame »[124].
Durant les années Schwarz ( - ), les produits vantés sont liés aux productions du groupe de presse (autres publications périodiques, livres reliés) assorties de promesses de cadeaux parfois invraisemblables (maison à la campagne, etc.), puis pour des produits dérivés (cartes postales, almanachs, calendriers). On trouve des réclames pour des produits pharmaceutiques, des boissons alcoolisées. La période Joncières comporte beaucoup moins de publicité, sauf pour les 35 derniers numéros, deux à trois pages et demie d'annonces étant directement brochées au cahier — au lieu d'un encart jeté. Les échanges publicitaires proprement dits sont rares : on note que le magazine allemand Jugend et La Petite République y ont recours mais à titre exceptionnel[125].
Le dépouillement des publicités, qui concernent principalement des produits de luxe ou de semi-luxe, des objets de loisir et des services financiers et immobiliers, indique, en toute cohérence avec le prix élevé du numéro, que L'Assiette vise plutôt une clientèle aisée[126],[N 43].
Durant la Première Guerre mondiale, la revue La Baïonnette, dont le ton et le format s'inscrivent dans la lignée de L'Assiette au beurre publiera des caricatures de plusieurs collaborateurs réguliers de cette dernière, tels Leonetto Cappiello, Paul Iribe, Auguste Roubille et Adolphe Willette[127],[128]. Aux États-Unis, The Masses (1911-1917), revue de la gauche radicale fondée par l'anarcho-syndicaliste Piet Vlag, proche de Guilbeaux, assume cet héritage[129],[130] et l'on trouve même dans les premiers numéros des dessins repris de l'année 1912. Dans les années 1920, La Charrette charrie lancée à Paris en s'affirme l'héritière de la revue[131],[132]. Eugène Merle, son fondateur, tente ensuite d'en faire un supplément pour Le Merle blanc. Dans les années 1930, Le Crapouillot revendique cette filiation en réutilisant de nombreux dessins à travers des « dossiers spéciaux »[133],[134].
À compter de , d'anciens dessins signés principalement par Jossot, Poulbot, Delannoy, Grandjouan, sont repris par des journaux comme L'Enragé (1968)[135], L'Idiot international (1970), Libération (1973-1974)[136].
Plusieurs auteurs incluent l’Assiette au beurre dans la liste des publications satiriques qui ont précédé ou inspiré Hara Kiri (1960) puis Charlie Hebdo (1970)[137],[138]. Pour l'historien Stéphane Mazurier, « le premier et véritable modèle pour Charlie Hebdo est L'Assiette au beurre »[139], eu égard à ce que Michel Dixmier appelle la « symbiose entre violence du message et violence graphique »[140]. Selon Michel Ragon, « de L'Assiette au beurre à Hara-Kiri et à Charlie hebdo, l'esprit est le même, superbement retrouvé après un entracte plutôt fade d'une cinquantaine d'années »[141]. Cette filiation est revendiquée par les dessinateurs Georges Wolinski[142] et Cabu[143], quand bien même ce dernier note que « du temps de L’Assiette au beurre, la majorité était de droite. Ils étaient anti-dreyfusards, antisémites, comme Caran d’ache, Léandre, mais ils étaient de très bons dessinateurs »[144]. Cependant, le cofondateur de Hara Kiri, François Cavanna, nie l'influence qu'aurait pu exercer sur celui-ci L'Assiette au beurre[145], qu'il considère comme un « magazine de la fin de l’autre siècle » dont « le graphisme prestigieux illustrait des idées d’une platitude de discours électoral »[146] et dont il souligne le caractère de « dessin unique » des caricatures qu'elle publiait[147].
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