Époque Sengoku
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L'époque Sengoku (戦国時代, Sengoku-jidai?, littéralement « époque des provinces en guerre », en référence à la période des Royaumes combattants chinois) est une ère de l'histoire du Japon marquée par des turbulences sociales, des intrigues politiques et des conflits militaires quasi permanents, qui s'étend du milieu du XVe siècle à la fin du XVIe siècle au Japon. Au sens strict, cette période débute à la fin des guerres d'Ōnin en 1477 et dure jusqu'en 1573, lorsque le seigneur de la guerre Oda Nobunaga destitue le dernier shogun Ashikaga. Elle couvre approximativement la seconde moitié de l'époque de Muromachi entendue au sens large, qui correspond au shogunat des Ashikaga et s'étend de 1336 à 1573[1].
Milieu du XVe siècle – Fin du XVIe siècle
Statut | Absolutismes seigneuriaux |
---|
1477 | Guerre d'Ōnin |
---|---|
1573 | Destitution du dernier shogun Ashikaga |
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Entités suivantes :
Les guerres d'Ōnin (1467 – 1477) plongèrent le gouvernement central du Japon dans une crise grave, réduisant à néant l'autorité politique des shoguns de la dynastie Ashikaga, et avec elle celle de l'aristocratie de la capitale Kyoto, et laissant la voie ouverte à la domination de la catégorie des guerriers. Celle-ci fut rapidement bouleversée par un ensemble de désordres, que les contemporains désignaient par le terme gekokujō, renvoyant à l'idée de renversement de l'ordre établi. En effet, ce furent en général des personnes provenant des clans des couches moyennes et inférieures de la catégorie guerrière qui renversèrent l'élite militaire traditionnelle et se rendirent indépendantes du pouvoir central, en formant dans les provinces une myriade d'entités politiques qu'elles géraient sans rendre de comptes à un suzerain : Go-Hōjō, Imagawa, Oda, Takeda, Mōri, Shimazu, etc. Ces personnages étaient désignés par le terme de daimyō, qualifiant un chef guerrier, et leur pouvoir reposait sur leurs capacités militaires et celles de leurs vassaux guerriers, qui constituaient le socle des États provinciaux de cette période. L'instabilité politique se traduisit par des affrontements guerriers entre les différents clans, et des luttes intestines au sein de clans, ou entre suzerains et vassaux, avec pour conséquence des revers de fortune, et la disparition fréquente de seigneurs de guerre, voire de clans. Bien que certaines de ces entités politiques soient parvenues à élaborer un ordre politique interne reposant sur une armée, un système juridique et l'exploitation des ressources économiques du territoires dans un but essentiellement militaire, elles tendirent à un mouvement de concentration politique dans la seconde moitié du XVIe siècle. L'époque Azuchi Momoyama, qui succéda à la période Sengoku et s'étendit de 1573 à 1600, correspond à la dernière phase des conflits entre seigneurs de la guerre. Elle s'acheva avec l'unification du Japon sous les actions successives d'Oda Nobunaga, qui commença le premier à constituer un État hégémonique dans le Tōkai et le Kinai, de Toyotomi Hideyoshi qui mena à bien l'unification du reste du Japon, puis de Tokugawa Ieyasu qui mit en place le régime d'Edo en 1603.
La période Sengoku, et plus largement le siècle et demi allant de 1450 à 1600 correspondent à une longue phase de transition entre le Japon médiéval et celui de la « première modernité », entre l'effondrement du shogunat des Ashikaga et la mise en place de celui des Tokugawa. Les structures politiques et sociales du Japon médiéval furent ébranlées, puis progressivement abattues durant les troubles de cet âge guerrier, qui vit sur sa fin la mise en place d'un nouvel ordre socio-politique posant les bases de la longue ère Edo (1603 – 1868). Cette période fut aussi caractérisée par l'établissement de structures politiques plus autonomes s'élevant dans le contexte d'affaiblissement des pouvoirs centralisateurs, à partir des communes rurales de plus en plus autonomes qui donnèrent naissance à plusieurs ligues de guerriers locaux, parfois sous les auspices de mouvements religieux. Cette époque fut également marquée par un essor économique, avant tout perceptible dans le domaine commercial, qui se traduisit aussi par un essor urbain et l'affirmation politique des communautés de bourgeois des grandes villes (Kyoto, Sakai). L'horizon du Japon s'ouvrit à la suite de l'établissement des premiers contacts avec des navires européens en 1543, puis du début de l'implantation du christianisme dans le pays. Du point de vue culturel, le Japon restait marqué par une importante influence chinoise, mais il connut des développements marquants à partir de la culture d'Higashiyama (années 1480 – 1490), contribuant à forger l'esthétique japonaise des périodes suivantes, notamment dans l'art de la cérémonie du thé, de la composition florale, de la peinture sur rouleaux et paravents, de l'organisation de l'espace intérieur, etc.
Le début de la période Sengoku fut marqué par une décennie de guerres qui va de 1467 à 1477, regroupées sous la dénomination de « guerres d'Ōnin » (Ōnin no ran) ou parfois « guerres d'Ōnin et de Bunmei », Ōnin (1467 – 1469) et Bunmei (1469 – 1487) étant les ères durant lesquelles elles se déroulèrent. Ces conflits se déclenchèrent dans un contexte d'affaiblissement du shogunat des Ashikaga, en principe l'autorité politique suprême du pays, mais mis à mal par l'assassinat du shogun Yoshinori en 1441. Cet événement ouvrit la voie à une montée en puissance des grands clans dont les chefs étaient détenteurs de commandements militaires provinciaux : les shugo, en particulier dans les provinces orientales, mais aussi dans la région de Kyoto, le Kinai, où les clans Yamana et Hosokawa luttaient pour la domination de la cour du shogun. Les principaux clans du pays étaient souvent divisés par des guerres successorales, et c'est l'une d'entre elles, au sein du clan Hatakeyama, qui déclencha le conflit dans lequel furent entraînés les autres clans, dont les deux plus importants, puisque d'un côté se trouvait Hatakeyama Masanaga, allié à Hosokawa Katsumoto, et de l'autre Hatakeyama Yoshinari, allié à Yamana Sōzen (ou Mochitoyo). À cela s'ajoutait un conflit successoral au sein du clan Shiba dont les parties prenantes cherchèrent une alliance similaire, ainsi qu'un conflit dans la famille du shogun Ashikaga Yoshimasa, entre son frère Yoshimi et son fils Yoshihisa. Quoi qu'il en soit, ces litiges furent un prétexte pour les Hosokawa et les Yamana d'en venir aux armes en 1467 : les premiers formèrent la coalition de l'Est et les seconds la coalition de l'Ouest, qui entrèrent dans une série de conflits qui provoqua, dès le démarrage des hostilités, la destruction de la majeure partie de Kyoto, en premier lieu son secteur officiel, et la dévastation des campagnes du Kinai. La mort de maladie des deux chefs des coalitions, Hosokawa Katsumoto et Yamana Sōzen, en 1473, provoqua un apaisement des conflits, qui se poursuivirent toutefois encore quelques années. Mais l'essentiel avait eu lieu : l'affaiblissement du shogunat avait été accéléré, et bien qu'Yoshihisa ait accédé au pouvoir à la suite de l'abdication de son père, il n'exerçait plus aucun contrôle sur les principaux chefs militaires provinciaux, qui étaient parvenus à s'émanciper encore plus après la dévastation du centre politique du Japon. Parallèlement, les révoltes paysannes déjà courantes dans la première moitié du XVe siècle s'étaient propagées dans le Kinai dans le courant des années 1470. La période des guerres d'Ōnin, se concluant sans vainqueur parmi les belligérants, avait fait basculer le Japon dans une nouvelle ère[2].
L'« époque des pays combattants » est, comme son nom l'indique, dominée par le fait guerrier. La figure majeure de la période est le sengoku-daimyō, seigneur de la guerre, qui domine une portion du territoire japonais où il tente de se maintenir et, s'il rencontre le succès, de s'étendre. Mais le siècle de Sengoku est émaillé d'une série de conflits, certes souvent d'ampleur limitée, mais suffisants pour empêcher la stabilisation du pouvoir des seigneurs de la guerre, qui sont nombreux à connaître des échecs condamnant leur construction territoriale et souvent même leur clan. L'ampleur des conflits et les violences qui les accompagnent vont croissantes durant le XVIe siècle, provoquant de nombreuses destructions dans toutes les couches de la société. Cette période s'achève dans les trois dernières décennies du XVIe siècle par l'unification progressive du Japon sous l'action d'Oda Nobunaga, puis Toyotomi Hideyoshi, qui éliminent ou soumettent progressivement les autres seigneurs et entités politiques indépendants. Ensuite Tokugawa Ieyasu fonde le shogunat Tokugawa et établit sa domination sur le pays au début du XVIIe siècle.
Les sengoku-daimyō, moteurs des bouleversements
La vie politique de l'époque Sengoku fut dominée par la figure du daimyō, terme ancien, qui désignait à la fin du Moyen Âge « un guerrier chef d'une lignée localement influente qui, maître d'un vaste domaine, entretenait une puissante armée formée des membres de sa famille et de ses serviteurs »[3]. Les daimyō les plus puissants de l'époque Sengoku sont qualifiés par les historiens du terme de sengoku-daimyō (« daimyō de l'époque Sengoku »)[4]. À l'issue de l'effondrement du pouvoir central des shoguns, acté par les années de la guerre d'Ōnin, ils se constituèrent des principautés sur lesquelles ils ne rendaient de comptes à aucun suzerain, luttant constamment pour les préserver et si possible les étendre. Ils peuvent donc être qualifiés de « seigneurs de la guerre »[5].
Des origines diverses
Ces personnages avaient des origines diverses, regroupées en quatre catégories par K. Nagahara. Certains étaient issus de familles disposant auparavant de la charge de shugo (gouverneur militaire d'une province), dans laquelle ils avaient conservé leur position en y retournant après la guerre d'Ōnin, et bénéficièrent d'une indépendance de fait qu'ils avaient pu préserver ; on y compte les Ōuchi, Imagawa, les Takeda, les Shimazu. Le second groupe est issu de la catégorie des shugodai, « prévôts », délégués représentant dans leur province les shugo qui résidaient longuement dans la capitale. Ils profitèrent alors de l'éloignement de leur maître lors des conflits dans le Kinai pour l'écarter et prendre le contrôle de leur province. C'est le cas des Oda, qui renversèrent l'autorité de leurs maîtres, les Shiba. Le troisième groupe était issu d'une catégorie encore inférieure dans l'échelle administrative et sociale, celle des kokujin ou kunishū, « barons » locaux. Dans ce cas de figure, un de ces personnages prenait le dessus sur les autres barons de la province, puis parvenait à acquérir un pouvoir suffisant pour revendiquer le statut de daimyō dominant. C'est la trajectoire qu'empruntèrent les Mōri dans l'ouest de Honshū, ou encore les Matsudaira (futurs Tokugawa) à Mikawa. Le dernier groupe comprenait des personnages dont les origines sont à chercher dans les couches basses de la société, avec des ambitieux parvenant à profiter du désordre régnant pour connaître une ascension sociale fulgurante : Hōjō Sōun, Saitō Dōsan, ou Toyotomi Hideyoshi. En revanche, les clans de l'élite des guerriers (buke) de la période antérieure à la guerre d'Ōnin, comme les Hosokawa, les Yamana, les Hatakeyama ou encore les Shiba, ne parvinrent pas à maintenir leurs positions et perdirent pour la plupart en importance dans les premières décennies de l'époque Sengoku[6].
Gekokujō : une période de renversements
Les processus d'ascension et descension sociales, sur plusieurs générations ou en l'espace de la vie d'un seul homme, étaient plus fréquents qu'aux périodes précédentes. Cela est révélateur d'une fluidité sociale et politique plus grande durant cette ère troublée, participant de ce que les Japonais médiévaux désignaient par le terme de gekokujō, « le bas l'emporte sur le haut »[7], ce qui peut être compris comme un phénomène « de renversement des hiérarchies traditionnelles et d'émergence de nouvelles valeurs » (P.-F. Souyri)[8]. De fait, si les relations sociales traditionnelles au sein des élites médiévales étaient celles liant entre eux les membres d'un même clan, en principe dirigé par un chef ayant la primauté sur les autres, et aussi les liens féodaux entre un suzerain/chef et son vassal/serviteur, la fin de l'époque médiévale regorge de cas où ceux occupant les positions inférieures tentèrent, souvent avec succès, de renverser leur supérieur pour prendre sa position.
Les sengoku-daimyō occupaient donc une position centrale dans les évolutions de l'époque, profitant des opportunités offertes par l'effondrement du pouvoir central et des clans principaux. Aussi, ils ont généralement été le point d'intérêt majeur des historiens de la période, qui ont porté diverses appréciations sur leurs qualités de chefs militaires, de meneurs d'hommes et d'hommes politiques. Leur pouvoir reposait sur la force, avait des aspects charismatiques, dépendait de leurs succès, de leur habilité à prendre le pouvoir, à le conserver et si possible l'étendre, de leur capacité à gouverner et à assurer la fidélité de leurs vassaux, en constituant notamment un compagnonnage guerrier[9]. Ces hommes ou lignées d'hommes s'étaient forgé par la guerre des domaines à partir d'une province, puis ceux qui avaient eu le plus de réussite avaient pu étendre leur domination sur d'autres, et augmenter leur nombre de vassaux. Ils jouissaient dans leurs domaines d'une indépendance totale (ce qui les différenciait des shugo de l'époque précédente, qui exerçaient leur pouvoir sous l'égide du shogun), et c'est sans doute pour cela que les observateurs européens de l'époque les désignaient comme des « rois ». Mais leur pouvoir restait territorialement limité à une portion de l'archipel japonais, et surtout leur position était en général très précaire, liée à leur capacité à triompher lors des conflits, qui, pour la plupart, ne se soldaient au mieux que par des gains minimes, et leur destin était souvent marqué par des revers de fortune, ce qui explique que la plupart des seigneurs de la guerre de la période eurent un destin tragique, et que de nombreux lignages pouvaient être anéantis, ou du moins perdre toute importance politique, en quelques années[10]. M. Berry a proposé une vision peu glorieuse de ce groupe, constitué de personnages « qui se tournèrent de manière irréfléchie vers la violence pour venger l'insulte, augmenter le prestige, sécuriser leurs prises de terres, et satisfaire les appétits de serviteurs opportunistes. Aucun n'avait l'intention de refaire le monde ou même de combattre longtemps ; tous étaient à la poursuite de gains marginaux qui devaient finalement tout coûter à la plupart d'entre eux »[11]. Du reste l'attention des historiens a surtout été portée sur les figures majeures que sont les trois unificateurs de l'époque Azuchi Momoyama, Oda Nobunaga, Toyotomi Hideyoshi et Tokugawa Ieyasu, qui mirent fin à la période guerrière à partir des années 1560, et posèrent chacun à leur manière les bases d'un nouvel ordre politique, donc des personnages aux accomplissements plus durables, même s'il n'y a pas d'interprétation dominante sur leur rôle historique (voir plus bas). Quoi qu'il en soit, si l'approche récente de l'histoire politique est moins portée sur les figures des « grands hommes », elle continue de voir dans le groupe des sengoku-daimyō les acteurs majeurs des évolutions de l'époque Sengoku, et souvent des agents de la modernisation, évidemment dans les domaines militaire et politique, mais sont aussi mis en avant leurs rôles dans les changements sociaux et économiques, et également culturels, urbanistiques et architecturaux. En tout état de cause, il convient de prendre en compte les nombreuses divergences existantes selon les personnalités des daimyō et les contextes géographiques, qui tendent à rendre les généralisations difficiles[12].
Par ailleurs, cette période de renversement des hiérarchies fut également marquée par la présence d'autres formes d'organisation politique, reposant sur des solidarités locales, horizontales, là où les seigneurs de la guerre n'avaient pu ou voulu étendre leur autorité, ou bien là d'où ils avaient été chassés par la force : les « ligues » rurales, regroupant des communautés de guerriers restés autonomes, les communes urbaines capables d'assurer leur propre défense[13].
Une ère de fragmentation politique et de conflits (1477-1568)
Pendant la période Sengoku stricto sensu, qui s'étend de la fin de la guerre d'Ōnin en 1477 jusqu'à la prise de contrôle à Kyoto d'Oda Nobunaga entre 1568 et 1573, le Japon se divisa politiquement et plongea dans une série de conflits mettant aux prises les seigneurs de la guerre qui s'étaient taillé des domaines dans les différentes provinces. La région de la capitale Kyoto, le Kinai, perdit son rôle politique central et moteur avec l'effacement du shogunat Ashikaga, et connut une très grande instabilité, aucune force stable n'y assurant son autorité. Les provinces en revanche virent émerger progressivement des constructions politiques établies par les seigneurs de la guerre les plus puissants, et leurs successeurs s'ils parvenaient à préserver leur héritage. L'époque Sengoku fut donc aussi une époque d'affirmation politique et de développement des « périphéries », en particulier le Tōkai, Kantō, l'Ouest de Honshū et Kyūshū.
Kyoto et le Kinai : daimyō, temples, ligues et cités
Au sortir de la guerre d'Ōnin, le Kinai, comprenant Kyoto et les provinces l'entourant, restait plongé dans des troubles graves. Une des étincelles ayant allumé le conflit qui avait consumé le pays : la rivalité au sein du clan Hatakeyama, n'avait toujours pas été éteinte, et les deux branches rivales poursuivirent leurs luttes, désormais circonscrites dans le sud de la province de Yamashiro, y provoquant de nombreux dégâts. Les populations locales, déjà exaspérées quelques années auparavant par l'augmentation des taxes, qu'elles avaient fait annuler par leur mobilisation, organisèrent en 1485 une ligue qui monta une armée, forçant les deux branches des Hatakeyama à se retirer[14].
La ville de Kyoto avait été ravagée au début de l'ère d'Ōnin, et ses principaux pouvoirs politiques étaient impuissants à se faire entendre dans les provinces[15]. Le pouvoir shogunal était depuis plusieurs décennies en déclin, et la charge de kanrei, administrateur du gouvernement et maître effectif de la cour du shogun, était transmise au sein du puissant clan Hosokawa[16], établi dans plusieurs provinces autour de la mer intérieure de Seto. Le shogun Yoshimasa termina sa vie en 1490 retiré dans son domaine de Higashiyama sans jamais revenir à la vie politique. Le shogun régnant, Yoshihisa, tenta vainement de jouer un rôle politique, lorsqu'il dirigea en 1487 une armée dans la province d'Ōmi contre Rokkaku Takayori, qui avait pris des domaines de la cour et des temples de la capitale, mais il échoua et mourut peu après. Le nouveau shogun, Yoshitane, fut en 1493 contraint de fuir Kyoto par le kanrei Hosokawa Katsumoto, qui fit alors introniser Yoshizumi. Yoshitane revint à Kyoto en 1499, mais il fut encore chassé, par le nouveau kanrei, Hosokawa Masamoto, et se réfugia auprès du principal chef militaire de l'ouest, Ōuchi Yoshioki. Celui-ci leva une armée qui se dirigea vers la capitale en 1507 : Masamoto fut alors tué, et Yoshizumi s'enfuit, permettant à Yoshitane d'occuper à nouveau la fonction de shogun. À ce point, celle-ci n'avait plus de valeur politique ou militaire notable. Les Hosokawa se divisèrent dans une querelle successorale et furent placés sous la coupe d'un de leurs vassaux, le clan Miyoshi[17]. Les forces Ōuchi restèrent dans la capitale pour protéger le shogun jusqu'en 1518, après quoi elles furent contraintes de retourner dans leurs domaines occidentaux, où leur autorité était en péril, laissant la place aux Miyoshi, qui contrôlèrent alors à la fois les kanrei Hosokawa et les shogun Ashikaga[18]. Néanmoins, Hosokawa Harumoto renversa les Miyoshi en 1532, en faisant assassiner le chef du clan, Motonaga, et reprit le contrôle de la cour du shogun.
Les années qui suivirent furent marquées par la montée en puissance des institutions religieuses, qui étaient des acteurs majeurs des affrontements de l'époque. L'Enryaku-ji du Mont Hiei et le Hongan-ji d'Ishiyama, fondé en 1532, furent parmi les principales forces politiques de la région, en mesure de tenir tête aux principaux chefs militaires grâce à leurs propres troupes. Les bandes des ligues de la secte Ikkō (Ikkō-ikki, issues du Hongan-ji), et celles d'une mouvance du bouddhisme du Lotus (Hokke-ikki) furent particulièrement actives dans le Kinai à cette période. Elles entraînèrent la région de Kyoto dans des sortes de conflits religieux ayant aussi un fort aspect social (les ligues Ikkō avaient une proximité avec les révoltes rurales tout en ayant pour bases des villes-temples ; celles du Hokke avaient un ancrage urbain), marqué notamment par la destruction du Kōfuku-ji de Nara en 1532 par des membres de la secte Ikkō, et la défaite des ligues Hokke conduite en 1536 par les troupes de l'Enryaku-ji, qui s'étaient assurées de la neutralité des autres institutions religieuses ainsi que de l'appui du daimyō Rokkaku de la province d'Omi[19]. De même, les institutions urbaines se renforcèrent pour faire face aux troubles du temps : à Kyoto, mais aussi à Sakai, principale ville marchande de la région, certes frappée par un incendie en 1532, mais dont la reconstruction fut accompagnée d'une période d'essor remarquable des activités commerciales, et de plus grande autonomie[20]. Le Kinai était donc plus que jamais éclaté entre des forces politiques de natures différentes, aucun seigneur de la guerre ne parvenant à s'y affirmer.
La lutte autour du shogunat se poursuivit néanmoins, ce pouvoir restant celui sur lequel comptaient s'appuyer ceux qui avaient pour ambition de dominer la scène politique du Kinai, voire celle du pays. Le clan Miyoshi était désormais dominé par Miyoshi Nagayoshi (1522-1564)[21], fils de Motonoga, précédemment mis à mort, et gouverneur de la province de Settsu, qui parvint progressivement à rétablir son influence : il vainquit en 1547 le seigneur de la province voisine de Kawachi, Kizawa Nagamasa, puis il parvint à Kyoto et défit Hosokawa Harumoto en 1549. Ce dernier tenta avec le shogun Yoshiteru un retour trois ans plus tard, mais ils échouèrent. Nagayoshi était dès lors détenteur du pouvoir à Kyoto et ses alentours, où il installa ses collatéraux et vassaux, s'implantant de son côté à Iwori dans la province de Kawachi, où il avait évincé ce qu'il restait du clan Hatakeyama. Mais il délaissa à partir de 1560 les affaires politiques et militaires au profit d'un de ses vassaux, Matsunaga Hisahide (1510-1577), dont la base était située dans le Yamato, qu'il avait lui-même soumise, et qui étendit à son tour son influence sur tout le Kinai[22]. Les intrigues de Hisahide provoquèrent notamment la mort d'un des frères de Nagayoshi, peu avant le décès de ce dernier en 1564, et il entra en rivalité avec le neveu et successeur de celui-ci, Yoshitsugu, qui tentait de préserver l'influence des Miyoshi. En 1565, Hisahide provoqua le suicide du shogun Yoshiteru et intronisa Yoshihide, qui ne put même pas rentrer dans Kyoto, alors en proie à de grands troubles, marqués notamment par l'incendie du Tōdai-ji par les troupes de Hisahide qui y pourchassaient des vassaux des Miyoshi. Un autre membre des Ashikaga, Yoshiaki, avait entre-temps revendiqué le poste de shogun et fait appel au principal daimyō des provinces du Tōkai, Oda Nobunaga, qui investit Kyoto en 1568, forçant Hisahide à se soumettre et le renvoyant dans son domaine du Yamato.
Entre Kinai et Kantō : Asakura, Imagawa, Oda, Saitō
Dans les provinces situées entre le Kinai et le Kantō, le clan Shiba, qui détenait au milieu du XVe siècle les fonctions de shugo de Tōtōmi, d'Owari et d'Echizen, fut l'un des principaux perdants de l'époque de la guerre d'Ōnin dans laquelle il avait été très impliqué, puisqu'il laissa la domination de ses domaines échoir à ses shugo délégués (shugodai)[23].
En Echizen, c'était Asakura Toshikage (1428-1481), qui avait débuté la guerre d'Ōnin du côté de l'Ouest avec son seigneur Shiba, mais il avait changé de camp entre-temps pour rejoindre l'Est et les Hosokawa. Ses mérites au combat lui valurent de se faire confirmer la charge de gouverneur de l'Echizen, où il établit son domaine autour du Château d'Ichijōdani. Ses successeurs du clan Asakura se maintinrent dans la province jusqu'en 1573[24].
Le Tōtōmi passa à la fin du XVe siècle sous la coupe d'Ujichika du clan Imagawa, une des branches collatérales des Ashikaga, qui avait la charge de shugo de la province voisine de Suruga[25]. Son fils et successeur Yoshimoto (1519-1560) étendit sa domination sur la province de Mikawa, où il soumit les seigneurs locaux, le clan Matsudaira (les futurs Tokugawa)[26]. Il entra également en rivalité avec les daimyō de l'ouest du Kantō, les Takeda et les Hōjō, avec qui il conclut finalement la paix dans les années 1550[27].
En Owari, les représentants locaux des Shiba étaient les chefs des deux branches du clan Oda, ayant leurs sièges à Kiyosu et Iwakura, qui s'affrontaient régulièrement. Un des membres du premier, Oda Nobuhide (1511-1552) se détacha de son groupe et s'installa à Shobata, où il posa les bases d'un nouveau domaine, s'étendant vers les provinces de Mino et Mikawa, où il fut confronté aux Imagawa. Son fils et successeur Oda Nobunaga (1534-1582) parvint finalement à vaincre les autres branches du clan Oda, à se débarrasser de son frère qui tentait de le renverser, et l'Owari fut unifié en 1559[28].
La province de Mino était quant à elle confiée aux shugo du clan Toki, mais le pouvoir leur y échappa au profit de leurs shugo délégués, le clan Saitō, puis de serviteurs de ces derniers, les Nagai. C'est alors que commença la remarquable ascension sociale de celui qui devait être connu sous le nom de Saitō Dōsan (ou Saitō Toshimasa ; v. 1494-1556), surnommé la « vipère de Mino » en raison de ses méthodes brutales. C'était un personnage d'origine roturière, apprenti moine puis marchand d'huile et ensuite guerrier pour le compte des Nagai. Il se fit remarquer par le chef du clan Toki, Yorinari, puis renversa les Nagai en 1530 et hérita de la direction de la maison Saitō et du titre de shugo délégué en 1538. Il ne s'arrêta pas là, puis qu'il défit finalement Yorinari Toki, qui se réfugia auprès d'Oda Nobuhide, mais l'affrontement tourna à l'avantage de Dōsan. La fin du clan Toki en 1552 assit sa domination sur Mino. Il s'allia ensuite aux Oda, mariant sa fille à Nobunaga. Il fut renversé en 1556 par son fils Yoshitatsu[29].
Plus à l'ouest, au contact du Kinai, la province d'Ōmi était dominée par le clan Sasaki, qui s'était scindé en deux branches : les Kyōgoku et les Rokkaku, branche aînée et détentrice de la charge de shugo de l'Ōmi. Ces deux branches avaient choisi d'appuyer un camp différent lors de la guerre d'Ōnin, la première choisissant les Hosokawa et la seconde les Yamana. Les Rokkaku s'affirmèrent par la suite comme une famille puissante, Takayori repoussant en 1487 la tentative du shogun Ashikaga Yoshimasa de le mettre au pas après qu'il eut saisi des domaines de nobles et de temples de Kyoto. Ses successeurs profitèrent de la situation de leur territoire sur les routes commerciales entre Kinai et Kantō pour se renforcer et devenir finalement un des protecteurs des Ashikaga dans la première moitié du XVIe siècle[30]. De leur côté, les Kyōgoku disparurent, supplantés par un de leurs serviteurs, Azai Sukemasa, qui avait reçu l'appui des Asakura et des Saitō. Il dominait le nord de l'Ōmi, que ses successeurs (notamment Nagamasa) conservèrent malgré les entreprises des Rokkaku pour les dominer[31].
En 1560, Imagawa Yoshimoto, sûr de ses forces, décida de diriger ses troupes vers Kyoto, afin de placer la cour sous sa coupe. Sur son chemin se trouvait l'Owari, et plus précisément le château de Kiyosu où résidait Oda Nobunaga, qu'il décida d'attaquer. La bataille d'Okehazama (mai ou ) vit la défaite totale des troupes des Imagawa, malgré leur très large supériorité numérique, leur daimyō étant tué. Cela ouvrit la voie aux ambitions de Nobunaga[32]. Afin de consolider sa victoire face aux Imagawa, il s'allia à un de leurs plus puissants vassaux, Matsudaira Takechiyo (qui devint officiellement Tokugawa Ieyasu à partir de 1566) qui dominait le Mikawa, et à Takeda Shingen, daimyō de la province de Kai. Ce furent ces deux derniers qui se chargèrent de mettre une fin définitive en 1569 à la puissance des Imagawa, dont le chef, Imagawa Ujizane, devint alors un vassal des Tokugawa. Pendant ce temps, Oda Nobunaga avait tourné son regard vers l'ouest, où il s'était également allié matrimonialement aux Azai et aux Saitō, mais après la mort de Dōsan il élimina ces derniers lors de la prise de leur château d'Inabayama (1567). Ayant désormais des ambitions nationales, il reçut des messages de l'empereur et du shogun destitué Yoshiaki, qui souhaitait être rétabli. En 1568 il prit donc la route de Kyoto, éliminant au passage le clan Kitabatake d'Ise et les Rokkaku, et soumettant les villages du district de Kōga[33].
Cette région vit par ailleurs l'émergence dans le courant du XVIe siècle d'expériences politiques moins hiérarchisées, avec la ligue régionale de la province d'Iga, organisée autour de familles guerrières, qui se consolida surtout dans les années 1560, et entretenait des relations avec le district voisin de Kōga (sud de la province d'Ōmi), qui disposait également d'une organisation communautaire solide[34]. Les ligues Ikkō étaient également implantées dans la région, avec leur temple-forteresse de Nagashima et d'autres temples dans la province de Mikawa, ces derniers étant détruits par les troupes Matsudaira en 1564 (bataille d'Azukizaka)[35],[36].
Kantō et Est : Uesugi, Go-Hōjō, Takeda
Le Kantō, région aux particularismes prononcés à l'époque médiévale[37], était en principe placé sous l'administration d'un représentant du pouvoir de Kyoto, issu d'une branche des Ashikaga, ayant la charge de kubō et installé à Kamakura. Mais un conflit avait opposé à partir de 1449 le détenteur de cette charge, Ashikaga Shigeuji, au plus puissant clan de la région, les Uesugi[38], détenteurs de la charge de kanrei du Kantō, qui depuis refusaient de reconnaître le représentant nommé par Kyoto, le kubō désormais installé à Koga, et avaient nommé contre lui leur propre kubō, installé à Horikoshi. Les Uesugi dominaient de fait la région, mais ils étaient divisés en plusieurs branches rivales qui s'opposaient lors de divers conflits, réduites à deux dans les années 1480, les Ōgigayatsu et les Yamanouchi. Les seconds triomphèrent finalement en 1505 grâce à l'appui d'un clan parent, les Fushiyoshi, mais le chef militaire de ce dernier, Nagao Tamekage, homme de basse extraction, s'affirma d'abord contre son suzerain qu'il élimina, puis contre les Uesugi. Dans ce conflit, il gagna l'appui d'un autre daimyō du Kantō, Hōjō Sōun (1432-1519)[39], autre personnage d'origine obscure, ancien serviteur des Imagawa, né Ise Shinkuro Nagauji, qui prit le nom du prestigieux clan Hōjō, fondant un lignage que l'on nomme de ce fait les « Hōjō postérieurs » (Go-Hojō)[40],[41].
Installé dans le château de Nirayama en Izu, Sōun avait placé cette province sous sa coupe, puis le Sagami, juste avant sa mort, grâce à son alliance avec Tamekage. Le clan Hōjō se constitua rapidement une entité politique solide au cœur du Kantō, parmi les plus novatrices de l'époque dans le domaine administratif[42]. Ujitsuna (1486-1541)[43] poursuivit avec son allié les attaques contre le clan Uesugi, dont les branches restaient affaiblies par leurs divisions internes, et s'empara du Musashi en 1524, puis tua le kubō de Koga et domina l'Awa. Son fils et successeur Ujiyasu (1515-1571)[44] continua l'expansion des Hōjō en défaisant une coalition des Uesugi dirigée par Norimasa de la branche des Yamanouchi, lors du siège de Kawagoe en 1545 (qui vit l'anéantissement de la branche Ōgigayatsu). La défaite des Uesugi était alors totale, et Norimasa se réfugia en 1557 dans l'Echigo auprès du fils de Tamekage, Nagao Terutora. Il lui transmit sa charge de kanrei du Kantō (1559) et le destin du clan Uesugi en l'adoptant (1561). Ce personnage est passé à la postérité sous le nom de Uesugi Kenshin (1530-1578), l'un des principaux seigneurs de la guerre de son époque[45],[46].
Le principal adversaire direct de Kenshin était alors le clan Takeda[47], qui dirigeait la province de Kai, et dont le daimyō était Takeda Shingen (1521-1573)[48], depuis qu'il avait déposé en 1541 son propre père, Takeda Nobutora, qui voulait le déshériter. Shingen avait défait plusieurs clans voisins, les Suwa, les Ogawara, puis les Murakami, ces derniers sollicitant alors l'aide de Kenshin. Les affrontements entre les deux, lors des différentes batailles de Kawanakajima (entre 1553 et 1563, au nombre de cinq selon la tradition), illustrent pour la postérité l'intensité de la rivalité entre les seigneurs de la guerre de cette période. Ces conflits impliquèrent également les Hōjō, toujours dirigés par Ujiyasu qui a consolidé leur puissance : d'abord adversaire de Shingen, il s'allia avec lui face à la menace plus redoutable que constituait pour lui Kenshin, qui assiégea sa capitale sans succès en 1561. Ujiyasu cherchait également à contrecarrer ce rival en trouvant l'appui de la ligue de la secte Ikkō (Ikkō-ikki), établie depuis 1486 dans le Kaga et disposant alors d'un pouvoir militaire important lui ayant permis d'écarter le clan local dominant, les Togashi, et donc située au voisinage direct des domaines de Kenshin. Cela eut pour effet de tenir temporairement à distance ce dernier et offrit l'opportunité aux Hōjō de lui infliger une défaite. Cette dynamique d'alliances entre les principaux daimyō du Kantō y ouvrit la voie à des affrontements encore plus destructeurs qu'auparavant[49]. Par ailleurs les Takeda et les Hōjō voisinaient à l'ouest le domaine des Imagawa, avec qui ils parvinrent à faire la paix, avant de profiter de leur défaite face à Oda Nobunaga en 1560 pour participer à leur anéantissement, en 1569[50],[44].
Plus au Nord et à l'Est, les provinces étaient dominées par des clans anciens, mais de moindre importance, impliqués dans divers conflits locaux, notamment les Satake[51], les Ashina en Aizu[52], les Yūki de Shimōsa[53] et les Date à Sendai[54]. L'île de Sado, au large de la mer du Japon, vieille terre d'exil des élites de la capitale déchues, était quant à elle sous la coupe du clan Honma, détenteurs de la charge de shugodai[55].
Ouest : Ōuchi, Mōri, Ōtomo, Shimazu, Chōsokabe
Dans les provinces occidentales de Honshū (l'actuel Chūgoku) également, les conflits d'Ōnin avaient bouleversé la situation politique, érodant considérablement les assises du clan Yamana[56], qui dominait la région avec le clan Ōuchi[57]. Durant l'époque Sengoku, les membres du premier, auparavant l'un des plus puissants lignages du Japon médiéval, n'avaient plus d'autorité que sur les provinces d'Inaba et de Tajima et avaient été chassés de leurs autres domaines par plusieurs de leurs anciens vassaux. Les Ōuchi consolidèrent dans un premier temps leurs positions, mais leur rivalité avec les Hosokawa, qui les impliquait dans les luttes de pouvoir autour de Kyoto et les y faisait résider régulièrement, affaiblit progressivement leurs positions provinciales alors que les potentats locaux devenaient de plus en plus autonomes, en premier lieu les Amako qui avaient une charge de shugodai[58]. Les XVe et XVIe siècles virent par ailleurs les provinces occidentales du Japon (dont Kyūshū) connaître un essor politique et économique, profitant de leurs liens commerciaux avec le continent asiatique, leur conférant une place plus importante qu'auparavant au niveau national[59].
Les troubles dans leurs domaines, provoqués par des guerriers locaux y rappelèrent les Ōuchi une première fois en 1477 à la fin de la guerre d'Ōnin, puis une nouvelle fois en 1518, alors que leur daimyō Yoshioki (1477-1529) était à Kyoto où il tenait sous sa coupe le shogun, laissant la place libre aux clans du Kinai comme vu plus haut[57]. Ōuchi Yoshitaka (1507-1551), qui devint chef du clan en 1528, dominait alors de nombreuses provinces occidentales (Suō, d'où le clan était originaire, Nagato, Buzen, Chikuzen, Iwami, Aki), même s'il dut lutter contre quelques révoltes, et étendait aussi son influence sur le nord de Kyūshū. Son conflit contre le clan Amako, établi dans la province d'Izumo, contrôlant les îles Oki et convoitant l'Aki, fut moins heureux puisqu'il se solda par son échec à s'emparer de leur château de Toda en 1543 même si ses positions ne furent que peu érodées et qu'il parvint à conserver dans sa mouvance le clan local, les Mōri[60]. Néanmoins il fut attaqué et acculé au suicide en 1551 par son plus proche conseiller, Sue Harukata[61]. Ce dernier tenta alors d'installer un neveu du défunt daimyō, Yoshinaga, issu de la lignée des Ōtomo de Kyūshū, pour prendre la tête du clan Ōuchi comme marionnette, mais il fit face à l'opposition d'autres vassaux du clan, emmenés par Mōri Motonari (1497-1571). En 1555, ce dernier l'emporta à la bataille d'Itsukushima : Harukata, puis Yoshinaga se suicidèrent, mettant fin au clan Ōuchi, dont les possessions furent alors reprises par Motonari qui devint le plus puissant daimyō de l'ouest. Dans les années suivantes, il assit son autorité dans plusieurs des provinces qui lui étaient revenues, puis se tourna contre les Amako, qui subirent une cuisante défaite en 1566, se soldant par la prise de leur château de Toda et la perte de l'essentiel de leur autorité. Les dernières années de sa vie furent dominées par les affrontements contre le clan Ōtomo[62].
Le long des côtes de la Mer intérieure de Seto se trouvaient par ailleurs des clans de « pirates » (kaizokushū), dont les chefs étaient en fait de véritables « seigneurs de la mer ». C'était le cas des Murakami, dont les trois branches étaient établies en plusieurs points de cette mer (notamment sur l'île d'Innoshima). S'adonnant aussi bien au commerce qu'au brigandage, ils dirigeaient et administraient leurs territoires côtiers de la même manière que les daimyō le faisaient pour leurs domaines, et fournissaient à l'occasion à des seigneurs de la guerre l'appui de leur flotte[63].
L'île de Kyūshū était dans une situation de division politique, partagée entre plusieurs lignages, les plus importants étant les Shimazu du Satsuma[64], les Ōtomo du Bungo[65] et les Ryūzōji du Hizen[66]. Avant leur déclin, les Ōuchi avaient des intérêts considérables à Kyūshū puisqu'ils dominaient la riche ville commerciale de Hakata (Fukuoka) au nord de l'île. Les Ōtomo s'étaient par la suite posés en rivaux de leurs successeurs les Mōri, qui cherchaient également à dominer le nord de Kyūshū. Au nord-ouest de l'île, un des anciens vassaux des Ōuchi, Ryūzōji Takanobu (1529-1584), monta en puissance à partir des années 1550. Les Shimazu du sud-ouest furent néanmoins ceux qui eurent le plus de pouvoir au cours du XVIe siècle, s'étendant au détriment de leurs rivaux, en particulier sous Iehisa (1547-1587). Parmi les autres clans de Kyūshū, il convient de mentionner les Ōmura du Hizen, dont l'un des daimyō, Sumitada (1533-1587), converti au christianisme (comme son contemporain Ōtomo Sōrin), fonda le port de Nagasaki en 1570 et prospéra comme les autres daimyō de l'île grâce au commerce maritime[67]. Enfin, comme dans d'autres régions du Japon, des espaces conservaient une certaine autonomie au milieu des conflits entre daimyō : c'était le cas de la province de Higo, où coexistaient des petits clans de guerriers locaux (les « cinquante-deux familles », gojūninin-shu) positionnés entre les trois clans majeurs, qu'ils combattaient ou appuyaient selon l'occasion[68].
L'île de Shikoku, anciennement placée sous l'autorité des Hosokawa (qui avaient leur fief principal dans la province d'Awa), était divisée entre plusieurs clans rivaux. Les Chōsokabe de Tosa devinrent progressivement le seul clan dominant dans le courant du XVIe siècle. Le daimyō Chōsokabe Kunichika (1502-1560) dirigeait à sa mort la moitié de l'île, et son fils et successeur Motochika (1539-1599) devait achever son œuvre de conquête[69].
L'île occidentale de Tsu-shima était quant à elle sous la coupe du clan Sō, qui disposait de la charge de shugo de cette province, et entretenait des relations privilégiées avec la Corée[70].
Nord et Ezo
La partie septentrionale du Japon comprenait certes des clans dont l'autorité s'apparentait à celle des daimyō des autres parties du pays, mais ils étaient dans une situation marginale et ne disposaient pas de moyens leur permettant de jouer un rôle dans les affaires des autres régions.
Le nord de Honshū était dominé par le clan Nanbu (nord de la province de Mutsu)[71], mais son hégémonie dans la région fut contestée à partir des années 1570 par un de leurs subordonnés, Ōura Tamenobu, qui parvint à arracher son autonomie puis à consolider son domaine autour de Tsugaru (son lignage devenant par la suite le clan Tsugaru).
Sur l'île d'Ezo (Hokkaidō), le clan disposant de l'autorité était celui des Andō (plus tard les Akita), mais ils étaient établis à Honshū (à Akita dans le nord de la province de Dewa depuis le milieu du XVe siècle), et leur principal relais sur place était le clan Kakizaki (plus tard le clan Matsumae). En fait, ces clans n'étaient installés que dans le sud de l'île, et ils faisaient face aux Aïnous, qui consolidèrent leurs positions face à l'expansion des établissements japonais. En 1551, les Andō conclurent un accord fixant les limites entre le domaine des Kakizaki établis à Matsumae (à l'extrême-sud de l'île) et celui des clans Aïnous locaux, qui assura la paix dans la région pendant environ un siècle[72].
Unification et centralisation (1568-1603)
À partir des années 1560, des guerriers provenant du Tōkai regroupés autour d'Oda Nobunaga mettaient la main sur Kyoto et le reste du Kinai, se constituant les bases nécessaires pour ambitionner de soumettre le reste du Japon, en éliminant les autres seigneurs de la guerre et les communautés locales autonomes des villes et des campagnes. Ce projet fut mené à son terme par Toyotomi Hideyoshi après la mort de Nobunaga en 1582.
Cette période, connue sous le nom d'époque Azuchi-Momoyama (d'après le nom de châteaux construits respectivement par Nobunaga et Hideyoshi ; on trouve aussi le nom de Shokuhō, d'après la lecture alternative des premiers caractères des noms Oda et Toyotomi), correspond à un stade final de l'époque Sengoku puisque le Japon restait divisé entre des daimyō rivaux indépendants jusqu'en 1590, mais les deux daimyō dominant successivement la scène politique firent passer un plus grand nombre d'entre eux dans leur vassalité (le groupe dit des « shokuhō-daimyō »). Elle fut marquée par des conflits de plus en plus violents, mobilisant des dizaines, voire des centaines de milliers de combattants, et par la mise en place d'un nouvel ordre politique et social émergeant des bouleversements et expérimentations politiques de l'époque Sengoku. La nouvelle situation devait se stabiliser sous les auspices de Tokugawa Ieyasu (qui prit le pouvoir après la mort de Hideyoshi, dans les années 1598-1603) et de ses successeurs.
Ces trois seigneurs sont couramment perçus comme des unificateurs mettant fin au désordre de l'époque Sengoku, des personnages majeurs de l'histoire japonaise, qui peuvent être interprétés à la fois comme des représentants de l'époque des guerres civiles et comme les acteurs d'une rupture radicale puisque, à l'issue de ces trois décennies, le pays était engagé dans une voie radicalement différente de celle de l'époque médiévale, vers la « première modernité ».
Les conquêtes d'Oda Nobunaga
Après sa victoire contre le Mino, Oda Nobunaga avait fait graver sur son sceau l'expression tenka fubu, signifiant sa volonté de dominer le monde (« Tout ce qui est sous le Ciel », selon l'antique maxime chinoise) par les armes. Son entrée à Kyoto en 1568 le mit en position de revendiquer directement sa volonté d'unifier le Japon. Il chassa immédiatement Matsunaga Hisahide qui tenait encore la ville, et fut reçu par l'empereur qui, à sa demande, nomma Yoshiaki shogun. Dans la foulée, il plaça sous sa coupe les principales villes du Kinai, s'assurant le contrôle de la plus riche région du Japon. Nobunaga n'entendait pas se présenter en vassal du shogun, pas même de façon fictive, aussi le conflit entre les deux éclata-t-il dès 1569. Le shogun obtint le soutien de plusieurs grands daimyō, Azai Nagamasa, Asakura Yoshikage et Takeda Shingen, et celui du Hongan-ji. Nobunaga se défit d'abord de Nagamasa et de Yoshikage (1570), puis entreprit de soumettre les puissances religieuses, assiégeant le Hongan-ji d'Ishiyama et l'Enryaku-ji, qui avait rejoint les rangs de ses opposants et tombe (1571). L'année 1573 vit les positions de Nobunaga se renforcer : les clans Asakura et Azai furent définitivement anéantis, son principal rival, Takeda Shingen, mourut de maladie, et le shogun Yoshiaki fut destitué sans être remplacé, ce qui mit un terme au shogunat des Ashikaga. En 1574 les monastères fortifiés du Hongan-ji à Nagashima furent détruits, alors que celui d'Ishiyama était toujours soumis à un siège. En 1575, le clan Takeda fut écrasé lors de la bataille de Nagashino, et la ligue de la secte Ikkō de l'Echizen (une autre des manifestations du Hongan-ji) subit à son tour une destruction impitoyable. Nobunaga eut ensuite à affronter un autre puissant daimyō des provinces orientales, Uesugi Kenshin : il ne remporta pas de bataille décisive, mais parvint, en bonne part grâce à l'action de son vassal Hideyoshi, à soustraire plusieurs des provinces dominées par ce rival, qui mourut en 1578, après quoi son clan se perdit dans des luttes successorales. En 1580, le Hongan-ji d'Ishiyama posa les armes après dix années de siège et le temple-forteresse fut rasé. En 1581, la ligue régionale d'Iga fut à son tour soumise après avoir opposé une rude résistance. Nobunaga avait alors déjà dirigé vers l'ouest une partie de ses forces, conduites par Hideyoshi, pour affronter Mōri Terumoto. L'année suivante, alors qu'il séjournait au temple Honnō-ji, il fut attaqué par un de ses propres vassaux, Akechi Mitsuhide, et se suicida (incident du Honnō-ji)[73].
Oda Nobunaga mena de nombreux conflits, souvent conclus par des massacres et destructions d'une grande brutalité, ce qui lui valut une réputation funeste que son caractère despotique n'arrangea pas. De fait, il affronta un grand nombre de rivaux particulièrement menaçants, à une époque où les moyens militaires des belligérants avaient pris des proportions importantes et où l'escalade de la violence avait atteint des hauteurs inconnues jusqu'alors[74]. Le pouvoir construit par Nobunaga est souvent présenté comme centralisateur et autoritaire. Il s'appuyait sur un entourage restreint, constitué de ses fils et d'une dizaine de vassaux proches, en général des personnes d'origine humble provenant de la même province que lui, l'Owari, et qui lui devaient pour ainsi dire tout. Il tendit à remplacer les daimyō vaincus par ses propres hommes qu'il contrôlait mieux, décidant des grandes lignes de la gestion de leur domaine, des dates de leurs campagnes[75]. Il entreprit également une politique de développement du commerce, en lien avec les milieux marchands, et de contrôle plus poussé de ses domaines ruraux. Oda Nobunaga a donc pu être vu comme un despote centralisateur, l'acteur d'une « reféodalisation », ou bien une sorte de stade final du seigneur de la guerre, poursuivant les pratiques des autres daimyō, mais les orientant dans une nouvelle direction, à une échelle qui se voulait nationale[76].
Toyotomi Hideyoshi : unification et pacification
Lorsqu'Oda Nobunaga mourut, l'unification du Japon était encore loin d'être achevée. À l'ouest, Mōri Terumoto cédait certes le contrôle du Chūgoku à Hideyoshi dans la foulée du décès de Nobunaga[77], mais à Kyūshū les Shimazu progressaient face aux clans rivaux[64], et Chōsokabe Motochika unifiait Shikoku sous sa coupe entre 1575 et 1585[78]. À l'est, Tokugawa Ieyasu restait un vassal à la loyauté peu assurée, et surtout Hōjō Ujimasa gardait fermement le Kantō[79]. Au nord-est, Date Masamune devenait un puissant daimyō, parvenant à conquérir le domaine des Ashina en 1589[80].
Toyotomi Hideyoshi, personnage d'origine modeste (son père était un simple fantassin de l'armée des Oda) qui avait connu une ascension rapide au service d'Oda Nobunaga, parvint progressivement à placer sous sa coupe les autres successeurs potentiels du défunt : il vengea d'abord son ancien maître en défaisant celui qui l'avait renversé, Akechi Mitsuhide, puis il vainquit un autre des généraux de Nobunaga, Shibata Katsuie, et enfin en 1584 il soumit Oda Nobuo, un des fils de Nobunaga, et son allié Tokugawa Ieyasu. Il était alors en mesure de reprendre à son compte les projets d'unification du Japon. Uesugi Kagekatsu, qui avait pris le contrôle de son clan, s'était soumis et devenait l'un de ses généraux. En 1585, ce fut au tour de Chōsokabe Motochika et de l'île de Shikoku de passer sous son contrôle. Hideyoshi fit confirmer sa position hégémonique par l'empereur, obtenant des titres impériaux, mais, pas plus que son prédécesseur, il ne revendiqua pas le titre de shogun. En 1587 c'est l'île de Kyushu qui fut soumise par une campagne contre les Shimazu. En 1590, Hideyoshi mobilisa une armée considérable pour soumettre le dernier clan puissant qui subsistait, les Hōjō : leur capitale Odawara fut conquise, et leur daimyō Ujimasa acculé au suicide. Dans la foulée, la soumission de Date Masamune et des autres seigneurs du Nord fut obtenue, et le Japon réunifié. La dernière grande entreprise de Hideyoshi fut sa tentative de conquête de la Corée à partir de 1592, qui se solda par un échec en dépit des moyens considérables mis en œuvre[81].
L'agenda politique de Hideyoshi fut dominé par l'objectif de pacification durable d'un pays déchiré par plus d'un siècle de conflits. Il poursuivit la politique de son prédécesseur consistant à confier le commandement des provinces à des daimyō vassaux, qu'il s'agisse d'hommes nouveaux acquis à sa cause comme Ishida Mitsunari et Katō Kiyomasa, d'alliés ou de vaincus vassalisés comme Tokugawa Ieyasu. Ils étaient déplacés de province s'il le fallait (Ieyasu fut ainsi installé dans le Kantō, fixant sa base en 1590 à Edo dans la province de Musashi), et devaient s'en tenir à ses ordres concernant la politique à mener et ne pas s'engager dans des conflits avec d'autres généraux. Mais en retour, ils conservaient une autonomie assez large dans leur domaine provincial et une position éminente et stable, ce qui explique sans doute pourquoi Hideyoshi parvint à rallier en fin de compte assez facilement nombre de ses adversaires[82]. Il bénéficia certainement aussi du fait que ses sujets étaient lassés par les guerres incessantes et souhaitaient enfin connaître la paix[83]. En 1588, il initia sa politique de désarmement des paysans, laissant aux seuls guerriers le privilège de porter les armes, en les encadrant strictement et en leur confiant plus de tâches administratives, notamment la levée des taxes, qui fut améliorée par la conduite d'une cadastration du territoire soumis[84]. Ce système a pu être interprété comme un retour au féodalisme, ou un absolutisme[85], ou bien, à la suite de M. Berry, comme une forme de fédéralisme[86].
Tokugawa Ieyasu : rétablissement du shogunat et début de l'époque d'Edo
Hideyoshi mourut en 1598, après l'échec d'une nouvelle campagne en Corée. Il était parvenu à constituer un État fort à l'échelle du Japon, mais il n'avait cependant pas complètement établi son autorité dans le domaine politique, et laissait pour successeur son fils âgé de cinq ans, Hideyori. Celui-ci était placé sous la supervision de cinq régents choisis parmi ses plus puissants et proches vassaux, tandis que cinq commissionnaires pris parmi d'autres personnes du même groupe devaient administrer le pays. Maeda Toshiie, chargé de la garde de Hideyori, mourut dès 1599, alors que les autres régents et les commissionnaires avaient délaissé leurs fonctions centrales pour retourner dans leurs provinces. Tokugawa Ieyasu, le plus expérimenté et influent des daimyō de l'époque, revendiqua alors le pouvoir sur le pays, accélérant la division du groupe des principaux daimyō entre ceux qui s'étaient ralliés à sa cause et ceux qui restaient fidèles aux Toyotomi, dirigés par Ishida Mitsunari. Le conflit qui éclata alors fut conclu par la victoire des troupes d'Ieyasu à la bataille de Sekigahara en 1600. Le vainqueur destitua un grand nombre de vaincus de leurs fonctions provinciales, et les remplaça par ses fidèles, et, dans les années qui suivirent, les principaux potentats provinciaux reconnurent son autorité. En 1603, Ieyasu se fit conférer par l'empereur le titre de shogun, délaissé depuis la mort de son dernier détenteur du clan Ashikaga, et il disposait de la légitimité nécessaire à la pérennisation de son pouvoir à l'échelle nationale, inaugurant l'époque d'Edo (1603-1868), nommée d'après sa capitale. Il ne se débarrassa cependant pas de Hideyori, qui devait être finalement vaincu en 1615, après quoi la domination du clan Tokugawa sur le Japon fut incontestée[87].
La litanie de conflits émaillant l'époque Sengoku révèle sans ambiguïté le fait que la société de cette période fut fortement marquée par le fait militaire, et militarisée, et que les guerres entraînaient de nombreuses destructions et violences touchant directement les populations civiles, sans doute plus que par le passé. Ces conflits incessants jouèrent un rôle majeur dans les évolutions socio-politiques de la période.
Des armées plus nombreuses
Les daimyō recrutaient l'encadrement et l'élite de leurs troupes au sein de la catégorie des « guerriers » (bushi, aussi samurai), dans leur propre lignage, mais également parmi un noyau de guerriers locaux pouvant constituer leur garde personnelle. Ils avaient pour plusieurs d'entre eux mis en place des dispositifs de façon à évaluer les contributions militaires que devaient leurs vassaux, et mobilisèrent de plus en plus parmi les catégories des guerriers locaux (jizamurai, kokujin) et des paysans aisés[88]. Ainsi, ils purent progressivement constituer des troupes plus importantes : alors que celles de l'époque d'Ōnin étaient composées de quelques centaines de soldats, au XVIe siècle les seigneurs de la guerre étaient capables de mobiliser des dizaines de milliers d'hommes pour leurs campagnes[89]. Parmi les chiffres accessibles et qui donnent un ordre d'idée de la taille des armées, quoiqu'ils soient à prendre avec précautions, il apparaît que les Takeda pouvaient mobiliser autour de 50 000 soldats pour une campagne dans les années 1570, les Mōri environ 65 000 en 1578 quand ils affrontèrent Hideyoshi (alors sous les ordres de Nobunaga), qui aurait réuni quant à lui 150 000 hommes ; un potentat local moins important comme le daimyō Chōsokabe de Shikoku pouvait compter dans les mêmes années sur environ 12 000 soldats[90]. Les capacités de mobilisation furent considérablement augmentées par Hideyoshi, qui dominait la majeure partie du Japon et avait procédé à un recensement précis afin d'estimer les moyens à sa disposition ; il put ainsi mettre en place une levée de troupes à l'échelle nationale pour sa campagne contre la Corée[91].
L'armement évolua au cours de la période. Les unités de cavaliers restaient les plus prestigieuses, comprenant aussi les guerriers les plus fidèles aux daimyō (sa garde montée, les umamawari). Mais les troupes de fantassins (ashigaru), en premier lieu les piquiers, augmentèrent en importance, fournissant le gros des troupes. Elles étaient équipées de piques dont la longueur fut progressivement augmentée. Le combat rapproché à l'épée perdit donc en importance. À cette période les sabres appelés tachi cessèrent d'être produits, les guerriers étant armés de katana ; ceux fabriqués dans les ateliers du Bizen furent très prisés, réputés en particulier pour leurs lignes de trempe en ondulation irrégulière (gunome midare), notamment les réalisations du maître forgeron Yosōzaemon-no-jō Sukesada (au début XVIe siècle)[92]. La constitution des armures évolua dans la seconde moitié du XVIe siècle, avec l'apparition des cuirasses dites tōsei gusoku, constituées de plaques de métal reliées entre elles par des chaînes également métalliques, employant moins de cuir que les modèles habituels de cuirasses de l'époque médiévale tardive, dits dōmaru et haramaki, déjà rendus plus légers pour faciliter les mouvements des combattants maintenant que la plupart d'entre eux combattaient à pied[93]. La plus grande innovation de la période fut cependant l'expansion de l'usage des armes à feu. Des mousquets rudimentaires produits à Okinawa étaient déjà employés durant la guerre d'Ōnin, mais ce furent surtout les arquebuses portugaises qui se propagèrent et servirent de modèle pour l'élaboration d'équivalents au Japon. À la fin du XVIe siècle, le fusil était l'arme à distance la plus répandue, mais l'arc restait employé (dans une proportion d'environ 80 % du premier et de 20 % du second). Les canons furent également intégrés aux armées dans la seconde moitié du XVIe siècle[94].
Les organisations militaires locales disposaient aussi de troupes, recrutées essentiellement parmi les jizamurai, qui avaient depuis les époques précédentes l'habitude de se constituer en ligues (ikki)[95]. Le cas des « ninja » est plus problématique : c'est dans ce même type d'organisation, au sein des communautés de guerriers d'Iga et de Kōga, que cette catégorie de guerrier pratiquant un art martial occulte (shinobi no jutsu) se serait développée à l'époque Sengoku si on suit l'approche traditionnelle[96]. Toutefois, les sources de l'époque n'indiquent rien de tel ; au mieux, il semble qu'il y ait eu des soldats spécialisés dans des opérations sous couverture, de l'espionnage, et que ceux venant d'Iga et de Kōga aient acquis une bonne réputation en la matière[97]. Les grands temples et ligues religieuses s'appuyaient quant à eux sur leurs propres troupes, qui constituaient des forces redoutables leur permettant de préserver leur autonomie ; la postérité a notamment retenu la figure des « moines-guerriers » (sōhei), qui fait elle aussi l'objet de beaucoup de fantasmes[98].
Il est difficile de déterminer dans quelle mesure les femmes participaient au combat, l'activité guerrière étant en principe réservée aux hommes, même si la tradition postérieure a mis en avant le rôle de certaines guerrières de l'époque Sengoku (Tsuruhime). Quelques textes mentionnent bien la présence de femmes participant à la défense de cités assiégées, d'épouses loyales de seigneurs de la guerre défendant leur château lors de sièges, mais la participation des femmes aux conflits était sans doute limitée. Cela les excluait donc des récompenses reçues pour des actes méritoires lors de conflits[99],[100].
Des violences peu contenues
Paradoxalement, pour une époque durant laquelle ont vécu plusieurs chefs de guerre et guerriers devenus des figures majeures de la tradition historique et militaire japonaise (Takeda Shingen, Oda Nobunaga, Date Masamune, Hattori Hanzō, Miyamoto Musashi, etc.), les historiens ont peu étudié les principes moraux guidant le groupe des guerriers (bushi) pour les périodes antérieures à la codification des règles du bushido, à l'époque d'Edo[101]. Les guerriers de Sengoku semblent plutôt avoir été animés par les principes individualistes mettant en avant l'honneur, reposant sur l'idée de justice personnelle (jiriki kyusai), qui joua un rôle dans l'escalade des luttes claniques. Les seigneurs de la guerre tentèrent de les juguler par des lois imposant le principe selon lequel les deux parties étaient responsables dans une querelle (kenka ryōseibai ; voir plus bas), ce qui fut apparemment plutôt mal accepté[102].
Il est raisonnable d'estimer que la plus grande régularité des conflits (certains daimyō comme Takeda Shingen et Uesugi Kenshin faisaient campagne quasiment chaque année), l'augmentation de la taille des armées, ainsi que l'introduction d'armes à feu aient entraîné une augmentation de la létalité des affrontements. Cependant, les estimations des morts et blessés de guerre sont hasardeuses car les descriptions de l'époque ne s'intéressaient pas au destin de la piétaille. Elles sont plus dissertes au sujet des décès des meilleurs des guerriers, dont les têtes étaient collectées à la fin des batailles pour servir de témoignage des accomplissements de ceux qui les avaient mis à mort et leur permettre d'obtenir une récompense[103].
Cette période fut marquée par la récurrence des combats, des sièges et des prises de forteresses et agglomérations. Il y avait une forte présence constante de troupes souvent constituées d'une base de fantassins enrôlés de force, de brigands et de déracinés, pas toujours bien contrôlées par des généraux, qui, de toute manière, ne voyaient pas forcément d'un mauvais œil les exactions qu'elles étaient susceptibles de commettre en territoire ennemi. Il en résulta une expansion de la violence et des destructions, qui toucha finalement beaucoup les populations non combattantes. Plusieurs témoignages attestent de destructions de villages, de massacres de civils, de viols, et les rapts de jeunes garçons et jeunes filles réduits en esclavage semblent avoir été courants lors du saccage d'espaces habités[104]. Le journal de l'intendant du domaine de Hineno (province d'Izumi) dans les années 1490-1500 permet ainsi de constater que les déprédations et violences touchaient alors régulièrement les villageois dépendants de celui-ci. Certaines campagnes militaires s'accompagnaient de destructions ou de pillages de denrées alimentaires stockées ou de cultures non récoltées, augmentant donc directement le risque de disette ou de famine, et par suite la mortalité des populations des régions touchées. Et un texte de l'époque d'Edo met au débit des Mōri d'avoir pratiqué délibérément lors de leurs campagnes un ciblage des ressources agricoles de leurs adversaires (champs, greniers)[105].