Peinture de paysage
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La peinture de paysage est un genre pictural figuratif qui représente le paysage.
Associé à des éléments narratifs, allégoriques ou autres, le paysage s'illustre dans le monde romain antique, les miniatures du Moyen Âge occidental, ainsi que dans la miniature persane et la peinture indienne. Dans les cultures de l'Extrême-Orient le paysage, dit « shanshui », joue un rôle central dans la peinture de lettré en Chine, en Corée, et au Japon, où on le désigne par sa technique d'exécution, « sumi-e » .
En Occident, le paysage peint prend de l'importance à la Renaissance pour situer l'action d'un sujet religieux ou mythologique ; le goût pour le paysage en lui-même se constitue au XVIIe siècle dans le Nord de l'Europe. La théorie distingue les paysages composés, qui visent à produire l'impression que donne une contrée par la composition picturale d'éléments qui s'y trouvent, et les « vues » qui présentent ce qu'on voit dans un site particulier.
Le mot paysage n'apparaît dans la langue française qu'à la fin du XVIe siècle, étroitement lié à la représentation du pays. Il en va de même dans les autres langues européennes[2].
Le regard esthétique sur le paysage s’est formé dans le monde occidental au contact de l’art pictural et de ses évolutions au début de l’époque moderne[3]. Le paysan, chasseur, le soldat, le bâtisseur, le voyageur repèrent dans une étendue de terre les caractéristiques qui intéressent leur activité ; celle de l'artiste consiste à le transformer en « motif » et « la réalité cadastrale devient avec lui une révélation[4]. » La naissance du paysage est ainsi lié à une médiation par l'art, in situ – l’attention du paysagiste – et in visu – le regard du peintre[5]. Cette médiation par l’art permet de passer du « degré zéro du paysage », le « pays », au paysage lui-même ; « elle est lente, diffuse, complexe, souvent difficile à reconstituer, mais toujours indispensable. Cela soit dit à l’intention de ceux qui s’obstinent à prôner l’idée [...] d’une beauté naturelle ». Ainsi, si un espace n’est ni contemplé, ni apprécié, sa présence matérielle ne suffit pas à en faire un paysage[6]. À l'époque moderne, le sentiment esthétique devant un paysage naturel n'est pas universellement partagé ; il dépend de la distance, du « recul » par rapport à cet espace, et est donc proprement citadin[7].
Dans l'Antiquité
- Scène de l'Odyssée dans un paysage marin. Maison de la via Graziosa, Ier siècle AEC. Musées du Vatican.
- Printemps aux oiseaux. Fresque, style III. Maison du bracelet d'or. Triclinium d'été. Pompéi, 30-35 EC.
- L'amour puni[alpha 2], dans un paysage de rochers. Fresque, H. 154 cm. Maison de l'Amour puni, Ier siècle. Pompéi. Musée archéologique de Naples.
- Le rapt d'Europe[alpha 3], paysage montagneux. Fresque, H. 125 cm. Casa di Giasone, Ier siècle. Musée archéologique de Naples.
- Paysage égyptien avec un petit temple. Pompéi, temple d'Isis[alpha 4]. Fresque, style III. Musée archéologique de Naples.
Dans l'Antiquité grecque et romaine, le paysage n'est peint que comme fond ou environnement destiné à mettre en contexte une scène principale.
La peinture de la Grèce antique semble n'avoir qu'évoqué discrètement le contexte naturel d'une scène centrée sur l'action des dieux, des héros ou des hommes. Cependant la façade de la tombe de Philippe II de Macédoine (mort en 336 AEC), découverte en 1977, a surpris tout le monde avec une scène de chasse qui se passe dans un paysage, nettement dessiné par des lignes de montagnes à l'horizon, des arbres variés et un bouquet d'arbres dans les premiers plans, ainsi qu'un amoncellement de rochers[8]. Avant cette découverte la peinture de paysage semblait avoir été "inventée" par les Romains, plus tardivement.
L’art étrusque, par exemple, ne le fait que rarement apparaitre, comme dans la Tombe des Chasseurs de la nécropole de Monterozzi où l’on voit la perspective du paysage au-delà des tombants d’un dais.
À l'époque impériale romaine, il s'agit de topia, c'est-à-dire de schémas paysagistes et non de représentation de paysages réels. Alain Roger parle de « proto-paysage » pour l'Antiquité qui voit la représentation de la nature prendre de plus en plus d'importance au détriment des personnages[9]. Karl Schefold a essayé de préciser ce phénomène : « Maintenant la nature entoure ce qui est purement humain, en tant que séjour de quelque chose de plus élevé, de divin, qui englobe tout ce qui est humain ; la figure plastique ne l'emporte plus sur l'espace »[10]. Cela semble correspondre à la tradition du paganisme, où chaque lieu naturel, ici un fragment de paysage « mythologique », est hanté par des dieux spécifiques. Ceci pourrait aussi s'appliquer à la représentation de jardins, mais on manque, ici, d'indice probant. L'absence de sentiment de piété pourrait être plus manifeste, si l'on peut dire, au cours du Ier siècle, dans les petits paysages à villa d'époque claudienne ou néronienne. Une évolution du goût s'y manifesterait. Certaines formes typiques de paysages naturels étant utilisés plus tard dans les aménagements des parcs privés ; paysages idéaux d'un âge d'or ancien, évoqués par Lucrèce et Tibulle, âge d'or que l'époque d'Auguste a permis, un temps, d'espérer.
Nils Büttner va dans ce sens en précisant que les paysages peints sont considérés dès l'antiquité comme un genre particulier, topia. Il cite l'écrivain Philostrate qui décrit des tableaux se présentant sous la forme de dialogue entre une contrée marécageuse et des îles lointaines[11].
Au Moyen Âge, pendant la pré-Renaissance et la Première Renaissance
Durant tout le Moyen Âge chrétien, le paysage est conçu comme œuvre divine et sa représentation fait référence à son créateur. Le « paysage commentaire », expression du byzantinologue Otto Demus (en), suggère l'accompagnement lyrique de la figure religieuse par le relief (ainsi Dieu est souvent représenté par une montagne)[12].
Pendant la pré-Renaissance italienne des XIIIe et XIVe siècle italiens, les primitifs italiens[13] inventent et introduisent le paysage dans le fond des tableaux pour humaniser la représentation religieuse et la rendre accessible car reconnaissable par leurs spectateurs. Ils remplacent ainsi les fonds dorés (d'un paradis inaccessible) par le bleu du ciel et les paysages bibliques sont calqués sur ceux de l'Italie pour être acceptés facilement. Néanmoins ils servent encore de faire-valoir à une scène religieuse ou allégorique, voire à un portrait.
À la Pinacothèque nationale de Sienne, deux petites peintures sur bois, qu’on date généralement de 1338 ou 1339, sont considérées comme les premiers « paysages purs » de l’histoire de la peinture occidentale, à une époque où le paysage est déjà un genre noble à part entière et depuis longtemps en Chine. Ces tableaux sont des morceaux de retables ou des panneaux de coffres[14], ils ont la simple fonction d'ornements.
Dès avant la Renaissance, le paysage sert parfois à exprimer les doctrines politiques. C'est le cas dans l' Allégorie et effets du Bon et du Mauvais Gouvernement d'Ambrogio Lorenzetti en 1338-1339. Le mur est de la fresque montre la ville et sa campagne, pleines d'activité, effets du bon gouvernement dans un pays en paix ; tandis que le mur ouest les montre désolés, incendiés, parcourus de soldats, dans un pays en guerre[15]. Mais cette représentation restera sans lendemain[16].
Le paysage, à l'arrière-plan d'un sujet principal, occupe, dans la Première Renaissance, un rôle croissant, que ce soit dans les Flandres (comme La Vierge du chancelier Rolin, avec deux personnages qui regardent le paysage, au centre du tableau) ou en Italie (La Joconde de Léonard de Vinci[alpha 5]).
Débuts du paysage comme sujet principal
La critique d'art a longtemps désigné le peintre anversois Joachim Patinier (1483-1524) comme l'inventeur du paysage comme genre[18]. Son contemporain Dürer le désigne comme « le bon peintre de paysages ». Dürer est lui-même le premier dont on conserve des aquarelles et gouaches qui ne montrent que le paysage, à l'exclusion de toute anecdote politique ou religieuse, produites pendant son voyage vers l'Italie dans les dernières années du XVe siècle ; mais à la différence de Patinier, il n'a pas vendu ces œuvres, d'ailleurs de petit format[19].
Les peintres de la lagune de Venise, au premier rang desquels Giovanni Bellini, découvrent, avec la peinture à l'huile, la possibilité d'unifier le tableau moins par la géométrie perspective, que par la lumière colorée, avec les couches de glacis superficielles. En conséquence, la place de l'architecture peut être réduite et le paysage prendre toute la place, comme dans Saint François au désert, que peint Giovanni Bellini et 1485. François étant saisi dans un geste explicite de relation avec le divin, ce geste qualifie le paysage en tant que Création divine[20]. Mais le motif du paysage-Création est bien antérieur à ce tableau. Le motif du « jardin clos », fragment de nature humanisée, dans les Annonciations, séparé du paysage « naturel » par une clôture, est une forme symbolique de représenter, en partie, le mystère de l'Incarnation dans les petites fleurs blanches et rouges qui en tapissent la verdure, comme l'a rappelé Georges Didi-Huberman[21] à propos de l'Annonciation peinte par Fra Angelico au couvent San Marco.
À la Renaissance, le paysage sert encore à exprimer des utopies urbaines, c'est le cas pour un projet d'aménagement de Florence, montrant un paysage urbain idéal. Le paysage de nature est souvent perceptible dans les représentations de scènes intérieures à travers le cadre des fenêtres, dans la peinture flamande, en particulier. Il va prendre une place de plus en plus importante, jusqu'à occuper toute la surface de la toile, dans La Tempête de Giorgione. Selon Jaynie Anderson (1996)[23] l'interprétation la plus convaincante reconnait dans la scène une illustration du Songe de Poliphile, lorsque le héros découvre, dans sa quête de l'Antiquité, Vénus allaitant Cupidon avec ses larmes. Au fond du paysage, le mélange de tours classiques et de bâtisses campagnardes semble être une illustration du Jardin du destin dans cet ouvrage, dont les gravures sont remplies de monuments à l'antique. L'atmosphère colorée harmonieuse de cet instant traversé par un éclair a fait le succès universel du tableau.
À l'époque classique et baroque
La peinture de paysage se développe considérablement au XVIIe siècle dans les Pays-Bas où la Réforme protestante interdit les images dans les églises. Le paysage, les scènes pastorales, sont alors achetés sur les marchés, et collectionnés. À côté de Ruisdael (1628-1682) et Vermeer, que l'histoire a retenu, une foule de petits maîtres prolifère. Beaucoup se font une spécialité du paysage de petit format.
En France, Roger de Piles distingue deux types de paysages, en 1667, dans son Cours de peinture par principes[24] :
- Le paysage héroïque, « composition d'objets qui dans leur genre tirent de l'art et de la nature tout ce que l'un et l'autre peuvent produire de grand et d'extraordinaire »
- Le paysage pastoral ou champêtre « représentation des pays qui paraissent moins cultivés qu'abandonnés à la bizarrerie de la seule nature ».
Ces styles de paysage diffèrent par l'aspect général des sites ainsi que par la nature des figures et des constructions humaines qui s'y trouvent, les fabriques. Les peintres s'orientent vers l'un ou l'autre style selon leur tempérament. La peinture de paysage présente pour l'artiste, écrit-il, beaucoup d'attraits, à cause de la diversité des formes et de la complexité de la perception de l'espace.
Claude Gellée, dit « le Lorrain », peint ainsi des paysages composés qui idéalisent la nature, répondant plus aux sentiments du peintre qu'à la réalité[25],[26]. S'intéressant plus à la lumière qu'à la topographie[27], il ouvre une longue tradition qui culminera au XIXe siècle[28].
Presque un siècle plus tard, Watelet préfère classer les styles de paysage selon la proportion de beauté idéale que l'artiste y a placé :
- Une représentation idéale, « paysages créés sans autre secours que les souvenirs et l'imagination », se compose en atelier, grâce à des connaissances générales, et ne représente pas un endroit particulier.
- Une vue représente « Les aspects que l'on imite fidèlement et tels qu'ils se présentent ».
- Un paysage mixte ou vue composée comporte des parties observées et d'autres inventées.
Une vue fidèle offre le même attrait qu'un portrait ressemblant, observe Watelet ; c'est dire que cet attrait se limite aux personnes qui connaissent le site. La beauté idéale, en contrepartie, a moins de réalité. C'est la catégorie qui comprend à la fois les meilleurs paysages, et les pires. Pour échapper au sens critique du spectateur qui s'éveille lorsque le site est peu intéressant par lui-même, l'artiste utilise les accidents lumineux que produisent un rayon de soleil entre deux nuages ou toute autre circonstance[29].
Dans le paysage héroïque se trouve représentée une nature idéale, grandiose, domptée par l'Homme. La représentation n'est alors pas crédible, mais recomposée pour sublimer la nature et la rendre parfaite ; en général, une histoire se cache dans ce type de paysages, dont les poncifs sont la présence d'éléments d'architecture romaine, combinés à une montagne ou une colline et à un plan d'eau. Les trois centres importants de ce type de représentations sont Rome, avec Annibale Carracci, le créateur de ce type, et ses suivants l'Albane, Le Dominiquin, Poussin…, mais aussi Paris et la Hollande. Dans la première moitié du XVIIIe siècle, le paysage constitue le cadre idéal d'une vie sensible à plus de naturel, dans la peinture de Watteau, par exemple.
Le paysage pastoral ou champêtre propose une vision plus naturaliste et humaniste, de l'harmonie entre l'Homme et la nature avec Jacob van Ruisdael et Jan Van Goyen. En général, celle-ci est grandiose, abondante et sauvage, représentée souvent lors de tempêtes et d'orages. Si cette vision est plus crédible, il n'est pas nécessaire qu'un lieu précis soit représenté. On trouve donc des œuvres de ce type chez les petits maîtres des écoles du nord dans la veine du succès obtenu par Ruisdael et Van Goyen, et aussi parfois dans les peintures et gravures de Rubens, Rembrandt et Salvator Rosa.
Le paysage topographique, ou vue, qui représente nécessairement un lieu précis et identifiable, avec une nature présentée de manière plus humble et détaillée, en tout cas plus proche de la réalité observée. Ce genre est assez caractéristique de l'école hollandaise, où les peintres sont extrêmement spécialisés (il existe des peintres de paysages d'hiver, de forêts, de canaux, de villes…) : Vermeer, avec sa célèbre Vue de Delft, en est probablement le représentant le plus célèbre. Dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, le paysage devient un enjeu majeur pour une expérience directe prise sur le motif, dans un souci d'exactitude qui relève de la même démarche que celle des Encyclopédistes. Cette pratique pré-photographique, qui se retrouve dans l'Europe entière, a été soulignée chez des historiens de la photographie. On y trouve aussi bien des topographes comme Claude Joseph Vernet et Thomas Girtin que des peintres de paysage inspirés de l'Antique comme Pierre-Henri de Valenciennes dont les études de ciel sur papier préparé ou Georges Michel et ses vues des lointains de Paris semblent étonnamment « modernes ».
- Vue d’Anvers avec la Schelde gelée, Lucas van Valckenborch 1593. H. Musée Städel.
- Soir d’été, paysage en Italie, Claude-Joseph Vernet 1773. H. 89 cm. Musée national de l'art occidental, Tokyo.
- Une ferme près de la Villa Farnèse, Pierre-Henri de Valenciennes, 1800. Étude, huile, papier, H. 25 cm. Louvre.
Du néo-classicisme au romantisme
Au XIXe siècle la peinture de paysage rivalise avec le portrait en termes de quantité ; on assiste à une inflation de ces deux genres. Les demeures bourgeoises en tapissent leurs murs. Dans le même temps, les démarches des artistes face au paysage se multiplient. Soit on met l'accent sur l'émotion devant le tableau, soit sur la restitution de l'impression au contact direct avec un site, voire un instant particulier. Certains cherchent le détail caractéristique, avec l’œil du touriste. L'aquarelle, l'huile traitée de manière souvent très libre, vont dans le sens de la captation de cet instant particulier, d'un phénomène météorologique fugace en raison de la rapidité qu'elles permettent[30]. Enfin l'arrivée de la photographie, autour de 1850, vient accentuer le mouvement d'adhésion du public au paysage en tant que motif privilégié, mais elle sert aussi de document pour les peintres et les graveurs. De là cette prolifération, qui est aussi le reflet de l'époque.
À partir du néo-classicisme, le paysage devient acteur ou producteur d'émotions et d'expériences subjectives. Le pittoresque et le sublime apparaissent alors comme deux modes de vision des paysages, ceux-ci sont composés dans l'atelier avec le secours de vues prises sur le motif et de procédés d'atelier. Pierre Henri de Valenciennes, effectue avec d'autres peintres d'Europe, des voyages sur des sites pittoresques, célébrés par les premiers touristes du XVIIIe siècle, et il réalise de nombreuses études à l'huile sur papier préparé, plus facile à transporter que des toiles. Ses paysages d'atelier conservent l'esprit de la peinture classique. À l'inverse, Georges Michel ne s'écarte guère des banlieues de Paris et dessine beaucoup. Ses toiles, qui saisissent des ciels sublimes, comme l'orage du musée des Beaux-Arts de Lyon, inspirées par la peinture hollandaise du XVIIe siècle, font preuve d'une grande liberté de touche qui séduira Van Gogh, à la fin du XIXe siècle[31].
En Angleterre, les taches d'Alexander Cozens[32] (associé au préromantisme) sont produites intentionnellement afin de produire mécaniquement « ce qui ressemble grossièrement à l'effet d'ensemble d'une peinture », et se veulent une aide au peintre de paysage. L'informe favorisant le travail de l'imagination.
De leur côté, les paysages de Caspar David Friedrich restituent une émotion, quasi religieuse ; une figure vue de dos servant de point de projection du spectateur dans l'espace du paysage pour une intensité maximale. La précision de la touche correspond à cette acuité du regard. Dans un tout autres sens, mais avec une précision cette fois-ci tournée vers le détail caractéristique, les premiers guides touristiques et leurs gravures[alpha 6], retiennent le point de vue le plus riche d'éléments pittoresques et fabriquent un regard consensuel sur les sites et les paysages. Une démarche voisine consiste à documenter le paysage national d'images à caractère topographique, avec un souci du détail exact.
J. Constable et Théodore Rousseau, dans leurs paysages infiniment détaillés, veulent inscrire dans le tableau le rapport intime entre l'homme et la nature. Pour Rousseau, la nature est le modèle de « société » que la culture industrielle détruit, elle doit être étudiée comme le savant avec sa loupe dans une mare. L'artiste plante alors son chevalet en plein air, face au motif. Les peintres de l'école de Barbizon, Rousseau en particulier, voient en effet dans le paysage comme des correspondances se construire avec la société des hommes, qui est alors en pleine mutation et ils cherchent à lire dans la nature comme une leçon à déchiffrer. Dans les années 1850, les peintres de Barbizon croisent dans la forêt de Fontainebleau le groupe des photographes qui parcourent les mêmes sites, dont Gustave Le Gray, et ils discutent de leurs résultats à l'auberge de la forêt. Le photographe Eugène Cuvelier effectue le lien entre les deux groupes[33].
Pour Turner, dans ses tableaux d'évènements, tempêtes ou incendies, l'expérience émotionnelle doit être transmise par le mouvement du corps, réel ou figuré[34]. D'ailleurs l'artiste se fait réellement attacher sur le pont du navire, pour une expérience directe de la tempête[35]. Enfin, Corot, dès son premier voyage en Italie (1825-28) cherche, dans un contact direct avec le paysage, le point de vue et le cadrage qui composent le futur tableau, réalisé sur le motif, en allant plus loin que Pierre Henri de Valenciennes, mais dans son sens, et anticipant la démarche des photographes. Cette démarche est représentative d'une pratique largement partagée par les peintres voyageurs depuis la fin du XVIIIe siècle[36].
- L'arbre tombé. Alexander Cozens, v. 1785, H. 23 cm. Gravure et aquatinte tirée de Nouvelle Méthode pour secourir l'invention [...]. Metropolitan Museum of Art.
- Gordale Scar. James Ward, 1811-1815
332 x 421 cm. Sublime par la lumière et format « gargantuesque ». Tate Britain. - Le Voyageur contemplant une mer de nuages, Caspar David Friedrich, 1818, H. 98 cm. Kunsthalle de Hambourg
Romantisme allemand. - Tempête de neige en mer. Joseph Mallord William Turner, 1842
L. 122 cm ; romantisme anglais. Tate Britain. - Paysage avec étang. Théodore Rousseau, nd., H. 24 cm. Photo avant noircissement (1886). École de Barbizon.
- Chêne et rochers, Gustave Le Gray, 1849–52, H. 25 cm. Papier salé d'après un négatif sur papier ciré sec. Metropolitan Museum of Art.
La majorité des tableaux de paysage, tout au long du XIXe et encore au XXe siècle restitue ainsi un fragment de nature et l'émotion qu'elle suscite. Les procédés des premiers peintres voyageurs[alpha 7] trouvent à chaque fois, une nouvelle vie, ainsi l'étude sur nature éventuellement reprise en atelier, est souvent transposée sur un format monumental pour les sites grandioses. Mais le simple charme d'un coin de nature se suffit d'un format plus modeste.
Les photographes amateurs et professionnels font de même surtout dès que le procédé se démocratise en 1885 avec la pellicule Kodak[37].
Sublime et histoire naturelle
Le Nouveau Monde a eu ses peintres au XIXe siècle qui déployèrent leur talent à dresser une image glorieuse de ses paysages, emplis de pittoresque et de sublime. Dès les années 1830, Thomas Cole (1801-1848) et son groupe de l'Hudson River School dressent des images grandioses d'un espace composite : nature inviolée et nature cultivée, sur de vastes formats[38]. Il souhaite ainsi créer une vision, politique de la nouvelle société américaine, dans son milieu de vie, divisé entre sauvage et pastoral.
Les peintres de l'Hudson River School sont des lecteurs assidus des manuels de naturalistes, dont certaines femmes qui se distinguent nettement de leurs collègues hommes, et alors que Charles Darwin prépare et publie en 1859 « L'Origine des espèces » dans l'effervescence des découvertes en géologie historique[alpha 8]. Dans ce groupe, Albert Bierstadt (1830-1902) étend le réseau de ses vues héroïques aux deux Amériques. Sa touche, précise, restitue adroitement tout le monde minéral et vivant. Le format s'étend de plus en plus, à l'échelle des grands espaces qui s'étalent sur les toiles - une idée du format monumental qui ne fut pas oublié par l'École de New York, au milieu du XXe siècle - et chaque tableau semble vouloir se dresser à la hauteur de l'exploit nécessaire à sa composition[alpha 9]. Car chaque site est, bien sûr, hors norme, jamais vu, et quasi inaccessible, d'un spectaculaire « hollywoodien » avant la lettre. Enfin, Bierstadt parvient à évoquer plusieurs temporalités dans le même tableau. Ainsi Orage dans les montagnes Rocheuses : l'imminence de l'orage qu'évoque précisément la présence d'un grand rapace qui profite d'une ascendance thermique, et la durée géologique des érosions qui, par d'innombrables orages, façonnent le paysage. La réalisation de ces peintures d'atelier s'appuie d'ailleurs sur des études, relevées in-situ, avec la précision d'un naturaliste, et complétées par ses propres documents photographiques. Le spectateur a ainsi l'occasion d'observer - et cela bien mieux que s'il avait vécu cet instant physiquement - moins des « paysages » que des espaces de vie: tous ces vivants dans leur habitat naturel et dans un instant de leur vie[39].
Le paysage, entendu comme milieu de vie, joue un rôle essentiel dans un grand nombre de peintures de Martin Johnson Heade (1819-1904). Dans cette entreprise le peintre fusionne le genre du paysage avec celui de la nature-morte, par exemple dans la vue rapprochée d'une « scène de genre » qui associe la fleur et son butineur avec leur milieu, le paysage vu du sommet des arbres[40].
Exotisme
Un courant semblable, quoique moins emphatique touche la mode de l'Orientalisme. De nombreux peintres voyageurs vont ainsi dresser des images exotiques depuis l'Orient jusqu'aux colonies que les puissances occidentales se taillent dans le monde. Beaucoup se plaisent à une reproduction mimétique de l'environnement naturel, et rassemblent des « figurants » encostumés, ou très peu vêtus, « à l'antique », souvent dressés au premier plan, en pied, comme autant d'études d'académie. Cette pratique se poursuivra sous les auspices, en France, de la Société des peintres orientalistes français (fondée en 1893) puis de la Société coloniale des artistes français (1908-1970). L'exposition coloniale internationale de Paris en 1931 donna l'occasion à ce goût de se manifester sans réserve[41].
Rivalité avec la photographie, ou son rejet
- Claude Monet. Boulevard des Capucines. 1873, H. 80 cm. Musée d'art Nelson-Atkins.
- Paul Cézanne. Montagne Sainte-Victoire et le viaduc de l'Arc. 1882-1885, 65,5 × 81,7 cm. Metropolitan Museum of Art.
- Vincent van Gogh. La Nuit étoilée. 1889. H. 73 cm. Museum of Modern Art.
- Camille Pissaro. Boulevard Montmartre, effet de nuit. 1897. H. 54 cm. National Gallery.
Dans les années qui suivent l'invention de la photographie de nombreux peintres utilisent la photographie comme document[alpha 11] et rivalisent de précision avec leur modèle. Certains découpent des vues, structurent, jouent de la lumière et de son caractère transitoire. Il est très probable que certains aient étudié « à la loupe » les photographies de leurs contemporains[43]. Le photographe Martial Caillebotte échange de manière très étroite avec son frère Gustave (1848-1894), qui dépeint, entre autres, le paysage urbain du Paris haussmannien en utilisant parfois l'apport de la photographie[44]. Claude Monet expose chez Nadar et y réalise Boulevard des Capucines[45]. En 1874, le critique Ernest Chesneau relie un effet de flou, qu'il remarque dans la peinture de Monet, à celui que les longs temps de pose entraînent des photographies de l'époque.
L'impressionnisme donne au paysage un rôle très différent de ce qu'il avait autrefois. Il est plus attentif à la perception humaine qu'à la rigueur géométrique de la photographie, et plus sensible à la couleur alors que la photographie est en grisaille. Le peintre de paysage impressionniste tente de placer l'observateur devant la restitution de sa propre perception.
Au tournant du siècle (1880-1910) Georges Seurat et le pointillisme affirment qu'ils fondent leurs techniques sur la science, et non sur la perception individuelle. La culture occidentale est traversée par un courant symboliste[46]. La peinture de paysage évoque alors moins le reflet d'une expérience sensible, visuelle que des représentations intellectuelles, philosophiques, sociales, imaginaires, ou simplement subjectives et émotionnelles. Ce vaste mouvement de refus de la transcription de phénomènes optiques par la peinture, en tant qu'art, rassemble des peintres aussi différents que Puvis de Chavannes et Gauguin, Ferdinand Hodler et Van Gogh (Les Champs de blé aux corbeaux, 1890) ou Matisse (La Joie de vivre, v. 1905)[47].
- Claude Monet, Les peupliers. 1891. Huile sur toile, 87 x 81 cm. Metropolitan Museum of Art, New York.
- Cézanne. Pistachier dans la cour du Château noir. Crayon et aquarelle, papier blanc, v. 1900. H. 54 cm. The Art Institute of Chicago.
- Claude Monet. Les nymphéas. Soleil couchant. 1914-18. H. 2 x L. 5,94 m. Musée de l'Orangerie.
Cézanne meurt en 1906. Le Salon d'automne organise alors la première rétrospective de Cézanne en 1907. Son impact, sur la nouvelle génération de Matisse, Picasso et tant d'autres, sera considérable. Dès la fin des années 1870 Cézanne rompt, dans ses paysages, avec les formules admises ; il constate déjà que les arbres, dans le soleil, « s'enlèvent en silhouette »[48]. La Montagne Sainte-Victoire et le viaduc de l'Arc, des années 1882-1885, généralise cette observation. Des couleurs identiques interviennent ici sur les différents plans de l'espace, qui se contracte. La même touche, vibrante, parallèle, intervient sur différents plans. De très nombreuses « rimes » poursuivent cette construction de l'ensemble, se répondant, ici et là, sur la toile[alpha 12]. Le Louvre était, pour lui, une source d'enseignement, l'occasion de réfléchir. Il évoque ainsi souvent Poussin et Véronèse[alpha 13]. Le procédé de Cézanne, entre 1880 et 1906, fait de correspondances entre formes, de touches vibrantes, de couleurs identiques produit, selon Pierre Francastel[51] « l'unité de toutes les parties de l'image figurative ». Tout le tableau s'avance ainsi sur nous, le lointain fusionnant avec le proche. Cette frontalité a été souvent remarquée et commentée ensuite. La verticalité, cette peinture « debout », coïncide, dans les années 1890-95, avec des sujets qui semblent correspondre, pour Meyer Schapiro, au « monde intérieur de solitude, de désespoir et d'exaltation [qui] pénètre certains paysages de cette époque », et ces véritables « portraits » de pins isolés[52]. Cézanne étudie aussi le modelé et se construit une méthode[alpha 14]. Vers 1900, l'aquarelle au pistachier, tordu, décentré[53], manifeste clairement son unité : l'arbre, le ciel et la montagne Sainte-Victoire, tous sont indiqués à égalité, perçus par fragments de même taille, placés selon un rythme régulier. Quant au modelé, au volume des branches par l'ombre : le trait de crayon, du plus léger au plus épais, évoque déjà la lumière et l'ombre intense. Les zones d'ombre intense sont augmentées par des coups de pinceau bleu pâle, et ponctuellement violet, au plus sombre. Le papier nu, en réserve, signifie la lumière. Le jaune accompagne la notation du modelé. Cette solution, simple, la séquence jaune - blanc - bleu, et son rythme sur le papier, Cézanne les a aussi employés pour d'autres paysages, vers 1902-06[54]. L'aquarelle était alors « comme le laboratoire de ses innovations picturales »[alpha 15]. Les innovations de Cézanne tendent à « réaliser » la nature, à lui donner une forme concrète selon des motivations personnelles, ce ne sont jamais des effets de mode, adressées au public[56]. Comme le soulignent les commissaires de l'exposition de 2005 en se référant à ses propos : pour Cézanne la nature n'est « à coup sûr pas simplement le paysage, mais le réel en général ».