Sexisme
attitude discriminatoire adoptée en raison du sexe ou du genre / De Wikipedia, l'encyclopédie encyclopedia
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Le sexisme est une attitude discriminatoire fondée sur le sexe[1], ou, par extension, sur le genre d'une personne. Le sexisme est lié aux préjugés et au concept de stéréotype et de rôle de genre, pouvant comprendre la croyance qu'un sexe ou qu'un genre serait intrinsèquement supérieur à l'autre[2]. Dans sa forme extrême, il peut encourager le harcèlement sexuel, le viol ou toute autre forme de violence sexuelle[3]. Le sexisme évoque également la discrimination de genre sous la forme des inégalités hommes-femmes[4]. Les cibles du sexisme sont principalement les femmes[5].
La thématique du sexisme est abordée par différentes disciplines comme l'analyse des médias, la sociologie, la science politique, la psychologie ou la philosophie.
Étymologie
Selon le bibliothécaire Fred R. Shapiro (en), le terme « sexisme » a très probablement été inventé le par Pauline M. Leet durant un « Student-Faculty Forum » au Franklin and Marshall College (en)[6],[7]. De manière plus spécifique, le terme sexisme apparaît durant la contribution de Pauline M. Leet intitulée « Women and the Undergraduate ». Elle définit celui-ci par comparaison au racisme, établissant que : « When you argue […] that since fewer women write good poetry this justifies their total exclusion, you are taking a position analogous to that of the racist—I might call you in this case a 'sexist' … Both the racist and the sexist are acting as if all that has happened had never happened, and both of them are making decisions and coming to conclusions about someone's value by referring to factors which are in both cases irrelevant[6]. » Ce discours a été traduit en français sous le titre Sexisme, le mot pour le dire ![8].
Selon la même source, la première fois que le terme « sexisme » apparait à l'écrit se situe au sein du discours de Caroline Bird (en) « On Being Born Female », publié le dans Vital Speeches of the Day[6]. Dans ce discours, elle affirme qu’« il y a à l’étranger une reconnaissance du fait que [les États-Unis] sont un pays à bien des égards sexiste. Le sexisme, c’est juger les gens sur leur sexe même quand le sexe n’a pas d’importance. Sexisme est pensé pour rimer avec racisme[Note 1],[6] ».
Le mot apparaît ensuite pour la première fois dans un dictionnaire américain en 1972 (The American Heritage Dictionary of the English Language (en))[9].
Définition
Le sexisme peut être défini comme l’adhésion à des croyances discriminatoires ou préjudiciables fondées sur le sexe ou le genre[10]. Il peut également être considéré comme recouvrant des attitudes, des croyances et des comportements qui soutiennent l’inégalité entre le statut des femmes et celui des hommes. Ces croyances peuvent être structurées sous la forme d'une idéologie légitimant les rôles traditionnellement assignés en fonction du genre[10],[11]. Cette idéologie sert d'assise au patriarcat[12].
La sociologie a examiné le sexisme comme une manifestation à la fois au niveau individuel et institutionnel[13]. Des comparaisons ont été établies avec d'autres systèmes idéologiques de discriminations agissant aux mêmes niveaux, telle que le racisme[14][réf. incomplète]. Selon Schaefer, le sexisme est perpétué par l'entièreté des organisations sociales les plus fréquentes[13]. Les sociologues Charlotte Perkins Gilman, Ida B. Wells et Harriet Martineau ont décrit les systèmes aboutissant à une inégalité de genres, mais sans utiliser le terme « sexism » encore inexistant au tournant du XIXe siècle. Des sociologues tels que Talcott Parsons, ayant adopté le paradigme fonctionnaliste, expliquent les inégalités de genre comme la conséquence naturelle du dimorphisme du modèle de genre[2].
Les psychologues Mary Crawford et Rhoda Unger définissent le sexisme comme un ensemble de préjugés tenus par des individus et englobant les attitudes et jugements négatifs à propos des femmes comme groupe[15]. Peter Glick et Susan Fiske ont inventé le terme de sexisme ambivalent pour décrire comment les stéréotypes concernant les femmes peuvent être à la fois positifs et négatifs et comme ces stéréotypes orientent les comportements individuels[16].
L'autrice féministe bell hooks définit le sexisme comme un système discriminatoire ayant pour résultat de désavantager les femmes[17]. La philosophe et féministe radicale Marilyn Frye définit le sexisme comme « a attitudinal-conceptual-cognitive-orientational complex » de suprématie masculine, de chauvinisme masculin et de misogynie[18].
Il y a un consensus universitaire sur le fait que le sexisme touche principalement les femmes[5].
On peut trouver l'explication de ce particularisme[Lequel ?] auprès du sociologue australien Michael Flood (en) qui affirme que la misandrie ne pourrait pas être équivalente à la misogynie, en raison de l'absence notamment du cadre historique, législatif ou institutionnel de ce dernier[31]. C'est également ce que souligne David Gilmore[32] : l'absence de réification justifierait l'absence de terme unique définissant le concept[32] de sexisme misandre. Selon lui, le terme de « misandrie » serait un équivalent de « misogynie » pour définir la haine des hommes, mais il serait utilisé trop peu couramment pour en être le parfait lemme.[pertinence contestée]
Les arguments en faveur de cette acception sont toutefois remis en cause, entre autres par Anthony Synnott, professeur de sociologie qui se consacre à l'étude de la masculinité au XXIe siècle. Effectivement il définit le terme de misandrie en fonction de plusieurs notions, notamment l'histoire et la loi. Pointant la trop grande invisibilité de cette notion, alors que les comportements associés sont culturellement acceptés, voire normalisés, il estime que la misogynie engendre la misandrie[33]. Il qualifie d'ailleurs les travaux de Nathanson et Young sur ce sujet de « majeurs »[33]. Leurs écrits (une trilogie sur le thème de la misandrie[34] écrite par deux professeurs de sciences des religions de l'université McGill[35]) expriment effectivement l'idée que la misandrie serait le produit direct de la volonté de privilégier le point de vue féminin[36]. Cela engendrerait une baisse des interactions entre hommes et femmes dans le domaine social, ce qui deviendrait la norme[source détournée][37]. Certains s'appuient sur ces écrits pour affirmer qu'à la fin du XXe siècle, la société s'est transformée, et est devenue misandre[38], notamment dans le domaine de la publicité et du cinéma/télévision[39]. En conséquence, la vision des femmes en tant que victimes de violences sexuelles (notamment au cinéma) serait plus misandre que misogyne[40]. Ces écrits ont également influencé une relecture du rôle joué par les hommes dans la fiction[41].
Notions approchantes
La misogynie est l'hostilité à l’égard des femmes, tandis que la misandrie est l'hostilité à l'égard des hommes.
Le terme « machisme » quant à lui réfère à l’idéologie prônant la domination des hommes sur les femmes[42]. Bien qu'il n'ait pas de nom spécifique, le pendant féminin du machisme consacre la suprématie des femmes sur les hommes et vise à créer une société qui reflète cette supériorité[43].
Un biais de genre (terme utilisant par métaphore le mot biais, notion empruntée aux études statistiques pour désigner une anomalie systématique) « permet de pointer la récurrence d'un phénomène conduisant à une inégalité ou à une différenciation liée au genre ». Il est souvent envisagé de façon quantitative, mais est susceptible de traduire des discriminations institutionnelles[44]
Le concept de sexisme a été élaboré à la fin des années 1960 par la deuxième vague féministe. Il s'agissait de rendre compte de la spécificité du rapport de domination exercé sur les femmes. C'est à cette période qu'est reformulé le concept de patriarcat, élaboré celui de sexisme et que l'accent est mis sur la sphère privée comme lieu privilégié de la domination masculine : le « privé est politique »[45].
Rôle de genre
Approche de la psychologie évolutionniste
Selon l'Encyclopædia Universalis, la psychologie évolutionniste est une orientation et un courant de pensée mettant l’accent, dans l’explication de l’esprit et du comportement humain, sur les adaptations mises en place à l’époque préhistorique par la sélection naturelle, et qui constitueraient aujourd’hui le socle génétiquement inscrit de la nature humaine[46].
Cette approche, contrairement à l'approche essentialiste, est non globalisante. Elle ne prétend pas expliquer la « nature » de la personne en fonction de son genre. Elle cherche plutôt à fournir une explication évolutionniste à la présence renforcée de certaines caractéristiques selon le genre. En ceci, elle s'oppose à l'idée de tabula rasa souvent défendue au sein de la sociologie constructiviste.
L'origine biologique du lien social/femme et mécanique/homme est, par exemple, défendue au sein de la psychologie évolutionniste[47].
Approche essentialiste
« L’essentialisme est la tendance à voir les membres d’une même catégorie (par exemple, tous les hommes et toutes les femmes) comme partageant des caractéristiques profondes et immuables qui déterminent qui ils sont »[48].
Pour les partisans de l’essentialisme, les différences entre hommes et femmes (que ce soit sur leur manière de penser, de ressentir ou encore d’agir) seraient donc biologiquement fixées et immuables. Ce sont leurs différences biologiques qui détermineraient leurs différences psychologiques. La domination masculine s'expliquerait par une supériorité par essence (ou naturelle) des hommes sur le « beau sexe », admiré mais relégué aux tâches subalternes et sans grand intérêt (bavardages et commérages).
Deux raisons permettent d'expliquer la popularité de l'approche essentialiste. Tout d'abord, le sexe est sous-tendu par une dichotomie explicite (généralement visible) : on est soit une femme, soit un homme, ce qui n’est pas le cas pour d'autres catégories sociales. Du point de vue de l'approche essentialiste, les femmes et les hommes sont donc biologiquement divisés. Il existe une opposition claire entre les deux sexes, que l'on distingue très facilement, contrairement à d'autres catégories pour lesquelles les frontières sont plus floues. Par exemple, la religion n'est pas une catégorie bien distincte, on peut changer de religion au cours du temps. Ensuite, des caractéristiques physiques évidentes (y compris les organes génitaux) différencient les hommes et les femmes. Par exemple, les hommes sont en moyenne plus grands et plus lourds que les femmes[48].
L’essentialisme divise les hommes et les femmes en catégories mutuellement exclusives, et de ce fait renforce la perception des deux sexes comme biologiquement opposés. Dans l'approche essentialiste, c'est la nature qui l’emporte sur la culture[48].
Approche de la sociologie constructiviste
Pour les défenseurs du constructivisme, ce sont principalement les croyances culturelles qui seraient à l’origine des différences comportementales entre les deux sexes[48].
Ainsi, les constructivistes mettent en avant diverses théories. On peut par exemple citer la théorie de l'apprentissage social, selon laquelle les nouveaux comportements sont acquis via un processus d’observation : en observant la manière dont se comportent les autres personnes (et dans ce cas précis, les autres personnes du même sexe), on acquiert de nouveaux comportements similaires. Cette théorie explique que les enfants découvrent et apprennent ce que c’est qu’être un homme / une femme via l’observation des personnes du même sexe qu’eux[48].
Une autre théorie est celle de la « socialisation du genre ». Il s’agit d’un processus dans lequel les enfants découvrent les identités féminines et masculines. Cela s’explique principalement par le fait que dès leur venue au monde, les enfants sont traités différemment selon qu’ils soient de sexe masculin ou féminin. Les enfants jouent un rôle actif dans ce processus[48].
Les constructivistes mettent également l’accent sur la manière dont la société communique les croyances culturelles, partagées par tous, sur la manière dont les hommes et les femmes devraient se comporter. Ces croyances culturelles touchent des domaines multiples tels que les couleurs (ex : rose pour les filles, bleu pour les garçons) ou encore les métiers (ex : docteur pour les garçons, infirmière pour les filles). Ces croyances culturelles sont à l’origine de ce que l’on appelle des « schémas de genre » : ces schémas guident les perceptions que les gens ont d’eux-mêmes et des autres (leur comportement, leurs préférences, etc.) et forment leur vision du monde social, ils apparaissent dès l’enfance et persistent à l’âge adulte[48].
Par ailleurs, on peut relever trois catégories d'acteurs qui joueraient un rôle capital dans la transmission des croyances culturelles qui influencent les enfants, à savoir : les médias (ex : la télévision, Internet, etc.), les figures d’autorité (ex : les parents, les professeurs, etc.) et les pairs. Étant donné que ces acteurs renvoient à des croyances culturelles, ils joueraient indirectement un rôle dans l’apparition des stéréotypes de genre[48].
Le constructivisme, via un mécanisme d'apprentissage des rôles sociaux, des valeurs, des normes et des attentes culturelles d'une société, peut expliquer l'apparition de certaines formes de sexisme.
Stéréotypes de sexe et de genre
Définition
On peut définir le stéréotype en général comme « une croyance concernant les traits caractérisant les membres d’un groupe social »[49]. En particulier, les stéréotypes de sexe (tout comme les stéréotypes de genre) aboutissent à attribuer des qualités ou des fonctions distinctes aux femmes et aux hommes[50], niant ainsi la possibilité pour les uns ou pour les autres de posséder des attributs étendus et communs aux deux sexes.
Les stéréotypes de sexe sont à la fois descriptifs et prescriptifs. D’une part, la composante descriptive des stéréotypes de genre concerne les attributs constitués à partir des croyances que les gens ont de ce à quoi[pas clair] devraient ressembler[pas clair] les membres d’un groupe (exemple pour les femmes : émotives, dépendantes, passives, faibles, non compétitives, non confiantes)[51]. Autrement dit, ils suscitent des attentes relatives aux comportements que les hommes et les femmes sont susceptibles de présenter (exemple : les femmes aiment acheter des chaussures)[50]. D’autre part, la composante prescriptive est composée des comportements qui sont appropriés pour le groupe cible (exemple : les femmes doivent avoir de bonne compétences relationnelles, elles doivent être passives et dociles et doivent coopérer avec les autres)[51]. Cette dimension des stéréotypes de genre impose aux hommes et aux femmes de correspondre strictement et uniquement à des rôles et attributs stéréotypés, sous peine d’être perçus comme étant déviant par rapport à leur genre (exemple : les hommes doivent avoir un travail, ils ne peuvent pas être des hommes au foyer)[50].
Pour un groupe qui souscrit à cette vision stéréotypée des genres, il est plus grave de violer un stéréotype prescriptif plutôt que descriptif (exemple : un homme au foyer est plus sévèrement jugé par le groupe qu'une femme qui n'aime pas acheter des chaussures)[50]. Tous les stéréotypes incluent des composantes descriptives et prescriptives mais les stéréotypes de genre sont plus prescriptifs que les autres. Cela est dû au fait que les individus côtoient de plus en plus les deux genres. En effet, en observant et en interagissant avec les autres, ils développent une multitude d’idées complexes à propos de comment les membres de chaque genre doivent se comporter[51].
Contenu
Les stéréotypes de genre peuvent être associés à des attributs incluant[50] :
- les caractéristiques physiques : par exemple, les hommes sont forts et les femmes sont délicates ;
- les rôles sociaux : par exemple, les femmes s'occupent des enfants pendant que les hommes gagnent un salaire ;
- les centres d’intérêt : par exemple, les femmes aiment faire les magasins et les hommes aiment regarder des émissions de sport ;
- les métiers/occupations : par exemple, les hommes sont des ingénieurs, des agents de change ou des mineurs alors que les femmes sont institutrices, infirmières ou femmes au foyer.
Par ailleurs, les stéréotypes portant sur des groupes sociaux peuvent être abordés selon deux grandes dimensions : la « chaleur » (le groupe est-il chaleureux, sociable, ouvert et sympathique ?) et la compétence (le groupe est-il intelligent, travailleur, efficace et autonome ?). Ces deux dimensions peuvent être croisées avec le statut social relatif entre deux groupes et la compétition entre ceux-ci, ce qui aboutit à la matrice suivante[49] :
Statut faible | Statut élevé | |
---|---|---|
Compétition faible = amitié | Émotion : Pitié/Compassion (Préjugé paternaliste) ; Stéréotype : Incompétent mais chaleureux | Émotion : Fierté, admiration ; Stéréotype : Compétent et chaleureux |
Compétition forte = inimitié | Émotion : Haine/Dégoût (Préjugé méprisant) ; Stéréotype : Incompétent et froid | Émotion : Jalousie, envie (Préjugé envieux) ; Stéréotype : Compétent mais froid |
Le modèle de Fiske[52] porte sur les stéréotypes en général mais peut également s'appliquer aux stéréotypes de genre. Selon ce modèle, par exemple, les femmes au foyer sont considérées (sous un angle stéréotypé) comme très chaleureuses mais peu compétentes. Ceux qui adhèrent à une vision stéréotypée les prendront donc en « pitié » ou éprouveront de la compassion pour elles. A contrario, toujours selon le modèle de Fiske, le groupe « féministe » sera perçu comme plus compétent mais plus froid, pouvant susciter des réactions de jalousie chez les individus adhérant aux stéréotypes de genre[52].
D'autre part, la théorie des rôles sociaux d'Eagly offre une autre typologie du contenu des stéréotypes de genre. En effet, Eagly considère que les stéréotypes portant sur le sexe féminin concernent des traits dits « communaux » (centrés sur le relationnel et l'affectif) tandis que ceux sur les hommes sont « agentiques » (relatifs à l'indépendance et à l'autonomie)[53]. On peut dès lors constater que les stéréotypes de genre sont complémentaires[54]. En effet, les femmes sont essentiellement stéréotypées comme étant sociables, chaleureuses et axées sur les relations humaines (plus que les hommes) alors que les stéréotypes concernant les hommes les définissent comme étant compétents, indépendants et axés sur la réussite (plus que les femmes). En d’autres termes, les stéréotypes de genre attribuent à chaque groupe un ensemble de qualités que l’autre groupe ne possède pas. En outre, ces qualités propres à chaque groupe contrebalancent les faiblesses attribuées par les stéréotypes de genre (exemple de stéréotype complémentaire : les femmes sont chaleureuses mais peu compétentes alors que les hommes sont indépendants mais peu sociables)[54].
Une étude menée en 1974 et reconduite en 2000 aux États-Unis a déterminé les adjectifs stéréotypés les plus souvent attribués[55] :
- au sexe masculin : dominant, indépendant, ambitieux, agit comme un leader, prêt à prendre des risques, agressif, compétitif et athlétique ;
- au sexe féminin : affectueuse, enjouée, compatissante, sensible aux besoins des autres, douce, sympathique et aimant les enfants.
Cette étude met en évidence le clivage entre les traits communaux (ou de « chaleur ») chez les femmes et les traits agentiques (ou de « compétence ») chez les hommes.
Origine
Le processus de naissance des stéréotypes de genre peut être expliqué par la théorie du rôle de genre d’Alice Eagly. Cette théorie repose sur deux aspects structurels : la division du travail et la hiérarchisation sociale basées sur le genre. Selon Eagly, ces facteurs structurels fondés sur le genre génèrent des représentations partagées socialement sur les hommes et les femmes[50]. Par exemple, l’éducation des enfants réclame des qualités de pourvoyeur de soin et de tendresse, entre autres. Or, comme ce sont les femmes qui ont longtemps hérité de cette tâche de par leur grossesse, il est socialement attendu d’elles qu’elles soient douces et qu’elles prennent soin de leur entourage pour remplir leur rôle[50]. Cette répartition genrée des rôles sociaux expliquerait l’émergence des stéréotypes de genre mais également les différences de comportements entre les genres en créant une réalité correspondante[56]. En effet, les individus sont élevés dans l'idée d'endosser les traits dictés par ces rôles de genre (exemple : on apprend aux filles à être chaleureuses et sont récompensées lorsqu'elles agissent de la sorte). Par la suite, ces mêmes individus adoptent les traits qui leur ont été appris sur base de leur genre, ce qui augmente l'intensité avec laquelle ils démontrent des comportements correspondant à ces rôles (exemple : lorsque les femmes deviennent mères, leur rôle social les incite à adopter des comportements de pourvoyeur de soin)[50].
La théorie des rôles sociaux d’Alice Eagly présuppose que les stéréotypes de genre proviendraient de différences réelles entre les hommes et les femmes. Ce « noyau de vérité » des stéréotypes de genre a été remis en cause par Hoffman et Hurst[49]. Pour les besoins de leur expérience, ils ont imaginé une planète fictive composée de deux groupes : les Orinthiens et les Ackmiens. Pour une moitié des sujets de l'expérience, les Orinthiens travaillent en ville tandis que les Ackmiens s'occupent des enfants. Pour l'autre moitié des sujets, les proportions sont inversées : les Ackmiens sont travailleurs et les Orinthiens s'occupent des enfants. Chaque individu de chaque groupe imaginaire présentait des traits de personnalité concernant soit la chaleur, soit la compétence, de sorte que chaque groupe obtienne globalement le même ratio chaleur/compétence. Les traits de personnalité étaient donc équivalents entre les deux groupes, seuls les rôles sociaux différaient. Il n'y avait pas de différence réelle entre les Orinthiens et les Ackmiens, le « noyau de vérité » n'était alors pas présent. Pourtant, les sujets de l'expérience attribuaient plus de chaleur au groupe s'occupant des enfants et plus de compétence aux travailleurs alors que les groupes avaient été construits pour être équivalents sur ces deux dimensions. Autrement dit, les participants stéréotypaient les groupes alors qu'ils n'y avaient pas de différence de personnalité entre les Orinthiens et les Ackmiens. Hoffman et Hurst ont tiré la conclusion que les stéréotypes de genre seraient le résultat d'une inférence effectuée par les individus : ils permettent d'expliquer, voire de justifier, la manière dont l'environnement social est structuré[49].
Maintien
Le processus de maintien des stéréotypes de genre s’opère notamment via un mécanisme de prophétie autoréalisatrice. Cette « prophétie » consiste en un cercle vicieux composé de quatre éléments[50] :
- l’auto-stéréotype : les individus se conforment volontairement aux stéréotypes d'un groupe déterminé. Les hommes et les femmes intègrent les stéréotypes dès l'enfance et adaptent leur comportement en fonction ;
- la confirmation : les individus constatent que les autres membres du groupe se conforment également aux stéréotypes de genre et suscitent des comportements qui vont dans leur sens. Ce processus renforce les stéréotypes en les faisant apparaître comme étant corrects et justifiés socialement ;
- la conformité : les personnes subissent la pression du groupe pour agir conformément aux stéréotypes de genre définis par le groupe. Les personnes déviantes (c’est-à-dire qui ne se conforment pas aux stéréotypes de genre) risquent la sanction du rejet social : elles peuvent être exclues du groupe. Pour éviter cela, les personnes déviantes emploient des contre-mesures pour être réintégrées dans le groupe (y compris l'adhésion à l'opinion erronée du groupe). La crainte de répercussions incite les déviants à faire usage de « tromperie », c’est-à-dire qu’ils dissimulent le fait qu'ils ne sont pas conformes aux stéréotypes. En conséquence, les personnes les plus à même de dénoncer les stéréotypes de genre sont les moins susceptibles de le faire à cause de la menace du groupe ;
- la permission : les individus sentent qu'il est légitime d'utiliser les stéréotypes de genre dictés par le groupe pour percevoir le comportement des autres. En effet, si la société estime que le sexisme n'est pas un grand mal, les individus sexistes n'éprouveront pas de scrupules à utiliser les stéréotypes de genre pour justifier leurs actions et leur discours.
Conséquences
Les stéréotypes de genre peuvent avoir différentes conséquences sur les hommes et sur les femmes.
Menace du stéréotype
Les travaux sur la menace du stéréotype sont relativement récents. Ce courant de recherche ambitionne d’étudier les conséquences des stéréotypes sur les individus qui en font l’objet[57].
La menace du stéréotype représente donc l'effet qu'un stéréotype peut avoir sur une personne visée par celui-ci. Par conséquent, le stéréotype associé à un groupe aurait un effet direct sur lui-même. De nombreux domaines et groupes sont touchés par la menace du stéréotype, notamment celui de la différence de genre.
C’est un phénomène complexe impliquant multiples facettes. Schmader, Johns et Forbes ont développé en 2008 un modèle pour tenter d'expliquer comment la menace du stéréotype influence la performance dans des tâches cognitives et sensorimotrices. La mémoire de travail joue un rôle crucial pour la bonne efficience de ces tâches. Les auteurs ont essayé de mieux déterminer ce qui pourrait la perturber.
Le fait d’être confronté à cette menace du stéréotype provoquerait du stress, une plus grande surveillance de soi, des pensées et des émotions négatives, une motivation afin de ne pas se comporter de manière conforme au stéréotype et des efforts pour éliminer les pensées négatives. Finalement, l’ensemble de ces efforts consommeraient d’importantes ressources en mémoire de travail et entraîneraient donc une baisse de performance[58].
On remarque par exemple que les femmes performent en moyenne moins bien que les hommes lorsqu’elles passent la tâche de la figure complexe de Rey-Osterrieth (exercice consistant à reconnaître des figures en trois dimensions) et que cette étude est présentée comme un test de géométrie. A contrario, lorsque cette tâche est présentée comme un test de mémorisation ou un exercice de dessin, les différences entre hommes et femmes ne sont plus observées[59].
Une autre étude a aussi montré que, lorsqu'on fait travailler deux groupes de femmes sur un même exercice de mathématiques, le groupe auquel on aura préalablement précisé que les filles ne réussissent généralement pas l'exercice récoltera de plus mauvais résultats que dans celui où rien n'est dit[60].
Les différences de comportement entre homme et femmes pourraient donc être modifiées à cause de cette menace du stéréotype.
Effet de contrecoup
De par la menace que peut représenter le groupe si un individu ne se conforme pas aux stéréotypes de genre (surtout concernant leurs aspects prescriptifs), ces derniers peuvent engendrer un effet de contrecoup (backlash effect en anglais), c'est-à-dire des « représailles économiques et sociales suite à des comportements qui vont à l'encontre des stéréotypes de genre »[61]. Cet effet de contrecoup a été particulièrement étudié dans le cadre du travail car c'est notamment dans ce domaine que les stéréotypes de genre sont particulièrement prégnants.
Tout d'abord, il faut rappeler que la composante prescriptive des stéréotypes de genre fait que toute violation de ces derniers est sévèrement punie et engendre des réactions négatives de ceux qui y adhèrent, même de façon plus ou moins inconsciente. Ce côté prescriptif est particulièrement problématique pour les femmes sur leur lieu de travail. En effet, puisque ces stéréotypes ne leur attribuent que très peu de traits de compétence (ou traits « agentiques »), elles sont obligées d'aller à l'encontre de ces stéréotypes dans le but d'évoluer dans leur carrière. Elles seraient forcées d’agir « comme des hommes » (c’est-à-dire en adoptant des comportements davantage axés sur la compétence que sur la chaleur et les relations humaines) afin de percer sur un lieu de travail. Même si ces femmes sont généralement perçues comme compétentes, elles peuvent être mésestimées par leurs collègues, qu’ils soient féminins ou masculins. Par exemple, les femmes qui réussissent dans une fonction de manager sont perçues comme étant plus hostiles et égoïstes que leurs homologues masculins. Bien que les hommes subissent aussi l'effet de contrecoup s'ils n'agissent pas en fonction des stéréotypes de genre, ils ne doivent pas nécessairement aller à l'encontre de ces derniers pour avancer dans leur carrière puisque les stéréotypes leur attribuent naturellement des traits de compétence[61].
L'effet de contrecoup des stéréotypes de genre aurait tendance à saper la carrière des femmes à tous ses niveaux dont, entre autres[61] :
- l'entretien de sélection et la négociation du salaire : dans ces situations, il est nécessaire de savoir se mettre en avant et de défendre ses compétences. Or, si les femmes agissent de cette manière, il se peut qu’elles soient perçues comme étant inamicales (puisque s’éloignant des stéréotypes de genre), diminuant donc leurs chances d’être embauchées. Pourtant, les hommes qui s’affirment lors d’un entretien sont perçus comme compétents. Cela soulignerait une pression exercée sur les femmes pour se montrer modestes. Même lorsqu’elles sont engagées, elles ont tendance à moins négocier leur salaire et à accepter une offre plus basse que les hommes qui ont le même profil de compétence ;
- l'obtention de promotions et les entretiens d’évaluation : dans ces cas, l’effet de contrecoup sur la carrière des femmes se traduit par le phénomène du plafond de verre (une barrière invisible qui les empêche de monter les échelons hiérarchiques) alors que les hommes, au lieu d’être freinés, verraient leur évolution professionnelle accélérée via un « escalator de verre ». Cette divergence peut être expliquée par les sanctions infligées aux femmes qui se comportent de façon agentique. Par exemple, Ann Hopkins (en), une femme ayant réussi sa carrière de comptable, s’est vu refuser une promotion à cause de son comportement trop « masculin ». À la place, ses évaluateurs lui ont proposé de suivre un séminaire pour apprendre à parler et à s’habiller « comme une femme ». Autrement dit, le fait de violer les stéréotypes de genre peut avoir des conséquences négatives sur les bilans d’évaluation et sur les promotions inhérentes.
Même si l'effet de contrecoup est particulièrement ressenti par les femmes, il peut également concerner les hommes dont le comportement ne correspondrait pas aux normes fixées par les stéréotypes de genre. Il peut par exemple s'agir d'hommes qui présentent plus de traits « communaux » (ou de chaleur) que de traits « agentiques » (ou de compétence). Dans ce cas, ils seront jugés encore plus sévèrement sur leur lieu de travail que les femmes dont le comportement est agentique[61].
Théorie du sexisme ambivalent
La notion de sexisme ambivalent, comprenant le sexisme hostile et le sexisme bienveillant, est issue de la théorie développée par Glick et Fiske en 1996[62]. Celle-ci postule que les relations entre les genres sont caractérisées par deux éléments : des différences de pouvoir et une interdépendance entre les hommes et les femmes[63].
D'une part, les hommes dominent au sein des différentes institutions dans la société, ce qui constitue le pouvoir structurel, d'autre part, les hommes sont dépendants des femmes en ce qui concerne les besoins affectifs, les besoins de reproduction ainsi que pour gérer l'éducation des enfants, ce qui constitue le pouvoir dyadique[réf. nécessaire].
La coexistence de ces deux pouvoirs entraînerait une ambivalence au niveau des attitudes traditionnelles envers les hommes et les femmes. Celles-ci présenteraient des composantes à la fois hostiles et bienveillantes. Selon cette vision, le sexisme pourrait mêler des sentiments positifs à des sentiments antipathiques envers une même personne quel que soit son genre[63].
Sexisme hostile à l'égard des femmes
Ce sexisme hostile découle du pouvoir structurel et correspond, lui, à la conception traditionnelle du sexisme[64], c’est-à-dire qu’il se caractérise par des attitudes explicitement négatives envers les femmes, qui sont considérées notamment comme des manipulatrices et des séductrices. Il peut se manifester au travers de comportements tels que :
- le harcèlement sexuel ;
- les violences physiques (notamment violence conjugale) ;
- l'humour sexiste ;
- les remarques sexistes.
Il aurait pour objectif de punir les femmes ne respectant pas leurs rôles traditionnels liés au genre.
Attitudes hostiles à l'égard des hommes
Les attitudes hostiles à l'encontre des hommes en raison de leur genre se caractérisent par des attitudes explicitement négatives envers les hommes qui ne satisfont pas aux clichés de pouvoir et de dominance liés à leur genre. Ceux-ci sont alors considérés comme manipulés et faibles. Il aurait pour objectif de punir les hommes ne respectant pas leurs rôles traditionnels[65].
Selon certaines sources, bien que les hommes puissent être victimes de discriminations dues à leur genre, le rapport de force dans la société invaliderait l’existence d’un sexisme anti-homme[66],[67],[68]. Les discriminations à leur égard reposeraient sur la valorisation de leur genre, et ils seraient rarement opprimés en raison de leur genre ou de leur sexe[66],[69].
Sexisme bienveillant
Le sexisme bienveillant, parfois appelé effet « les femmes sont formidables »[70] (« Women are wonderful » en anglais), est un phénomène observé par Alice Eagly et Antonio Mladinic en 1994[71], puis théorisé dans la notion de sexisme ambivalent par Peter Click et Susan Fiske en 1996[72].
Contrairement au sexisme traditionnel, le sexisme bienveillant se caractérise par une attitude subjectivement positive et attendrie des hommes envers les femmes[73],[74]. Il vise à récompenser les femmes qui respectent les rôles sociaux issus de l'histoire sociale liés au genre[73].
Cette forme de sexisme découlerait d’une relation d’interdépendance existant entre les hommes et les femmes qui induirait, notamment, un sentiment de dépendance sentimentale d'un conjoint envers l'autre lui permettant d’être épanoui[75]. Cette dépendance affective favoriserait le sexisme bienveillant car elle les amène, d’une part, à penser que les femmes sont une ressource précieuse qu’il faut protéger et, d’autre part, à donner de l’affection aux personnes qui satisfont leurs besoins[64]. Cet attachement pousse certaines femmes hétérosexuelles à développer des attitudes positives en réponse au rôle protecteur qu'adoptent les hommes[50],[76].
Le sexisme bienveillant est rarement vécu comme un préjugé et se trouve de la sorte mieux accepté[77], il est aussi plus difficile à percevoir car plus discret[78]. Dans le cas le plus courant des femmes, il repose sur la domination traditionnelle des hommes et partage quelques-uns des présupposés du sexisme hostile, à savoir que les personnes sont mieux adaptées à certains rôles et à certains espaces en fonction de leur genre, qu’elles sont ainsi prédisposées comme étant « plus fortes » ou « plus faibles » et par conséquent que cela justifie la bienveillance à leur attribuer[64]. Le sexisme étant une discrimination et la bienveillance constituant une forme d'attention aux autres, le caractère implicite du sexisme bienveillant rend la lutte contre le sexisme plus difficile et résiste donc aux dispositions législatives relatives au sexisme[73]. En fait, le sexisme bienveillant peut même se révéler plus néfaste que le sexisme hostile, puisqu’il peut être utilisé pour compenser ou légitimer le sexisme hostile[64]. Il est associé à l’émergence chez les femmes d’un sentiment d’incompétence qui amoindrirait leurs performances[79]. Il diminue en outre, chez les femmes, la motivation à vouloir lutter contre les discriminations liées au genre, à l’inverse du sexime hostile[79].
La galanterie est parfois considérée comme un exemple de sexisme bienveillant, mais cette interprétation n’est pas consensuelle[80],[81],[82],[83].
Une étude de 2015 relative aux expressions verbales et non-verbales manifestées chez les hommes sexistes quand ceux-ci conversent avec des femmes a mis en évidence que les hommes sexistes bienveillants sont plus patients, plus souriants et complimentent davantage les femmes dans leurs conversations. Ceci n'est pas du tout le cas pour les sexistes hostiles, pour lesquels les corrélations sont d'ailleurs négatives si nous reprenons les dimensions relatives aux sourires et aux compliments. Les sexistes bienveillants montrent également plus d'expressions verbales d'affiliation (accessibilité, comportements amicaux, chaleur) et semblent plus à l'aise avec ces dernières[84]. On peut classer la dénonciation des pratiques de mansplaining dans ces illustrations du sexisme bienveillant[85].
À l'égard des femmes enceintes
D'autres auteurs démontrent que plus les hommes sont sexistes bienveillants, plus ils sont restrictifs à l'égard des femmes enceintes. De la sorte, ils leur imposent toute une série de règles arbitraires concernant leurs actions afin de protéger leur santé mais en réalité, elles ne courent aucun risque. À titre d'exemple, le mari de la femme enceinte va interdire à sa femme durant sa grossesse de conduire parce qu'il juge selon lui que cela est trop risqué[86].
Toutefois, le sexisme hostile peut également se manifester à l'égard des femmes enceintes et mères[87]. Par exemple, une femme qui reviendrait de son congé de maternité et qui aurait souhaité une promotion avant son départ peut ne plus l'obtenir parce que son patron juge arbitrairement qu'elle n'est plus capable de gérer de telles responsabilités ou qu'elle n'est plus intéressée puisqu'elle est devenue mère[88].
Complémentarité entre sexisme bienveillant et sexisme hostile
Les sexismes hostile et bienveillant forment une combinaison puissante : ils articulent récompenses et punitions pour que les victimes aient conscience de la place qu’elles doivent occuper. En isolation, le sexisme hostile seul amènerait de la rébellion. En revanche, le sexisme bienveillant permettrait d’affaiblir la résistance des victimes à l’égard de l'autorité par son côté gratifiant[64].
Du reste, les deux formes de sexisme sont corrélées positivement d’après les recherches empiriques[64],[73]. Il semble d'ailleurs que les femmes adhéreraient d'autant plus au sexisme bienveillant dans des sociétés dans lequel le sexisme hostile chez les hommes est intense. En effet, c'est dans ce type de société que la protection par les hommes, et donc le sexisme bienveillant, leur apparaissent comme les plus précieux[50].
Selon une étude publiée en 2007, les sexismes hostile et bienveillant de la part des hommes peuvent être liés au besoin de domination sociale pour le premier et à l’« autoritarisme de droite (en) » pour le second[75]. Selon une étude publiée en 2013, les attitudes sexistes hostile et bienveillante à l’égard des hommes peuvent, chez les femmes se déclarant comme hétérosexuelles, être liées à des carences affectives pour la première et à l’anxiété de attachement pour la seconde[76].
Conséquences du sexisme ambivalent
Le sexisme ambivalent peut avoir des conséquences négatives sur les performances et sur l'estime de soi.
Conséquences sur les performances
Le fait d'être confronté à des formes de sexisme bienveillant pourrait exercer des effets négatifs sur la performance[Quoi ?]. Il semblerait, en effet, que le sexisme bienveillant soit plus dommageable que le sexisme hostile en ce qui concerne les performances[89].
Le sexisme bienveillant opère grâce à deux mécanismes : d'une part, les individus valorisent les compétences sociales de la femme et, d'autre part, ils dévalorisent sa performance dans les aspects typiquement associés aux hommes tels que la puissance, l’indépendance, l’intérêt de l’accomplissement personnel. La présence conjointe de ces deux mécanismes entraîne une détérioration cognitive.
En effet, le sexisme bienveillant engendre dans l’esprit des femmes des pensées intrusives liées au doute de parvenir à réaliser la tâche. Cela entraîne une surcharge mentale qui consomme une partie des ressources cognitives qui ne peuvent donc plus être utilisées pour se concentrer sur la tâche en question[89]. Par conséquent apparaît une détérioration de la performance à la tâche puisque les femmes adoptent la croyance qu'elles ne sont pas compétentes pour accomplir certaines tâches davantage associées au rôle masculin.
Par exemple, dans une étude menée en Belgique, des femmes sont amenées à réaliser des entrevues de sélection en vue de l'obtention d'un poste dans une industrie chimique au sein de laquelle la population est majoritairement masculine[90]. Le recruteur adopte avec ces femmes différentes attitudes :
- des attitudes associées au sexisme bienveillant considérant que les femmes devront être davantage aidées ;
- des attitudes associées au sexisme hostile considérant les femmes comme le sexe faible ;
- des attitudes non sexistes.
Lors de cette entrevue, il leur est proposé une tâche de résolution de problème géométrique dans laquelle elles doivent trouver le chemin le plus court pour se rendre d'un point à un autre sur une carte. Cette étude montre que la performance des femmes dans la condition hostile est meilleure que dans la condition bienveillante.
Ils en concluent donc que le sexisme bienveillant a un impact négatif sur les performances. Ce qui n'est pas le cas pour le sexisme hostile qui est néanmoins source de préjudice, ou encore pour les attitudes non sexistes.
Conséquences sur l'estime de soi
Une étude réalisée aux Pays-Bas a montré l'influence du sexisme bienveillant sur l'estime de soi des femmes[91]. Au cours de cette étude, les participantes sont tout d'abord placées dans deux groupes et amenées à lire un texte faisant référence respectivement à du sexisme bienveillant et à du sexisme hostile.
Le texte bienveillant indique que les femmes :
- sont des êtres purs ;
- ont une sensibilité morale plus grande que les hommes ;
- doivent être chéries et protégées par les hommes ;
- complètent les hommes grâce à l'amour qu'elles leur donnent.
Le texte hostile indique lui que les femmes :
- sont trop facilement offensées et qu'elles interprètent de simples remarques comme étant des remarques sexistes ;
- exagèrent les problèmes qu'elles rencontrent dans la sphère du travail ;
- crient trop facilement à la discrimination ;
- ne savent pas apprécier ce que les hommes font pour elles.
Les participantes sont ensuite amenées à répondre à des questions sur l'estime de soi et sur les compétences.
Les résultats obtenus à la suite de cela indiquent que les femmes exposées au sexisme bienveillant ont une perception d'elles-mêmes plus négative en ce qui concerne l'aspect « réalisation de tâches » (aspect habituellement associé aux hommes). Elles se décrivent également davantage en termes relationnels (aspect traditionnellement associé aux femmes) que celles exposées au sexisme hostile.
En conclusion, les femmes exposées au sexisme bienveillant s'estiment plus orientées « relationnel » et moins orientées « tâches » que les femmes exposées au sexisme hostile. Cela est en accord avec les caractéristiques traditionnellement associées à chaque sexe par les stéréotypes de genre.
Mesure du sexisme ambivalent : l’Ambivalent Sexism Inventory (ASI)
Dans une étude de 1996, Glick et Fiske utilisent une échelle mise au point par Swim et al. en 1995, qui permet de mesurer le sexisme ambivalent au niveau individuel[92]. Celle-ci vise à mesurer les différences individuelles du sexisme ambivalent (hostile et bienveillant). Elle se compose de 22 items, qui sont évalués à travers une échelle de Likert. L’échelle est répartie en deux sous-échelles : la sous-échelle du sexisme hostile (SH) et la sous-échelle du sexisme bienveillant (SB). La première comporte des items comme « la plupart des femmes interprètent des remarques comme étant sexistes », « les femmes exagèrent les problèmes qu’elles rencontrent au travail », ou encore « les féministes ont des demandes tout à fait exagérées ». La seconde comporte 11 items répartis en trois dimensions qui évaluent les différents aspects du sexisme bienveillant : l'intimité hétérosexuelle (IH), la protection paternaliste (PP) et la différenciation de genre (DG). Elle comprend des items comme « les femmes devraient être protégées et être aimées par les hommes » ou « les femmes, comparées aux hommes, ont tendance à faire preuve d’un plus grand sens moral »[92].
Depuis l’étude initiale, d’autres recherches ont montré la validité et la pertinence de cette échelle[93]. Bien qu’étant conçue en anglais, elle est valide dans d’autres langues — comme le français[94] —, indépendamment de la culture[95]. D’autres études suggèrent que des attitudes sexistes ambivalentes à l’égard des hommes existent également indépendamment de la culture[96].
L’ASI a cependant deux limites : il repose sur l’auto-déclaration et peut donc souffrir du biais de désirabilité sociale[97], et, selon les chercheurs Tadios Chisango et Gwatirera Javangwe, les notions de sexisme « bienveillant » et « hostile » seraient trop abstraites et non applicables dans certaines langues[98]. D’autres chercheurs ont proposé des adaptations de l’ASI qui ne requièrent pas d’auto-déclaration[94], voire d’autres échelles, comme le modern sexism scale (« échelle du sexisme moderne »)[99].
Sexisme moderne et néo-sexisme
Le sexisme moderne et le néo-sexisme sont des formes actuelles du sexisme. Elles sont relativement proches et sont sous-tendues par les mêmes croyances :
- ils nient tout d'abord le fait que la discrimination à l'égard des femmes constitue un problème ;
- ils considèrent que les femmes ont des demandes relativement exagérées ;
- ils trouvent que la société octroie des faveurs spéciales à l’égard des femmes[73].
Sexisme moderne
La forme « moderne » du sexisme a été identifiée par analogie à l'évolution du racisme constatée en 1986. En 1995, Swim et al. définissent le sexisme moderne comme le déni d'une discrimination continuelle fondée sur le sexe et le sentiment que les femmes exigeraient trop des législateurs[100].
Cette thèse se fonde sur trois mythes[101] :
- les inégalités ne seraient ni douloureuses, ni graves ;
- le véritable sexisme ne serait que très peu répandu dans la société ;
- les femmes aimeraient leur statut inférieur et opteraient librement et consciemment pour ce dernier.
Le sexisme moderne engendre des réactions négatives et un manque de soutien à l'égard des personnes qui se plaignent de sexisme. Il peut donner lieu à des réactions défavorables quant aux efforts effectués en vue de réduire les inégalités. Par conséquent, le sexisme moderne semble en partie maintenir les inégalités[102].
Néo-sexisme
Le néo-sexisme serait un conflit entre des valeurs d’égalité et des vestiges de croyances et de sentiments négatifs envers un genre. Il affecterait les genres féminin[103] et masculin, selon le philosophe et sociologue Pierre-André Taguieff[104].
Les individus néo-sexistes seraient empreints d'égalité mais conserveraient néanmoins des sentiments négatifs à l'égard d'un genre. En outre, le néo-sexisme se réfère à des caractéristiques dites « externes », soit à la tâche et non à l'individu[103].
Liens entre les différentes formes de sexisme
Le sexisme moderne et le néo-sexisme ont des caractéristiques communes avec le sexisme bienveillant : tous trois ne s’affichent pas de manière explicite, comme le fait le sexisme traditionnel. En revanche, le néo-sexisme et le sexisme moderne diffèrent du sexisme bienveillant parce qu’ils donnent l'illusion d'une égalité entre genres tout en omettant la discrimination touchant les femmes. Le sexisme bienveillant, quant à lui, se dissimule sous une apparence chevaleresque mettant les femmes sur un piédestal[73].
Le système patriarcal est un système dans lequel les hommes exercent « un contrôle structurel sur les institutions politiques, juridiques, économiques et religieuses »[105]. Il repose sur six structures : l’emploi, le travail domestique, la culture, la sexualité, la violence et l’État. Ces structures sont indépendantes mais il existe des interactions entre elles, et ces interactions sont à l’origine de différents types de patriarcats, regroupés entre deux extrémités : d’un côté le patriarcat privé, de l’autre le patriarcat public. Le patriarcat privé englobe les tâches domestiques qu’on associe à la femme, qui est ainsi maintenue dans la famille mais exclue de l’espace public. Le patriarcat public, quant à lui, comprend le travail salarié et l’État, il ségrègue et subordonne la femme dans l’espace public[106]. Pour les féministes, le patriarcat est « un système de domination des hommes sur les femmes permettant d’expliquer la prévalence des inégalités hommes-femmes ainsi que leur continuité dans l’histoire »[107]. On peut donc mettre en lien direct ce concept avec celui de sexisme.
Selon la théorie de la justification du système, les stéréotypes de genre et le sexisme bienveillant permettraient à trois mécanismes de maintenir un système patriarcal et de le justifier[54] :
- la justification des rôles : les stéréotypes de genre induisent l’idée que les personnes sont particulièrement adaptées pour endosser les rôles genrés prescrits pour eux par la société. Ils « rationalisent » en quelque sorte les différences entre les hommes et les femmes. Cette « justification des rôles » légitime le système en le faisant paraître non seulement comme équitable, mais également naturel et même inévitable[54]. Ce processus a été mis en évidence par l'expérience d'Hoffman et Hurst[49] qui ont, pour les besoins de leur recherche, inventé un monde divisé en deux groupes : l'un travaillant et l'autre gardant les enfants. Même en dotant ces deux groupes de traits de personnalité égaux (il n'y avait donc pas de réelle différence entre les deux groupes autre que le rôle social), les sujets de l'expérience avaient tendance à stéréotyper le groupe travailleur comme étant plus compétent mais moins chaleureux que le groupe s'occupant des enfants. Les sujets de l'expérience, à travers les stéréotypes de genre, expliquaient et justifiaient le rôle social de chaque groupe (c'est-à-dire le fait de travailler ou de s'occuper des enfants)[54] ;
- la cooptation : le sexisme bienveillant empêche les femmes de réprouver un système qui ne considère pas leurs compétences. En effet, par l’attribution de qualités positives aux femmes, elles peuvent se sentir « avantagées » et soutenir alors le système qui les flatte, du moins en partie[54]. Par exemple, elles pourraient se sentir complimentées et accepter une remarque (pourtant sexiste) les décrivant comme « pures », « délicates » et « devant être chéries par les hommes »[91]. Contrairement à la justification des rôles, ce processus de cooptation ne fonctionne que concernant les traits socialement désirables promus par le sexisme bienveillant (en particulier, ceux qui considèrent leur « chaleur » et leurs traits « communaux »)[54] ;
- la complémentarité des stéréotypes de genre : l’idée que chaque groupe se voit attribuer à la fois des traits positifs et négatifs légitime le système en le rendant juste, équitable et équilibré aux yeux des individus et, plus spécifiquement, à ceux des femmes. De fait, alors qu’un système sexiste nie toute aptitude féminine qui sorte du champ purement domestique et familial, le fait que ce même système attribue une valeur hautement positive à ces domaines est censé compenser le pouvoir attribué aux hommes en matière de statut et de pouvoir social. Par exemple, c'est par la haute valorisation de ces qualités domestiques (via les stéréotypes de genres) que certaines femmes choisissent d'être femmes au foyer à temps plein, confirmant et adhérant de cette façon à une société sexiste. Autrement dit, les stéréotypes de genre soutiennent un système sexiste en considérant les hommes et les femmes comme étant « complémentaires mais égaux » et en postulant que le rôle de femme au foyer ne serait pas inférieur à celui d'un homme qui travaille. Cette idée de société « égalitaire » provenant des stéréotypes de genre semblerait toutefois être un point de vue assez récent[54].
Néanmoins, ces trois mécanismes ne sont pas autosuffisants, il faut qu'ils agissent en interaction pour être efficaces. En effet, la complémentarité des stéréotypes de genre ne peut justifier un système sexiste que si elle est soutenue par le processus de justification des rôles ainsi que par celui de cooptation[54].
La théorie de la justification du système suppose que le sexisme est une conséquence d'une société inégalitaire[54]. D'autres travaux démontrent le contraire : le sexisme produirait les inégalités et non l'inverse. Dans cette ligne de conduite, une étude internationale menée en 2005 et 2007 dans 58 pays s'est penchée sur la relation entre le taux de sexisme et la présence d'inégalités au sein d'un pays. Les résultats démontrent que les inégalités entre les genres sont renforcées lorsque le sexisme hostile augmente dans une société. Autrement dit, si deux pays ont un niveau d'inégalité identique au départ et si le niveau de sexisme est plus élevé dans l'un que dans l'autre, le pays avec le niveau de sexisme plus élevé verra les inégalités entre les genres se marquer davantage avec le temps[108].