Croate
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Cet article concerne la langue croate. Pour le peuple croate, voir Croates.
Croate (en croate : hrvatski) désigne officiellement l’une des variétés standard des langues slaves méridionales et plus précisément de la langue serbo-croate, utilisée en Croatie et dans les pays voisins par les Croates[3]. La langue serbo-croate est aussi désignée en linguistique « diasystème slave du centre-sud »[4], štokavski jezik soit « langue chtokavienne »[5], standardni novoštokavski soit « néochtokavien standard »[6] ou encore « BCMS » pour « bosnien-croate-monténégrin-serbe », ses quatre dénominations officielles respectivement en Bosnie-Herzégovine, Croatie, Monténégro et Serbie[7].
Croate hrvatski | |
Pays | Croatie, Bosnie-Herzégovine, Serbie (Voïvodine) |
---|---|
Nombre de locuteurs | Croatie : 4 100 000 (2011)[1] Total : 7 500 000[1] |
Nom des locuteurs | croatophones |
Typologie | SVO + ordre libre, flexionnelle, accusative, accentuelle, à accent de hauteur |
Classification par famille | |
Statut officiel | |
Langue officielle | Croatie Union européenne Bosnie-Herzégovine Voïvodine (Serbie) |
Régi par | Institut za hrvatski jezik i jezikoslovlje |
Codes de langue | |
IETF | hr
|
ISO 639-1 | hr
|
ISO 639-2 | hrv
|
ISO 639-3 | hrv
|
Étendue | langue individuelle |
Type | langue vivante |
Linguasphere | 53-AAA-gc – Hrvatski-F53-AAA-gf – Hrvatski-G |
Glottolog | croa1245
|
Échantillon | |
Article premier de la Déclaration universelle des droits de l'homme (voir le texte en français) Članak 1 : Sva ljudska bića rađaju se slobodna i jednaka u dostojanstvu i pravima. Ona su obdarena razumom i sviješću i trebaju jedno prema drugome postupati u duhu bratstva. |
|
Carte | |
Distribution du croate (en bleu) selon la définition de l’Institut de la langue croate et de la linguistique[2] : cette carte des locuteurs du serbo-croate ne différencie pas les variantes linguistiques (tchakavienne, kaïkavienne et chtokavienne) de la langue et ses couleurs correspondant en fait à l'identité historique et culturelle des locuteurs (soit chrétiens catholiques en bleu, soit chrétiens orthodoxes en jaune, soit musulmans en rose). | |
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Du point de vue de la sociolinguistique, le serbo-croate est une langue standardisée pluricentrique[8] commune aux Serbes, aux Croates, aux Bosniaques et aux Monténégrins, ayant pour base son dialecte « chtokavien », ses autres appellations officielles et formes standard étant le serbe, le bosnien et le monténégrin[9].
La standardisation du croate actuel fut commencée dans la première moitié du XIXe siècle dans le cadre du mouvement austroslaviste, par un groupe de lettrés réuni autour de Ljudevit Gaj, en coordination partielle avec des lettrés serbes, dont Vuk Stefanović Karadžić, qui de leur côté œuvraient à la standardisation du chtokavien de Serbie[10]. Il en a résulté un standard peu différent entre le croate et le serbe, notamment par l’alphabet latin réformé par Ljudevit Gaj et son orthographe pratiquement phonémique. Cet alphabet est aussi une translittération de l’alphabet cyrillique proposée par Karadžić, et il fut adopté ultérieurement par le standard serbe à côté du cyrillique. Après la dislocation de la Yougoslavie en 1991-96, la Croatie indépendante a officiellement adopté le standard de Ljudevit Gaj avec l’appellation « langue croate »[11], mais en s’attachant désormais à favoriser les différences par rapports aux standards serbe et monténégrin, ce dont s’occupe l’Institut de la langue croate et de la linguistique[12].
Le nombre total des Croates est estimé à environ six millions. Si au sujet de ceux de Croatie et des autres républiques ex-yougoslaves on peut affirmer qu’ils parlent croate, on ne peut pas dire combien de ceux des pays limitrophes ou plus ou moins lointains le connaissent, à moins que les statistiques disponibles ne le précisent. Le croate est également parlé par des minorités croates dans les pays voisins ou proches, où ils vivent depuis l’époque de l’empire d'Autriche et/ou de l’ex-Yougoslavie, ainsi que dans l’émigration :
Pays | Nombre de personnes | Statut des personnes | Année |
---|---|---|---|
Croatie | 4 096 305 | de langue maternelle croate | 2011[13] |
3 059 | de langue maternelle croato-serbe | ||
Bosnie-Herzégovine | 3 861 912 (15,4 % de la population totale) | d’ethnie croate | 2016[14] |
14,6 % de la population | de langue maternelle croate | ||
Chili | 380 000 | d’origine croate[15] | |
Argentine | 250 000, dont 8 000 nées en Croatie | d’origine croate[15] | |
Allemagne | 219 541 | citoyens de la Croatie | 2011[16] |
Autriche | 131 000 | locuteurs de croate du Burgenland | 2003[17] |
44 489 | nées en Croatie | 2015[18] | |
Suisse | 100 000 | d’origine croate | 1996[19] |
Australie | 61 548 | parlant croate à la maison | 2011[20] |
États-Unis d'Amérique | 53 040 | parlant croate à la maison | 2013[21] |
Canada | 52 330 | de langue maternelle croate | 2011[22] |
Brésil | 50 000, dont 15 000 nées en Croatie | d’origine croate[15] | |
Slovénie | 35 642 | d’ethnie croate | 2002[23] |
Serbie | 19 223 | de langue maternelle croate | 2011[24] |
Hongrie | 16 053 | parlant croate en famille, avec les amis | 2011[25] |
Italie | 17 472 | citoyens de la Croatie | 2019[26] |
1 000 | locuteurs de croate de Molise | 2012[27] | |
Pérou | 6 800, dont 800 nées en Croatie | d’origine croate[15] | |
Suède | 6 221 | citoyens de la Croatie | 2016[28] |
Monténégro | 6 021 | d’ethnie croate | 2011[29] |
Roumanie | 5 167 | de langue maternelle croate | 2011[30] |
Uruguay | 5 000 | d’origine croate[15] | |
Macédoine du Nord | 2 686 | d’ethnie croate | 2002[31] |
Le croate est langue officielle en Croatie, en Bosnie-Herzégovine, au Monténégro[32], en Serbie, dans la province de Voïvodine[33], et à l’Union européenne.
Le croate a le statut de langue minoritaire en Autriche (Burgenland)[34] et en Italie (Molise)[35]. En Roumanie, le croate peut être utilisé dans les rapports avec l’administration publique locale, dans les localités où ceux dont c’est la langue maternelle constituent plus de 20 % de la population[36]. C’est le cas des localités Carașova et Lupac du județ de Caraș-Severin. La langue y est également enseignée, de l’école maternelle jusqu’au baccalauréat[37].
Les variétés régionales du croate[38] sont considérées de deux points de vue : morphologique d’abord, phonologique ensuite.
1. En prenant pour distinction la forme du pronom interrogatif signifiant « quoi » (što, ča et kaj), on distingue trois dialectes :
- le chtokavien (štokavski), parlé dans la moitié de la Croatie : en Slavonie (Croatie du Nord-Est), en Zagora (Dalmatie continentale), à Dubrovnik et dans ses environs, en Herzégovine et en Bosnie centrale. C’est la base sur laquelle est fondé le croate standard actuel.
- le tchakavien (čakavski), parlé en Istrie, dans la région de Lika, sur la plupart des îles de l'Adriatique, sur le littoral au nord de la région de Dubrovnik, à l’intérieur des terres, principalement dans la vallée de la Gacka. Le tchakavien était la langue du Royaume croate des XIIe – XVIe siècles.
- le kaïkavien (kajkavski), parlé au Nord-Ouest et au centre-Ouest du pays (dans les régions Zagorje, Prigorje, Turopolje, Gorski Kotar, Međimurje, Podravina, Žumberak, Banija, Moslavina) et autour de Zagreb. Le kaïkavien était le dialecte prédominant en Croatie du XVIe siècle au XIXe siècle.
2. Une autre division, qui se superpose aux dialectes, est opérée à partir de la façon dont a évolué le son ĕ du vieux-slave, que l'on désigne du nom de « yat ». Selon ce critère, il y a trois variétés nommées izgovori « prononciations » :
- ikavienne (ikavski), dans laquelle « yat » a évolué en i, par exemple dans les mots čovik « homme » et rika « rivière », employée en Lika, en Dalmatie, en Slavonie, en Bosnie centrale, par des Tchakaviens sur le littoral et sur la plupart des îles, et par des Kaïkaviens (vallées de Kupa, Dobra, Sutla, etc.).
- ékavienne (ekavski), où « yat » a donné e : čovek, reka. Cette prononciation, qui n’est pas non plus standard, est surtout celle de Kaïkaviens et Tchakaviens du Nord-Est de l'Istrie.
- (i)jékavienne ((i)jekavski), dans laquelle « yat » est devenu je (prononcé « yé ») dans certains mots (čovjek) et ije (« iyé ») dans d’autres (rijeka). Cette prononciation est la seule admise par le croate standard.
Cette section présente brièvement l’histoire externe de la langue croate[39].
Les débuts
Les premiers textes rédigés par des Croates ont été écrits au IXe siècle en vieux-slave, avec l’alphabet glagolitique, mais ils ne se sont pas conservés. Les plus vieux textes glagolitiques croates conservés datent du XIe siècle, la plupart gravés dans la pierre, comme la stèle de Baška (île de Krk). C’est le premier texte en vieux-slave avec des éléments de la langue vernaculaire. Il est remarquable par ses dimensions et par l’importance du texte qui, pour la première fois, mentionne le peuple croate.
Au XIIe siècle on commence à utiliser l’alphabet cyrillique également. L’alphabet latin n’est employé qu’à partir du XIVe siècle, coexistant pendant quelque temps avec les deux premiers. L’utilisation du glagolitique dure jusqu’à la fin du XVe siècle, et pour certaines régions côtières jusqu’au début du XIXe siècle.
Jusqu’à la seconde moitié du XVe siècle, la littérature est écrite en slavon d'église croate. Sa période de gloire se situe aux XIVe – XVe siècles, étant illustrée par des œuvres telles le Missel du duc Novak (1368, région de Lika, au Nord-Ouest de la Croatie), et l’Évangéliaire de Reims (1395), rédigé en partie en glagolitique. D’autres livres de cette époque sont le Missel du duc Hrvoje (1404, de Split, en Dalmatie) et le premier missel imprimé (1483). Aussi les Croates étaient-ils les seuls catholiques d’Europe qui avaient l’autorisation de Rome de ne pas se servir du latin dans la liturgie, ni de l’alphabet latin[40].
Aux XIIe – XVe siècles, la langue slave du sud parlée sur le territoire de l’ancienne Yougoslavie se morcelle en de nombreux parlers, groupés dans les dialectes qui existent aujourd’hui encore.
- Le premier dialecte qui se distingue des autres est le tchakavien, dans lequel sont écrits les premiers textes croates laïques, avec des éléments de slavon, au XIIIe siècle : Vue sur le pays d’Istrie (1275) et le Codex de Vinodol (1288). Le premier dictionnaire croate, œuvre de Faust Vrančić (1595), est principalement celui du dialecte tchakavien.
- Le dialecte chtokavien aussi est attesté d’abord avec des éléments slavons. Le premier écrit complet dans ce dialecte est le Missel croate du Vatican, transcrit à partir du dialecte tchakavien dans les années 1380-1400, à Dubrovnik, en Dalmatie. La littérature croate dans ce dialecte se développe d’abord en Dalmatie et en Slavonie.
- Le dernier à entrer dans la littérature croate est le dialecte kaïkavien, en 1578, avec l’ouvrage Postil, d’Antun Vramec. Ce dialecte arrive à s’affirmer parce que les régions où il est parlé sont les seules à ne pas être tombées sous la domination de l’Empire ottoman. Il est utilisé jusqu’au début du XIXe siècle par de nombreux écrivains, dont les plus connus sont Blaž Đurđević, Andrija Jambrešić et Tituš Brezovački.
Le croate moderne et sa standardisation
Le croate moderne, c’est-à-dire peu différent de celui du XXIe siècle, commence à s’imposer aux XIVe – XVe siècles. Sa première attestation importante est le Missel croate du Vatican.
Les premiers éléments de standardisation datent du XVIIe siècle, appelé aussi époque du Slavisme baroque, la standardisation étant reflétée par la littérature de cette époque. Ce qui contribue essentiellement à la formation du croate moderne est :
- l’activité du linguiste Bartul Kašić. Ce jésuite rédige la première grammaire du croate (Institutionum linguae illyricae libri duo, Rome, 1604), fondée principalement sur le dialecte chtokavien, mais avec de nombreux éléments tchakaviens. Le même Kašić traduit la Bible dans la variété (i)jékavienne du dialecte chtokavien. Un travail de Kašić qui a influencé encore plus le développement du croate littéraire est le Rituel romain (1640, plus de 400 pages), première traduction d’un livre de liturgie catholique dans une langue vivante.
- les travaux d’un autre jésuite, l’Italien Giacomo Micaglia (appelé en croate Jakov Mikalja). Il publie Thesaurus lingvae illyricae (Loreto, 1649 ; Ancône, 1651), un dictionnaire croate-italien-latin, basé essentiellement sur le même dialecte chtokavien à prononciation (i)jékavienne.
- les écrits du franciscain Matija Divković de Bosnie : récits inspirés de la Bible, sermons et écrits polémiques, dans l’esprit de la Contre-Réforme.
- la poésie raffinée d’Ivan Gundulić de Dubrovnik.
Le mouvement illyrien
La standardisation du croate est étroitement liée à l’éveil de la conscience nationale des Croates, qui s’inscrit dans la tendance générale de l’Europe de la première moitié du XIXe siècle[41]. Dès 1812, Šime Starčević publia à Trieste une Nouvelle grammaire illyrienne (en croate, Nova irilička gramatika). Il était le précurseur de ce qu’on appelle le « Renouveau national croate » qui fut mené par le Mouvement illyrien, auquel participait surtout la jeunesse intellectuelle d’origine bourgeoise. Son chef était Ljudevit Gaj, linguiste, homme politique, journaliste et écrivain d’origine française. Dans son livre Kratka osnova horvatsko-slavenskog pravopisanja (Abrégé d’orthographe croato-slavonne) (Buda, 1830), il proposa l'alphabet qui continue d'être utilisé par le croate du XXIe siècle, fondé sur l’alphabet latin, avec des diacritiques empruntés aux alphabets du tchèque et du polonais, ainsi qu’une orthographe phonémique. Cette graphie se généralisa par la suite sur tout le territoire habité par des Croates, à la place des graphies italienne, allemande et hongroise utilisées dans les régions respectives.
C’est à cette époque que s’imposa le standard unitaire du croate fondé sur le dialecte chtokavien à prononciation (i)jékavienne, la littérature dans les autres dialectes tombant en désuétude.
L’idéologie du Mouvement illyrien ne se limitait pas à la Croatie. Son idéal était l’union de tous les Slaves du sud, des Slovènes et jusqu’aux Bulgares, qui vivaient tous sous domination étrangère, en une utopique nation illyrienne. Ses aspirations concordaient avec celles de certains lettrés serbes, ce qui mena sur le plan linguistique à l’idée de langue serbo-croate. Il y avait en effet une convergence entre la réforme de Vuk Stefanović Karadžić concernant le serbe, qui fonda le standard de celui-ci sur le même dialecte chtokavien, et celle de Ljudevit Gaj. Cela se manifesta, entre autres, dans l’« Accord de Vienne » (1850), signé par sept lettrés croates et serbes (dont Vuk Karadžić), à l’initiative du linguiste slovène Franc Miklošič. Cet accord établit certaines normes communes pour les langues croate et serbe.
À partir de cette époque, le domaine linguistique interfère avec le domaine politique, et ce y compris au XXIe siècle, la relation entre croate et serbe oscillant d’une époque à l’autre entre l’idée d’une langue unique et celle de deux langues à part, en fonction des évènements historiques que leurs locuteurs traversent.
Dans la seconde moitié du XIXe siècle, les mouvements pour l’indépendance s’intensifient. Pour beaucoup de Croates, cette indépendance n’est réalisable que dans l'union avec les autres Slaves du sud, et d'abord avec les Serbes. L’évêque croate de Đakovo, Josip J. Strossmayer, élabore en 1866 un premier programme d’unification des Slaves du sud de l’empire d'Autriche, utilisant le terme « yougoslave », et fonde à Zagreb l’Académie yougoslave des sciences et des arts. Deux écoles principales se dessinent alors dans le domaine linguistique :
- L’école appelée « de Zagreb » cherche à développer le croate en se tournant vers d’autres langues slaves (le slovène, le russe, le tchèque), tout en acceptant dans le standard des éléments des dialectes tchakavien et kaïkavien.
- L’école nommée des « vukoviens croates » ou des « jeunes grammairiens » suit les idées de Vuk Karadžić. Leur influence est notable à la fin du XIXe siècle et au début du XXe, réussissant à imposer définitivement l’orthographe phonémique et le standard à base chtokavienne.
XXe siècle
Le rapprochement entre croate et serbe continue après la Première Guerre mondiale, cette fois dans le cadre du royaume des Serbes, Croates et Slovènes, devenu plus tard le royaume de Yougoslavie, sous l’égide de la Serbie, pays vainqueur dans la guerre. L’idée de la langue serbo-croate est de plus en plus soutenue par les autorités de Belgrade. Plus encore, ces dernières cherchent à imposer le serbe à prononciation ékavienne comme langue de tout l’État, ce qui n'est pas du goût des Croates désireux d'indépendance.
Au cours de la Seconde Guerre mondiale est fondé l’État indépendant de Croatie, satellite de l’Allemagne nazie, qui déclenche une persécution terrible contre la minorité serbe. Sur le plan linguistique, une « purification » du croate a pour but d'en éliminer les éléments serbes[42].
Dans la seconde Yougoslavie, la promotion de la langue serbo-croate et les tentatives d’estomper les différences entre le croate et le serbe deviennent les composantes d'une politique linguistique officielle, acceptée également par les communistes croates, ce qui ressort clairement de l’« Accord de Novi Sad » (1954). Signé par 25 linguistes et écrivains, 18 serbes et sept croates, on y stipule que la langue commune des Serbes, des Croates, des Monténégrins et des Bosniaques est le serbo-croate, que l’on peut aussi appeler croato-serbe, ayant deux variantes littéraires, le serbe et le croate. On décide par la même occasion de créer un dictionnaire unique. Toutefois, en Croatie, l’appellation de la langue officielle reste « croate » (entre 1943 et 1970), puis « croate ou serbe » (entre 1970 et 1990).
À la suite de la relative libéralisation du régime dans les années 1960, les intellectuels croates manifestent leur mécontentement causé par la domination du serbe dans les instances officielles. En 1967, sept linguistes et écrivains rédigent une « Déclaration au sujet de la situation et de la dénomination de la langue littéraire croate », où l’on revendique de mettre sur un pied d’égalité non pas trois, mais quatre langues de Yougoslavie : le slovène, le croate, le serbe et le macédonien, et de mettre un terme à la domination du serbe sur le plan étatique et dans les institutions fédérales. Dans les années 1970 (époque appelée le « Printemps croate »), la langue littéraire croate est déclarée entité à part.
À la suite de la proclamation de la souveraineté de la Croatie (1991) et des guerres en Yougoslavie, les tendances puristes vouées à séparer le croate du serbe se renforcent, dénonçant et rejetant les « serbismes » et les « internationalismes »[43]. On réintroduit dans la langue de nombreux mots plus ou moins sortis de l’usage depuis des décennies, et on crée des néologismes à base slave.
Cette section traite de façon succincte des principaux aspects phonologiques, phonétiques et prosodiques du croate[44].
La correspondance graphie–prononciation
Le croate possède 32 phonèmes, son écriture étant en grande partie phonémique. Les lettres et les phonèmes correspondent entre eux comme suit :
Lettre | Transcription phonétique | Prononcée à peu près comme dans |
---|---|---|
A, a | /a/ | arc |
B, b | /b/ | bon |
C, c | /t͡s/ | tsar |
Č, č | /t͡ʃ/ | tchèque |
Ć, ć | /t͡ɕ/ | tien (t mouillé) |
D, d | /d/ | donner |
Đ, đ | /d͡ʑ/ | diable (d mouillé) |
DŽ, dž | /d͡ʒ/ | l’anglais gin |
E, e | /e/ | été |
F, f | /f/ | film |
G, g | /g/ | gare |
H, h | /x/ | entre le h aspiré de « hahaha » et le j espagnol de « Juan » |
I, i | /i/ | idée |
ije | /i͜j/[45] | pierre |
J, j | /j/ | yeux |
K, k | /k/ | kilo |
L, l | /l/ | lac (l plus dur qu'en français) |
Lj, lj | /ʎ/ | lien (l mouillé) |
M, m | /m/ | mal |
N, n | /n/ | nage |
Nj, nj | /ɲ/ | indigné |
O, o | /o/ | orange |
P, p | /p/ | pas |
R, r | /r/ | rare (r roulé) |
/r̥/[45] vocalique | – | |
S, s | /s/ | sac |
Š, š | /ʃ/ | chat |
T, t | /t/ | tour |
U, u | /u/ | ourlet |
V, v | /ʋ/ | voix |
Z, z | /z/ | zèle |
Ž, ž | /ʒ/ | jour |
Voyelles:
antérieure | centrale | postérieure | |
---|---|---|---|
Voyelle fermée | i /i/ | u /u/ | |
Aperture médiane | e /e/ ou /ɛ/ | o /o/ ou /ɔ/ | |
Voyelle ouverte | a /a/ |
Remarques :
- R entre deux consonnes ou en début de mot peut constituer un sommet de syllabe, comme les voyelles, par exemple dans vrt « jardin » et rzati « hennir ».
- L’orthographe croate est en principe phonémique, mais il y a des exceptions :
- Chaque voyelle peut être brève ou longue mais l’écriture habituelle ne les distingue pas : zlato [zlaːto] « or », ruka [ruːka] « main ».
- Les assimilations entre consonnes (voir plus bas) ne sont pas rendues par écrit en fin de mot : šef ga pita [ʃeːv] ga pita « le chef lui demande », zec [zeːd͡z] ga gleda « le lièvre le regarde ».
- Devant une consonne palatale ou alvéolo-palatale, š et ž deviennent alvéolo-palatales : grožđe ['groʑd͡ʑe] « raisin ». Ce n’est pas non plus rendu par écrit.
- Les noms propres des langues étrangères utilisant l’alphabet latin s’écrivent comme dans la langue d’origine mais se prononcent avec les sons du croate : Köln [keln], München [minhen].
Modifications phonétiques rendues par écrit
Alternance a ~ ∅ (appelée nepostojano a « a labile »)
Une voyelle [a] euphonique apparaît à certaines formes du nom, mais aussi de l’adjectif, et disparaît à d’autres formes. Par exemple, le radical du mot signifiant « vieillard » est starc-, son nominatif singulier étant starac mais au cours de la déclinaison le a tombe : starca « du vieillard » (génitif). Dans le cas des radicaux féminins terminés en deux consonnes, ce a est présent au génitif pluriel entre les deux consonnes : radical sestr-, nominatif singulier sestra, génitif pluriel sestara.
Alternance l ~ o
Les noms et les adjectifs terminés en -ao, -eo ou -io [ex. čitao sam « j’ai lu » (sujet masculin), anđeo « ange », cio « entier »] étaient à une époque de l’histoire de la langue terminés par un l dur (čital, anđel, cil) qui a évolué en o, mais seulement en fin de mot. Cet o redevient l s’il n’est plus en position finale, mais suivi d’une désinence ou d’un autre suffixe : čitala sam « je lisais » (sujet féminin), anđela « de l’ange » (génitif), cijela « entière ».
Assimilation des consonnes
Lorsque deux consonnes, l’une sourde et l’autre sonore arrivent en contact par ajout d’une désinence ou d’un autre suffixe à un mot, la première consonne est assimilée par la seconde (assimilation régressive) : assourdie si cette seconde consonne est sourde, sonorisée si elle est sonore. Ainsi,
les consonnes sonores | b, | g, | d, | đ, | z, | ž, | dž | deviennent | |
les consonnes sourdes | p, | k, | t, | ć, | s, | š, | č, | et vice-versa. |
Par exemple, dans le mot vrabac « moineau », /b/ alterne avec sa correspondante sourde /p/. Cette dernière apparaît lorsque le /a/ tombe entre /b/ et /t͡s/, cette dernière étant sourde et assimilant /b/ : vrapca « du moineau » (génitif singulier).
Palatalisations
Certaines consonnes terminant la forme du cas nominatif d’un nom ou se trouvant à la fin du radical d’un verbe, peuvent subir un changement appelé palatalisation, sous l’influence d’une voyelle commençant une désinence ou un autre suffixe. Les cas les plus fréquents :
- K, g et h devant e deviennent post-alvéolaires (par exemple au cas vocatif) :
- k > č – junak « héros » > junače! ;
- g > ž – drug « compagnon » > druže! ;
- h > š – duh « âme » > duše!.
- Les mêmes consonnes deviennent alvéolaires devant un i (par exemple au nominatif des masculins pluriels) :
- k > c – vojnik « soldat » > vojnici « soldats » ;
- g > z – bubreg « rein » > bubrezi ;
- h > s – trbuh « ventre » > trbusi.
- Dès l’époque du proto-slave il y a eu une palatalisation devant /j/ (prononcé comme « y » dans « yeux »), appelée aussi mouillure. Elle fait que, dans la langue actuelle, les consonnes ci-dessous deviennent :
- d et t alvéolo-palatales : d > đ, t > ć, par exemple au degré comparatif des adjectifs : mlad « jeune » > mlađi « plus jeune », žut « jaune » > žući ;
- l et n palatales : l > lj, n > nj : posoliti « saler » > posoljen « salé », jesen « automne » > jesenji « automnal » ;
- z et s post-alvéolaires : z > ž, s > š : Pariz « Paris » > Parižanin « Parisien », disati « respirer » > dišem « je respire ».
Accentuation
L’accent qui frappe l’une des voyelles d’un mot a un double caractère en croate. C’est un accent tonique ou d’intensité, c’est-à-dire la voyelle en cause est prononcée avec plus de force que les autres (comme en français), mais aussi un accent de hauteur, la voyelle frappée de l’accent tonique étant prononcée un ton plus haut ou plus bas que les autres. Il y a quatre sortes d’accent, des combinaisons entre le caractère descendant ou ascendant et la durée de la voyelle (longue ou brève). L’accent n’est noté que dans les ouvrages de linguistique, les manuels de langue et les dictionnaires. Leurs signes conventionnels sont ceux des exemples ci-dessous :
- accent long descendant : zlȃto « or » ;
- accent long ascendant : rúka « main » ;
- accent bref descendant : kȕća « maison » ;
- accent bref ascendent : žèna « femme ».
En croate, l’accent est mobile, avec quelques limitations, dont voici les principales :
- Dans les mots comportant plus d’une syllabe, l’accent descendant ne peut frapper que la première syllabe.
- Les mots monosyllabiques ne peuvent avoir qu’un accent descendant.
- Dans les mots polysyllabiques, l’accent peut frapper n’importe quelle voyelle, sauf la dernière, règle qui peut être appliquée aux mots étrangers, mais ce n’est pas obligatoire. Aussi, les mots français peuvent-ils être accentués sur leur avant-dernière ou leur dernière syllabe[49].
Les voyelles non accentuées peuvent également être longues ou brèves. Les longues sont notées, sauf dans les écrits ordinaires, par un macron ¯ (žèna « femme » / žénā « des femmes », le génitif pluriel du nom). Une syllabe longue atone ne peut se trouver qu’après une syllabe accentuée.
Comme on peut le voir dans cet exemple, le caractère de l’accent et la durée des voyelles ont une valeur fonctionnelle. Ici ils marquent deux cas différents dans la déclinaison. La place de l’accent a également une valeur fonctionnelle, par exemple dans la déclinaison des adjectifs à forme brève (voir plus bas Déclinaison des adjectifs).
Il y a aussi des mots qui ne sont jamais accentués et d’autres qui parfois le sont et d’autres fois ne le sont pas. La première catégorie est constituée par les enclitiques, c’est-à-dire les pronoms personnels atones, les formes atones des verbes auxiliaires et la particule li, et la deuxième par les proclitiques, c’est-à-dire les prépositions, les conjonctions et la particule négative ne. Les deux catégories de clitiques forment un seul mot (du point de vue prosodique) avec le mot à sens lexical de leur groupe, portant un seul accent : dans le cas d’un enclitique, l’accent frappe le mot à sens lexical, dans celui d’un proclitique, c’est ce dernier qui est accentué, à condition que l’accent du mot à sens lexical soit descendant. Exemples :
- la particule ne : ne‿zòvi (ne atone) « n’appelle pas », znȃm – nè‿znām (ne tonique) « je ne sais pas » ;
- prépositions : bez‿náde (bez atone) « sans espoir », grȃd – ȕ‿grād (u tonique) « en ville ».
Parmi les conjonctions il y en a qu’on ne peut pas accentuer, a « et », da « que » et i « et », à moins qu’elles ne soient suivies d’une pause : životinje ȋ, što je važno, ljudi « les animaux et, ce qui est important, les gens ».