Dissolution parlementaire (France)
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En France, le droit de procéder à une dissolution parlementaire, qui consiste à mettre prématurément fin au mandat d'une chambre du parlement, est attribué au chef de l'État ou, plus exceptionnellement, au gouvernement voire à l'une des chambres, et ce dans différents régimes depuis 1802 : Premier Empire, Restauration, monarchie de Juillet, Troisième, Quatrième et Cinquième républiques.
Elle est d'abord introduite, au profit du Sénat conservateur, dans la constitution de l'an X (1802). Toutefois, la dissolution, au sens véritablement parlementaire, est née en France à la Restauration, dans la charte de 1814 (article 50). L'usage de la dissolution a d'abord été assez conforme à la théorie parlementaire, avant de devenir, avec Charles X, une prérogative autoritaire. Sous la monarchie de Juillet, l'article 42 de la charte de 1830 prévoit à nouveau la dissolution, mais, cette fois-ci, un véritable système de responsabilité ministérielle se met en place. Les deux procédés s'équilibrent — motion de censure contre dissolution, — de telle sorte que la France connaît son premier régime parlementaire authentique, où le gouvernement devient réellement le point de contact entre ces deux organes fondamentaux que sont le monarque et la chambre élue.
Hors de la tradition parlementaire, le Second Empire, régime autoritaire, reconnaît à l'empereur le droit de dissoudre le Corps législatif.
Les lois constitutionnelles de 1875 reprennent le mécanisme orléaniste de la dissolution, en l'adaptant. Toutefois, la crise du 16 mai 1877 rend le procédé odieux aux républicains, et la dissolution ne sera plus utilisée durant le reste de la Troisième République, permettant ainsi à l'instabilité de la Chambre des députés de se développer sans sanction, ce qui entraîne une instabilité ministérielle s’aggravant de décennie en décennie.
Les constituants en 1946, édifiés par l'histoire récente de la France, maintiennent le droit de dissolution, mais en font une « dissolution automatique » face à l'instabilité de la chambre, et non une prérogative discrétionnaire du pouvoir exécutif. La pratique constitutionnelle de la Quatrième République a montré les limites de l'encadrement trop poussé du droit de dissolution : alors que les gouvernements tombaient sans répit, une seule dissolution eut lieu, en 1955. La constitution de 1958 a donc mis fin à l'encadrement de la dissolution : désormais, elle est une prérogative discrétionnaire du président de la République définie par son article 12.
Toutefois, la stabilité des majorités parlementaires acquise depuis les élections législatives de 1962 a fait disparaître la menace de la motion de censure sur les gouvernements. La dissolution, sous la Cinquième République, présente donc un visage différent de ce que la théorie du régime parlementaire enseigne : elle a été utilisée une seule fois pour résoudre un conflit entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif (en 1962), tandis que les autres dissolutions réalisées obéissent à des logiques différentes.
« Le Sénat, par des actes intitulés sénatus-consultes, […] dissout le Corps législatif et le Tribunat ; »
— Extrait de l'article 55 du sénatus-consulte organique de la Constitution du 16 thermidor an X (4 août 1802).
Le « sénatus-consulte organique de l'an X[N 1] », qui a instauré le Consulat à vie, ou « Consulat viager », est également le premier texte constitutionnel à mentionner la possibilité de mettre fin au mandat d'une des chambres législatives.
La procédure retenue est tout à fait exceptionnelle, et elle témoigne de ce que Napoléon Bonaparte n'envisageait pas le régime naissant comme un régime parlementaire, mais bien plutôt comme un régime autoritaire[m 1]. En effet, la dissolution du Tribunat ou du Corps législatif, deux des chambres d'un parlement tricaméral, est effectuée par un acte pris par le Sénat conservateur (un « sénatus-consulte »), mais dont l'initiative est réservée au gouvernement, c'est-à-dire au premier consul[m 2] (article 56 du sénatus-consulte). Il s'agit ici d'un mécanisme étrange, visant à assurer la soumission de chambres aux pouvoirs déjà restreints, et il est, à cet égard, notable de voir qu'aucun délai n'était prévu pour la convocation de la chambre renouvelée[m 1].
« Le Roi convoque chaque année les deux Chambres ; il les proroge, et peut dissoudre celle des députés des départements ; mais, dans ce cas, il doit en convoquer une nouvelle dans le délai de trois mois. »
— Article 50 de la charte constitutionnelle du 4 juin 1814.
Dès le projet de constitution proposé par le Sénat conservateur en [N 2], le droit, pour le monarque, de dissoudre la chambre basse du parlement apparaît. La charte constitutionnelle de 1814 confirme cette prérogative, largement admise par la pensée constitutionnelle de l'époque[m 3],[N 3].
Il s'agissait, au départ, pour les rédacteurs du texte, de garantir la prééminence du roi de France, et d'empêcher la Chambre des députés d'empiéter sur ses prérogatives[m 4]. Toutefois, il est rapidement devenu évident que la prééminence royale ne pouvait reposer que sur le soutien de la chambre basse à la politique menée par le gouvernement — soutien rendu difficile par l'inorganisation en partis politiques, — et donc sur un mécanisme réellement parlementaire de confiance du parlement dans le ministère. Dans ces conditions, le recours à la dissolution pour mettre fin à un conflit entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif revenait à faire du corps électoral (restreint à cause du suffrage censitaire) « l'arbitre en dernier ressort des institutions[m 4] ».
Une utilisation parlementaire du droit de dissolution jusqu'en 1830
Les trois dissolutions (en 1816 ; 1824 ; 1827) qui eurent lieu avant l'année 1830 sont toutes conformes à la théorie du régime parlementaire[N 4].
La première dissolution, le , correspond au cas où la majorité parlementaire est en conflit avec le gouvernement. En effet, la Chambre des députés élue en août 1815, la « Chambre introuvable », dont la majorité est ultra-royaliste, souhaite dominer le ministère Richelieu[m 5]. Afin de sauvegarder ses prérogatives gouvernementales contre l'emprise de la majorité parlementaire, Louis XVIII, poussé par Decazes, ministre de la Police, dissout la chambre basse, demandant au corps électoral d'arbitrer le conflit. Les élections sont d'ailleurs un large succès pour le roi et le gouvernement[m 5].
Les deux autres dissolutions, en 1824 et 1827, correspondent à une deuxième hypothèse, où le roi prévient, par la dissolution, un conflit possible entre le gouvernement et la chambre basse. À chaque fois, Charles X souhaite protéger le ministère Villèle, dont la majorité, qui existe toujours, est affaiblie à cause de circonstances politiques. Les élections de 1824 soutiennent le gouvernement Villèle, mais celles de 1827 amènent une majorité modérée. Le roi en tire la seule conséquence logique sur le plan politique, en nommant un modéré à la tête d'un nouveau ministère : c'est le gouvernement Martignac[m 5].
La dérive autoritaire : la dernière dissolution de 1830
En , renvoyant le ministère Martignac, modéré, Charles X nomme un ultra-royaliste, Jules de Polignac à la tête d'un nouveau gouvernement. Afin de résoudre le conflit entre la Chambre des députés, modérée, et le gouvernement ultra-royaliste, le roi fait appel, le , au corps électoral, conformément à la tradition parlementaire[m 5].
La logique parlementaire est en revanche battue en brèche lorsque Charles X refuse d'accepter le verdict des élections législatives, favorables aux modérés. Face au « pays légal », qui ne partage pas ses opinions politiques, il utilise l'article 14 de la charte de 1814[N 5] comme fondement juridique à une nouvelle dissolution, le , avant même la réunion de la nouvelle chambre[m 6] : une des quatre « ordonnances de Saint-Cloud » est justement celle qui dissout la Chambre des députés. Cette dissolution, ordonnée, n'eut jamais lieu en raison de la révolution des Trois Glorieuses.
En refusant le verdict des urnes en 1830, Charles X impose une vision autoritaire du système né en 1814, où la dissolution perd son caractère parlementaire, pour n'être plus qu'un outil de domination sur la chambre basse. Un véritable blocage constitutionnel naît ici, qui sera tranché, in fine, par la révolution des Trois Glorieuses[m 5].
« Le Roi convoque chaque année les deux Chambres : il les proroge et peut dissoudre celle des Députés ; mais, dans ce cas, il doit en convoquer une nouvelle dans le délai de trois mois. »
— Article 42 de la charte constitutionnelle du 14 août 1830.
La charte du 14 août 1830 n'est guère modifiée dans son texte même : les députés n'apportent que des retouches d'importance moyenne au texte de la charte de 1814[m 7]. L'essentiel du changement constitutionnel tient dans la conception nouvelle du texte : là où Louis XVIII avait fermement entendu « octroyer » la charte de 1814, Louis-Philippe Ier réalise un « pacte » avec la nation[c 1]. Si la nature de la légitimité à régner de Louis-Philippe Ier demeure controversée, entre ceux qui considèrent qu'il règne « parce que Bourbon[c 2] » — légitimité monarchique issue du droit du sang (Guizot), — et ceux qui pensent que la légitimité provient du peuple, Louis-Philippe Ier régnant alors « quoique Bourbon[c 3] » (Dupin), il n'en demeure pas moins que les deux théories s'accordaient à voir la nouvelle charte comme un pacte conclu entre le pays et le roi, et non plus comme une manifestation de la volonté unilatérale du monarque[m 8].
L'esprit général des institutions est transformé par les circonstances de la conception de la charte : à la négation de la souveraineté nationale que représentait la charte de 1814, se substitue un régime né d'une révolution et d'un appel fait par la chambre élue à un autre souverain. Désormais, deux centres de pouvoir distincts émergent donc : le roi et la chambre élue[m 6]. La charte de 1830 n'étant guère plus détaillée que sa devancière, il est surtout revenu à la pratique politique de mettre en œuvre ce compromis, mais l'essence du régime est d'ores et déjà parlementaire[m 6].
Une utilisation conforme à la théorie parlementaire
La pratique institutionnelle de la monarchie de Juillet est très riche en utilisations du droit de dissolution : aucune législature n'a terminé son mandat normal de cinq années[c 4]. On peut ainsi distinguer six dissolutions[m 9],[1],[2]:
- le (élections de 1831)[N 6] ;
- le (élections de 1834) ;
- le (élections de 1837) ;
- le (élections de 1839) ;
- le (élections de 1842) ;
- le (élections de 1846).
Ces nombreuses dissolutions n'ont jamais soulevé de protestations dans le pays, malgré l'usage intensif du procédé, qui aurait pu s'apparenter à un abus[c 4]. Bien souvent, la dissolution était réalisée à l'initiative du gouvernement, qui pouvait ainsi choisir le moment le plus opportun pour tenir de nouvelles élections, procédé parfaitement conforme au parlementarisme à l'anglaise[c 4].
Un système politique privant la dissolution de ses effets
Toutefois, malgré sa fréquente utilisation, le droit de dissolution n'eut guère d'effet, en dehors de la tenue des élections elle-même[m 10]. Les ministères, qui auraient dû bénéficier, grâce à la dissolution, de majorités renforcées et suffisantes pour mener une politique, sont sortis des élections aussi affaiblis qu'ils y étaient entrés, l'élection de 1846 mise à part[m 10].
La principale cause de ce manque d'effet est l'inorganisation des partis politiques : au contraire du modèle anglais, dominé à l'époque par les whigs et les conservateurs, le régime français pâtit de l'absence de partis qui structureraient le vote, la composition de la chambre, et définiraient des options politiques claires pour l'électeur[m 10].
Le résultat de cette inorganisation du vote est l'absence de majorité stable jusqu'en 1840, et l'inutilité, dans la quasi-totalité des cas, des élections, qui ne dégagent aucune majorité claire pour mener une politique définie[m 10]. La seule dissolution « réussie », en 1846, qui donne au ministère Guizot une majorité conservatrice renforcée, est un échec paradoxal : du fait du caractère censitaire du suffrage, la chambre n'est guère représentative des tendances politiques réelles du pays. Il s'ensuit que, appuyée sur une ferme majorité, la politique conservatrice et immobiliste en matière de loi électorale, que mène Guizot, finit par devenir insupportable au « pays réel », qui se révolte (révolution de 1848)[m 10].
Totalement absent de la constitution de 1848, le droit de dissolution reparaît avec la nouvelle constitution que Louis-Napoléon Bonaparte fait rédiger, sur la base du plébiscite qui a immédiatement suivi le coup d'État du 2 décembre 1851. L'instauration, à la fin de l'année 1852, du Second Empire, ne change pas les textes constitutionnels : le texte du 14 janvier 1852, qui mettait en place la « république décennale[N 7] », reste en vigueur, modifiée par le sénatus-consulte du 7 novembre 1852.
« Le président de la République convoque, ajourne, proroge et dissout le Corps législatif. En cas de dissolution, le président de la République doit en convoquer un nouveau dans le délai de six mois. »
— Article 46 de la constitution du 14 janvier 1852.
« En cas de dissolution du Corps législatif, et jusqu'à une nouvelle convocation, le Sénat, sur la proposition du président de la République, pourvoit, par des mesures d'urgence, à tout ce qui est nécessaire à la marche du gouvernement. »
— Article 33 de la constitution du 14 janvier 1852.
Entre 1852 et 1870, de nombreuses modifications constitutionnelles sont adoptées. Toutefois, durant cette période, le seul changement concernant la dissolution est l'adoption, par le peuple, d'une nouvelle constitution, après le plébiscite du 8 mai 1870 : le « sénatus-consulte du 21 mai 1870 fixant la Constitution de l'Empire ». Ce nouveau texte n'apporte qu'un léger changement à celui en vigueur depuis 1852, en supprimant la possibilité, pour le Sénat, de pourvoir par des mesures d'urgence aux nécessités liées à la marche de l'État, jusqu'à la convocation du Corps législatif après sa dissolution : la constitution de 1870 instaure un véritable bicaméralisme égalitaire entre les deux chambres[m 11].
« L'empereur convoque, ajourne, proroge et dissout le Corps législatif.
En cas de dissolution, l'empereur doit en convoquer un nouveau dans un délai de six mois.
L'empereur prononce la clôture des sessions du Corps législatif »
— Article 35 du sénatus-consulte du 21 mai 1870 fixant la Constitution de l'Empire.
En raison des différents procédés mis en œuvre pour « neutraliser » le suffrage universel et le rendre conforme aux volontés du pouvoir politique (comme les « candidatures officielles »), le Corps législatif ne fut jamais une chambre dangereuse pour le gouvernement. Une seule dissolution a ainsi eu lieu[m 12], en 1857. Napoléon III souhaita en effet écourter d'une année le mandat du premier Corps législatif, afin de montrer à toute l'Europe que le régime impérial était populaire[3].
La dissolution de l'Assemblée nationale est visée en ces termes à l'article 5 de la loi constitutionnelle du 25 février 1875 :
« Le Président de la République peut, sur l'avis conforme du Sénat, dissoudre la Chambre des députés avant l'expiration légale de son mandat.
En ce cas, les collèges électoraux sont convoqués pour de nouvelles élections dans le délai de trois mois. »
— Article 5 de la loi constitutionnelle du 25 février 1875 relative à l'organisation des pouvoirs publics.
L'apparition de la dissolution dans un régime républicain
C'est la première fois qu'un régime républicain en France prévoit un droit de dissolution, au profit d'une autorité exécutive, contre la chambre élue au suffrage universel. Ce pouvoir est une « importation » directe depuis la charte de 1830, dont les lois constitutionnelles sont inspirées[m 13]. Le délai de « trois mois » lui-même reprend une disposition similaire de l'article 42 de la charte de 1830.
Le point original de la dissolution sous la Troisième République est le rôle très important du Sénat : celui-ci dispose de la faculté d'autoriser ou non la dissolution. Il est ainsi placé en position d'arbitre des conflits entre le président et la Chambre des députés[m 13]. La solution pouvait paraître tempérer le pouvoir exorbitant, aux yeux des républicains, que l'on donnait là au président de la République — et il est significatif que l'amendement ayant inclus cette autorisation préalable soit venu de Henri Wallon, « le père de la République », — mais elle rendait surtout l'hypothèse de la dissolution très improbable si les majorités des deux chambres concordaient[m 13].
La crise du 16 mai 1877 : première et dernière utilisation de la dissolution
Cette prérogative, fondamentale en régime parlementaire, n'a été utilisée qu'une fois sous la Troisième République, lors de la crise du 16 mai 1877, par le président Mac Mahon[L 1]. Si la dissolution était conforme à la lettre et à l'esprit orléaniste de la constitution[m 14], elle fut considérée par les républicains comme une tentative de coup d'État par les monarchistes, car elle faisait suite au refus des chambres d'investir des gouvernements choisis par le président de la République issu du camp monarchiste.
Ainsi « grevée d'une hypothèse d'antirépublicanisme[c 5] », la dissolution déjà mal vue des républicains, fut abandonnée définitivement par la Troisième République, et timidement réintroduite par la Quatrième. Le 6 février 1879, le nouveau président Jules Grévy, dans le message adressé aux chambres pour le remercier de son élection à la présidence de la République le 30 janvier de la même année, a ces mots fameux : « Je n'entrerai jamais en lutte contre la volonté nationale exprimée par ses organes constitutionnels[m 14]. »
Désormais, avec un Sénat majoritairement républicain depuis le , et une présidence républicaine, le droit de dissolution tombe dans l'oubli, modifiant si radicalement l'interprétation de la constitution que l'on a parlé de « constitution Grévy[m 14] ». Le gouvernement, sans la protection de la dissolution, se retrouve malmené sans cesse par les deux chambres du parlement, et l'instabilité de la Troisième République trouve là ses racines.
La réflexion constitutionnelle française, après 1918, devant la crise profonde que connaissait le régime, proposa parfois de réintroduire la dissolution dans la pratique politique, en la libérant de l'avis conforme du Sénat, et, dans certains projets, en la confiant au président du Conseil : ainsi le projet de réforme de l'État de Gaston Doumergue. Les réformes proposées ne furent jamais adoptées.
La dissolution dans le projet de constitution d'avril
Le premier projet constitutionnel rédigé par la première Assemblée constituante comportait deux hypothèses de dissolution. D'abord, l'article 84 du projet prévoyait un mécanisme sensiblement équivalent à celui de l'article 51 de la constitution de 1946[N 8], où la survenance de deux crises dans une même session annuelle, dans les conditions prévues par la constitution, aurait pu emporter la dissolution de la chambre unique, si la moitié de la législature était déjà écoulée. Cette dissolution aurait été décidée en Conseil des ministres, et ordonnée par décret du président de la République[m 15]. Par ailleurs, comme dans le texte définitif, la dissolution par le gouvernement aurait fait, en même temps, totalement disparaître celui-ci, là où la constitution définitive ne renverra que le président du Conseil et le ministre de l'intérieur.
La procédure la plus originale était celle prévue par l'article 83 du projet :
« L'Assemblée nationale a le droit de prononcer sa dissolution par une résolution votée à la majorité des deux tiers des députés. »
— Article 83 du projet de constitution du 19 avril 1946.
Cette procédure serait revenue, pour l'Assemblée, à vouloir mettre fin à une large majorité à ses propres divisions[m 15].
Dans les deux cas, il faut noter que l'initiative de la dissolution serait revenue, directement ou indirectement, à la chambre uniquement : le droit de dissoudre n'était absolument pas considéré comme un moyen, pour le gouvernement, de se protéger de la chambre[m 15].
Le maintien d'une procédure contraignante dans la constitution définitive
La dissolution de l'Assemblée nationale uniquement, non du Conseil de la République, est prévue par deux articles :
« Si, au cours d'une même période de dix-huit mois, deux crises ministérielles surviennent dans les conditions prévues aux articles 49 et 50, la dissolution de l'Assemblée nationale pourra être décidée en Conseil des ministres, après avis du président de l'Assemblée. La dissolution sera prononcée, conformément à cette décision, par décret du président de la République.
Les dispositions de l'alinéa précédent ne sont applicables qu'à l'expiration des dix-huit premiers mois de la législature. »
— Article 51 de la constitution de 1946.
« En cas de dissolution, le cabinet, à l'exception du président du Conseil et du ministre de l'intérieur, reste en fonction pour expédier les affaires courantes.
Le président de la République désigne le président de l'Assemblée nationale comme président du Conseil. Celui-ci désigne le nouveau ministre de l'intérieur en accord avec le bureau de l'Assemblée nationale. Il désigne comme ministres d'État des membres des groupes non représentés au gouvernement.
Les élections générales ont lieu vingt jours au moins, trente jours au plus après la dissolution.
L'Assemblée nationale se réunit de plein droit le troisième jeudi qui suit son élection »
— Article 52 de la constitution de 1946.
Une procédure très complexe
En réaction aux excès de la Troisième République, qui avaient été, en partie, rendus possibles par la disparition, dans les faits, du droit de dissolution après la crise du 16 mai 1877, les constituants de 1946, que ce soit dans le projet de constitution d'avril, refusé par référendum[N 9],[m 16], ou dans celui, accepté, d'octobre, ont prévu une dissolution.
Toutefois, il ne s'agit pas d'un pouvoir de dissolution discrétionnaire du chef de l'État, comme dans les lois constitutionnelles de 1875. La dissolution appartient en effet au Conseil des ministres, qui l'exerce sous deux conditions : deux crises ministérielles, au moins, doivent avoir eu lieu dans les conditions des articles 49 et 50 de la constitution, au cours d'une même période de dix-huit mois, et l'on doit se trouver dans la période au-delà des dix-huit premiers mois de la législature. On se trouve ici face à un « raffinement technique[c 6] » de la dissolution, mais aussi face à un véritable « mécanisme », presque automatique, qui n'a rien de commun avec la dissolution parlementaire traditionnelle, qui est le contrepoids de la responsabilité du gouvernement[c 6].
Il faut par ailleurs remarquer que cette dissolution est une arme unique d'anéantissement mutuel : dissoudre l'Assemblée nationale oblige le président du Conseil à quitter ses fonctions, et à être remplacé par le président de l'Assemblée dissoute. Les constituants craignaient que le maintien du président du Conseil ayant dissous la chambre n'ait une influence sur les élections à venir[m 16]. Cette disposition montre que la dissolution n'est pas conçue ici comme une manière de mettre fin au conflit entre le gouvernement et la chambre, mais comme une manière de sortir l'Assemblée nationale d'une situation inextricable, où aucune majorité ne se dégage[c 6].
Un mécanisme incapable de mettre fin à l'instabilité ministérielle
Le caractère très mécanique de la dissolution a eu un défaut majeur : le gouvernement reste, en réalité, sans défense face aux humeurs de la chambre, puisqu'il ne peut dissoudre que si des conditions très précises sont réunies. Ces conditions rendent, en pratique, la dissolution inutile.
La pratique institutionnelle héritée de la Troisième République n'a en effet pas tardé à reprendre le dessus : les gouvernements n'ont pas eu le courage de résister face à l'Assemblée nationale, alors que les mécanismes constitutionnels de censure n'étaient pas utilisés. La « question de confiance », notamment, constitutionnellement encadrée, a été rarement posée par le président du Conseil, qui préférait simplement prévenir que, si l'Assemblée ne votait pas comme il le lui demandait, il démissionnerait[m 17]. Cette « pseudo-question de confiance[m 18] » empêche de comptabiliser la chute du gouvernement, pourtant provoquée par la chambre, dans les crises ministérielles de l'article 51.
L'Assemblée nationale a utilisé une autre méthode, le « vote calibré » : elle s'arrangeait pour refuser la confiance à une majorité inférieure à celle prévue par la constitution, de façon à montrer au gouvernement qu'elle le désavouait, sans que la chute provoquée soit comptée[m 18]. On distingue clairement, dans ce cas, le poids de la tradition de la Troisième République, le poids des usages[m 17].
Ainsi détournée, la constitution, qui s'en préoccupait déjà mal, ne protégeait plus le gouvernement. Malgré l'instabilité ministérielle record — vingt-quatre gouvernements en onze années, avec des périodes de crise entre deux gouvernements de plus en plus longues, jusqu'à un mois pour former un nouvel attelage, — une seule dissolution eut lieu, le , alors qu'Edgar Faure était président du Conseil[L 2].
Date de la dissolution | Auteur de la dissolution | Nouvelles élections | Législature | Nom de la chambre dissoute | Référence | |
---|---|---|---|---|---|---|
Ancienne (date d'élection) | Nouvelle | |||||
Restauration (1815-1830) | ||||||
Louis XVIII, roi de France | 14 et 28 août 1815 | Chambre des Cent-Jours (mai 1815) | « Chambre introuvable » (Ire législature) | Chambre des représentants | [L 3],[m 19] | |
25 septembre et 4 octobre 1816 | « Chambre introuvable » (1815) | IIe législature | Chambre des députés | [L 4],[m 4] | ||
25 février et 6 mars 1824 | IIIe législature (1820) | IVe législature (« Chambre retrouvée ») | [m 19] | |||
Charles X, roi de France | 17 et 24 novembre 1827 | IVe législature (1824) | Ve législature | [L 5],[m 19] | ||
5, 13 et 19 juillet 1830 | Ve législature (1827) | (VIe législature) Ire législature de la monarchie de Juillet[T 1] | [L 6],[m 19] | |||
Aucune[T 2] | VIe législature (1830) | Aucune | [L 7],[m 5] | |||
Monarchie de Juillet (1830-1848) | ||||||
Louis-Philippe Ier, roi des Français | 5 juillet 1831 | Ire législature (1830) | IIe législature | Chambre des députés | [L 8],[m 6] | |
21 juin 1834 | IIe législature (1831) | IIIe législature | [L 9],[m 6] | |||
4 novembre 1837 | IIIe législature (1834) | IVe législature | [L 10],[m 20] | |||
2 et 6 mars 1839 | IVe législature (1837) | Ve législature | [L 11],[m 20] | |||
9 juillet 1842 | Ve législature (1839) | VIe législature | [L 12],[m 21] | |||
1er août 1846 | VIe législature (1842) | VIIe législature | [m 20] | |||
Deuxième République (1848-1852) | ||||||
[T 3] | Gouvernement provisoire | 23 et 24 avril 1848 | VIIe législature de la monarchie de Juillet (1846) | Assemblée nationale constituante | Chambre des députés | [L 13],[m 22] |
Second Empire (1852-1870) | ||||||
Napoléon III, empereur des Français | 21 juin et 5 juillet 1857 | Ire législature (1852) | IIe législature | Corps législatif | [L 14],[m 23] | |
Troisième République (1870-1940) | ||||||
[T 4] | Gouvernement de la Défense nationale | 8 février 1871[T 5] | IIIe législature (1869) | Assemblée nationale constituante | Corps législatif | [L 15] |
[T 6] | Patrice de Mac-Mahon, président de la République française | 14 et 28 octobre 1877 | Ire législature (1876) | IIe législature | Chambre des députés | [L 1],[m 24] |
Quatrième République (1946-1958) | ||||||
Gouvernement Edgar Faure | 2 janvier 1956 | IIe législature (1951) | IIIe législature | Assemblée nationale | [L 2] | |
Notes du tableau | ||||||
|