Débarquement de la baie des Cochons
Opération militaire amphibie d'avril 1961 / De Wikipedia, l'encyclopédie encyclopedia
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Le débarquement de la baie des Cochons est une tentative d'invasion militaire de Cuba par des exilés cubains soutenus par les États-Unis en avril 1961. Planifiée sous l'administration de Dwight D. Eisenhower, et organisée par la CIA, l'opération fut lancée au début du mandat de John F. Kennedy. Elle visait à faire débarquer à Cuba, le , environ mille quatre cents exilés cubains recrutés et entraînés aux États-Unis par la CIA. Leur objectif était de renverser le nouveau gouvernement cubain établi par Fidel Castro, qui menait une politique économique défavorable aux intérêts américains et se rapprochait de l'URSS[1]. L'opération fut un échec complet et les prémices d'une grave et profonde dissension entre la présidence et les services secrets américains[2],[3].
Date |
– (2 jours) |
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Lieu | Baie des Cochons, Cuba |
Casus belli | Révolution cubaine |
Issue | Victoire du gouvernement cubain ; Fidel Castro se déclara ouvertement communiste et renforça son alliance avec l'URSS |
Cuba | Brigade 2506 États-Unis |
Fidel Castro José Ramón Fernández Juan Almeida Bosque Raúl Castro Che Guevara |
Pepe San Román Erneido Oliva John F. Kennedy |
25 000 soldats 200 000 miliciens 9 000 policiers (dans toute l'île, la plupart de ces forces ne furent pas engagées dans la bataille) |
1 500 hommes 8 avions B-26 |
176 morts 300 blessés |
114 morts 1 202 prisonniers (dont 360 blessés) 4 morts |
Coordonnées | 22° 13′ 00″ nord, 81° 10′ 00″ ouest |
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Après leur arrivée au pouvoir en 1959, à la suite du départ du dictateur Fulgencio Batista, le , les révolutionnaires castristes menés par Fidel Castro engagèrent une politique de révolution agraire, entraînant la nationalisation des terres des grands propriétaires. En mai 1959, la réforme agraire élaborée par Che Guevara est publiée. Elle fixait le minimum de possession de la terre à 27 hectares et plafonnait le maximum à 400 hectares[4]. La nationalisation enlève aussi aux grands propriétaires terriens cubains leurs latifundios et minifundios ; la main d'œuvre ne leur appartient plus et ils ne bénéficient plus ou très peu des richesses qu'ils tiraient de leurs terres[5].
Dans un premier temps, l'administration américaine, sous la présidence Eisenhower, reconnut le nouveau régime, considérant la fin du régime de Fulgencio Batista, qu'elle avait soutenu, comme une opportunité constructive tout en continuant à appliquer les règles de la doctrine Monroe en vigueur depuis 1823[2]. Le programme annoncé par Fidel Castro de démocratie, d'élections libres et de progrès social semblait compatible dans un premier temps avec les intérêts des États-Unis, en regard de la corruption du régime précédent et de son impopularité grandissante auprès de la population civile[2]. En outre, Washington envisageait de maîtriser la révolution grâce à la possibilité d'une aide économique au nouveau régime[6].
Or, dès avril 1959, à l'issue du voyage officiel à Washington de Fidel Castro, le vice-président Richard Nixon conclut qu'il ne serait pas possible d'entretenir des relations constructives avec le nouveau régime et qu'il fallait le renverser notamment en armant et en entraînant militairement les exilés anti-castristes.
En effet, la révolution cubaine s'accompagnait d'une vague de nationalisation de toutes les entreprises américaines qui intervint le 6 juillet et d'une réforme agraire menaçant les intérêts des États-Unis[6]. En effet, théoriquement libre depuis la modification de sa constitution en 1934, l'île de Cuba restait sous la très étroite tutelle politique et économique de leur puissant voisin nord-américain : par exemple 50 % des terres arables, 90 % des mines et 100 % des raffineries appartenaient à des compagnies américaines[7].
Parallèlement, le gouvernement révolutionnaire cubain amorça également un rapprochement diplomatique et commercial avec l'URSS[3], alors en pleine guerre froide avec les États-Unis, ce qui renforça les inquiétudes stratégiques de ces derniers. Les États-Unis instaurèrent des restrictions commerciales en 1960 et finalement un embargo total contre l'île ; tous les échanges commerciaux Cuba/États-Unis prirent fin, notamment les exportations importantes de sucre de canne que Cuba envoyait à l'acheteur nord-américain[5]. Véritable colonne vertébrale économique, l'exploitation de la canne à sucre représentait alors 80 % des exportations de Cuba, ce qui affectait profondément l'économie cubaine[6].
Le 17 mars 1960, le président Eisenhower signa un décret donnant le feu vert à toutes les tentatives de déstabilisation du régime castriste et d'assassinat de ses leaders. Parmi les premières mesures, fut adopté le principe de l'entraînement des exilés anti-castristes dans des camps situés au Guatemala. En août, la CIA contacta la mafia (ou Cosa nostra) américaine à Chicago pour tenter d'élaborer un projet d'assassinats simultanés de Fidel Castro, Raúl Castro et Che Guevara. En échange, si l'opération réussissait et qu'un gouvernement pro-américain était restauré à Cuba, les États-Unis s'engageaient à ce que la mafia y récupère « le monopole des jeux, de la prostitution et de la drogue »[8]. En effet, pour l'organisation criminelle, la révolution cubaine avait été la plus grave et coûteuse déroute de son histoire avec une perte chiffrée à 100 millions de dollars annuels soit l'équivalent de 900 millions de dollars en 2013 après la fermeture des casinos, des lieux de prostitution et de trafic de stupéfiants[9].
Fin juillet 1960, Che Guevara indiquait que le régime cubain s'était aligné politiquement sur l'URSS. Parallèlement, Fidel Castro affirmait le « devoir des peuples d'Amérique latine de récupérer leurs richesses nationales » et annonçait la nationalisation des intérêts économiques que possédaient les États-Unis à Cuba. L'administration américaine classera dès lors le régime cubain comme ennemi. En janvier 1961, le gouvernement de Dwight Eisenhower rompit toutes relations diplomatiques avec Cuba[10].
En , le président Eisenhower approuva un budget de treize millions de dollars pour financer l'opération paramilitaire contre le régime castriste, mais demandera qu'aucun membre de l'armée américaine ne soit impliqué[7]. L'opération, connue sous le nom de code de Pluton[11], devait apparaître comme un conflit interne cubain[12].
La première préoccupation dans la préparation de l'opération fut pour les autorités américaines de ne pas apparaître comme le soutien logistique et financier de l'opération et de demeurer invisibles[12]. Pour ce faire, au sein de la Central Intelligence Agency, une unité spécialement dédiée pour l'opération, la WH-4, donc ne transitant pas par les circuits classiques de l'agence de renseignement, fut fondée par Allen Dulles, le directeur de la CIA, Richard Bissell, son adjoint responsable des opérations spéciales et le général Charles Cabell[6]. Les agents choisis pour diriger l'opération avaient pour la plupart participé au renversement du président du Guatemala Jacobo Arbenz en 1953 (opération PB/Success)[13].
Au sein du département d'État, les responsables des affaires latino-américaines et cubaines furent maintenus également dans l'ignorance[6]. Au sein du Pentagone, les membres du Comité des chefs d'état-major interarmées, s'ils furent consultés à titre personnel, ne le furent pas pour l'organisation militaire de l'opération et ne purent fournir d'expertise militaire. Ainsi, le , l'amiral Robert Dennison, commandant en chef de l'Atlantique, estimait qu'aucun des plans dressés jusque-là par la CIA n'était viable[7].
Lors du recrutement même du futur leader du groupe d'invasion, l'agent Franck Bender indiqua à Manuel Airtime (ancien directeur de l'Institut national de la réforme agraire), la chose suivante : « Rappelez vous bien ceci, Manolo, je ne travaille pas pour le gouvernement américain. Je suis au service d'un groupe extrêmement puissant qui lutte contre le communisme[12]. »
La CIA appliquait la doctrine de son directeur Allen Dulles suivant laquelle : « On peut échapper à la culpabilité en instaurant une chaîne de commandement assez floue pour ne laisser aucune preuve de son passage[7]. » L'objectif était pour l'agence de renseignement d'éviter toute implication et au travers d'elle, celui du gouvernement des États-Unis, conformément aux ordres donnés par la Maison Blanche.
D'une guérilla à un débarquement
L'objectif initial de la CIA était le suivant :
Le , la CIA établissait le plan définitif de l'invasion :
Par la suite le projet évolua au sein de la CIA pendant la période de transition entre l'administration Eisenhower et Kennedy. Le , l'amiral Robert Dennison, commandant en chef de l'Atlantique, avait annoncé après analyses qu'aucun des plans de la CIA n'était viable en réalité. L'objectif devint alors de débarquer une force de 1 400 opposants cubains, qu'elle avait recrutés et formés, afin qu'ils établissent une tête de pont[6] après un débarquement amphibie[15] avec une neutralisation préalable des moyens de riposte de l'armée cubaine, à savoir l'aviation et la marine par un bombardement aérien[7]. Mesurant ses forces, l'objectif de la troupe contre-révolutionnaire n'était pas de s'emparer de La Havane et de la totalité de l'île mais de conquérir une portion relativement importante du territoire par des combats internes[6], pour y établir un « gouvernement provisoire » grâce à la structure politique du Cuban Revolutionary Council, installé à Miami[14] avec à sa tête Miró Cardona, aussitôt reconnu par les États-Unis, qui réclamerait (et obtiendrait) une intervention militaire américaine[16].
Toutefois, malgré ce changement d'envergure, la CIA, désireuse de conserver la direction exclusive de l'opération n'inclut pas dans la gestion de l'opération le Pentagone qui disposait pourtant d'une expertise militaire dans la matière[15].
Le choix des organisateurs pour diriger la brigade se porta sur un ancien officier cubain, Jose Perez San Ronan[6] et son adjoint Erneido Oliva[12]. Les hommes étaient préparés dans des camps au Guatemala (le camp Trax situé à 2 000 mètres d'altitude qui offrait les mêmes conditions climatiques qu'à Cuba[17]) et en Floride, à Fort Gullick dans la région du canal de Panama et sur la base militaire américaine de Vieques à Porto Rico. La brigade était constituée de l'ensemble des couches sociales de la population cubaine en majorité de la classe moyenne, soit opposées au nouveau pouvoir cubain soit des anciens soutiens de Batista. La troupe hétéroclite était composée par des paysans, des médecins, des mécaniciens, des musiciens, des dessinateurs, des avocats, des géologues, des journalistes, des artistes, des instituteurs, des employés administratifs et de bureau, des bergers, des banquiers, des militaires et des hommes d'église[12].
Pour tromper d'éventuelles actions d'espionnage et pour effectuer une campagne de désinformation, le numéro des volontaires démarra à partir du numéro 2 500 pour tromper la surveillance cubaine sur le nombre réel des volontaires. Ce fut en l'honneur du dissident cubain Carlos Rodriguez Santana tué au cours d'un entraînement le , que la brigade se mit à porter le numéro de série 2 506 de son blason[12].
Parallèlement, une opération de désinformation par les ondes fut mise en place avec la création le , d'une station de radio nommée Swan, dirigée par l'agent de la CIA David Atlee Phillips, et destinée à la population présente sur l'île. Elle diffusait de la propagande anti-communiste[7]. L'agent de la branche Executive Action de la CIA, Howard E. Hunt, vétéran de l'opération menée au Guatemala, reçut la mission de former un gouvernement d'exilés avec pour mission de remplacer Fidel Castro à la suite de l'invasion de l'île[18].
En parallèle, des opérations de déstabilisation du régime castriste sous la forme de destructions de récoltes agricoles (notamment les champs de canne à sucre, principale ressource économique de l'île), industriel (comme les raffineries de pétrole) et portuaire (avec des destructions de navires) furent menées durant toute la période précédant l'opération de débarquement ainsi que de la propagande sous la forme de tracts diffusés par voie aérienne eut lieu[18].
Les dernières évolutions dans le plan
Face au risque de crise diplomatique notamment avec l'URSS, et en pleine guerre froide, l'administration Kennedy, successeur d'Eisenhower, qui privilégiait les considérations politiques par rapport à la tactique militaire, et qui ne voulait pas que les États-Unis soient perçus comme l'envahisseur, requit plusieurs changements : modification du lieu de débarquement de Trinidad, cité balnéaire de 18 000 habitants vers une autre zone moins peuplée de Cuba afin de diminuer la visibilité liée à l'opération. En second, toujours pour réduire la visibilité de l'opération et notamment le soutien par les États-Unis, le président demanda à ce que le nombre d'appareils B-26 pour la première frappe aérienne fut réduit. Ils passèrent de seize à huit appareils. Enfin, le débarquement devait avoir lieu de nuit[7].
Le 11 mars, Richard Bissel présenta 4 nouveaux plans différents qui furent refusés par la présidence qui donna 3 jours pour proposer un nouveau plan[19].
En réponse, la CIA présenta à l'état-major conjoint trois opérations alternatives les 14 et : une modification du plan Trinidad, un débarquement sur une zone au nord-est de Cuba et un débarquement sur la nouvelle zone de Zapata[18],[19].
Dans ce dernier cas, il prenait en compte la proximité de la capitale cubaine de La Havane à moins de soixante kilomètres et la proximité d'une piste d'aéroport mais pas l'absence de zone portuaire équipée pour recevoir des navires et la zone marécageuse inhospitalière et infestée d'une faune sauvage rendant toute manœuvre de repli vers les montagnes de l'Escambria, foyer de guérilla anti-castriste mal soutenue par la CIA, extrêmement difficile[15]. L'état major valida la troisième opération de débarquement à Zapata mais indiqua qu'aucun des concepts alternatifs présentés n'était considéré comme réalisable et surtout susceptible d'atteindre l'objectif défini dans le plan d'invasion initial sur Trinidad.
Cependant, le , ces trois plans alternatifs étaient présentés à la Maison-Blanche par Richard Bissell et Allen Dulles et le , assurant que cette opération réussirait avec des chances supérieures à celles de l'opération PBSuccess au Guatemala. Après plusieurs vifs débats internes, l'opération Zapata fut validée par la présidence[18].
Dès novembre 1960, au cours de la passation de pouvoirs, le futur président John F. Kennedy fut informé des opérations et des plans destinés à renverser le régime de Fidel Castro par Allen Dulles et Richard Bissell, respectivement directeur et responsable des opérations clandestines de la CIA. Le 19 janvier 1961, il fut reçu par le président sortant, Dwight Eisenhower où ils abordèrent la nécessité de changer le régime installé à la Havane. Ce dernier recommanda alors au président nouvellement élu d'agir rapidement contre Cuba[20]. En effet, une livraison d'avions MiG devait intervenir à la suite de la visite en URSS du frère de Fidel Castro, Raúl Castro, qui garantirait la supériorité aérienne cubaine dans le ciel à partir du printemps 1961[12].
Toutefois, l'administration Kennedy hérita directement des divisions au sein même de l'appareil d'État américain. Initialement prévue pour l'automne 1960, l'opération fut décommandée une première fois par le président Eisenhower avec l'accord de Kennedy. En effet, si la CIA et le Pentagone étaient convaincus pour une intervention armée contre le régime castriste, le département d'État penchait davantage pour une solution de pourrissement indiquant qu'il fallait « laisser assez de corde à Castro pour pouvoir se pendre ». En parallèle, la communauté des réfugiés cubains anti-castristes demandait une action contre le régime de Fidel Castro[6]. Pourtant élu sur une ligne politique plus dure contre Cuba, face au candidat républicain Richard Nixon durant la campagne présidentielle de 1960, John F. Kennedy héritait de fait d'un plan imaginé et conçu par l'administration Eisenhower et devait composer et arbitrer avec l'ensemble des forces en action sur ce sujet au sein du Conseil de sécurité nationale[6]. Le , le président tenta d'amener le département d'État, la CIA et le département de la Défense à une action commune et coordonnée, ce qui s'avera être impossible en raison de la différence des points de vue[7].
Allen Dulles, le chef de la CIA, afin de rassurer le président Kennedy, initialement fort réservé sur le projet[6], en raison des menaces de l'URSS sur la partie ouest de Berlin en Allemagne alors divisé en deux, insista sur le fait qu'une fois le débarquement lancé, ce dernier ferait naître mécaniquement l'insurrection derrière les lignes cubaines et des défections dans le camp de Castro[20] en se basant sur la certitude, sur la foi des rapports d'analyse, d'un soutien populaire de l'invasion dans la société cubaine[11].
Le 11 mars fut également indiqué au président par Allen Dulles et Richard Bissell que le Guatemala ne tolérerait pas la présence des camps d'entrainement d'anti-castristes au-delà du , que le potentiel d'entrainement de la brigade était à son maximum (malgré une mutinerie incluant 500 exilés cubains dans le camp du Guatemala intervenue fin janvier). Enfin, en cas de dissolution, la présidence prenait le risque de renvoyer dans leurs foyers nombre de cubains déçus devant l'absence de fermeté des États-Unis[6]. En outre, le chef de la CIA insistait sur le fait qu'en cas de succès, qu'il considérait comme certain[19], le prestige du président nouvellement élu serait renforcé sur le plan international[21].
De fait, à la suite des modifications apportées sur le plan initial comme demandé (voir paragraphe précédent), sur la foi des rapports de la CIA et malgré l'avis de Dean Rusk et Chester Bowles, le dossier d'analyses du sénateur J. William Fulbright[note 1] et les interrogations de Dean Acheson, le président John F. Kennedy, renouvela l'accord d'aide pour l'invasion des anti-castristes aux dirigeants de la CIA à la condition impérative que les États-Unis n'interviendraient en aucun cas militairement[2],[20],[6]. En outre, le président se réserva le droit d'annuler l'opération jusqu'à 24 h avant son démarrage si la situation internationale l'exigeait[6]. De même, bien que l'opération soit menée par la CIA, avec la subordination des chefs d'état-major, le président conservait le droit d'intervenir sur l'emploi de la force armée et notamment aérienne[12].
Enfin, le , au cours de sa conférence de presse hebdomadaire, le président réaffirma publiquement que les États-Unis n'interviendraient en aucun cas en cas d'attaque contre Cuba[12] :
Le 14 avril, l'opération fut confirmée par la présidence[18].
12 avril : les prémices de l'opération
La troupe d'invasion fut regroupée le à Puerto Cabezas, un port sur la côte atlantique du Nicaragua. Elle fut embarquée sur cinq cargos simples non munis de protection, sauf antiaérienne : le Houston, le Barbara J, le Blagar, le Caribe et le Rio Escondido de la compagnie Garcia Line, dirigée par un exilé cubain permettant de camoufler la participation des États-Unis par voie maritime. Ils étaient appuyés par 2 navires d'escorte[12]. Les barges de débarquement étaient des canots de 5 m de long de style hors bord mais non prévues pour le débarquement de troupes[12]. Lors de l'embarquement, les agents de la CIA assurèrent aux volontaires cubains, en montrant les appareils B-26 maquillés aux couleurs cubaines et stationnés sur la base, que la maîtrise de l'air serait assurée pour le débarquement[12].
15 avril : démarrage du bombardement aérien et diversion médiatique
Le matin du samedi 15 avril 1961, huit bombardiers américains B-26 peints aux couleurs cubaines (dans l'intention de faire croire qu'il s'agissait d'une rébellion cubaine et non d'une attaque américaine), en violation des conventions internationales, décollèrent du Nicaragua et attaquèrent les bases aériennes de La Havane et de Santiago (sud). Les avions américains bombardèrent les aéroports et aérodromes du pays, détruisant une grande partie des avions au sol (civils et militaires). Les principaux bombardements touchèrent Ciudad Libertad, La Havane, San Antonio et Santiago de Cuba. La moitié des appareils de l'aviation militaire cubaine ainsi que des avions civils sont détruits au sol[22]. Sept victimes cubaines sont également relevées[11].
Un des B-26 qui avaient bombardé les sites, criblé de balles, demanda un atterrissage d'urgence en Floride. Le pilote, se présentant comme un membre de l'armée cubaine et déserteur, indiqua aux journalistes qu'avec d'autres militaires, il avait décidé de se rebeller et de prendre la fuite après avoir bombardé plusieurs sites[11]. Cette opération d'intoxication, qui avait été montée intégralement par la CIA, fut défendue par l'ambassadeur des États-Unis, Adlai Stevenson, laissé dans l'ignorance, à l'ONU (où il sera d'ailleurs en conséquence ridiculisé)[11]. Les journalistes américains découvrirent cependant rapidement la fraude[17] ce qui influença les décisions de l'administration Kennedy par la suite et notamment les bombardements prévus[11],[23]. Adlai Stevenson câbla en urgence auprès de Dean Rusk pour l'alerter du risque d'un scandale pour les États-Unis d'un niveau équivalent à celui provoqué par la chute de l'U2 du pilote Francis Gary Powers abattu au-dessus de l'URSS.
Cependant, Castro a caché ses avions hors des bases militaires : groupés par trois, camouflés et défendus par des batteries anti-aérienne, quatorze à quinze appareils sont restés intacts et joueront un rôle décisif 48 heures après. De plus, l'ensemble des forces armées sont placées en état d'alerte. Fidel Castro déclara alors « si ces attaques aériennes sont un prélude à une invasion, le pays est prêt à se battre et résistera et détruira les forces qui tentent d'envahir notre pays ».
Le même jour, en réaction au bombardement, Fidel Castro fait déployer les forces militaires sur l'île et les leaders rejoignent leur poste de commandement respectifs : Raúl Castro dans la province d'Oriente (partie orientale), Che Guevara à Pinar del Rio (partie occidentale), Juan Almeida Bosque à Santa Clara (partie centrale), Ramiro Valdes au contre-espionnage et Guillermo Garcia au centre tactique de La Havane[7].
16 avril : les premières réactions diplomatiques et premières opérations en mer
Le dimanche 16 avril, lors de l'enterrement des sept victimes des bombardements, Fidel Castro, après avoir comparé le débarquement à l'attaque de Pearl Harbor, lança : « Ce que les impérialistes ne peuvent nous pardonner, c'est d'avoir fait triompher une révolution socialiste juste sous le nez des États-Unis »[6]. Il fait diffuser à la population les ordres suivants :
En parallèle, l'annonce cubaine d'une invasion fut très mal accueillie dans les milieux diplomatiques y compris à Washington D.C.. De fait, elle contribua à faire annuler le second raid prévu de B-26 par Dean Rusk, ce qui fut confirmé par le président Kennedy[6],[2], faisant passer en priorité les exigences politiques par rapport aux opérations militaires sur le terrain[23].
Entre-temps, arrivée en face de Playa Larga, la brigade anti-castriste préparait son débarquement. À 23 h, cinq hommes grenouilles dont des agents de la CIA qui avaient tenu à accompagner les anti-castristes (malgré les ordres reçus qui leur interdisaient de le faire), débarquèrent du cargo Blagar[12] pour pouvoir gagner la plage et guider les premières barges de débarquement[6].
17 avril : débarquement handicapé et résistance cubaine inattendue
Le lendemain, le 17 avril vers 1 h 15, la brigade 2506 débarqua en deux endroits, à Playa Larga et Playa Girón, c'est-à-dire au fond et à l'entrée orientale de la baie des Cochons, à 202 km au sud-est de La Havane et à 25 km l'une de l'autre. Un troisième débarquement, prévu dans l'anse de la Caleta Buena (entre les deux plages), ne put avoir lieu.
Au large, des cargos et de nombreux autres bâtiments de guerre américains sont destinés à consolider la tête de pont. Les exilés cubains, qui débarquent dans une région rurale dont les habitants ont bénéficié des réformes agraires mises en place par le gouvernement de Castro, ne reçoivent pas le soutien espéré de la part des populations civiles[7].
Dès le débarquement, les troupes sont repérées par les miliciens, eux aussi placés en état d'alerte depuis le bombardement du 15 avril, qui transmettent l'information au commandement militaire cubain. La brigade, grâce à son armement moderne, prend rapidement le dessus sur les miliciens[11].
Dès que l'alerte est transmise, Fidel Castro, qui se trouve alors à la Havane, donne l'ordre à un premier bataillon de 900 soldats stationnés sur la route de Playa Larga d'intervenir et fait bloquer les trois seules routes d'accès qui traversent le marécage. En parallèle, les forces aériennes cubaines et les miliciens reçoivent l'ordre d'attaquer la force d'invasion dès l'aube. La brigade, qui d'après le plan initial était censée livrer des combats dans les terres et bénéficier de la supériorité aérienne, se retrouvée clouée sur les plages[6]. Des dizaines de péniches soumises au feu cubain sont alors coulées[21], obligeant les cargos à reculer pour se mettre hors de portée des tirs[12].
Bien qu'épaulée par un régiment de parachutistes largué le même jour avec l'objectif de prendre d'assaut et de verrouiller les trois routes qui mènent à la baie des Cochons, la brigade est rapidement arrêtée par des tirs de mortiers des miliciens, tandis que les actions conjuguées de la défense aérienne et de l'aviation cubaine, dont les pilotes ont été formés aux États-Unis, se révélent particulièrement efficaces pour mitrailler les hommes et bombarder les bateaux de la brigade[21],[11]. Des soldats de la brigade tentent également de se replier vers les montagnes de l'Escambria au travers du marais ceinturant la plage, mais sont rapidement repoussés par l'armée cubaine.
Parallèlement, afin de gagner la bataille médiatique par les ondes et inciter la population cubaine à la rébellion, le poste Radio Swan, dans le cadre de sa campagne d'intoxication, incite l'armée cubaine à se révolter en faisant croire que l'invasion est en passe de réussir. Elle diffuse également la fausse information du suicide de Raúl Castro[7].
18 avril : combats sur la plage et escarmouches diplomatiques
Au matin, les deux têtes de la brigade 2506 parviennent à se rejoindre malgré le feu de l'armée cubaine.
À l'ONU, à New York, dès le matin, l'enceinte de l'institution est le théâtre d'un intense combat diplomatique entre les États-Unis et l'URSS. Cette dernière somme les États-Unis de « mettre fin à l'agression contre la République de Cuba » et indique qu'elle se réserve « le droit, au cas où l'intervention contre Cuba ne cesserait pas sur l'heure, de prendre, conjointement avec d'autres États, les mesures nécessaires pour porter assistance à la République de Cuba »[7].
À 10 h, les États-Unis nient toute implication de leur part dans l'intervention militaire sur le sol cubain et réaffirment leur droit à protéger l'hémisphère de toute agression extérieure.
À 12 h, sur la plage, une des têtes de pont de la brigade a cédé et les suivantes sont sur le point de le faire.
À Washington, un nouveau raid aérien avec des avions maquillés aux couleurs cubaines avec des munitions au napalm et pilotés par des américains est autorisé à 14 h[7]. Au sol, les troupes cubaines sont prises par surprise par les bombardements tandis que les anti-castristes tirent sur les appareils censés les aider.
Parallèlement, des manifestations de soutien, notamment devant les ambassades de Cuba, ont lieu à travers le monde entier[11].
19 avril : reddition de la brigade et implication américaine
Vers une heure du matin, la présidence américaine, au vu des rapports alarmants, autorisa un raid d'une heure, de 6 h 30 à 7 h 30 par des jets non identifiables mais avec l'interdiction d'engager le combat[7].
Richard Bissell sollicita la présidence pour obtenir l'intervention des forces armées aériennes de l'US Navy stationnées à proximité. Le président John F. Kennedy refusa et ne concéda que l'escorte par des avions de l'US Navy du nouveau raid des B-26. Cette protection, du fait de la mauvaise organisation de l'armée qui avait oublié la différence des fuseaux horaires entre le Nicaragua et Cuba[12], ne put avoir lieu. Les escadrilles ne se rencontrèrent pas et les quatre B-26 de ce raid, arrivés une heure trop tôt virent deux d'entre eux abattus par les forces aériennes cubaines[2],[12]. Les pilotes décédés, qui étaient de nationalité américaine après la défection des pilotes cubains anti-castristes inquiétés par les tirs de la DCA cubaine, contribuèrent à mettre en avant la responsabilité et l'implication des États-Unis, à la suite des déclarations de la délégation cubaine au sein de l'enceinte de l'ONU[7].
L'intervention de la milice et des troupes de Fidel Castro, appuyés par la dizaine d'avions militaires cubains encore en état et par les chars non détruits par les raids précédents des B-26, continuait à accroître la pression sur les troupes de la brigade. Rapidement à court de munitions, l'aviation cubaine ayant coulé le seul cargo porteur de ces dernières le cargo Rio Escondido porteur de 145 tonnes d'armement et de réserves de carburant[23],[19], les combattants anti-castristes se rendirent à l'armée cubaine le 19 avril après 72 h de combat[24]. À 14 h, sur Playa Larga, tandis que les forces au sol se rendaient, le commandant de la Brigade 2506 envoyait son dernier message : « Je détruis tout l'équipement et les communications. Je n'ai plus rien pour me battre. Je pars vers les bois. Je ne peux pas vous attendre »[7].
Quelques dizaines de combattants dont les trois chefs de la brigade seront capturés dans les jours suivants dans les marécages après avoir échappé au quadrillage des troupes cubaines pendant plusieurs jours[24] et notamment Manuel Airtime qui tint treize jours. Vingt-deux hommes ayant réussi à s'échapper par la plage dériveront pendant quinze jours, recourant au cannibalisme, avant d'être secourus en mer[12].
Fidel Castro, arrivé par la suite sur la plage du débarquement tira à l'aide d'un SU-100 sur l'un des cargos échoués, le Houston, faisant coup au but lors du second tir. En fin d'après-midi, il communiquait sur l'invasion :
Le soir, il effectuait la revue des prisonniers de la brigade. Un de ses membres, Enrique Ruiz Williams, qui avait dissimulé une arme, tenta de l'assassiner avant d'être neutralisé par le service de sécurité[12].
Après la bataille, Che Guevara soutint des discours de moralité auprès de certains des prisonniers : un curé phalangiste qui demanda pardon mais qui fut bientôt renvoyé en Espagne, un play-boy qui plaida aussi non coupable et ne voulut pas être confondu avec les « sbires », un Noir à qui Guevara fit la leçon : « tu es venu te battre dans une invasion financée par un pays où règne la ségrégation raciale, pour permettre aux jeunes gens biens de récupérer leurs clubs privés, tu as moins d'excuses que les autres »[16].
Bilan militaire
114 anti-castristes furent tués et 1 189 furent faits prisonniers. De plus, quatre pilotes civils aux commandes des B-26 abattus par l'aviation cubaine furent également perdus. En effet, la CIA avait, en outre, oublié d'informer les responsables politiques qu'à la suite de la défection des pilotes cubains, ces derniers avaient de fait été remplacés par des pilotes civils de nationalité américaine[2]. Contrairement aux analyses de la CIA, aucune tentative d'insurrection intérieure contre le pouvoir en place ne fut observée[22].
Acceptation de la défaite et reconnaissance de l'implication des États-Unis
Les États-Unis furent dénoncés à l'échelle internationale comme une puissance agressive à l'égard de l'île de Cuba[21]. De fait, les tentatives de l'administration Kennedy pour tenter de se dédouaner de toute implication des États-Unis dans cette tentative d'invasion furent vaines auprès de l'opinion publique nationale et internationale. Le président John F. Kennedy accepta l'entière responsabilité de l'opération et de l'humiliation vécue par les États-Unis le durant une conférence de presse[22]. Ce fut la première véritable épreuve de son mandat présidentiel au bout des cent premiers jours[2]. Il déclara à son conseiller Arthur Schlesinger Jr :
Libération des prisonniers
Les prisonniers de l'opération furent libérés le après un accord portant sur une somme globale de 53 millions de dollars, soit 47 000 dollars par prisonnier libéré[11], incluant de la nourriture, des fournitures agricoles et des médicaments[24], pour lesquels, Robert Kennedy, le procureur général américain, dut notamment faire pression sur les laboratoires pharmaceutiques américains[2]. Les négociations furent menées par l'avocat d'affaires James B. Donovan, ancien agent de l'OSS (l'ancêtre de la CIA), qui était intervenu auparavant dans l'échange du pilote de l'avion espion U-2, Gary Powers, abattu en 1960 au-dessus de l'URSS[12].
Les membres survivants de la brigade furent reçus par le président John Fitzgerald Kennedy et son épouse Jacqueline Kennedy, le aux États-Unis à Miami à l'Orange Bowl. Au cours d'une cérémonie, le drapeau de la brigade fut remis au président des États-Unis[25] qui, emporté par l'émotion[2], déclara alors : « Je vous assure que ce drapeau vous sera rendu dans une Havane libre. » Toutefois, en 1976, le drapeau fut redemandé pour promesse non tenue. Il fut renvoyé aux survivants de la brigade 2506 par voie postale[22].
Quelque 300 vétérans de la brigade intégrèrent par la suite les services secrets américains. Ils furent dépêchés fin 1962 au Congo pour soutenir les troupes de Joseph-Désiré Mobutu, prirent part à l'opération Phoenix au Viêt Nam, à la traque de Che Guevara en Bolivie, à des actions de déstabilisation du gouvernement chilien de Salvador Allende[13].