Espagne franquiste
régime autoritaire espagnol (1939-1975) / De Wikipedia, l'encyclopédie encyclopedia
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Espagne franquiste et franquisme (en espagnol : franquismo) sont des noms non officiels utilisés pour désigner le régime politique de l'Espagne fondé par le général Francisco Franco, de 1936/1939 (guerre civile) à 1977 (premières élections libres durant le processus de transition démocratique). Le franquisme s'appuie sur une idéologie conservatrice et nationale-catholique, qui s'incarne dans des institutions autoritaires (parti unique, censure, juridictions d'exception, etc.). Au cours de cette période, l'Espagne est désignée sur le plan du droit international par le nom d'État espagnol[1].
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(38 ans, 2 mois et 14 jours)
Drapeau de l'Espagne de 1945 à 1977. |
Armoiries de l'Espagne de 1945 à 1977. |
Devise |
en espagnol : Una, Grande y Libre (« Une, grande et libre ») |
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Hymne | Marcha Granadera |
Statut |
Dictature nationale-catholique à parti unique. Monarchie (régence) à partir de 1947. |
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Capitale | Madrid |
Langue(s) | Espagnol |
Religion | Catholicisme |
Monnaie | Peseta |
Population | |
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• 1940 | 25 877 971 hab. |
• 1975 | 35 563 535 hab. |
Superficie (1940) | 796 030 km2 |
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1936–1939 | Guerre d'Espagne. |
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Fin de la Guerre d'Espagne. | |
Référendum sur la loi de succession du chef de l'État. | |
Mort de Francisco Franco. | |
Avril 1977 | Dissolution du Movimiento. |
Premières élections libres depuis le début du régime franquiste. |
1939–1975 | Francisco Franco |
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1975–2014 | Juan Carlos Ier (Prince d'Espagne de 1969 à 1975) |
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1939–1973 | Francisco Franco |
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1973 | Luis Carrero Blanco |
1973–1976 | Carlos Arias Navarro |
1976–1981 | Adolfo Suárez |
Parlement monocaméral | Cortes Españolas |
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Entités précédentes :
Entités suivantes :
Le franquisme, tiré du nom du général Franco, repose davantage sur la personnalité du dictateur que sur une idéologie bien définie. Franco, bien que considéré comme peu charismatique, réussit à conserver son pouvoir quasiment sans limite jusqu'à sa mort en 1975. Pendant la durée de son régime, il n'y a en Espagne aucune constitution formelle, mais seulement un petit nombre de textes fondamentaux édictés par Franco et de rang constitutionnel. Le Caudillo tient dans ses mains toutes les rênes, nommant les titulaires de tous les postes politiquement importants sur la base de ses rapports de confiance personnels, jusqu'au niveau des provinces. En outre, il garde le contrôle sur les institutions auxquelles il a donné des délégations de pouvoir ou qu'il ne peut ignorer — notamment le parti unique Movimiento Nacional, l'Église catholique et l'armée — en jouant sans cesse l'une contre l'autre.
Aux yeux de ses élites, le franquisme tire pour l'essentiel sa légitimité de la victoire militaire de ses partisans en 1939, laquelle est interprétée non seulement comme une victoire de leur vision du monde, mais bien plus comme une défense de la civilisation et des cultures espagnole et occidentale. Dans la mesure où le catholicisme constitue une partie intégrante de la culture espagnole, on en arrive à une collaboration entre l'Église et l'État dans le cadre du nacional-catolicismo (national-catholicisme).
L'État franquiste a enregistré des évolutions importantes au cours de ses 39 années d'existence, principalement dans le domaine économique et la politique internationale, plus accessoirement en politique intérieure. C'est pourquoi on peut diviser l'ère de la dictature en plusieurs phases.
Le franquisme triomphant de 1939 (despotisme pendant lequel des représailles massives sont exercées sur les populations appartenant au courant des vaincus) montre un certain nombre de ressemblances avec les régimes fascistes de son temps, tout en ayant des traits d'économie planifiée, et se nourrit des vertus martiales et des mythes impérialistes. Lui succédera une étape moralisante et pieuse qui fait du prêtre le héros espagnol par excellence. Avec la fin de la Seconde Guerre mondiale, les phalangistes les plus radicaux sont progressivement écartés, au profit des conservateurs plus traditionnels. Après la guerre, dans le cadre de la guerre froide, les impératifs diplomatiques et économiques mettront un terme à l'autarcie, tandis que l'Espagne se place aux côtés des États-Unis : la croissance économique succède à une longue phase de stagnation. Mais ces progrès ne sont accompagnés d'aucune ouverture politique. Et après quelques tentatives de libéralisation dans les années 1960, les années 1970 voient le régime se crisper avant de s'achever dans une nouvelle vague de répression.
La voie de Franco vers le pouvoir
La domination de Franco débute en 1936 pendant la guerre d'Espagne ou guerre civile espagnole, parmi les parties d'Espagne engagées dans la coalition nationaliste espagnole. Le point de départ est un putsch contre le gouvernement de la Seconde République, élu quelques mois auparavant parmi une coalition de Front populaire. Dans la capitale par intérim de Burgos, une Junta provisoire voit le jour dès la première semaine de la guerre civile. Elle supprime immédiatement tous les syndicats et partis politiques, ainsi que les droits d'autonomie des régions, et interdit les grèves[2].
Franco, auparavant connu de la droite espagnole pour avoir écrasé la Révolution de 1934, est aidé par une propagande efficace faite autour de la victoire à Tolède, et par le soutien particulier de Hitler, qui voit en lui le plus prometteur des généraux putschistes, pour prendre un rôle de leader dans cette Junta. Le , la Junta et les représentants des forces fascistes amies — l'Allemagne nazie et l'Italie fasciste — nomment Franco Generalísimo (généralissime) de toutes les forces armées. De même, ce , la Junta Técnica del Estado est fondée en vue d'installer un État provisoire. À partir de cette date, Franco est le dictateur sans limite du parti des citoyens nationalistes espagnols. C'est pourquoi le deviendra ultérieurement dans le calendrier franquiste le « jour du Caudillo ». Les rivaux possibles, les généraux Sanjurjo et Mola, se tuent en avion pendant la guerre civile (les et ).
Tous les membres du frente nacional, le Front national, ne combattent pas — contrairement ce qui est rapporté de manière simpliste — sous les insignes et dans l'optique du fascisme. La coalition repose plutôt sur un plus petit commun dénominateur : celui du souhait d'une autre Espagne, issu d'un anticommunisme rigide, ainsi que l'aversion contre la démocratie en général, et en particulier contre le gouvernement de Front populaire au pouvoir (Frente popular). Les attaquants pendant la guerre civile consistent en une coalition entre des partis, des mouvements et des sympathisants des droites : à la fois radicale et plus modérée. Ceux-ci comprennent les gros propriétaires terriens (latifundistes), le parti catholique de droite (CEDA), le mouvement académique catholique laïc Acción Católica (Action catholique), comme aussi les monarchistes et les carlistes, jusqu'au seul groupe que l'on peut tenir à quelque bon droit pour fasciste, la Falange Española[3] — étant entendu que les limites du fascisme sont floues dans certaines organisations, comme en particulier dans l'organisation de jeunesse de la CEDA, les Juventudes de Acción Popular (JAP)[n 1].
Selon l'opinion de nombreux historiens, la guerre civile remet au premier plan, et de façon violente, de vieux conflits datant au moins de l'époque des guerres napoléoniennes. La société espagnole est divisée de manière irréconciliable (concept des dos Españas, des « deux Espagne »). La guerre civile n'est que peu reliée aux conflits politiques, idéologiques ou sociaux de l'Europe d'alors[n 2]. « Pendant de nombreuses années, [l'Espagne a été] manœuvrée dans un état désespéré de chaos et d'anarchie, par des erreurs politiques et le déplacement de vieux maux sociaux et politiques (…) »[4].
Les putschistes n'ont pas de but politique ou de plan d'action clairs, comme le montre la tentative avortée de putsch de Sanjurjo de 1932. Les généraux participants s'attendent en effet à pouvoir étendre leur domination sur tout le pays en quelques jours, sans s'appuyer sur des alliés comme la Phalange (les carlistes ont, eux, pris part à la conjuration). À part quelques slogans, et des idées sur ce qu'il faudra faire, il n'y a pas pendant plusieurs mois de concept plus poussé sur un ordre à instaurer après la guerre, et qui pourrait réunir tous les membres du front national.
Dans le détail, les buts politiques des participants à la coalition sont presque totalement incompatibles. Franco voit le danger de l'échec, et s’efforce alors de réunir sous sa direction les forces participant à la guerre civile du côté nationaliste, et de porter la grandeur symbolique au-dessus du sens de la bataille contre la république.
L'avancée en direction de la Phalange
Francisco Franco ne peut pas se satisfaire à la longue du rôle de leader de la Junta. Selon son propre aveu, il veut éviter les fautes du dictateur espagnol précédent, Miguel Primo de Rivera dont la dictature entre 1923 et 1930 n'a jamais dépassé une « dictature militaire personnelle du style latino-américain »[5], parce que sa domination n'avait jamais eu quelque inspiration politique, doctrine ou structure que ce soit. Pour réunir les droites espagnoles sous sa direction, il faut un creuset approprié. Il le trouve dans la Falange Española de las JONS, qui en raison de son principe de direction, caudillaje (leadership), paraît particulièrement approprié.
La Phalange espagnole, fondée en 1933, s'associe dès 1934, donc à l'époque de la Seconde République, avec la Juntas de Ofensiva Nacional Sindicalista (JONS : Unions des offensives national-syndicalistes) qui lui est proche d'esprit, pour former la Falange Española de las JONS. La même année, la nouvelle organisation s'accorde sur un programme politique en 27 points, prônant notamment la suppression de la démocratie et l'instauration d'un syndicalisme national. Ce dernier comprend l'enregistrement de la population dans des organisations professionnelles. Finalement, le phalangisme se limite à l'adhésion obligatoire de tous les travailleurs à ces syndicats. De plus, le programme contient des exigences sur la nationalisation des banques et une réforme agraire radicale.
Le chef de la Phalange, José Antonio Primo de Rivera, fils de Miguel Primo de Rivera, glorifie le métier des armes, comme Mussolini. Le chef des JONS, Ramiro Ledesma Ramos, qui sera exclu de la Phalange en 1935, est ouvertement un admirateur des chemises noires, qui ont répandu la terreur en Italie à l'époque de la marche sur Rome (automne 1922). L'influence de ce parti avec ses quelque 8 à 10 milliers d'adhérents reste négligeable pendant toute la Seconde République : ainsi en 1936, lors des élections, il n'obtient pas un seul siège[3]. Il n'appartient pas non plus aux auteurs du pronunciamiento de . Bien que la Phalange soit informée des plans du putsch, elle n'en fait pas partie.
Le , José Antonio Primo de Rivera, emprisonné depuis mars, est exécuté par la République espagnole après jugement : le parti se retrouve sans chef. Franco (qui dira à Beevor qu'il a personnellement empêché une tentative de remise en liberté, pour ne pas être exposé dans son propre camp à un rival charismatique[6]) s'efforce de se placer à la hussarde comme caudillo (meneur) du mouvement phalangiste affaibli et contesté, à la place du chef par intérim Manuel Hedilla. Il n'a jamais appartenu précédemment à la Phalange, et ne se situe pas politiquement proche d'elle. Cette élévation de Franco à Caudillo est quelque peu due au hasard. S'il s'était présenté un autre mouvement de constitution comparable, et également utilisable pour la domination, Franco s'en serait aussi bien servi. De plus, Primo de Rivera junior avait averti ses adhérents :
« Faites attention aux gens de droite… La Phalange n'est pas une force conservatrice ; n'adhérez pas comme extérieurs à un mouvement qui ne va pas conduire à un État national-syndicaliste. » Apparemment il savait qu'une telle tentative se profilait à l'horizon […] Quelques jours seulement avant l'éclatement de la révolution nationaliste, le , il écrit à un ami : « Une des pires choses serait une dictature national-républicaine. Une autre tentative que je crains est… la domination d'un fascisme faux, conservateur, sans courage révolutionnaire et sans sang jeune. […] » Ce qu'il craint est exactement ce qui est arrivé. »
— Carsten 1968, p. 237
Franco montre bientôt qu'il a capturé la Phalange principalement en vue de prendre le pouvoir, et comme attache pour les partis et mouvements du frente nacional. Ernst Nolte va jusqu'à dire que « le fascisme espagnol n'est pas seulement allié aux forces conservatrices, mais qu'il en est l'esclave »[7]. Franco ne s’identifie que peu avec les buts proclamés de la Phalange : il change certains points et exigences du programme qui, composé maintenant de 26 points, est élevé au rang de doctrine d'État, bien que Franco le désigne comme un point de départ, qui devra évoluer selon les nécessités du temps. Et c'est pourquoi il reprend les points de la Phalange, et qu'il les laisse tomber quand cela lui paraît opportun.
« Le général Franco n'avait pas la moindre intention de reprendre les solutions révolutionnaires et les exigences de la Phalange, avec lesquelles il n'avait pas la moindre sympathie. Il était un conservateur de la vieille école et le soulèvement des généraux était un putsch, et non la révolution sociale et nationale dont la Phalange avait rêvé. […] Comme il [Primo de Rivera jun.] ne pouvait plus déranger les cercles du régime, il a été le martyr officiel et le saint protecteur de la dictature de Franco, une dictature dont il aurait certainement été un adversaire éclairé, s'il avait pu vivre plus longtemps »
— Carsten 1968, p. 237 sq
La fondation du parti d'État franquiste
Le est la date exacte de naissance de l'État franquiste. Ce jour-là, la Phalange, révolutionnaire et antimonarchiste, est liée à la Comunión Tradicionalista carliste monarchiste et absolutiste, c'est-à-dire à l'exact opposé dans le spectre des mouvements de droite, pour former le parti unitaire Falange Española Tradicionalista y de las JONS. Cette union originale d'un mouvement révolutionnaire avec un réactionnaire[n 3] arrive sous l'action du beau-frère de Franco, Ramón Serrano Súñer, qui lui-même n'appartient ni à la Phalange, ni aux carlistes, mais à la CEDA. Serrano a proposé l'union à Franco, car d'après lui, aucune des fractions participant à la coalition ne correspond aux « nécessités du moment ». Lui-même devient, sur le souhait de Franco, le premier secrétaire général du nouveau parti et s'occupe d'en coordonner les diverses parties. Il n'y arrive cependant pas complètement, parce que certains des phalangistes ne veulent pas suivre le nouveau cap. Néanmoins, les organisations précédemment indépendantes laissent l'union se constituer, parce que Franco leur met en perspective une participation au pouvoir après la fin de la guerre civile.
« Le mépris olympien que ressentait Franco pour les Espagnols, pour ses amis et ses ennemis, s'est exprimé dès le début dans la conception de l'État à la tête duquel il se désigna. […] Soutenu par un conglomérat confus de fascistes qui se nomment « phalangistes » (c.à.d. républicains et syndicalistes), « traditionalistes » (carlistes enracinés dans la religion) et Juntas de ofensiva nacional sindicalista (nazis sauce à l'ail), il pétrit tout ce monde comme une pâte à pain, l'âme en paix, pour faire une Falange Española Tradicionalista y de las JONS. Peut-on imaginer une plus grande vexation infligée à ces trois groupes aux idéologies fondamentalement différentes ? Mais ils l'ont écouté sans frémir, puis enthousiasmés, parce qu'il s'agissait pour eux de rien moins qu'un pouvoir politique, à usage exclusif et monopoliste. »
— Madariaga 1979, p. 450
Par cet engrènement des deux parties très différentes, Franco dispose les traits de base du système franquiste : d'une coalition lâche sort un mouvement sous la direction unique de Franco. Bientôt se joignent au mouvement les monarchistes légitimistes, tandis que d'autres organisations comme la CEDA sont à ce moment déjà dissoutes.
La nouvelle organisation F.E.T. y de las JONS, appelée Movimiento Nacional se détache sous maints aspects de l'idéologie et des buts de la « vieille » Phalange : des buts conservateurs et monarchistes passent au premier plan, et on ne parle plus de réforme agraire. Par ailleurs, des points centraux du programme phalangiste, comme le syndicalisme, sont préservés. La F.E.T. y de las JONS représente, en raison de son hétérogénéité, un compromis qui offre quelque chose à tous : aux antimonarchistes espagnols aussi bien qu'aux fidèles du roi, de l'ancienne droite aux phalangistes fascistes, d'orientation parfois social-révolutionnaire.
C'est ainsi que peu à peu, toutes les forces politiques du parti nationaliste de la guerre se réunissent sous la direction de Franco, tandis qu'inversement le spectre politique du côté des républicains — encore plus hétérogène que le parti nationaliste[8] — devient de plus en plus fissuré et (comme à Barcelone au printemps 1937) comporte des guerres civiles au sein de la guerre civile. « Tandis que la gauche se retrouve divisée sur presque toutes les questions importantes, la droite se retrouve de plus en plus resserrée »[9]. À côté des livraisons d'armes par les Italiens, cette approche close est la base de la victoire de la cause nationaliste sur la République au printemps 1939. Le franquisme règne alors sur toute l'Espagne.
Le régime qui a pris forme à partir du s'appuie sur une idéologie conservatrice et nationale-catholique, qui va s'incarner dans des institutions autoritaires : (parti unique, censure, juridictions d'exception, etc.).
Une branche féminine est également créée, la Sección Femenina, qui défend une vision très conservatrice du rôle des femmes, estimant qu'elles se doivent de rester soumises aux hommes et de se consacrer à leur foyer. Elle s'oppose également à une participation directe des femmes dans la vie politique du pays : « La seule mission assignée aux femmes est le foyer »[10]. Les organisations féministes sont dissoutes. Le droit de vote des femmes, qui avait été accordé en 1931, est toutefois maintenu par le régime franquiste.
Les principales caractéristiques de cette dictature évolueront en plusieurs étapes durant les 37 années de régime. Au franquisme triomphant de 1939, qui se nourrit des vertus martiales et des mythes impérialistes, succèdera une étape moraliste et pieuse qui fait du prêtre le héros espagnol par excellence. Avec le tournant de la Seconde Guerre mondiale, les phalangistes les plus radicaux sont progressivement écartés, au profit des conservateurs plus traditionnels[11]. Après la guerre, les impératifs diplomatiques et économiques mettront un terme à l'autarcie, l'Espagne se plaçant aux côtés des États-Unis. Enfin, après quelques tentatives d'ouverture dans les années 1960, les années 1970 voient le régime se crisper pour se terminer finalement dans une nouvelle vague de répression.
Toutefois, bien que l'Espagne se rapproche des États-Unis et des Occidentaux, elle n'a jamais reconnu l'État d'Israël et s'est toujours opposée à sa reconnaissance[12].
La dictature de Franco commence après la victoire militaire par une phase d'environ cinq ans de purges violentes, suivie par une ère idéologiquement marquée, où il essaie d'imposer les bases d'une économie planifiée. À partir de la fin des années 1950, jusqu'à la mort de Franco, suit une longue période de léthargie politique et sociale, qui contraste avec une reviviscence notable sur le plan économique.
Les circonstances qui font que le franquisme peut se maintenir presque quarante ans après les phases précédentes d'instabilité politique, peuvent être rapportées principalement au fait que Franco, après la guerre civile, se trouve dans une position qui lui donne une puissance pratiquement absolue et lui permet de former son système de domination comme bon lui semble.
La « période bleue »
Incarné dans le soi-disant Estado Nuevo, le franquisme se montre pendant les années de guerre civile et dans l'immédiat après-guerre comme un despotisme brutal dans un pays dévasté, en banqueroute et économiquement à terre. Cette période de répression est appelée « terreur bleue » en référence à la couleur de la Phalange. Dès le début de la guerre, dans les régions contrôlées par le parti nationaliste, dominent la répression, la torture et la vengeance sur les opposants politiques. La société espagnole se partage entre vainqueurs et vaincus, et « les vaincus, qui ont incarné aux yeux de Franco le mal absolu, doivent payer et expier »[13]. Dès le un décret sur la « conduite à l'égard des malfaiteurs politiques » est promulgué, qui soumet à une peine les activités considérées par Franco comme subversives, rétroactivement jusqu'en 1934[14].
Derrière les crimes du camp nationaliste, on peut voir, comme l'écrit l'historien Carlos Collado Seidel une « intention tendanciellement génocidaire », qui veut nettoyer l'Espagne par l'« anéantissement physique de toute vie considérée comme non-espagnole »[15]. L'attaché de presse de Franco déclare sur procès-verbal qu'afin d'éradiquer le cancer du marxisme du corps espagnol dans une opération sanglante, il aurait fallu éliminer un tiers de la population masculine[16]. Dans cette intention d'anéantissement, il faut, selon beaucoup d'historiens, faire une différence avec les répressions du côté républicain commises pendant la guerre (et quantitativement bien moindres)[n 5],[17],[18]. Dans ce programme de Reconquista, la mise au pas des femmes républicaines, qualifiées de « femmes pourries par le virus marxiste » passe, outre les assassinats, par des campagnes de viol déléguées aux « Maures », les Africains professionnels enrôlés dans l'armée, et par de traumatisantes et humiliantes actions collectives de tontes de leurs cheveux, suivies d'expositions publiques et de tortures[19].
Le nombre d'exécutions à motif politique est estimé à plusieurs centaines de milliers. Bernecker situe le nombre de ceux qui ont perdu la vie entre 1936 et 1944 par meurtre politique et condamnation judiciaire à 400 000. De nouvelles estimations (notamment de Michael Richards) parlent d'une fourchette entre 150 000 et 200 000. Selon l'historien britannique Antony Beevor, le nombre total des victimes de la répression franquiste pourrait approcher les 200 000, compte tenu du fait que le bilan de la guerre civile dans plusieurs provinces espagnoles n'a pas encore été réalisé[20]. Les victimes ont été en règle générale enterrées de façon anonyme dans des fosses communes, afin de les faire passer dans l'oubli. En Galice, la délivrance de certificats de décès aurait été refusée pour le même motif.
Au moins 35 000 soutiens de la République sont assassinés. Ils sont enterrés hors des villages et des villes, et se trouvent probablement actuellement encore dans des fosses communes, non référencées pour la plupart. Cette estimation a été revue à la hausse dans les derniers travaux de recherches[21]. Dans la seule Andalousie, le nombre des républicains « disparus » est estimé à 70 000[22]. Le recensement des personnes de la part des associations de rescapés, la première tentative d'un comptage détaillé, a donné un nombre provisoire de 143 353 (consulté mi-2008)[21].
Le nombre de prisonniers politiques après la guerre civile est estimé le plus souvent à environ 1,5 million. Ceux-ci et leur famille sont par exemple systématiquement défavorisés dans la distribution de tickets de rationnement, ont à encaisser des humiliations constantes, et même après leur libération, vivent dans la crainte perpétuelle d'une nouvelle incarcération. Les enfants des républicains sont souvent séparés de leur famille et mis sous la tutelle de l'Église catholique. La recherche présente parle de 30 000 cas de soustraction d'enfants à motif politique[23]. Avec le soutien des nazis, des études médicales ont été entreprises sur les détenus politiques enfermés dans les camps de concentration, afin de démontrer leur supposée infériorité intellectuelle et raciale reliée à leurs vues marxistes[24].
Après la consolidation du régime, l'usage de la violence pour la répression se fait progressivement plus discret. Les derniers camps de concentration franquistes ne sont toutefois fermés qu'en 1962[25]. Ils existent auparavant au nombre de 190 environ, et sont répartis sur toute l'Espagne. Ils contiennent jusqu'à un demi-million de partisans de la République espagnole, et pendant la Seconde Guerre mondiale, également quelques dizaines de milliers de fugitifs de toute l'Europe[n 6]. Les bataillons de punition (Batallones de Trabajadores, abrégé en BB.TT.), dont les membres sont affectés à la construction des routes et des voies ferrées, à la sidérurgie, aux mines, ou au travail à certains bâtiments de prestige du régime comme le Valle de los Caídos (Val des Morts), sont également un pilier de la répression. Rien que sur le territoire des Pyrénées orientales (Navarre) 15 000 prisonniers politiques de toute l'Espagne sont astreints au travail forcé pour la construction de routes[26].
Environ 500 000 personnes, notamment 150 000 Basques, s'enfuient à partir de 1939, principalement vers la France, où ils sont internés dans divers camps d'internement. Certains de ces fugitifs peuvent émigrer vers le Mexique, où le gouvernement républicain doit aussi s'exiler. Il s'agit là du plus grand mouvement d'exilés de l'histoire espagnole. Cependant les politiciens de haut rang de la République sont livrés par le régime de Vichy ou la Gestapo à l'Espagne où ils sont exécutés, comme dans le cas de Lluís Companys. Les chercheurs parlent de 13 000 « Espagnols rouges » qui sont rattrapés par les troupes d'Hitler après l'occupation de la France, et prennent le chemin des camps de concentration allemands, où pas moins de 10 000 d'entre eux trouvent la mort, dont 7 000 dans le seul camp de Mauthausen[réf. nécessaire]. On connaît sous ce rapport le bloc des interbrigadistes au camp de concentration de Dachau. Par la suite, environ la moitié des exilés rentre au pays dans les années suivant la Seconde Guerre mondiale en raison d'un certain nombre de mesures de suppression de peine, comme une amnistie partielle fin 1939 pour les plus petites fautes des « marxistes ». Il n'y a jamais d'amnistie générale, et c'est pourquoi beaucoup d'Espagnols attendront la mort de Franco pour rentrer d'exil.
Le franquisme est donc bien installé au sortir de la guerre en Espagne. Le régime est d’ailleurs soutenu par une partie des Espagnols marqués par l’exécution de 6 000 prêtres, favorisée par l'intransigeance de certains républicains durant la guerre civile. Certaines classes sociales appuient le Caudillo plus que d’autres : il s'agit des grands propriétaires terriens, de la haute bourgeoisie industrielle et financière, et d'une partie des classes moyennes. Mais le centralisme du régime franquiste induit aussi l'opposition des autonomistes de Catalogne, du Pays basque, etc., qui se voient interdire l'usage de leur langue.
Le Tribunal spécial pour la répression de la maçonnerie et du communisme est mis sur pied en , condamnant des dizaines de francs-maçons, certains à plusieurs dizaines d'années d'emprisonnement. Il est remplacé en 1963 par le Tribunal de l'ordre public chargé des délits politiques, auparavant jugés en grande partie par les tribunaux militaires. Celui-ci condamna des milliers de citoyens, avec quelques grands procès comme le procès 1001 de 1972, visant la direction des Comisiones Obreras, un syndicat clandestin lié au parti communiste (également clandestin).
1939-1945 : autarcie et alignement partiel sur les puissances de l'Axe
Le , le cabinet Daladier signe, à Burgos, les accords Bérard-Jordana, reconnaissant la légitimité du gouvernement de Franco, signant ainsi l'arrêt de mort de la République espagnole ; en échange, il obtient la promesse de la neutralité espagnole en cas de guerre. C'est une neutralité de facto, qui prend la forme d'une non-belligérance, puis l'Espagne devient juridiquement neutre le [27].
Pendant la Seconde Guerre mondiale, Franco passe de la neutralité à la non-belligérance en 1940 (entrevue avec Hitler à Hendaye). Appuyé en particulier par son ministre des Affaires étrangères, Serrano Súñer, qui n'est autre que son beau-frère, il envisage d'entrer en guerre en échange de Gibraltar, du Maroc français et de l'Oranie[28] mais l'échec allemand dans la bataille d'Angleterre l'incite à la prudence. Il se contente de développer les échanges commerciaux avec l'Axe, d'offrir un relais radio aux sous-marins et aux services secrets allemands, puis d'envoyer une division sur le front de l'Est, la división Azul (50 000 hommes).
À la suite d'une visite de Himmler, le , Franco émet une circulaire visant à ficher les 6 000 Juifs d'Espagne en précisant leurs convictions politiques, modes de vie et « niveau de dangerosité »[29]. La liste est ensuite remise à l'ambassade d'Allemagne. Selon Jorge Martínez Reverte, historien et journaliste à El País, plus qu'« un cadeau à Hitler », cette circulaire est « la preuve de ce que les phalangistes comptaient faire des Juifs » en cas de victoire nazie[29].
Les réfugiés politiques et les Juifs qui fuient l'occupation allemande sont internés, mais non livrés au Reich. À partir de 1943, ils sont autorisés à gagner discrètement le Portugal et l'Afrique française libre.
Par ailleurs, le régime sera accueillant aux collaborateurs des divers pays d'Europe, comme Ante Pavelić, Pierre Laval et Léon Degrelle, et sera au centre de l'organisation des mouvements néofascistes après-guerre.
Sur le plan économique, l'Espagne est un pays ruiné et décimé. La faim et la misère extrême marquent la réalité quotidienne d'une grande partie de la population. La solution que donne le régime franquiste à la pénurie économique est semblable à celle expérimentée par l'Italie fasciste, et perfectionnée par l'Allemagne nazie : l'autarcie, une politique économique fondée sur la recherche de l'autosuffisance économique et l'intervention étatique.
L’interventionnisme s'étend en grande partie sur l'économie nationale. L'État fixe les prix agricoles et oblige les paysans à donner les excédents de leurs récoltes. L'Instituto Nacional de Industria (Institut national de l'industrie, INI) est créé en 1941 pour mieux contrôler l'industrie espagnole exsangue, et établir un contrôle rigide sur le commerce extérieur.
1945-1957 : du boycott international à la consolidation du régime
En 1946, l'ONU décrète un boycott diplomatique contre l'Espagne. Après la Seconde Guerre mondiale, le régime de Franco est presque complètement isolé économiquement et sur le plan de la politique étrangère. En effet, l'Espagne est unanimement condamnée comme alliée de l'Axe. Cela conduit à de grands problèmes pour l'approvisionnement de la population. Ce n'est qu'en 1953 que Franco peut conclure un traité de stationnement de troupes avec les États-Unis. Un peu plus tard, un concordat est signé avec le Vatican. Le pays adhère finalement à l'ONU en 1955.
Les années d'après-guerre sont marquées par une régression importante en matière d'économie. Le naufrage de la production agricole et industrielle s'accompagne de bonds en arrière : le secteur primaire dépasse à nouveau les 50 % du revenu national. Dans un contexte de pénurie et d'intervention de l'État, le marché noir, et la corruption généralisée viennent étouffer l'économie du pays.
En 1944, des groupes d'exilés républicains, anciens maquisards en France, repassent les Pyrénées et tentent de lancer une guérilla contre le régime franquiste : c'est la période de la posguerra, une guerre larvée qui ne dit pas son nom à l'extérieur des frontières. Isolés, divisés (communistes contre anarchistes), probablement trahis, ils sont rapidement mis hors de combat.
Pendant cette période, le rôle de la Phalange, fusionnée dans le parti unique Falange Española Tradicionalista y de las Juntas de Ofensiva Nacional Sindicalista (FET y de las JONS), dans l’exercice du pouvoir est déterminant. Toutefois, les phalangistes les plus radicaux sont écartés après 1942 au profit des conservateurs (crise de mai 1941 (es) : remaniement ministériel de qui écarte Serrano Súñer, etc.). Le parti unique FET y de las JONS contrôle la police politique, l’éducation nationale, l’action syndicale, la presse, la radio, la propagande et toute la vie économique et syndicale.
En 1947 est affirmé, dans la loi de succession du chef de l'État, le caractère monarchique de l'État espagnol. L'Espagne est un royaume sans roi dont Franco est le régent.
Après deux décennies de politique économique nationale-syndicaliste menées sous la conduite de Franco dans la lignée de l'idéologie phalangiste, l'État espagnol se trouve à la fin des années 1950 dans une situation financière proche de la faillite, avec des réserves de change très faibles et une inflation galopante. Les augmentations des salaires nominales décidées autoritairement par le gouvernement se trouvent ainsi de fait annulées en pouvoir d'achat par la réalité économique s'exprimant à travers l'inflation des prix, alors même que l'Espagne est encore un des parents pauvres de l'Europe. L'opposition communiste tente d'exploiter le malaise social induit en appelant à la grève générale. La nécessité de réformes économiques structurelles est évidente.
Les années 1950 marquent la fin de l'autarcie. L'échec évident du modèle isolationniste fait opter le régime franquiste pour un changement de cap en matière de politique économique, dès le début des années 1950. On assiste à une libéralisation partielle des prix et du commerce et une plus grande liberté quant au commerce des biens. En 1952, on met fin au rationnement des aliments. Ces mesures ramènent une certaine croissance économique, et en 1954, on dépasse à nouveau enfin le PIB/habitant de 1935, l'Espagne a donc perdu vingt ans en matière de développement économique. En avril de la même année, Juan Carlos est désigné comme successeur de Franco à sa mort. Il devra sa légitimité à l'investiture de Franco et non à l'hérédité dynastique : en effet, par cette désignation, Franco écarte du trône le prétendant légitime, Juan de Borbón, fils du dernier roi d'Espagne et père de Juan Carlos.
La guerre froide permet à Franco de bénéficier du plan Marshall en 1950, d'accueillir le président Dwight Eisenhower et de défiler triomphalement à Madrid avec lui, comme un des vainqueurs de la Seconde Guerre mondiale. En 1953, Franco conclut avec les États-Unis, le Tratado de Amistad y Cooperación (traité d'amitié et de coopération), qui confère à cette puissance un accès à plusieurs bases militaires et navales espagnoles (base navale de Rota, bases aériennes de Morón, de Torrejon et de Saragosse (en), etc.) en échange d'une aide militaire et économique faisant de l'Espagne un membre important du bloc de l'Ouest — bien que l'Espagne franquiste, contrairement au Portugal de Salazar, ne soit jamais officiellement membre de l'OTAN. En 1955, le pays est admis au sein de la communauté internationale lors de son adhésion officielle à l'Organisation des Nations unies (ONU), mais sa demande d'adhésion, en 1962, à la Communauté économique européenne (CEE) est refusée.
Le franquisme tardif
Aucune liberté politique n'accompagne l'offensive de politique étrangère pour la consolidation du franquisme. Ce n'est que sous la pression d'un effondrement économique menaçant et sous celle de la population qu'il y a une libéralisation de la politique économique, à la suite d'un changement presque complet du gouvernement pour un régime de technocrates, porté par des élites conservatrices comme les membres de l'Opus Dei.
La phase du régime qui coïncide avec le redressement économique est désignée par tardofranquismo (franquisme tardif). Avec la guérison économique toutefois tardive de l'Espagne, et le bien-être croissant corrélatif de plus grandes couches de la population espagnole, Franco consolide sa domination encore une fois. Ce changement de paradigme économique, qui implique en politique intérieure une perte relative d'influence de l'armée et du Movimiento est rendu possible par le fait que Franco, sur la base de ses succès en politique étrangère, peut aussi stabiliser la situation intérieure.
Le franquisme se termine en un État resté certes une dictature autoritaire, mais ses citoyens restent tranquilles dans la vie de tous les jours — même si, dans les dernières années du franquisme, la répression envers les activités de l'ETA et d'autres groupes d'opposition reprend de l'ampleur. Franco défend jusqu'à sa mort des notions politiques antimodernistes. Il ne consent à la population presque aucun droit démocratique, aucune liberté d'association sauf celle des syndicats contrôlés par le système, et se réserve comme dictateur le droit d'utiliser tous les instruments d'oppression politique et sociale contre toute forme d'opposition. Les institutions d'État, du parti étatique Movimiento Nacional, jusqu'aux organisations professionnelles des Sindicatos verticales restent jusqu'au dernier moment les instruments d'exercice personnel de la puissance du Caudillo. L'État franquiste délègue à la police (y compris la Guardia Civil) et aux services de sécurité une puissance importante. Les services de sécurité internes sont à beaucoup d'aspects mieux équipés et organisés que l'armée espagnole. C'est surtout la Guardia Civil qui combat pendant des décennies avec une brutalité notable tous les essais de former des partis ou des syndicats indépendants, particularistes ou d'opposition, ou même d'exprimer des opinions personnelles allant dans ce sens.
1957-1969 : dégel économique, rapprochement avec l'Europe et désignation du successeur
Face à la nécessité de mener une autre politique économique, Franco permet l'entrée au gouvernement, en 1957, d'un groupe de technocrates de l'Opus Dei. Ces nouveaux ministres dessinent le Plan de Estabilización (Plan de stabilisation) de 1959.
Ce plan de stabilisation, conçu par le catholique libéral-conservateur Alberto Ullastres, membre de l´Opus Dei, est instauré le . Il prévoit huit mesures simples : convertibilité de la peseta, suppression du contrôle des prix, élimination de la majeure partie des taxes douanières, ouverture aux investissements étrangers, ajustement des taux d'intérêt sur la préférence temporelle, gel des salaires, blocage des dépenses publiques et impossibilité faite au gouvernement de s'endetter auprès de la Banque [centrale] d’Espagne[réf. souhaitée].
L'Espagne connaît alors une période d'assainissement des comptes publics, d'ouverture économique et de forte croissance du PIB.
Emblématique de la nouvelle donne économique, le tourisme de masse voit une croissance spectaculaire, avec 1 400 000 visiteurs en 1955 et 33 000 000 en 1972. La production industrielle passe d'un indice 100 en 1962 à 379 en 1976. De 1964 à 1967 se déroule le grand plan de développement économique qui constitue une étape de plus. À partir de la fin des années 1960, le PNB augmente de plus de 7 % par an, porté par le secteur de la construction automobile qui fait encore de l'Espagne le premier constructeur européen. En effet, dès 1950 le gouvernement espagnol cherche à créer une industrie automobile nationale et, avec l'aide de Fiat, fonde SEAT. En 1954, Renault cède une licence à Fasa pour produire la 4 CV, puis s'installe à Valladolid (où sera créée la fameuse Renault Cuatro chère aux Espagnols). Des villes entières se dévouent maintenant à l'automobile (Valladolid avec Renault et Iveco, Suzuki à Linares, PSA à Madrid et Vigo, Mercedes à Vitoria ou Almendralejo, etc.).
Également, l'intelligence de ce plan de stabilisation réside dans le développement économique de l'intégralité du territoire espagnol (à une époque où, à l'inverse, la France pratiquait le centralisme) : chaque capitale de province doit avoir son usine et son unité de production, les sous-traitants s'installant dans les villages alentour. Ceci afin de fixer la population sur son sol et d'empêcher tout exode rural. Ainsi, par exemple : Cadix ou Illescas héritent de l'aviation, Pancorbo ou Miranda de Ebro des engrais, Aranda de Duero ou Albacete des pneumatiques, Huesca et les îles Canaries de l'informatique naissante, etc.
La décennie des années 1960 en Espagne est aussi marquée par une fissure interne progressive et croissante, qu'elle soit économique, sociale ou religieuse. En débute une grande vague de grèves dans les mines d’Asturies. Elles font école dans les provinces basques, celles de Barcelone et de Madrid. Le gouvernement réagit et proclame l’état d'exception dans les provinces industrielles des Asturies, de Biscaye et de Guipuscoa. Une opposition religieuse au régime s'organise à partir du quand 339 curés basques signent une lettre dénonçant le manque de liberté confessionnelle et d’autodétermination du clergé. Cette opposition fait aussi tache d'huile en 1962, encouragée par le concile Vatican II et l'encyclique papale Pacem in Terris. Quant à l'opposition politique, elle se réorganise et se durcit notamment au Pays basque, où l'ETA s'érige en mouvement de libération nationale, et en Catalogne. Pour sa part, le Parti communiste espagnol (PCE) s'insère clandestinement au sein du Syndicat Vertical sous la forme de Comisiones Obreras, qui se définissent comme des mouvements de défense de la classe ouvrière[30].
Le , Franco désigne Juan Carlos de Bourbon comme son successeur à la tête de l'État (en se fondant sur la Loi de Succession qui dispose que c'est lui qui désignerait son successeur, bien que selon l'ordre naturel de succession ce soit Juan de Bourbon qui doive être désigné), avec le titre de « prince d'Espagne ». Juan Carlos est ainsi proclamé successeur de Franco par les Cortes le lorsqu'il jure « fidélité aux principes du Mouvement National et aux autres Lois fondamentales du royaume ».
1969-1973 : le crépuscule du régime
Le éclate le scandale Matesa (Maquinaria Textil S.A., une des plus grandes sociétés multinationales espagnoles), qui porte sur une fraude de millions de pesetas au détriment de l’État espagnol. Ce scandale impliquant notamment l'utilisation illicite de fonds de crédit mène à une crise de régime où le Mouvement national, dénonciateur de la fraude, s'oppose aux ministres membres de l'Opus Dei qui s'étaient imposés face à la Phalange pour diriger le pays depuis la fin des années 1950. Les ministres du Commerce, des Finances et du Tourisme sont notamment accusés. Le , Franco dissout son gouvernement et réalise le plus important remaniement ministériel depuis les années 1950. N’ayant plus la force et l’énergie pour arbitrer entre les différentes tendances politiques du régime, il met en place un gouvernement entièrement composé de membres de l'Opus Dei ou de l'Asociación Católica Nacional de Propagandistas (le Gobierno Monocolor, gouvernement unicolore). Les ministres qui venaient de marquer la décennie précédente, comme Faustino García Moncó, Juan José Espinosa San Martín ou Manuel Fraga Ibarne, sont limogés. Ce nouveau gouvernement, représentatif de la haute bourgeoisie financière, apparaît alors comme celui de Carrero Blanco et de Laureano López Rodó plutôt que celui de Franco et exclut un grand nombre de ceux qui formaient la colonne vertébrale du régime depuis 20 ans[31].
Le , Franco rencontre à Madrid Charles de Gaulle[32], qui racontera son entretien à Michel Droit : « Je lui ai dit ceci : en définitive, vous avez été positif pour l'Espagne. Et c'est vrai, je le pense. Et que serait devenue l'Espagne si elle avait été la proie du communisme ? »[33].
1973-1976 : de la lente agonie de Franco à la dissolution des institutions
Le , un attentat de l'ETA coûte la vie au président du gouvernement espagnol, l'amiral Luis Carrero Blanco[34],[35],[36].
Franco vieillissant, il cède en juillet- les fonctions de chef de l’État à Juan Carlos, puis il meurt le . Juan Carlos est alors couronné roi d'Espagne conformément à la loi de succession de 1947 précisant notamment que l'Espagne est un État catholique et social constitué en royaume.
Après la mort du dictateur en 1975, l'État franquiste se transforme en quelques années dans le cadre de la transition démocratique espagnole (Transición) d'une façon particulièrement paisible[37] — si l'on excepte la tentative de coup d'État du 23 février 1981 aux Cortes — en une monarchie constitutionnelle.