Gamal Abdel Nasser
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Gamal Abdel Nasser Hussein (arabe : جمال عبد الناصر حسين), né le à Alexandrie et mort le au Caire, est un homme d'État égyptien. Il fut le second président de la République de 1956 à sa mort. Après une carrière militaire, il organisa en 1952 le renversement de la monarchie et accéda au pouvoir. À la tête de l'Égypte, il mena une politique socialiste et panarabe appelée nassérisme. Il est aujourd'hui considéré comme l'un des dirigeants les plus influents du XXe siècle.
Gamal Abdel Nasser جمال عبد الناصر | ||
Gamal Abdel Nasser, 1969 | ||
Fonctions | ||
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Président de la République arabe unie[N 1] | ||
– (14 ans, 3 mois et 2 jours) |
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Élection | ||
Réélection | ||
Vice-président | Abdel Hakim Amer Abdel Latif Boghdadi (en) Hassan Ibrahim (en) Zakaria Mohieddin Ali Sabri Hussein el-Shafei (en) Anouar el-Sadate |
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Premier ministre | Ali Sabri Zakaria Mohieddin Mohammad Sedki Sulayman (en) Lui-même |
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Prédécesseur | Lui-même (président du Conseil révolutionnaire) Mohammed Naguib |
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Successeur | Anouar el-Sadate | |
Président du Conseil de commandement révolutionnaire de la république d'Égypte (chef de l'État, de facto) | ||
– (1 an, 7 mois et 12 jours) |
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Premier ministre | Lui-même | |
Prédécesseur | Mohammed Naguib (président de la République et du Conseil de commandement révolutionnaire) |
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Successeur | Lui-même (président de la République) |
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Premier ministre d'Égypte | ||
– (3 ans, 3 mois et 9 jours) |
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Président | Lui-même | |
Prédécesseur | Mohammad Sedki Sulayman (en) | |
Successeur | Ali Sabri | |
– (8 ans, 5 mois et 11 jours) |
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Président | Mohammed Naguib Lui-même |
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Prédécesseur | Mohammed Naguib | |
Successeur | Ali Sabri | |
– (11 jours) |
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Président | Mohammed Naguib | |
Prédécesseur | Mohammed Naguib | |
Successeur | Mohammed Naguib | |
Secrétaire général du Mouvement des non-alignés | ||
– (5 ans, 10 mois et 29 jours) |
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Prédécesseur | Josip Broz Tito | |
Successeur | Kenneth Kaunda | |
Biographie | ||
Nom de naissance | Gamal Abdel Nasser Hussein | |
Date de naissance | ||
Lieu de naissance | Alexandrie (Égypte) | |
Date de décès | (à 52 ans) | |
Lieu de décès | Le Caire (Égypte) | |
Nationalité | Égyptienne | |
Parti politique | Jeune Égypte (années 1940) Rassemblement de libération (1953-1957) Union nationale (1957-1962) Union socialiste arabe (1962-1970) |
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Conjoint | Tahia Kazem | |
Enfants | Hoda Mona (conjoint : Ashraf Marwan) Khalid Abdel Hamid Abdel Hakim |
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Religion | Islam sunnite | |
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Premiers ministres d'Égypte Présidents de la République arabe unie |
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Nasser fut très tôt impliqué dans la lutte contre l'influence britannique en Égypte. Il intégra ensuite l'armée en 1938 et participa à la guerre israélo-arabe de 1948-1949. Déçu par la monarchie et souhaitant réformer la société égyptienne, Nasser fonda le Mouvement des officiers libres qui renversa le roi Farouk en 1952. Après une lutte de pouvoir contre ses anciens associés, dont le président Mohammed Naguib, il prit le contrôle du gouvernement. Un référendum en 1956 permit l'adoption d'une nouvelle Constitution, la première de l'ère républicaine et l'accession de Nasser à la présidence.
La neutralité de l'Égypte durant la guerre froide causa des tensions avec les puissances occidentales qui refusèrent de financer la construction du barrage d'Assouan. Nasser répliqua en nationalisant la compagnie du canal de Suez en 1956. Le Royaume-Uni, la France et Israël organisèrent une offensive pour reprendre le contrôle du canal mais furent contraints de se replier sous la pression conjointe des États-Unis et de l'Union soviétique. Cet incident accrut considérablement la popularité de Nasser dans le monde arabe et ses discours pour une union panarabe culminèrent avec la création de la République arabe unie avec la Syrie en 1958.
En 1962, Nasser adopta des mesures socialistes et mena des réformes pour moderniser l'Égypte. Malgré les revers à sa vision panarabe, comme la dissolution de l'union avec la Syrie et la guerre du Yémen, ses partisans prirent le pouvoir dans plusieurs pays arabes. Il fut élu président du mouvement des non-alignés en 1964 et, l'année suivante, réélu président après avoir empêché tous ses opposants de se présenter. Après la défaite de l'Égypte lors de la guerre des Six Jours en 1967, il démissionna avant de renoncer du fait des manifestations demandant son maintien au pouvoir. Après le conflit, il se nomma Premier ministre, lança des attaques pour reprendre les territoires perdus, dépolitisa l'armée et promit une libéralisation politique. Après la fin du sommet de la Ligue arabe en 1970, il succomba à une crise cardiaque. Cinq millions de personnes assistèrent à ses funérailles au Caire et le monde arabe fut en deuil.
Nasser reste au début du XXIe siècle un symbole de la dignité arabe du fait de ses efforts pour une plus grande justice sociale et sa défense du panarabisme, de la modernisation de l'Égypte et de l'anti-impérialisme. Ses détracteurs ont critiqué son autoritarisme, son populisme, les violations des droits de l'homme par son régime et son échec à créer des institutions civiles durables. Les historiens considèrent Nasser comme une figure centrale de l'histoire moderne du Moyen-Orient, de la Guerre froide arabe et du XXe siècle.
Gamal Abdel Nasser est né le à Bakos dans les faubourgs d'Alexandrie ; il était le premier fils de Fahima et d'Abdel Nasser Hussein[1]. Son père était un employé de la poste[2] né à Beni Mur en Haute-Égypte mais qui avait grandi à Alexandrie[1] tandis que la famille de sa mère venait de Mallawi dans l'actuel gouvernorat de Minya[3]. Ses parents s'étaient mariés en 1917[3] et ils eurent deux autres fils : Izz al-Arab et al-Leithi[1]. La famille de Nasser déménageait fréquemment au gré des affectations de son père ; elle s'installa à Assiout en 1921 puis à Khatatba où le père de Nasser dirigeait un bureau de poste. Nasser fut scolarisé dans une école pour les enfants des employés du chemin de fer jusqu'en 1924 lorsqu'il fut envoyé vivre chez son oncle paternel au Caire[4].
Nasser resta en contact épistolaire avec sa mère et il lui rendait visite pendant les vacances mais il cessa de recevoir des lettres à la fin du mois d'. À son retour à Khatatba, il apprit que sa mère était morte après avoir donné naissance à son troisième frère, Shawki, et que sa famille lui avait caché l'information[5],[6]. Nasser déclara plus tard que « perdre sa mère fut un traumatisme profond que le temps n'a pas soulagé »[7]. Il adorait sa mère et fut très affecté par le remariage rapide de son père[5],[8],[9].
En 1928, Nasser s'installa à Alexandrie chez son grand-père maternel[6],[7]. Il étudia un temps dans un internat à Helwan avant de revenir à Alexandrie en 1933 lorsque son père fut transféré dans les services postaux de la ville[6],[7]. Nasser s'impliqua très tôt dans l'activisme politique[6],[10]. Après avoir assisté à des affrontements entre des manifestants et la police sur la place Manshia d'Alexandrie[7], il rejoignit la manifestation sans connaître son objectif[11]. La protestation, organisée par le parti nationaliste Jeune Égypte, exigeait la fin de l'influence étrangère en Égypte à la suite de l'abrogation de la Constitution de 1923 par le Premier ministre Ismaïl Sidqi[7]. Nasser fut arrêté et passa la nuit en détention[12] avant d'être délivré par son père[6].
Lorsque son père fut transféré au Caire en 1933, Nasser le suivit et il étudia à l'établissement al-Nahda al-Masria[7],[13]. Il écrivit des articles dans le journal de l'école et participa à des pièces de théâtre scolaires dont une sur le philosophe français Voltaire intitulée Voltaire, l'homme de la Liberté[7],[13]. Le 13 novembre 1935, il mena une manifestation étudiante contre l'influence britannique à la suite d'une déclaration du secrétaire d'État britannique Samuel Hoare dans laquelle il rejetait l'idée d'une restauration de la Constitution de 1923[7]. Deux manifestants furent tués et Nasser fut légèrement blessé à la tête par une balle[12]. L'incident lui valut de figurer pour la première fois dans la presse ; le journal nationaliste Al Gihad rapporta que Nasser fut l'un des meneurs de la manifestation et qu'il avait été blessé[7],[14]. Le 12 décembre, le nouveau roi Farouk délivra un décret restaurant la Constitution[7]. En raison de ses nombreuses activités politiques, Nasser n'assista qu'à 45 jours de classe durant sa dernière année de collège[15],[16]. Il s'opposa au traité anglo-égyptien de 1936 qui prolongeait le maintien d'une partie des bases britanniques dans le pays[7]. L'accord était cependant approuvé par la quasi-totalité des forces politiques égyptiennes et l'agitation diminua sensiblement. Nasser reprit ses études à al-Nahda al-Masria[15] et quitta l'école avec l'équivalent du brevet[7].
Selon l'historien Saïd K. Aburich, Nasser ne fut pas affecté par ses fréquents déménagements qui élargirent son horizon et lui firent prendre conscience des divisions de la société égyptienne. Il consacrait beaucoup de temps à la lecture en particulier en 1933 car il vivait non loin de la bibliothèque nationale. Il avait lu le Coran, les hadîths de Mahomet, les sahabas de ses compagnons[17] et les biographies de Napoléon, Atatürk, Bismarck, Garibaldi ainsi que l'autobiographie de Winston Churchill[7],[12],[18],[19]. Il fut fortement influencé par le nationalisme égyptien défendu par l'homme politique Mustafa Kamil, le poète Ahmed Chawqi[17] et son instructeur de l'académie militaire, Aziz Ali al-Misri, auquel Nasser exprima sa gratitude dans un entretien en 1961[20]. Il indiqua par la suite que le roman La conscience retrouvée dans lequel Tawfiq al-Hakim avait écrit que le peuple égyptien n'avait besoin que « d'un homme qui représenterait tous leurs désirs et sentiments et qui serait leur symbole » lui avait servi d'inspiration au moment de la révolution de 1952[18].
En 1937, Nasser postula à l'Académie militaire égyptienne réservée aux enfants de l'aristocratie ou de la grande bourgeoisie, mais l'accord conclu en 1936 avec l'occupant britannique permit à l'armée égyptienne d'élargir son recrutement à la petite bourgeoisie, ce dont va bénéficier Nasser[21] pour devenir officier[22] mais son passé d'opposant au gouvernement bloqua son admission[23]. Déçu, il intégra la faculté de droit de l'université Fouad[23] mais la quitta au bout d'un semestre pour essayer à nouveau de rejoindre l'académie militaire[24]. Conscient qu'il ne serait pas admis sans soutien, Nasser obtint un entretien avec le sous-secrétaire à la Guerre, Ibrahim Khairy Pasha[22], responsable des admissions[23]. Il accepta de soutenir la candidature de Nasser qui fut approuvée à la fin de l'année 1937[22],[23],[25]. Il consacra alors tout son temps à sa carrière militaire et garda peu de contacts avec sa famille. À l'académie, il rencontra Abdel Hakim Amer et Anouar el-Sadate, qui devinrent de proches conseillers durant sa présidence[26]. Après avoir été diplômé en juillet 1938[7], Nasser fut affecté à Manqabad près de la ville de Beni Mur et devint sous-lieutenant dans l'infanterie[27]. En 1941, Nasser et Amer furent stationnés à Khartoum dans le Soudan anglo-égyptien[28]. En mai 1943, il obtint un poste d'instructeur à l'académie militaire[28].
Dans la nuit du 4 au 5 février 1942, l'ambassadeur britannique Miles Lampson (en) fit encercler le palais du roi Farouk pour exiger le renvoi du Premier ministre Hussein Sirri Pacha en raison de ses sympathies pour l'Axe à un moment où les forces de ce dernier entraient en Égypte. Nasser vit cet incident comme une violation flagrante de la souveraineté égyptienne et écrivit « j'ai honte de voir que notre armée n'a pas réagi à cette attaque »[29]. Il rejoignit l'école des officiers plus tard dans l'année[29] et commença à former un groupe de jeunes officiers favorables à une révolution nationaliste[30]. Nasser resta en contact avec les membres du groupe par l'intermédiaire d'Amer qui continua de recruter des officiers intéressés au sein des différentes composantes des forces armées égyptiennes et lui envoyait un dossier détaillé sur chacun d'entre eux[31].
La première expérience militaire de Nasser eut lieu en Palestine durant la guerre israélo-arabe de 1948-1949[32]. Il s'était initialement porté volontaire pour rejoindre le Haut Comité arabe mené par Mohammed Amin al-Husseini. Ce dernier fut impressionné par Nasser[33] mais le gouvernement égyptien refusa son entrée dans les forces arabes pour des raisons peu claires[33],[34]. En mai 1948, après la fin du retrait britannique, le roi Farouk déploya l'armée égyptienne en Palestine[35] avec Nasser à la tête du 6e bataillon d'infanterie[36]. Durant le conflit, il rapporta l'impréparation de l'armée égyptienne dont les « soldats s'écrasaient sur les fortifications »[35]. Le 12 juillet, il fut légèrement blessé alors que ses forces étaient encerclées par l'armée israélienne dans la « poche de Faluja (en) ». Ses demandes de soutien à la Légion arabe jordanienne furent ignorées mais son unité refusa de se rendre. Les négociations entre Israël et l'Égypte aboutirent finalement à la cession de Faluja à l'État hébreu[35]. Selon le journaliste Eric Margolis, la résistance des troupes égyptienne à Faluja fut « l'une de deux seules actions arabes honorables durant la guerre israélo-arabe de 1948-1949. Ses défenseurs, dont le jeune officier Gamal Abdel Nasser, devinrent des héros »[37].
La chanteuse égyptienne Oum Kalthoum organisa des festivités pour le retour des officiers malgré les réserves du gouvernement qui avait subi des pressions de la part des Britanniques pour annuler la réception. La déconnexion apparente entre la population et le pouvoir royal durant le retour des officiers renforça la détermination de Nasser à renverser la monarchie[38]. Il avait également le sentiment que son unité avait été abandonnée malgré la résistance qu'elle avait opposé[39]. Il commença la rédaction de son livre Philosophie de la révolution durant le siège[37]. Après la guerre, il reprit son poste d'instructeur à l'académie militaire[40]. Il prit contact avec les Frères musulmans en octobre 1948 pour essayer de former une alliance mais jugea que leur programme était incompatible avec son nationalisme et il commença à s'opposer à leur influence[35]. Nasser fit partie de la délégation égyptienne qui négocia les accords d'armistice avec Israël à Rhodes ; il jugea les termes humiliants en particulier du fait de l'opération Ouvda durant laquelle les Israéliens s'emparèrent facilement de la région d'Eilat[41].
Mouvement des officiers libres
Le retour de Nasser en Égypte coïncida avec le coup d'État de Housni al-Zaim en Syrie[42]. Son succès et le large soutien populaire dont il disposait encouragea les ambitions révolutionnaires de Nasser[42]. Peu après son retour, Nasser fut convoqué et interrogé par le Premier ministre Ibrahim Abdel Hadi (en) au sujet des rumeurs selon lesquelles il formait un groupe secret d'officiers séditieux[42]. Selon des sources indirectes, Nasser aurait nié les allégations de manière convaincante[42]. Abdel Hadi hésitait également à prendre des mesures trop drastiques à l'encontre de l'armée[42]. L'entretien persuada Nasser d'accélérer la formation de son groupe[42] qui prit le nom de mouvement des officiers libres après 1949[40]. Il forma le comité fondateur du mouvement qui finit par comprendre quatorze hommes de différents milieux sociaux et politiques dont des membres du groupe Jeune Égypte, de l'organisation des Frères musulmans, du parti communiste égyptien et de l'aristocratie[42]. Nasser fut unanimement choisi pour présider l'organisation[42].
Lors des élections législatives de 1950, le parti Wafd remporta une large victoire essentiellement du fait de l'absence des Frères musulmans qui boycottèrent le scrutin ; le parti était considéré comme une menace par le mouvement des officiers libres car ses demandes étaient similaires aux siennes[43]. Des membres du parti Wafd furent accusés de corruption et le climat tendu amena au premier plan le mouvement de Nasser[44]. L'organisation comptait alors environ 90 membres ; selon l'un d'eux, Khaled Mohieddin (en), « personne ne connaissait leur identité ou leur place dans la hiérarchie en dehors de Nasser »[44]. Ce dernier considérait que son mouvement n'était pas prêt à agir contre le gouvernement et durant deux ans, il se limita au recrutement d'officiers et à la publication de journaux clandestins[45].
Le 11 octobre 1951, le gouvernement mené par le parti Wafd abrogea le traité anglo-égyptien de 1936, qui avait accordé le contrôle du canal de Suez au Royaume-Uni jusqu'en 1956[45]. Cette décision était populaire et les actions clandestines contre les Britanniques soutenues par le gouvernement poussèrent Nasser à agir[45]. Selon Sadate, Nasser décida de lancer « une vague d'assassinat à grande-échelle »[46]. En janvier 1952, plusieurs officiers non-identifiés et lui tentèrent d'assassiner le général royaliste Hussein Sirri Amer en ouvrant le feu sur sa voiture alors qu'elle roulait dans les rues du Caire[46]. Le général en sortit indemne mais une passante fut blessée[46]. Nasser se rappela que ses blessures « le hantaient » et celles-ci le dissuadèrent fermement de renouveler de telles actions[46].
Sirri Amer était proche du roi Farouk et il fut désigné par la présidence pour briguer la présidence le club des officiers, une fonction essentiellement cérémonielle[46]. Nasser était résolu à établir l'indépendance de l'armée par rapport à la monarchie. Avec l'aide d'Amer, il choisit Mohammed Naguib, un général populaire qui avait présenté sa démission en 1942 du fait des pressions britanniques et avait été blessé trois fois durant la guerre contre Israël[47]. Naguib remporta une claire victoire et le mouvement, via al-Misri, l'un des principaux journaux égyptiens, rapporta ce succès tout en louant l'esprit nationaliste de l'armée[47].
Révolution de 1952
Le 25 janvier 1952, au cours d'affrontements à Ismaïlia, les forces britanniques stationnées le long du canal de Suez tuèrent 40 policiers égyptiens. Le lendemain, des émeutes au Caire entraînèrent la mort de 76 personnes dont neuf Britanniques. Peu après, Nasser rendit public un programme en six points visant à démanteler le féodalisme et l'influence britannique. En mai 1952, Nasser apprit que Farouk connaissait les noms des officiers appartenant à son mouvement et qu'il se préparait à les arrêter ; il chargea alors Zakaria Mohieddin de préparer le renversement de la monarchie avec des troupes loyales au mouvement[48].
Le mouvement des officiers libres n'avait pas l'intention de prendre le pouvoir mais d'établir une démocratie parlementaire. Nasser considérait que le peuple n'accepterait pas un simple lieutenant-colonel et il choisit le général Naguib pour mener le coup d'État en son nom. Le soulèvement fut déclenché le 22 juillet et les officiers libres prirent rapidement le contrôle des bâtiments officiels, des commissariats, des états-majors et des stations de radio du Caire. Nasser revêtit des habits civils pour éviter d'être repéré par les forces royalistes et fit la navette entre les différents lieux contrôlés par les rebelles pour évaluer la situation[49]. Afin d'éviter une intervention étrangère, Nasser avait informé les gouvernements britannique et américain de ses intentions deux jours auparavant et les deux avaient accepté de ne pas soutenir Farouk[49],[50]. En retour, Nasser avait accepté de laisser le roi quitter l'Égypte lors d'une cérémonie officielle[51].
Naguib, qui était en public le meneur du gouvernement révolutionnaire, devint le premier président de l'Égypte le 18 juin 1953. La monarchie fut abolie le même jour tandis que la république d'Égypte était proclamée[49]. Selon Aburish, après leur prise de pouvoir, Nasser et les officiers libres voulaient devenir « les défenseurs des intérêts du peuple » contre la monarchie et les pachas tout en laissant la gestion du pays aux mains des civils[52]. Ils demandèrent à l'ancien Premier ministre Ali Mahir Pacha de reprendre ses fonctions et de former un gouvernement civil[52]. Les officiers libres gouvernaient alors par l'intermédiaire du conseil révolutionnaire égyptien (en) (RCC) avec Naguib comme président et Nasser comme vice-président[53]. Les relations avec Mahir se détériorèrent cependant rapidement car ce dernier considérait que les idées de Nasser comme la réforme agraire, l'abolition de la monarchie et la réorganisation des partis politiques étaient trop radicales[54]. Mahir démissionna le 7 septembre et Naguib devint Premier ministre avec Nasser en tant que vice-Premier ministre[55],[56]. La réforme agraire fut lancée en septembre[54] et dans l'esprit de Nasser, celle-ci devait permettre de légitimer le RCC tout en transformant le coup d'État en révolution[57]. La journaliste Sarra Grira relève que la réforme agraire « s’inscrit dans une volonté de redistribution des richesses, que ce soit en termes d’accès à la propriété terrienne ou de moyens d’exploitation. Plusieurs lois sont ainsi promulguées pour plafonner les superficies des grandes propriétés, permettant l’accès des petits paysans aux terrains agricoles. De plus, la possibilité de louer à vie, avec des loyers plafonnés, s’offre également à ces derniers »[58].
En août 1952, des émeutes d'inspiration communiste éclatèrent dans des usines textiles à Kafr el-Dawwar et les affrontements avec l'armée firent neuf morts. Une majorité des membres du RCC dont Naguib voulait exécuter pour l'exemple les deux meneurs de l'insurrection mais Nasser s'y opposa fermement ; les condamnations à mort furent néanmoins appliquées. Les Frères musulmans soutinrent le RCC dans sa prise de pouvoir et demandèrent quatre ministères dans le nouveau gouvernement. Nasser rejeta ces demandes et essaya de coopter le mouvement en accordant des postes mineurs à deux de ses membres qui accepteraient de servir en tant qu'indépendants[57].
Opposition à Naguib
En janvier 1953, Nasser interdit tous les partis politiques[59] et créa un parti unique sous le nom de Rassemblement de la Libération dont il prit le poste de secrétaire général pour regrouper les associations soutenant le RCC[60]. Malgré cette décision, Nasser était, selon Abdel Latif Boghdadi (en), le seul membre du RCC qui souhaitait organiser des élections législatives[59]. En mars 1953, il présida la délégation égyptienne négociant le retrait britannique du canal de Suez[61].
Lorsque Naguib commença à montrer son indépendance vis-à-vis de Nasser en se distançant de la réforme agraire et en se rapprochant du parti Wafd et des Frères musulmans[62], Nasser se résolut à le renverser[61]. En juin, il limogea le ministre de l'Intérieur Sulayman Hafez favorable à Naguib[62] et pressa ce dernier de proclamer l'abrogation de la monarchie[61]. Le 24 février 1954, Naguib annonça sa démission à la suite d'une réunion sans sa présence du RCC deux jours plus tôt[63]. Le 26 février, Nasser accepta sa démission et le plaça en résidence surveillée[63] tandis que le RCC le nomma président du comité et Premier ministre[64]. Naguib s'était néanmoins préparé à cette éventualité et une unité de cavalerie se mutina pour demander la restauration de Naguib et la dissolution du RCC[63]. Alors qu'il se trouvait à l'état-major pour exiger la fin de la mutinerie, Nasser fut initialement contraint d'accepter leurs demandes[65]. Le 27 février, des partisans de Nasser dans l'armée attaquèrent néanmoins le quartier-général et mirent fin à la rébellion[66]. Plus tard dans la journée, des centaines de milliers de manifestants appartenant essentiellement aux Frères musulmans, exigèrent le retour de Naguib et l'arrestation de Nasser[67]. En réponse, une portion importante du RCC menée par Khaled Mohieddin contraignit Nasser d'accéder à ces demandes[61]. Le retour de Naguib fut néanmoins retardé jusqu'au 4 mars ce qui permit à Nasser de nommer Amer à la tête des forces armées, une fonction auparavant occupée par Naguib[68].
Le 5 mars, les forces de sécurité de Nasser arrêtèrent des milliers de participants au soulèvement de 1952[67]. Dans un stratagème pour rassembler l'opposition au retour à la situation pré-révolutionnaire, le RCC décréta la fin des restrictions sur les partis de la période monarchie et le retrait des officiers libres de la politique[67]. Les bénéficiaires de la révolution comme les ouvriers, les paysans et les artisans s'opposèrent ainsi à ces décrets[69] ; un million de travailleurs se mirent en grève et des milliers de paysans entrèrent au Caire pour protester à la fin du mois de mars[70]. Naguib envisagea de réprimer les manifestations par la force mais ses demandes furent refusées par les forces de sécurité[71]. Le 29 mars, Nasser annonça l'annulation des décrets en réponse aux demandes de la rue[71]. Entre avril et juin, des centaines de partisans de Naguib dans l'armée furent arrêtés ou limogés et Mohieddin fut contraint à l'exil en Suisse[71].
Présidence du RCC
Le , Mohammed Abdel Latif, un membre des Frères musulmans, tenta d'assassiner Nasser alors qu'il donnait un discours à Alexandrie pour célébrer le retrait des forces britanniques. Le discours était diffusé par radio dans tout le monde arabe. Le tireur se trouvait à 7,5 m de la tribune et tira huit coups dont aucun ne toucha Nasser. La foule paniqua mais Nasser continua de parler la voix affectée par l'émotion[72],[73] :
« Mes concitoyens, mon sang coule pour vous et l'Égypte. Je vivrai pour votre salut et mourrai pour le salut de votre liberté et votre honneur. Laissons-les me tuer ; cela m'importe peu car j'ai insufflé la fierté, l'honneur et la liberté en vous. Si Gamal Abdel Nasser doit mourir, vous serez tous Gamal Abdel Nasser… Gamal Abdel Nasser est l'un d'entre vous et il est prêt à sacrifier sa vie pour la nation[73]. »
La tentative d'assassinat se retourna contre ses commanditaires et à son retour au Caire, Nasser ordonna l'arrestation de milliers d'opposants essentiellement des Frères musulmans mais également des communistes et des partisans de Naguib[74]. Huit chefs de la confrérie furent exécutés[74] même si la condamnation à mort de son principal idéologue Saïd Qotb fut commuée en 15 ans de prison[75]. Naguib fut limogé de son poste de président et placé en résidence surveillée mais ne fut jamais jugé ou condamné et personne dans l'armée ne fit rien pour le défendre. Avec la neutralisation de ses rivaux, Nasser devint le meneur indiscuté de l'Égypte[73].
Le soutien de la rue restait cependant encore trop faible pour que Nasser puisse mener ses réformes et il avait besoin de sécuriser son pouvoir[76]. Pour renforcer le Rassemblement de la Libération, il donna des discours dans tout le pays[76] et mit au pas la presse en ordonnant que toutes les publications soient approuvées par le parti pour éviter la « sédition »[77]. Oum Kalthoum et Abdel Halim Hafez, les principaux chanteurs arabes de la période, écrivirent des chansons louant le nationalisme de Nasser tandis que d'autres artistes dénigrèrent ses opposants politiques[76]. Selon ses associés, Nasser aurait lui-même orchestré la campagne[76]. Des termes faisant référence au nationalisme arabe comme la « patrie arabe » ou la « nation arabe » commencèrent à apparaître fréquemment dans ses discours en 1954-1955 alors qu'il faisait auparavant référence aux « peuples » arabes et à la « région arabe »[78]. En janvier 1955, le RCC le désigna président en attendant des élections législatives[76].
Nasser prit des contacts secrets avec Israël en 1954-1955 mais jugea une paix impossible avec un pays qu'il considérait comme « un État expansionniste qui voit les Arabes avec dédain »[79]. Le , les troupes israéliennes attaquèrent la bande de Gaza contrôlée par l'Égypte pour mettre fin aux attaques des fedayins palestiniens. Nasser estimait que l'armée égyptienne n'était pas prête à une confrontation et son incapacité à répondre aux actions israéliennes affecta sa popularité[80],[81]. Nasser ordonna alors le renforcement du blocus du détroit de Tiran et le trafic aérien israélien dans le golfe d'Aqaba fut limité au mois de septembre[80]. En réponse, les Israéliens se déployèrent dans la zone démilitarisée d'al-Auja sur la frontière égyptienne le 21 septembre[81].
Simultanément avec le raid israélien de février, le pacte de Bagdad fut signé par certains pays alliés régionaux du Royaume-Uni comme l'Irak. Nasser considérait cette alliance militaire comme une menace pour les efforts égyptiens visant à saper l'influence britannique au Moyen-Orient et un moyen d'affaiblir la Ligue arabe tout en « perpétuant l'asservissement [arabe] au sionisme et à l'impérialisme [occidental] »[80]. Nasser estimait que s'il voulait maintenir la position dominante de l'Égypte dans la région, il devait acquérir des armements modernes. Lorsqu'il devint clair que les pays occidentaux ne fourniraient pas d'équipements militaires selon des termes acceptables[80],[81],[82], Nasser se tourna vers le bloc de l'Est et signa un contrat d'armement de 320 millions de dollars (environ 2,2 milliards de dollars de 2012[83]) avec la Tchécoslovaquie le 27 septembre[80],[81]. Grâce à cet accord, l'équilibre des forces entre Égypte et Israël fut quelque peu rétabli et le rôle de Nasser en tant que meneur arabe défiant l'Occident fut renforcé[81].
Conférence de Bandung
Lors de la conférence de Bandung en Indonésie à la fin du mois d'avril 1955, Nasser fut considéré comme le principal représentant des pays arabes et fut l'une des figures les plus populaires du sommet[84],[85]. Sur le trajet à la conférence, il fit des escales en Afghanistan, au Pakistan[86], en Inde[87] et en Birmanie[88]. Nasser servit de médiateur entre les factions pro-occidentales, pro-soviétiques et indépendantes pour la rédaction du communiqué final[84] concernant le colonialisme en Afrique et en Asie et la création d'un troisième ensemble neutre dans la guerre froide. Nasser défendit l'indépendance des colonies françaises d'Afrique du Nord, le droit au retour des réfugiés palestiniens et l'adoption de résolutions (en) des Nations unies pour mettre fin au conflit israélo-arabe[89]. Après la conférence, Nasser adopta officiellement le « neutralisme positif » du président yougoslave Josip Broz Tito et du président indien Jawaharlal Nehru en tant qu'élément central de la politique étrangère égyptienne dans la guerre froide[85],[90]. Nasser fut accueilli à son retour par une large foule dans les rues du Caire le 2 mai et fut salué par la presse pour ses réussites dans la conférence. La confiance de Nasser et son prestige furent considérablement renforcés[91].
Constitution de 1956
Avec sa position intérieure fortement renforcée, Nasser fut capable de prendre l'ascendant sur ses collègues du RCC et jouissait alors d'une capacité d'action incontestée[88] en particulier dans le cadre de la politique étrangère[92]. En janvier 1956, une nouvelle Constitution fut rédigée et instaura un système de parti unique appelé Union nationale (NU)[92] ; Nasser décrivit cette organisation comme « le cadre dans lequel nous réaliserons notre révolution »[93]. La NU était une recomposition du Rassemblement de la Liberté[94] dont Nasser estimait qu'il n'était pas parvenu à obtenir une large participation de la population[95]. Dans le nouveau mouvement, Nasser tenta de renforcer les comités locaux pour solidifier le soutien populaire à son régime[95].
La nomination de Nasser à la présidence et la nouvelle Constitution furent soumises à un référendum le 23 juin 1956 et approuvés par plus de 99,8 % des électeurs[92]. Une assemblée nationale de 350 membres fut établie et des élections furent organisées en juillet 1957[94]. De nombreux candidats furent rejetés par les autorités et les pouvoirs de l'assemblée étaient limités par les vetos du président[96]. La Constitution accordait le droit de vote aux femmes, interdisait toute discrimination sexuelle et accordait des protections aux femmes dans le monde du travail[97]. Le RCC vota sa dissolution et ses membres reprirent leurs fonctions militaires dans le cadre du processus de transition du pouvoir aux civils[98]. Durant les délibérations entourant la formation d'un nouveau gouvernement, Nasser entama une purge de ses anciens associés au sein du mouvement des officiers libres[92].
Enfin, le , Nasser est investi pour son premier mandat[99].