Histoire du Parti communiste français
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L'histoire du Parti communiste français débute en 1920 lorsque la fraction majoritaire de la SFIO au congrès de Tours fonde la Section française de l'Internationale communiste (SFIC). Devenu le Parti communiste français en 1943, le parti connaît son maximum d'influence au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Il décline fortement à partir des années 1980.
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1920 : création lors du congrès de Tours
Le parti est créé sous le nom de Section française de l'Internationale communiste (SFIC). Il naît du traumatisme de la Première Guerre mondiale et de l'échec du modèle français du socialisme et du syndicalisme (socialisme influencé par la « synthèse jaurésienne », démocratique et parlementariste en même temps qu'anticapitaliste, et syndicalisme révolutionnaire ou d'« action directe »). La génération des jeunes militants qui ont vécu les combats perçoivent comme une trahison la participation de la SFIO à l'effort de guerre[1]. Si la révolution russe d'octobre 1917 n'est pas immédiatement perçue comme « la grande lueur à l'Est » par le mouvement ouvrier français, l'échec des socialistes aux législatives de 1919 et de la grève générale préparée par la CGT préparent le terrain d'un renouveau politique[2].
En 1920, au congrès à Tours, une majorité des militants socialistes de la SFIO, emmenés par Fernand Loriot, Charles Rappoport et Boris Souvarine[3], décident de s'affilier à la Troisième Internationale, fondée en 1919 à la suite de la révolution d'Octobre. La motion d'adhésion, émanant du Comité de la Troisième internationale et des « reconstructeurs » autour de Marcel Cachin et Ludovic-Oscar Frossard, l'emporte sur les motions d'« adhésion avec réserves » (déposée par Jean Longuet et ses partisans) et « pour l'unité internationale », refusant l'adhésion (déposée par Léon Blum et son Comité de Résistance socialiste). Le Congrès est marqué par des « coups de théâtre » : le "coup de pistolet Zinoviev", un télégramme des bolcheviks qui entend imposer l'exclusion de Longuet et de ses partisans, et une intervention théâtrale de Clara Zetkin pendant le discours de Frossard sur les réserves des socialistes à l'égard des exigences bolcheviks. Celles-ci sont en effet très lourdes : les 21 conditions de Lénine imposent le centralisme démocratique, la rupture complète avec les réformistes, la formation d'un organe clandestin, l'épuration des dissidents et des « petits-bourgeois »… Cependant elles ne sont pas immédiatement prises au sérieux par les partisans de l'adhésion à la Troisième internationale, convaincus qu'elles resteront lettre morte[4]. Le Parti communiste français, qu'on appelle alors Section française de l'Internationale communiste (SFIC) est ainsi créé[5].
Il est estimé à 120 000 le nombre d'adhérents qui avaient rejoint le nouveau parti, alors que la SFIO n'en comptait plus que 40 000, tout en conservant néanmoins la majorité de ses députés et de ses élus locaux. La scission au sein de la SFIO devait entraîner un an plus tard une scission du syndicat CGT, mais cette fois, les partisans de l'Internationale communiste qui fondèrent la CGTU étaient minoritaires.
La SFIC milite pour la libération des soldats mutins de 1917, dont plusieurs milliers, outre les fusillés, avaient été envoyés dans des camps de travail par le gouvernement de Raymond Poincaré[6].
En janvier 1923, Ludovic-Oscar Frossard (le secrétaire général du Parti) démissionne, à la suite de la politique de front unique imposée par le Komintern, qu'il désapprouve, et le refus d'une codirection avec la gauche.
En 1924, l'emprise de Grigori Zinoviev sur l'IC et la bolchévisation se traduisent par l'exclusion de dirigeants historiques situés à la gauche du parti, comme Boris Souvarine, Pierre Monatte et Alfred Rosmer, et par une conduite caporaliste du parti français par Albert Treint et Suzanne Girault jusqu'en 1926. La SFIC se proclame alors comme bolchevique et léniniste, s'engage à construire un parti qui peut utiliser des moyens légaux, mais qui doit également se doter d'un appareil clandestin et ne doit pas exclure l'action illégale. Le parti constitué devait être discipliné voire militarisé, suivant les règles étroites du centralisme démocratique : les minoritaires doivent suivre la ligne décidée majoritairement, et n'ont pas le droit de s'organiser pour défendre leur tendance.
Après Albert Treint, secrétaire général de 1923 à 1926, Pierre Semard est le nouveau secrétaire général en titre de 1926 à 1929. Différents membres fondateurs, devenus oppositionnels, sont exclus ou quittent progressivement le parti : Fernand Loriot (1926), Amédée Dunois (1927), Albert Treint (1929). Le nombre d'adhérents chute à 55 000 en 1926[7].
1920-1930 : premières années, « classe contre classe »
En 1921, la SFIC devient le Parti communiste (SFIC), dont l’acronyme est PC-SFIC[8],[9],[10],[11],[12] et qui ne doit pas être confondu avec le Parti communiste (PC), parti d’inspiration libertaire et anti-parlementariste créé en 1919, dissout en mars 1921, duquel émergera le soviétisme-libertaire, et lié aux anarchistes soutenant la révolution russe[13].
Les premières années du parti furent mouvementées et un tant soit peu confuses. C'était un parti révolutionnaire, « gauchiste », comme on dira couramment plus tard des groupes d'extrême gauche qui ont fleuri en mai 68. L'action antimilitariste se développa auprès des jeunes, dans les casernes, à l'occasion de l'occupation de la Ruhr en 1923 par les troupes françaises et de la guerre du Rif, au Maroc, en 1925.
Lors des élections législatives de 1924, le PCF obtient 9,8 % des voix et 26 sièges, soit beaucoup moins que la SFIO. Mais sous la direction de la fraction de gauche (Treint-Girault), la priorité est donnée aux grèves générales et aux actions révolutionnaires plutôt qu'aux élections. Au Parlement français, les premiers députés élus du PCF s'opposent à la coalition du Cartel des gauches, formée par la SFIO et le Parti radical, qui gouverne entre 1924 et 1926.
En Union soviétique, en 1927, Staline évince ses rivaux, Zinoviev, Kamenev et Trotski qui participent à la direction collégiale depuis la mort de Lénine, en 1924. L'IC (Internationale communiste) impose une politique dure et sectaire, dite « classe contre classe », qui consiste notamment à refuser toute alliance avec les socialistes, et elle pousse en avant les JC (Jeunesses communistes, alors dirigées par Doriot, également député de Saint-Denis) pour mettre en œuvre cette ligne ultra sectaire. Des exclus forment des organisations communistes dissidentes, anti-staliniennes[14].
Henri Barbé devient secrétaire du Parti, après Pierre Semard. La SFIO est attaquée au même titre que les partis bourgeois. Aux élections de 1928, le PC-SFIC obtient 11 % des voix, mais, en raison de son isolement, ne compte que 14 élus contre 25 sortants. Jacques Duclos, vainqueur de Léon Blum dans le 20e arrondissement de Paris, est l'un des 14 rescapés.
Avec Jacques Duclos, Benoît Frachon et Maurice Thorez sont des hommes qui montent et qui prennent de plus en plus d'importance au sein du Parti. Comme Duclos, Maurice Thorez est passé dans la clandestinité à la suite d'actions antimilitaristes. Il a déjà effectué plusieurs séjours à Moscou. Entré au Bureau politique (BP) en 1926, il assure la fonction de secrétaire à l'organisation. En 1929, à 36 ans, Benoît Frachon devient le doyen du secrétariat, aux côtés des 2 dirigeants des JC, Henri Barbé et Pierre Celor, tous deux âgés de 27 ans, et de Thorez, 29 ans.
Au début des années 1920 est créé au sein du parti le Comité d’études coloniales (CEC), transformé au milieu de la décennie en Comité colonial (CC) ; il est chargé d'animer son activité anticoloniale. Nguyễn Ái Quốc y joue un rôle à ses débuts. Après s'être opposé à la guerre du Rif, l'activité anticoloniale du PCF décroit cependant rapidement[15], notamment sous le Front populaire et la politique de « nationalisation » du PCF menée sous la direction de Thorez. L'antifascisme devient la priorité.
1930-1934 : début de la direction de Maurice Thorez
En 1931, Charles Tillon, membre du bureau confédéral de la CGTU, effectue son premier et d'ailleurs unique voyage à Moscou. Il y sera reçu par les dirigeants de l'Internationale, Manouïlsky et Piatnisky. Manouïlsky est une vieille connaissance du Parti. Lénine l'avait envoyé clandestinement en mission en France en 1921, et il put intervenir au congrès de Paris, faisant une profonde impression sur tous les délégués. Depuis, c'est lui qui suit le PC-SFIC pour l'Internationale, dont il deviendra le principal dirigeant jusqu'en 1934. Manouïlsky éprouvait des doutes sur le bien-fondé de la ligne ultragauchiste et s'apprêtait à débarquer Barbé et Celor, les jeunes dirigeants propulsés à la tête du Parti pour appliquer la ligne « classe contre classe ».
Il s'en est fallu de peu que Maurice Thorez ne fût aussi écarté comme Barbé et Celor, mais c'est lui que Manouïlsky installe à la tête du Parti, au congrès de Paris en 1932. Duclos et Frachon comptent parmi les 10 autres membres du bureau politique. Cette exclusion des deux principaux protagonistes de la ligne « gauchiste » au sein du Parti est le symbole d'une modération des tactiques et du retour au front unique (surtout par en bas), en persistant globalement sur cette ligne idéologique sectaire[16]. Si on fait le bilan des 12 premières années d'existence du Parti, les résultats ne sont guère époustouflants sur le plan électoral, ou du nombre d'adhérents, mais d'un point de vue léniniste, la réussite est incontestable : l'ensemble hétéroclite d'anarcho-syndicalistes, nébuleuse de divers courants révolutionnaires, s'est métamorphosé en un authentique parti bolchevique. L'équipe dirigeante, jeune, issue de la classe ouvrière, est formée de révolutionnaires professionnels, bénéficiant d'une solide expérience des affrontements avec la police, de la clandestinité, mais sachant également jouer des moyens légaux, par exemple les mandats de députés pour bénéficier de l'immunité parlementaire. Ces dirigeants sélectionnés avec « clairvoyance » par Manouïlsky, extrêmement brillants au départ, ont reçu en outre une solide formation théorique au gré de leurs passages à Moscou.
Le PCF subit des pertes substantielles lors des élections de 1932, ne remportant que 8 % des voix et 10 sièges. Les élections de 1932 voient la victoire d'un autre Cartel des gauches. Cette fois, bien que le PCF ne participe pas à la coalition, il soutient le gouvernement de l'extérieur (soutien sans participation), de la même manière que les socialistes, avant la Première Guerre mondiale, avaient soutenu les gouvernements républicains et radicaux sans y participer. S'il ne participe pas aux désistements électoraux, excepté au Sénat, il soutient à l'Assemblée certaines lois des gouvernements de gauche.
1934-1939 : relations avec Staline, Front populaire et montée du nazisme
En 1936, le PC-SFIC est intégré au dispositif de l'Internationale communiste, adossé à l'Union soviétique dominée par Staline. De nos jours, ce nom, avec ses dérivés, « stalinisme », « stalinien » (terme qui apparaît à la fin des années 1920), évoque une variante historique de la tyrannie sanguinaire et du totalitarisme, mais pour le militant PC-SFIC « de base » de 1936, grâce à une direction « éclairée, ferme et stable », l'URSS s'affirme comme la nation des prolétaires, consolidant les acquis de la Révolution par une marche vers le progrès économique et technologique. Le Parti français, à l'image du « grand frère » soviétique, est doté, lui aussi, d'une direction « stable et éclairée ». Ses effectifs s'accroissent de mois en mois, il occupe un espace politique toujours plus vaste.
À Moscou, à partir de 1927 et plus encore avec l'assassinat de Sergueï Kirov, en 1934, les purges (assassinats et déportations) deviendront une pratique courante de « gestion du parti ». De 1934 à 1939, on estime à un million le nombre de ses membres qui seront exécutés ou déportés. Mais à Paris, le délégué de l'Internationale, le représentant de Staline, donc, est un Tchèque élégant et raffiné, Eugen Fried (« camarade Clément »), qui sait contrôler le Parti avec doigté en s'intégrant dans le trio de direction, Thorez, Frachon et Duclos, eux-mêmes issus du choix « éclairé » de Manouïlsky.
Hitler avait pris le pouvoir en Allemagne en janvier 1933. Le fascisme devint encore plus à l'ordre du jour en Europe (l'Italie était fasciste depuis une décennie). Pour autant, l'IC, qui avait mis fin à la phase « gauchiste » du PC en remplaçant Barbé par Thorez restait ferme dans sa ligne sectaire. L'union avec les sociaux-démocrates n'était tolérée qu'à la base : les ouvriers de la CGT, non communiste, étaient invités à participer aux actions de la CGTU, communiste. Dans la France de 1934, c'étaient les ligues d'extrême-droite qui représentaient le danger fasciste. C'est au cours des journées de 1934 qui virent de très violents affrontements entre les ligues, la police et les communistes, que s'imposèrent les sentiments unitaires d'une gauche antifasciste.
Le 6 février 1934, les ligues envahirent la place de la Concorde. La bagarre avec la police fut déclenchée quand ils voulurent franchir le pont de la Concorde pour donner l'assaut à la chambre des députés. Le 9 février, les affrontements entre la police et les manifestants antifascistes firent 9 morts parmi les manifestants. Cette manifestation fut qualifiée par une partie des opinions de tentative de coup d'État. La CGTU et la CGT appelèrent à la grève générale le 12 février. Ce jour-là, au cours d'une manifestation commencée dans la division, les cortèges socialistes et communistes fusionnèrent dans l'enthousiasme, place de la Nation aux cris de « Unité ! Unité ! ». Jusqu'en juillet 1934, cette manifestation unitaire resta sans suite. Doriot, partisan d'une entente avec la SFIO contre le fascisme, est exclu le 27 juin 1934. C'est Dimitrov, nouveau responsable de l'IC, et Manouïlsky qui réussirent à obtenir de Staline un revirement de l'IC, en faveur d'une alliance avec les sociaux-démocrates. Dimitrov transmit les nouvelles consignes à Thorez, à Moscou. Le 27 juillet 1934, un pacte d'unité d'action PC et SFIO fut conclu. L'après 6 février 1934 voit aussi l'Association juridique internationale (AJI), proche des communistes, se rapprocher de la Ligue des droits de l'homme.
Par ailleurs, entre 1934 et 1936, le PCF abandonne sa vocation antimilitariste pour adopter une orientation antifasciste, se ralliant à la défense nationale et abandonnant le défaitisme révolutionnaire[17].
La nouvelle politique unitaire se concrétisa en 1936, par la réunification de la CGT et de la CGTU, d'abord en mars, puis en mai, par la victoire électorale des forces de gauche unies dans le Front populaire. Le PC-SFIC obtenait 72 des 336 sièges de députés de la coalition de gauche. Léon Jouhaux, ex-CGT restait secrétaire général de la CGT réunifiée, mais Frachon entrait au Bureau confédéral. Les nouveaux statuts de la CGT prévoyant l'incompatibilité entre des mandats syndicaux et politiques, il dut démissionner du Bureau politique du Parti. Cette démission fut purement formelle : on le considéra toujours comme membre de la direction.
À la suite de la victoire électorale du Front populaire, une puissante grève générale spontanée se déclencha, avec occupations. Déconcerté par ce mouvement venu de la base, la direction du PC-SFIC appela à reprendre le travail début juin. Le rythme des grèves ne fut pas partout le même, les spécificités locales restant fortes[18].
Données[19] | 1928 | 1932 | 1936 |
---|---|---|---|
Adhérents | 50 000 | 32 000 | 235 000 |
Parlementaires | 14 | 11 | 72 |
Permanents | ? | 500 | 3 000 |
Électeurs | 11,2 % | 8,3 % | 15,2 % |
En 1936, le PC-SFIC a atteint le stade final de son évolution, une forme stable que l'on pourrait qualifier de léniniste-stalinien, c'est-à-dire qu'il répond encore aux critères du bolchevisme tels qu'ils étaient définis au moment du congrès de Tours, mais qu'il dispose maintenant d'une autorité suprême qui permet de trancher éventuellement tous les débats et de résoudre tous les conflits.
Le maintien des principes léninistes implique la coexistence de 3 appareils distincts : l'appareil légal est celui qui apparaît à l'issue des congrès, avec son Bureau politique, son Comité central, son organisation en cellules, rayons, responsables départementaux, interrégionaux, ses élus, députés ou maires. L'appareil illégal doit permettre au Parti de supporter une interdiction. Il consiste en un dispositif clandestin de planques, d'imprimeries, des moyens financiers à l'abri d'une saisie, avec quelques dirigeants n'ayant aucune fonction officielle. L'appareil de l'IC contrôle sur le territoire français des militants qui sont rattachés directement à l'IC, sans aucun rapport structurel avec la section française, c'est-à-dire avec le PC-SFIC. Ainsi, les étrangers sont organisés à l'époque dans la Main-d'œuvre immigrée (MOI), rattachée au PC-SFIC pour les problèmes pratiques, mais dans les faits, sous le contrôle politique direct de l'IC.
Si l'IC peut déléguer à des étrangers, comme Fried, des responsabilités auprès du Parti français, des dirigeants français peuvent également assurer des fonctions qui débordent le cadre national. Ainsi, Jacques Duclos, membre du Bureau politique et du secrétariat du Parti, député de Montreuil et vice-président de la Chambre des députés en 1936, est également membre du comité exécutif de l'IC et fréquemment mis à contribution pour représenter l'IC auprès des partis petits frères belges et espagnol.
Dans les années 1936-1939, le parti compte entre 200 000 et 300 000 membres, et l'essentiel d'entre eux n'ont rien à voir ni avec l'appareil illégal, ni avec l'appareil de l'IC. Mais dès qu'ils prennent quelques responsabilités, leur carrière est gérée par la section des cadres, qui relève à la fois du service du personnel et de la police interne. Chaque responsable doit remplir une biographie qui concerne à la fois son propre passé, mais aussi quelques éléments sur son entourage familial. Au fur et à mesure qu'il grimpe les échelons, il pourra être amené à remplir plusieurs fois des biographies de plus en plus précises. La commission des cadres et la commission centrale de contrôle supervise ainsi les résultats des questionnaires et amènent régulièrement à des purges. Ces biographies sont regroupées à Moscou et sont consultables au Centre russe de conservation et d'études des documents en histoire contemporaine[20].
1936-1939 : guerre d'Espagne
En juillet 1936, Franco fit contre la République Espagnole sa tentative de putsch, ou « pronunciamiento ». La guerre civile espagnole commençait, et elle dura jusqu'en février 1939. Les premiers volontaires du PC-SFIC furent envoyés début septembre, mais c'est au cours d'une réunion à Ivry, chez Thorez, le 18 septembre, où étaient conviés, Fried, le délégué de l'IC, Émile Dutilleul le trésorier du Parti, Maurice Tréand, le responsable de la section des cadres, et Cerreti, un Italien à la fois membre du Comité Central et dirigeant de la MOI, que la ligne générale fut décidée. Les grandes lignes de l'implication du PCF dans la guerre d'Espagne furent jetées, et les rôles distribués : Tréand recrutait les militants, Cerreti s'occupait du ravitaillement en armes, et Dutilleul des collectes. Les choses évolueront par la suite un peu différemment.
En 1936, le PCF n'était pas au sein de l'Internationale un parti parmi d'autres. À côté du parti soviétique il restait le seul parti communiste de quelque importance après l'interdiction des partis dans les pays fascistes, l'Italie en 1924 et l'Allemagne en 1933. Le Parti français fut à la pointe pour le soutien à l'Espagne républicaine. Rappelons qu'en 1936, tous les grands pays, y compris l'URSS, s'étaient officiellement prononcés pour la non-intervention, laquelle sera vite violée par l'Allemagne et l'Italie. Les Républicains reçurent l'aide directe contre payement de la seule URSS, mais comme celle-ci ne souhaitait pas intervenir directement pour ne pas contrevenir aux règles de la non-intervention, et que de toute façon, il fallait bien faire transiter les armes soviétiques par le territoire français, le Parti français, en plus de l'action de soutien qu'il avait initié dès août 1936, joua un rôle majeur d'intermédiaire entre l'URSS et le gouvernement républicain espagnol.
Le gouvernement de Léon Blum resta sur la ligne de la non-intervention et refusa l'aide directe aux républicains. Dans la pratique, l'attitude de Blum et de ses successeurs ne fut jamais celle d'une stricte neutralité. En août 1936, Blum désignait le douanier Gaston Cusin comme le responsable au sein de l'appareil d'État de l'aide clandestine à l'Espagne. Cusin rencontra Thorez et Duclos qui, eux, désignèrent Cerreti comme interlocuteur du parti communiste. C'est ainsi que tout fut mis en place pour que d'énormes quantités d'armes et matériels divers (essentiellement soviétiques) puissent transiter par les ports et le territoire français. Le PCF dut alors se doter d'une infrastructure adéquate pour faire face à des problèmes de logistique tout à fait nouveaux. De son côté, Cusin pouvait s'appuyer sur trois mille douaniers sympathisants dont une centaine d'hommes sûrs pouvaient faire des contrebandiers d'élite.
Une compagnie maritime, France-Navigation fut créée sous l'autorité de Cerreti, en mai 1937, pour le plus grand bonheur du gouvernement espagnol impuissant à convaincre d'autres compagnies d'avoir à affronter le blocus de ses ports par la marine franquiste, pour le plus grand bonheur, aussi, de Staline, qui voulait bien livrer des armes aux Espagnols, mais sans engager de bâtiments soviétiques. Le gouvernement espagnol avait mis les trois quarts de ses réserves d'or à l'abri, en URSS, de sorte que Staline n'avait pas de problèmes pour se faire payer. En complément de France-Navigation, l'entreprise de transports routiers de Pelayo assurait la traversée du territoire français avec des dizaines de Dodge, Ford, Latil. Il y avait tous ceux, également, qui s'occupaient d'approvisionnement de toutes sortes de denrées. Michel Feintuch, un immigré juif polonais, que l'on connaîtra mieux sous le pseudonyme de Jean Jérome, acheminait vers l'Espagne républicaine des armes, mais aussi des machines, du cuivre, du zinc. Pour mener à bien tous ces trafics, il y eut désormais place au Parti pour l'homme d'affaires d'un genre particulier, à côté du vendeur de l'Humanité, du tribun syndicaliste et du normalien journaliste.
Pour le PCF, la dernière phase de la guerre d'Espagne fut humanitaire, pour secourir les centaines de milliers de réfugiés qui croupissaient dans des camps depuis janvier 1939. On a souvent dit que la guerre d'Espagne avait été une anticipation du cataclysme qui devait secouer le monde de 1939 à 1945. Complètement mobilisé dans le soutien à l'Espagne, le Parti ne pouvait ignorer les sombres nuages qui obscurcissaient l'horizon. Plus que jamais, il fallait se préparer à la clandestinité. Trois hommes se répartirent la recherche de planques : certaines étaient de vastes propriétés, fort éloignées de Paris, jusqu'en Belgique ou en Suède : par dérision, les communistes parlaient de leurs châteaux ; ce fut l'affaire de Cerreti. On confia à René Mourre le soin de trouver des fermettes dans le bassin parisien. Les HLM des boulevards de ceinture et les pavillons de banlieue étaient du ressort d'Arthur Dallidet. Il sacrifia avec sa compagne Mounette Dutilleul bien des dimanches pour sillonner à vélo toute la région parisienne et bien au-delà.
1938-1939 : accords de Munich, Pacte germano-soviétique et entrée en guerre
Le 30 septembre 1938, Daladier et Chamberlain signaient avec Hitler les accords de Munich qui consacraient le démembrement de la Tchécoslovaquie. À son retour à l'aéroport du Bourget, Daladier était acclamé par la foule qui croyait la guerre écartée. À la Chambre, avec seulement trois autres députés, les soixante-douze communistes rejetèrent les accords. Cette fois-ci, les communistes étaient persuadés que la France et le Royaume-Uni avaient voulu détourner vers l'URSS les foudres hitlériennes, et il est vrai qu'ils étaient nombreux, à droite, tant à Londres qu'à Paris, ceux qui pensaient que la moins mauvaise guerre serait celle qui aurait opposé le nazi au bolchevique[réf. nécessaire]. Pour les communistes, les choses étaient encore simples, l'antifascisme et la défense de l'URSS étaient un seul et même combat.
Le désarroi de nombreux communistes fut donc immense lorsque, par la radio et les journaux, ils prirent connaissance du pacte germano-soviétique le 23 août 1939 : l'Union soviétique devenait l'alliée de l'Allemagne nazie avec qui elle partageait des territoires d'Europe centrale (Pays baltes et Finlande). Des accords secrets prévoyaient, entre autres, le partage de la Pologne. Le 3 septembre, la Grande-Bretagne et la France déclaraient la guerre à l'Allemagne à la suite de l'agression de la Pologne.
Il y eut quelques jours pendant lesquels les communistes français essayèrent de concilier leur fidélité à l'URSS et leurs convictions antifascistes. Pas question de désavouer le pacte, mais aucune explication, aucune consigne ne leur parvint par les canaux habituels de l'Internationale. Alors, ils envoyèrent à Moscou, pour recevoir des explications, Arthur Dallidet, qui partit accompagné d'un de ses adjoints, Georges Beaufils. En attendant les explications, ils votent à l'Assemblée les crédits de guerre le 2 septembre et Thorez rejoint son unité.
1939-1940 : de la dissolution du parti à l'entrée des Allemands dans Paris
Mais la rupture était déjà consommée avec le président du Conseil des ministres, Daladier. Celui-ci interdit la presse communiste dès le 26 août et fait arrêter les militants communistes qui distribuent des tracts en faveur du Pacte germano-soviétique[21].
Début septembre, alors que la France est entrée en guerre, le secrétariat Comité exécutif de l'Internationale communiste envoie un télégramme aux dirigeants communistes français, dont la direction du PCF prend connaissance entre le 13 et le 20 du même mois, dans lequel il précise que le « Prolétariat mondial ne doit pas défendre Pologne fasciste », que l'« ancienne distinction entre états fascistes et soi-disant démocratiques a perdu sens politique » et qu'« à l'étape actuelle de la guerre, communistes doivent se déclarer contre la guerre »[21]. Les dirigeants du PCF redresseront leur ligne politique en fonction de cette directive[21]. Après l'entrée des troupes soviétiques en Pologne, le PCF approuve l'intervention de l'URSS[21]. Il justifiera également en janvier 1940 l'agression soviétique de la Finlande, L'Humanité saluant l'aide de l'Armée Rouge « au prolétariat si exploité et brimé » de Finlande[21].
Plus du tiers des députés communistes se désolidarisent du pacte germano-soviétique et quittent, au moins provisoirement, le parti[21]. Vingt-deux des soixante-quatorze parlementaires communistes quittent le parti et le groupe communiste à l'Assemblée nationale pour créer un nouveau groupe parlementaire : l’Union populaire française. Trois autres dissidents ne rejoignent pas le nouveau groupe. Seule une petite minorité de ses transfuges sera résistante. Sur demande de l'IC, Maurice Thorez, mobilisé dans l'Armée française, déserte de son unité et se réfugie en Belgique, d'où il appelle au sabotage de la défense nationale[22], et, de là, gagne Moscou.
Le 26 septembre, le gouvernement dissout le Parti. La politique répressive du gouvernement d'Édouard Daladier et de son ministre de l'Intérieur, Georges Bonnet, et la façon dont elle est appliquée par les préfets a contribué paradoxalement à la survie de l'organisation en faisant taire les états d'âme[réf. nécessaire].
Dallidet et Beaufils ne rencontrent à Moscou que des personnalités de second plan. Ils rentrent en France sans véritable éclaircissement sur les intentions des Soviétiques. Ce n'est qu'à la fin du mois de septembre que Dimitrov fait parvenir à Paris des directives précises, transmises par Raymond Guyot, en poste à Moscou en tant que secrétaire général des jeunesses de l'IC. Ordre est donné de ne plus dénoncer que la « guerre impérialiste ».
En septembre 1939, tous les hommes jusqu'à 40 ans sont mobilisés, dont Jacques Duclos, Benoît Frachon et Charles Tillon ont passé la limite d'âge. Ceux qui ne savent pas appliquer les consignes de sécurité sont arrêtés. Ainsi, la moitié du Comité central et trois membres du Bureau politique, Marcel Cachin, Pierre Semard et François Billoux, se retrouvent incarcérés. Le Parti, dans son ensemble, se retrouve complètement désorganisé.
L'Internationale avait décidé de regrouper l'appareil du Komintern et l'essentiel de la direction française en Belgique. Fried y était déjà installé le 23 août 1939, Cerreti reçut le premier l'ordre de le rejoindre, et par la suite Jacques Duclos, Arthur Ramette et Maurice Tréand. Un ordre officiel de Dimitrov, transmis par Mounette Dutilleul. Les dirigeants qui ne sont pas mobilisés par l'armée et que l'IC ne transfère pas à Bruxelles sont envoyés dans les différentes régions. Ainsi, Charles Tillon sera responsable régional à Bordeaux, Gaston Monmousseau à Marseille et Auguste Havez en Bretagne.
À Paris, le Parti maintient une activité minimale : distributions de tracts, parution épisodique de l'Humanité clandestine. C'est à Florimond Bonte que revient la mission de défendre la ligne du Komintern devant la Chambre des députés. Il n'a pas même le temps de sortir son texte que le président Herriot ordonne aux huissiers de l'expulser. 317 municipalités contrôlées par le PC sont, arbitrairement, dissoutes, et 2 800 élus déchus de leurs mandats, dont 61 parlementaires[23]. Au total, il y aura plusieurs milliers d'arrestations. La répression s'est installée jusque dans la CGT, réunifiée depuis 1936, mais toujours tenue en main par Léon Jouhaux. Dès le 18 septembre, le bureau confédéral excluait de la CGT tous ses membres qui ne souscriraient pas à sa condamnation du pacte. Dans de nombreux syndicats de base, les communistes étaient majoritaires : ils seront dissous par le ministre de l'Intérieur, 620, au total[24].
Les militants communistes disponibles, qui se battent pour la survie du Parti, réorganisent leurs structures clandestines. Des membres de l'Union des jeunes filles de France (UJFF), dont Claudine Chomat, Danielle Casanova, Georgette Cadras, souvent appelées « agents de liaison » ou « femmes de liaison », assument en fait par intérim des responsabilités considérables. La plongée dans la clandestinité implique la disparition de toutes les structures traditionnelles, cellules, rayons, et la mise en place de triangles, ou groupes de trois, principe de base de l'organisation clandestine. Le décret-loi du 9 avril 1940, présenté au président de la République par le ministre SFIO Albert Sérol (J.O. du 10 avril 1940), prévoyant la peine de mort pour propagande communiste, l'assimilant à la propagande nazie, accentue les risques.
Danielle Casanova et Victor Michaut sont chargés d'organiser une propagande pacifiste en direction des soldats sans jamais appeler à la désertion. Le niveau d'implication du parti dans quelques affaires de sabotage attestées dans des usines d'armement reste un sujet d'interrogation pour les historiens (Voir article détaillé La question du sabotage)[25].
En mai 1940, l'invasion allemande du pays ne simplifie pas une situation déjà difficile pour le parti entré en clandestinité. Le philosophe communiste Politzer sert d'intermédiaire pour nouer des contacts entre le ministre Anatole de Monzie, à sa demande, et Benoît Frachon, lequel répond en réclamant la levée de l'interdiction du Parti et l'armement de la population parisienne, pour constituer une sorte d'union sacrée pour la défense de Paris.[réf. nécessaire]
Alors que le député d'Amiens, Jean Catelas reste à Paris le seul représentant de la direction avec Gabriel Péri, Frachon et son équipe (dont Victor Michaut, Arthur Dallidet et Mounette Dutilleul) se retrouve à Fursanne, près de Limoges, en Haute-Vienne.
1940-1941 : l'Occupation avant Barbarossa
Premiers mois de l'occupation
Le 15 juin 1940, Duclos et Tréand, le responsable aux cadres, arrivent à Paris. Ils mettent près de 4 semaines avant d'établir un contact avec le groupe Frachon en Haute-Vienne.
Des démarches sont faites par Maurice Tréand, Jean Catelas et Robert Foissin[26] auprès des autorités d'occupation pour négocier la reparution de L'Humanité. Ces démarches sont connues, sinon dictées par Duclos (les trois militants seront plus tard écartés pour protéger Duclos)[27]. Un argumentaire de négociation, sans doute rédigé par Maurice Tréand, est retrouvé sur la militante Denise Ginollin, évoquant le « Juif Mandel »[28]. Il en est de même des représentants du parti français à Moscou avec lesquels au moins huit lettres (dont certaines font une dizaine de pages) sont échangées entre la fin du mois de juin et le début du mois d'août. La ligne officielle du parti, émanant de Moscou et appliquée normalement par la Section française de l'Internationale communiste, ne met pas en priorité la lutte contre les nazis. Il est donc envisagé de sortir une Humanité légale (les autres journaux le sont), qui, passée au filtre de la censure, aurait adopté une neutralité vis-à-vis de l'occupant. Les pourparlers concernant le journal avortèrent finalement du fait des Allemands. Hitler désavoua Otto Abetz qui tentait d'amadouer les communistes désorientés. De leur côté, les autorités de Vichy obtinrent gain de cause pour empêcher la légalisation du parti.
Après la Libération, le PCF nie l'existence de pourparlers avec l'occupant concernant la reparution de L'Humanité. Il les reconnaît par la suite mais les attribue à l'initiative de simples militants. C'est seulement à partir des années 1980 que le parti admet que ces négociations ont été réalisées sur consigne de la direction du parti. Les historiens Jean-Pierre Besse et Claude Pennetier tirent de cet évènement un livre, Juin 40 : la négociation secrète (éditions de l'Atelier, 2006)[28].
Tant que durent les négociations, soit jusqu'à la fin d'août, on ne trouve dans les numéros clandestins du journal aucune attaque explicite contre l'occupant. En échange, note Peschanski, Abetz libère plus de 300 communistes emprisonnés depuis l'automne 1939[29]. Le terme de « fraternisation » apparaît dans les numéros 59 et 61 de l'Humanité clandestine qui sortent respectivement le 4 et le 13 juillet[30] :
« Les conversations amicales se multiplient entre travailleurs parisiens et soldats allemands : Nous en sommes heureux. Apprenons à nous connaître, et quand on dit aux soldats allemands que les députés communistes ont été jetés en prison et qu'en 1923, les communistes se dressèrent contre l'occupation de la Ruhr, on travaille pour la fraternité franco-allemande. »
Simultanément avec les démarches confidentielles pour la reparution de l'Humanité, la direction du Parti mène une politique de légalisation. Après neuf mois de clandestinité, il s'agit de profiter du vide politique pour réoccuper le terrain. Les élus locaux et les responsables syndicaux sont invités à sortir de leurs tanières pour reprendre le chemin de leurs permanences, à réoccuper les municipalités perdues, à effectuer des prises de parole. Cette ligne, suivie approximativement de juin à septembre, s'avère un désastre complet[31],[32].
Les négociations avec les Allemands pour la reparution de l'Humanité suscitent très vite de vifs débats chez les communistes disséminés aux quatre coins de la France. Ainsi, lorsque les communications sont rétablies, tant bien que mal, entre Paris et la Haute-Vienne, l'équipe autour de Frachon, qui avait eu vent des pourparlers, fut quelque peu traumatisée. Par exemple, selon Mounette Dutilleul, la question fut débattue en Haute-Vienne au sein de l'équipe Frachon[33] :
« C'est effectivement à quatre, Frachon, Michaut, Cadras, Dallidet, que se tient la réunion organisée dans les bois de Saint-Priest-Taurion. Marie et moi faisions "le pet". C'était là tout le service d'ordre dont nous pouvions disposer alors ! Ce que j'ai su, de cette réunion des quatre, c'est que Michaut et Cadras ne comprenaient, ni n'admettaient la demande officielle aux autorités d'occupation de la parution de l'Humanité. Frachon, moins tranchant dans son expression, pensait absolument nécessaire d'aller voir de plus près. Il fut décidé qu'il remonterait à Paris... »
Finalement, l'opération engagée avec le plein accord de l'IC fut désavouée par l'IC. Une directive datée du 5 août clarifie la ligne du Parti vis-à-vis des occupants :
« Selon informations arrivées par diverses voies au sujet situation en France, il est évident que le Parti est menacé de graves dangers de la part des manœuvres de l'occupant… Par conséquent, nous vous proposons la règle de conduite suivante :
1. Le Parti doit catégoriquement repousser et condamner comme trahison toute manifestation de solidarité avec les occupants.
2. Limiter tous rapports avec les autorités occupation strictement aux questions purement formelles et de caractère administratif.
3. Poursuivre les efforts pour obtenir la légalisation de la presse ouvrière et utiliser les moindres possibilités légales pour l'activité politique et la propagande.
4. Avisons la direction du Parti que Jacques est personnellement chargé de la responsabilité pour la réalisation inconditionnelle des indications présentes et invitons tous les membres de la direction avec maximum de fermeté, de responsabilité et discipline de fer et en exiger autant de tous les membres du parti. »
La conséquence du point 8 de la directive du 5 août sera la mise à l'écart de Tréand, partielle d'abord, puis totale et définitive à partir de la fin 1940. Ses attributions vont glisser progressivement sur Dallidet et Cadras.
Duclos est le principal rédacteur du tract connu sous le nom d'appel du 10 juillet 1940. À côté d'analyses tout à fait orthodoxes où sont mis en cause, en des termes virulents, tous les dirigeants de la Troisième République et les « ploutocrates » de Vichy, à côté des inévitables références à l'URSS, surgissent des évocations nationalistes qui appellent au redressement d'un peuple meurtri et humilié par une occupation ennemie :
« …La France encore toute sanglante veut vivre libre et indépendante… Jamais un peuple comme le nôtre ne sera un peuple d'esclaves et si, malgré la terreur, ce peuple a su, sous les formes les plus diverses, montrer sa réprobation de voir la France enchaînée au char de l'impérialisme britannique, il saura signifier aussi à la bande actuellement au pouvoir SA VOLONTÉ D'ÊTRE LIBRE. »
Il est clair que ce texte où l'on recherche vainement les simples mots « allemands » ou « nazis » ne saurait en aucun cas être considéré comme un acte de résistance à l'occupant, mais démontre simplement que parallèlement aux démarches de reparution légale de leur presse, les communistes étaient déterminés à conserver un dispositif technique leur assurant la diffusion d'une expression indépendante de toute censure. Il contient également des appels à l'indépendance nationale et à la constitution d'un « Front de la liberté, de l'indépendance et de la renaissance de la France» qui ne peuvent, selon les termes de Stéphane Courtois que gêner l'occupant[34].
Beaucoup plus lourde de conséquences que les pourparlers pour la reparution de l'Humanité, la confirmation de la politique de légalisation du Parti a pour conséquence les rafles d'octobre et novembre 1940, qui envoient quelques milliers de militants rejoindre leurs camarades emprisonnés par Daladier.
La police de Vichy lance son offensive en région parisienne à la fin du mois de septembre. Une première série d'arrestations touche trois cents militants parmi lesquels de nombreux responsables politiques ou syndicaux. D'autres rafles suivent dans le reste de la France. En s'ajoutant aux internés de 1939, ils seront ainsi entre dix et vingt mille élus et militants [35] à s'entasser dans différents camps dont le plus connu est celui de Châteaubriant. Dès octobre 1940 commence la période de clandestinité totale qui durera jusqu'en 1944.
En dehors de la région parisienne, les responsables sont pratiquement coupés de tout contact et sont conduits par conséquent à improviser une ligne politique en fonction de leurs convictions. À Bordeaux, le 17 juin au matin, alors que les Allemands s'approchent de la ville, un colonel tout juste promu général, Charles de Gaulle parvient à s'envoler pour Londres d'où il prononcera son célèbre appel du 18 Juin. Ce même 17 juin, à 12H30, Charles Tillon, après avoir écouté le message radiodiffusé du nouveau chef d'état Philippe Pétain, rédige un tract intitulé Peuple de France, dont la teneur est révélatrice des sentiments qui pouvaient animer un communiste indépendant, mais nullement marginal au sein du parti :
« … Mais le peuple français ne veut pas de l'esclavage, de la misère et du fascisme, pas plus qu'il n'a voulu la guerre des capitalistes. Il est le nombre, uni, il sera la force… - Pour un gouvernement populaire, libérant les travailleurs, rétablissant la légalité du Parti communiste, luttant contre le fascisme hitlérien Peuple des usines, des champs, des magasins et des bureaux, commerçants, artisans et intellectuels, soldats, marins et aviateurs encore sous les armes, unissez-vous dans l'action. »
Ce qui distingue essentiellement la littérature communiste de Bordeaux de celle diffusée à Paris, c'est un appel explicite à la lutte contre l'occupant fasciste. En Bretagne, Auguste Havez sera encore plus percutant, le 22 juin :
« …Il n'y aura pas de répit avant d'avoir bouté les bottes hitlériennes hors de notre pays… »
Du côté de la jeunesse, la vie clandestine se met également en place. Les jeunesses communistes sont moins directement touchées par les consignes du Komintern, qui se soucie principalement de l'organisation du Parti. Cependant, leur appareil, moins organisé, a bien du mal à résister au passage à la clandestinité. Les premiers mois de l'occupation sont marqués par des actions principalement individuelles et locales, surtout chez les étudiants : distributions de tracts dans le quartier latin et organisation d'une presse (notamment La relève et L'université libre). C'est avec l'arrestation du professeur Paul Langevin, le 30 octobre 1940, que le mouvement jeune et étudiant commencera à se mettre en place : des étudiants communistes et gaullistes, parmi lesquels François Lescure, secrétaire national de l'UEC clandestine, Danielle Casanova, secrétaire générale de l'UJFF ou encore Francis Cohen, organisent une manifestation devant le Collège de France, où Langevin enseignait, le 8 novembre : les quelques dizaines de manifestants sont vite éparpillés. Mais ce premier rassemblement crée la rumeur dans le quartier latin ; de par des distributions de tracts clandestines et le bouche à oreille, la première manifestation publique contre l'occupant se déroule le 11 novembre 1940, sur les Champs-Élysées : elle regroupe un ou deux milliers de jeunes et étudiants. En représailles, des centaines d'arrestations sont faites parmi les étudiants, y compris François Lescure, et la Sorbonne sera fermée pendant plus d'un mois.
Réorganisation du parti dans la clandestinité
Au début du mois de septembre, Tillon refuse de remettre à un envoyé de Tréand la liste des principaux dirigeants de la région et des planques utilisées pour le matériel, parce que c'était contraire aux règles de la clandestinité. Dans les mois qui suivent, des règles semblables s'imposent à tous les échelons du Parti.
L'incartade de Tillon ne fait pas obstacle à son avancement. Sur proposition de Frachon il devient au début de l'année 1941 le troisième membre d'un secrétariat dont le chef est Duclos.
Frachon a écrit dans l'Humanité, en 1970[37], qu'il avait fait remonter Tillon de Bordeaux pour s'occuper de la lutte armée. Mais à la fin de 1940 ou même au début de 1941, il n'est nullement question de lutte armée contre l'occupant. Les groupes d'OS qui ont été créés ici et là sont essentiellement un service d'ordre adapté à la clandestinité, donc armé quand il y avait des armes, destiné à protéger les militants et à punir les traîtres. Tillon ne sera vraiment intégré à la direction qu'au mois de mai 1941.
Au début de 1941, Félix Cadras, que Frachon avait laissé en zone sud avec Victor Michaut, est rappelé à Paris, pour assumer les fonctions de responsable à l'organisation, ce qui libère Arthur Dallidet d'une partie de son travail. L'Humanité clandestine paraît assez régulièrement, mais jamais plus d'une fois par semaine, et de ce fait des intellectuels comme le philosophe Georges Politzer ou le journaliste Gabriel Péri sont sous-employés. Duclos suffit amplement à remplir le recto verso hebdomadaire. Les effectifs du Parti à cette époque ne doivent pas dépasser quelques dizaines de milliers [38], dont quelques centaines de permanents[39] qui vivent chichement mais touchent quand même leurs 2 000 ou 2 300 francs par mois. De par l'action de Jean Jérome et de Tréand, la plupart des caches qui abritent les différents trésors du Parti sont à nouveau sous contrôle.
À Paris, les Brigades spéciales anticommunistes du gouvernement de Vichy se font de plus en plus menaçantes. En mai 1941, à Paris, à la suite de l'interpellation de son agent de liaison, Jean Catelas (l'un des principaux responsables de l'organisation avec Dallidet et Cadras), puis Gabriel Péri et Mounette Dutilleul sont arrêtés. Deux mois plus tôt, le Parti a été décapité en zone sud avec la chute de Jean Chaintron et Victor Michaut. Le premier juillet 1941, le responsable de la région de Paris, André Bréchet tombe avec trente de ses camarades.
1941-1944 : lutte armée et convergence avec de Gaulle
Le 22 juin 1941, à quatre heures du matin, l'Allemagne envahit l'URSS. À partir de cette date, Staline donne l'ordre aux communistes d'engager la résistance armée contre les nazis, devenus dans la nuit les ennemis de l'URSS. Les communistes s'engagent alors à lutter aux côtés de l'URSS ; c'est, alors, le seul parti français engagé dans la guerre en tant que tel. Le 21 août, sur le quai du métro Barbès, Pierre Georges, le futur colonel Fabien, décharge son 6.35 sur un officier de la Kriegsmarine, l'aspirant Moser. Il est d'usage de prendre cet événement comme point de départ de la lutte armée menée par le parti communiste contre les Allemands[40].
La vague d'attentats se prolonge jusqu'au mois de novembre et déclenche un processus de représailles consistant en l'exécution d'otages juifs ou communistes. L'escalade des représailles prit un caractère massif, le 22 octobre, avec la mise à mort de vingt-sept internés du camp de Chateaubriant, dont vingt-quatre militants communistes[41] parmi lesquels le syndicaliste Jean-Pierre Timbaud et le jeune Guy Môquet, 17 ans, fils du député Prosper Môquet. Ce n'était pas la première fois que les Allemands fusillaient dans la France occupée, mais jusqu'alors les victimes avaient été reconnues coupables au regard de la loi allemande, alors que certains internés de Châteaubriant n'étaient coupables qu'au regard de la loi française, pour avoir perpétré des sabotages pendant la drôle de guerre.
Les premiers commandos de choc des communistes sont constitués à partir des Jeunesses communistes (JC) sous le nom de « Bataillon de la Jeunesse ». Lentement, à partir de fin 1941, mais surtout début 1942, les FTPF (francs-tireurs et partisans français) furent mis sur pied comme un mouvement de résistance armée structurellement indépendant du Parti. Pendant toute l'année 1942 les communistes et des représentants de De Gaulle se rapprochèrent. Il n'est sans doute pas indifférent que l'URSS ait dégagé la voie en engageant avec De Gaulle des pourparlers qui devaient aboutir en septembre 1942 à la reconnaissance du Comité national français comme représentant légitime de la France. Un Juif galicien, Michel Feintuch, alias Jean Jérome, joue un rôle de première importance pour que des Français rencontrent d'autres Français : il apprend que François Faure, fils de l'historien d'art Élie Faure avait partie liée avec la Résistance gaulliste. Il le rencontra en avril 1942 et lui demanda de faire savoir au général que la direction du PCF était désireuse de débattre de sa forme de collaboration à l'organisation de la France libre. Finalement, les deux négociateurs, qui se rencontrent à plusieurs reprises sont Gilbert Renault, alias Rémy pour la France libre et, pour le PCF, Georges Beaufils, adjoint, en quelque sorte, de Jean Jérôme. Ces contacts aboutissent d'abord à quelques échanges entre le BCRA, service de renseignements de la France libre et les FTP : armes contre renseignements. À partir du mois d'août, les contacts deviennent plus politiques : Beaufils rencontre Pierre Brossolette, qui, cette fois-ci représente De Gaulle et qui insiste pour que le Parti soit représenté à Londres.
Fernand Grenier, ancien député de Saint-Denis et évadé du camp de Châteaubriand un an plus tôt, est ainsi désigné par Duclos pour aller représenter le Parti à Londres auprès de De Gaulle. C'est en compagnie de Rémy que Fernand Grenier embarque à Saint-Aven sur un bateau de pêche au début du mois de janvier 1943.
Lorsque les Américains débarquent en Afrique du Nord, en novembre 1942, parmi les milliers d'internés dans les divers camps de détention très durs, un grand nombre de prisonniers politiques étaient des communistes[42],[43]. Parmi eux, vingt-sept anciens députés, transférés en 1941 de la maison d'arrêt du Puy à Maison Carrée en 1941. Ils sont libérés par le Général Giraud plus de 2 mois après le débarquement américain[43], et certains d'entre eux feront partie de l'assemblée consultative que De Gaulle réunira pour la première fois en novembre 1943. Entre-temps, les communistes auront joué un savant jeu de bascule entre Giraud et De Gaulle, car si Staline a soutenu inconditionnellement De Gaulle alors que Roosevelt tentait de pousser Giraud en avant, les communistes français se gardent bien de donner trop de pouvoir à celui dont ils savent bien qu'il deviendra tôt ou tard un adversaire politique[44], et qui entend bien en 1943 rester le patron de la France combattante. Après de longues négociations, en avril 1944 François Billoux, ancien membre du bureau politique et Fernand Grenier sont commissaires au CFLN puis ministres lorsque le CFLN deviendra le gouvernement provisoire. Entre-temps, en octobre 1943 De Gaulle laisse venir André Marty de Moscou, mais refuse le retour de Thorez, pour cause de désertion.
Quand Jean Moulin est parachuté en France le , il a pour mission d'unifier la Résistance intérieure sous l'autorité de De Gaulle. Pendant plus d'un an, son action concerne presque uniquement les mouvements non communistes. Il concentre son action tout au long de l'année 1942 sur l'union des trois principaux mouvements de résistance de la zone sud : Combat, Libération et Franc-Tireur. Il ne rencontrera pas de représentants du Parti ou des FTP avant le mois de mars 1943 lorsqu'il s'agira de constituer le Conseil national de la Résistance. Ces premiers contacts, avec André Mercier et Pierre Villon se placeront d'emblée sous le signe du rapport de forces[45],[46].
De leur côté, les communistes réactivent, à partir de novembre 1942, le Front national créé au printemps 1941. Pierre Villon (de son vrai nom Roger Ginsburger), un architecte alsacien qui avait eu des responsabilités au Komintern, en fut le principal dirigeant, mais dans la zone sud, Georges Marrane et Madeleine Braun ont couvert beaucoup de terrain pour rallier autour du Front national des populations ciblées dans les groupes de population qui n'étaient pas précisément réputées pour faire partie de la « clientèle » naturelle du Parti : médecins, musiciens, ecclésiastiques... Dans un contexte de clandestinité, il n'est pas très difficile pour le Parti de garder le plein contrôle du Front national, mais le recrutement dépasse largement le cadre des sympathisants du Parti. Les FTP, mouvement de résistance armée créé par les communistes est ensuite présenté comme l'émanation du Front national. À la même époque, sous l'impulsion de Jean Moulin, les trois mouvements de la zone sud fusionnent pour former les Mouvements unis de la Résistance (MUR) alors que les organisations militaires de ces mouvements formaient l'Armée secrète (AS). Pendant quelques mois, il est possible de défendre la position selon laquelle le Front national avait autant de légitimité que les MUR à fédérer la Résistance intérieure. Finalement, le Front national, ainsi que le PCF et la CGT participent à la fondation du Conseil national de la Résistance le 27 mai 1943, mais les FTP restent indépendants de l'Armée secrète jusqu'au 29 décembre 1943, date de la création des FFI. En fait, les FTP conservent leur propre structure jusqu'à la Libération[47].
Les militants communistes jouent aussi un rôle déterminant dans la Résistance en France annexée[48].
La cohésion profonde des communistes, les années d'expérience de la clandestinité leur donne un avantage certain sur toutes les autres composantes de la Résistance et à partir du moment où ils se sont intégrés aux différentes instances de la Résistance intérieure, ils s'efforcent de tirer parti de ces avantages dans les jeux de pouvoir[49]. Cependant, il ne faut jamais perdre de vue que quelles que soient les orientations prises par le Parti, qu'elles aient été décidées à Moscou ou dans le Hurepoix où résidaient les membres du secrétariat, la Résistance communiste, tout comme la Résistance non communiste n'ont pu exister que parce que des Français s'y sont ralliés sous forme relativement massive à partir de 1943. Que l'on considère les fusillés, les déportés, les titulaires de cartes de combattants de la Résistance, force est de constater que la part des communistes est importante[50].
Tandem Frachon-Duclos
Le Parti est dirigé pendant la guerre par deux hommes : Jacques Duclos et Benoît Frachon. Charles Tillon (à partir de mai 1941) et Auguste Lecœur (à partir de mai 1942), participent également aux réunions à peu près mensuelles du secrétariat. En août 1940, Duclos est désigné par Moscou comme le numéro un, mais les rencontres entre Duclos et Frachon sont fréquentes et prolongées, ce qui rend possible l'influence de Frachon sur l'ensemble des décisions prises par Duclos[51]. La relative autonomie des deux hommes s'inscrit dans le respect de la discipline vis-à-vis de l'Internationale communiste ou de l'URSS.
Paris et sa proche couronne étant devenues trop surveillées par la police, à partir de fin 1941, les trois membres du secrétariat s'installent en Seine-et-Oise, dans cette partie de l'actuelle Essonne que l'on appelle le Hurepoix : Tillon, d'abord, à Palaiseau puis à Limours, Duclos, à Villebon-sur-Yvette et Frachon à Forges-les-Bains.
Le couple Duclos-Frachon faisait déjà partie, avec Maurice Thorez et Eugen Fried du noyau dirigeant depuis le début des années 1930. Duclos est le chef, nommément désigné par le secrétariat de l'Internationale communiste le 5 août 1940. Benoît Frachon a probablement dominé intellectuellement le couple tout au long des années d'occupation. Quant à Fried et Thorez, ils sont, de fait, mis de côté : Fried, muté à Bruxelles au début des hostilités pour jouer un rôle de coordinateur sur toute l'Europe de l'Ouest, ne sert en fait que de boite aux lettres entre Moscou et Paris[52]. Il est tué le 17 août 1943 au cours d'une perquisition de la Gestapo. Thorez, sans doute influent auprès de Dimitrov pour envoyer des directives au Parti français voit son rôle pratiquement anéanti lorsque devant l'avance de la Wehrmacht sur Moscou, en automne 1941, il doit se réfugier à Oufa, dans l'Oural[53].
Tillon, Lecœur et les autres
Il n'est pas possible ici de citer tous les hommes qui gravitèrent autour de la direction. Il en est cependant qu'on ne peut pas ignorer : Charles Tillon, coopté dès la fin de 1940 pour étoffer le secrétatriat, et qui, après quelques mois d'attente est chargé de mettre sur pied la lutte armée. Il sera le dirigeant des FTPF. Auguste Lecœur qui devient à partir du printemps 1942 le quatrième dirigeant, assiste aux réunions mensuelles du secrétariat et s'impose comme le grand chef d'orchestre de tout l'appareil du Parti. Arthur Dallidet, « responsable des cadres » jusqu'à son arrestation en février 1942, qui construit sur le terrain le Parti clandestin. Pierre Villon, d'abord chargé de superviser le Front national, puis de représenter celui-ci au sein du CNR et qui s'impose, après la disparition de Jean Moulin, comme l'homme fort du bureau permanent du CNR et de son émanation militaire, le COMAC. Jean Jérome, enfin, toujours proche de Duclos jusqu'à son arrestation en avril 1943, qui est non seulement le grand argentier du Parti, mais qui s'implique aussi bien dans la création du Front national que dans les premiers contacts avec la France libre. En zone sud, Georges Marrane et Raymond Guyot à partir de janvier 1942 ont joué un rôle de première importance.
Cinq ans de fonctionnement dans la clandestinité, sans aucune perte en ce qui concerne le premier cercle du secrétariat, en maintenant du début à la fin une communication à la fois avec Moscou et avec les différentes instances régionales et catégorielles du Parti, représente un cas unique dans l'histoire de la Résistance[54].
Appareil clandestin centralisé et morcelé
Il convient cependant de se poser la question sur le pouvoir effectif exercé par cette direction. La réponse est nuancée : d'un côté, le Parti reste centralisé, les militants acceptent la discipline encore plus facilement dans la tempête. D'un autre côté, la clandestinité pousse vers un cloisonnement qui induit naturellement des tendances locales autonomistes. Par exemple, Duclos ne connait pas grand-chose de la vie des FTP, mais Tillon ne connait pas grand-chose de la vie des FTP en zone sud qui sont rattachés directement à Duclos. Mais la direction des FTP en zone sud ne sait pratiquement rien de ce qui passe dans le plus grand maquis sous contrôle communiste, celui du Limousin dirigé par Georges Guingouin. Les FTP étrangers, de la MOI dépendent également directement de Duclos.
La diffusion de la Presse reste très centralisée, malgré la multiplication de bulletins spécialisés. Une fois par trimestre, les cadres du Parti reçoivent La vie du Parti, une trentaine de pages dans lesquelles il est très facile pour les cadres locaux de puiser de la matière pour en faire plusieurs tracts locaux. L'Humanité clandestine est tirée, dans l'imprimerie de Gometz-la-Ville à un nombre restreint d'exemplaires pour y être diffusée dans les régions, où ils sont reproduits en grand nombre avec les moyens spécifiques. La plupart des groupes FTP ne reçoivent du Centre guère plus que leur organe de presse, France d'abord, et des fascicules techniques, portant par exemple sur les différents types d'armes utilisées par les armées allemande et française. Il est hors de question qu'un maquis installé dans le Jura ou le Massif central puisse être piloté directement par la Commission militaire nationale (CMN) qui se réunit régulièrement près de Palaiseau.
À partir de juin 1941 où il n'est plus possible de communiquer au travers des ambassades soviétiques de l'Europe allemande, Duclos est en contact radio à peu près permanent avec les Soviétiques. Dans un premier temps tous les messages transitent par Bruxelles, c'est-à-dire par Fried, des cheminots en assurant le transport. Par la suite, les liaisons radios ne furent jamais directes avec Moscou, mais transitaient par l'ambassade soviétique de Londres. Les opérateurs radio étaient souvent des anciens de France Navigation, flotte créée par l'IC et le PCF au moment de la guerre d'Espagne. Il arrive qu'ils communiquent entre eux, mais d'une façon générale, les radios sont strictement réservées aux liaisons avec les Soviétiques ou les Britanniques. Les liaisons intérieures se font d'homme à homme par le train, ce qui implique des délais d'au moins une semaine entre une question et une réponse, avec de très fréquentes pertes de contacts avec tel ou tel, qui peut durer plusieurs semaines. À partir de la chute de Trepper (Voir Orchestre rouge), début 1943, le même réseau de radios, celui du PCF, fut partagé par le Parti et les services soviétiques.
Attitude de Thorez
Pas possible de ne pas parler de la dissolution de l'Internationale communiste (IC ou Komintern), en mai 1943, décidée par Staline pour rassurer ses alliés britannique et américain. Les répercussions pratiques furent insignifiantes, mais la nouvelle provoqua un certain choc chez tous les militants et dirigeants[55] : le PCF s'appelait officiellement Section française de l'Internationale communiste, et c'était une source de fierté pour les communistes d'être affiliés à une internationale. Lorsque le Parti se construisit une histoire de cette période, l'occasion fut saisie d'utiliser cette dissolution pour refaire la biographie de Maurice Thorez[56] qui était à Moscou depuis la fin 1939 : selon la version officielle, Thorez aurait quitté le territoire national à ce moment-là pour aller à la réunion de dissolution de l'Internationale[57].
Grève du bassin minier
La grève des houillères du Nord, en mai-juin 1941, est le plus grand mouvement revendicatif des années d'occupation. Antérieure à l'attaque hitlerienne du 22 juin 1941 contre l'URSS, elle est animée par les communistes au premier rang desquels se trouvent Auguste Lecœur. La quasi-totalité des effecifs du bassin minier, environ 100 000 mineurs se mettent en grève sur la base de revendications classiques d'augmentation des salaires et d'amélioration des conditions de travail. Les Allemands eux-mêmes doivent organiser la répression pour faire cesser la grève. Des dizaines de supposés meneurs sont déportés[58].
Guingouin et maquis du Limousin
Le maquis de la Haute-Vienne, dirigé par Georges Guingouin est l'exemple le plus significatif du développement du Parti dans certaines régions françaises. Instituteur de 27 ans en 1940, Guingouin sitôt démobilisé réorganise son ancien « rayon communiste » et devient responsable de la Haute-Vienne dans le parti clandestin. Il prend le maquis vers le début de l'année 1941 à une époque où cette pratique n'est pas courante, ni chez les communistes, ni chez aucune mouvance de la Résistance balbutiante. C'est un des quelques cas de responsables communistes français qui se sont résolument engagés dans la résistance bien avant l'annonce de l'opération Barbarossa. Guingouin est surnommé le « préfet du maquis » car il parvient à contrôler partiellement certaines zones de son secteur. En 1944, la Haute-Vienne est le département qui compte le plus grand nombre de résistants armés, soit environ 8000 hommes. Peu discipliné vis-à-vis de la direction communiste en zone sud représentée par Léon Mauvais, Guingouin reçoit la capitulation sans conditions des forces allemandes occupant Limoges, le 21 août 1944. Promu au grade de lieutenant-colonel FFI, Guingouin est grièvement blessé dans un accident de voiture en novembre 1944. Par delà le cas particulier du maquis du Limousin, le Parti s'est surtout développé au sud, mais la direction du Parti était au nord.
Selon des sources d'historiens, s’il y eut des exécutions décidées par le maquis dans le Limousin et dans le Vercors, plus proches d'une quinzaine de cas, dans chacune de ces deux régions, sur une période allant du printemps 1943 à la Libération et aux motifs liés au contexte de guerre[59] et dont le traitement journalistique a fait l'objet de procès en diffamation.
Engagement des Francs-tireurs et partisans - Main-d'œuvre immigrée
Les étrangers jouent un rôle primordial dans l'histoire du Parti pendant la guerre. De nombreux étrangers immigrés en France avant la guerre pour des raisons politiques ou économiques, sont communistes, ce qui ne pose guère de problème pour un parti internationaliste où la section française n'est qu'une parmi d'autres dépendant de l'IC (Internationale communiste ou Komintern). Les différentes sections des MOI (Main d'œuvre immigrée) sont regroupées par nationalité et ne dépendent pas directement du parti français. Certains étrangers ont des responsabilités auprès du PCF, comme Eugen Fried, qui est son tuteur, mais aussi Allard-Cerreti, un Italien, ou Jean Jérome, juif polonais immigré que l'on considère comme le grand argentier du Parti entre 1939 et la fin des années 1960. Des Français, comme Jacques Duclos ou André Marty ont également des responsabilités dans l'Internationale et sont amenés à encadrer des partis frères.
Les différents groupes MOI sont particulièrement déterminés dans la lutte contre l'occupant, parce qu'ils n'attendent aucune clémence de la part des Allemands, ou parce que le régime de Vichy ne leur laisse guère de choix en dehors de la clandestinité et de l'internement. Parce qu'ils dépendaient directement du Komintern, par l'intermédiaire de Duclos, on a souvent pensé que c'étaient eux que l'on envoyait en première ligne lorsque venait l'ordre de Moscou d'intensifier le combat, alors que les groupes français étaient beaucoup plus insérés dans une dynamique nationale. À Paris, Joseph Epstein, alias colonel Gilles est un responsable des FTP MOI. On lui confie également la responsabilité des combattants FTP de l'ensemble de la région Parisienne où la formation de véritables commandos de quinze combattants permet de réaliser un certain nombre d'actions spectaculaires, qui n'auraient pas été possibles avec les groupes de trois qui étaient la règle dans l'organisation clandestine depuis 1940. De juillet à octobre 1943, il y a ainsi à Paris une série d'attaques directes contre des soldats ou des officiers allemands. Ces commandos sont de plus en plus constitués d'étrangers de la MOI. Le groupe de Missak Manouchian est le plus célèbre. Des maquis MOI ont également joué un rôle de première importance dans la zone Sud, par exemple pour la libération des villes de Lyon et de Toulouse.
Fabien et Libération de Paris
Fabien, après avoir abattu un officier allemand à la station de métro Barbès, vient à connaitre l'univers des FTP : la guérilla urbaine dans Paris, les maquis dans le Doubs, les déraillements de trains dans le Pas-de-Calais… Dénoncé, il est traqué, blessé à la tête mais parvient à échapper à ses poursuivants, reprend les opérations de résistance, est arrêté, torturé, interné à Fresnes mais parvient à s'évader avant d'être déporté. En revanche, son père et son beau-père sont fusillés.
Le 24 août 1944, dans Paris insurgé, âgé de 25 ans et ayant pris du grade, il dirige l'attaque du palais du Luxembourg qui abrite l'état-major de la Luftwaffe, protégé par d'énormes blockhaus. Le palais est trop bien défendu pour les assaillants, qui ne disposent que d'armes légères.
La nouvelle parvient à Fabien que trois chars de Leclerc sont arrivés en éclaireurs à Notre-Dame. Renseigné sur le moyen de joindre Leclerc, il envoie un émissaire à Thiais, et Leclerc met sept chars à sa disposition. Le lendemain, Fabien prend le palais du Luxembourg avec les compagnies FTP du 5e, 6e, 13e et 15e arrondissements et les sept chars de Leclerc. Au même moment, un autre ancien des brigades internationales communistes, Henri Rol-Tanguy, dit Rol, chef des FFI de l'Ile-de-France, reçoit avec Leclerc la reddition du général Von Choltitz, grâce à laquelle Paris n'aura pas connu le même sort que Varsovie, littéralement rasée et écrasée avant d'être libérée. Plus d'un millier de résistants, FFI ou civils, meurent quand même au cours de l'insurrection de la capitale.
Pour terminer sa soirée, Fabien se rend au 44 de la rue Le Pelletier, ancien siège du Parti, reconquis les jours précédents par Camphin et Ballanger, et où convergent tous les responsables du Parti.