Histoire du féminisme
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L'histoire du féminisme commence dans la seconde partie du XIXe siècle, lorsque le mot féminisme apparaît sous la plume d'Alexandre Dumas fils puis sous celle d'Hubertine Auclert. Cependant, dès la fin du Moyen Âge, des auteurs critiquaient la place accordée aux femmes dans la société. Le discours féministe, à partir de ce moment, met plusieurs siècles pour s'élaborer et s'afficher comme un mouvement revendiquant, dans un premier temps, l'égalité civique et civile des femmes et des hommes puis une libération des femmes du carcan patriarcal.
À partir donc de cette apparition structurée du féminisme, son histoire est le plus souvent divisée en trois périodes pendant lesquelles certaines revendications sont plus mises en avant. Ainsi la première vague se réfère au XIXe et au début du XXe siècle quand les principales revendications se rapportent au droit de vote, aux conditions de travail et aux droits à l'éducation pour les femmes et les filles. La deuxième vague (1960-1980) dénonce l'inégalité des lois, mais aussi les inégalités culturelles et remet en question le rôle assigné aux femmes dans la société. La troisième vague (fin des années 1980-début des années 2000) est perçue à la fois comme une continuation de la deuxième vague et une réponse à l'échec de celle-ci.
Si ce découpage prédomine dans la critique occidentale — encore que nombre de féministes en France jugent que la troisième vague est propre au mouvement états-unien — il ne peut être plaqué sur l'histoire du féminisme des autres parties du monde. La littérature sur le sujet tend à délaisser les autres cultures et civilisations alors que des mouvements de défense de droits des femmes apparaissent dès le début du XXe siècle sur les autres continents, d'ailleurs souvent inspirés par les idées occidentales. En fonction de la période, des cultures ou du pays, les féministes, à travers le monde, ont défendu des causes et affiché des objectifs différents. La qualification de féministes pour ces mouvements est sujette à controverse. En effet, en Occident, la plupart des historiens du féminisme s'accordent pour dire que tous les mouvements et tous les travaux accomplis pour obtenir des droits pour les femmes doivent être considérés comme des mouvements féministes même si leurs membres ne se revendiquent pas comme tels, alors que certains historiens pensent que le terme ne doit s'appliquer qu'au mouvement féministe moderne et à ses continuateurs.
Le terme « féminisme » est souvent attribué au philosophe français Charles Fourier (1772-1837). Cependant, s'il se montre bien par ses écrits un défenseur de la liberté des femmes et de l'égalitarisme, le terme n’apparaît pas sous sa plume[1]. En revanche, à partir des années , de rares écrivains utilisent ce mot pour désigner ce qui serait propre à la femme, comme c'est le cas par exemple de Jean-Baptiste Fonssagrives[2]. Par la suite, des médecins s'en servent pour désigner les sujets masculins dont le développement de la virilité s'est arrêté[3]. Toutefois, c'est en dans L'Homme-femme d'Alexandre Dumas fils que le sens actuel apparaît: « Les féministes, passez-moi ce néologisme, disent : Tout le mal vient de ce qu'on ne veut pas reconnaître que la femme est l'égale de l'homme, qu'il faut lui donner la même éducation et les mêmes droits qu'à l'homme »[4]. Le sens actuel est donc présent mais avec une valeur péjorative. C'est un peu plus tard, sous la plume d'Hubertine Auclert, en , que le féminisme est défini dans un sens positif comme la lutte pour améliorer la condition féminine[5],[6]. Le terme est popularisé par la presse à l'occasion d'un congrès « féministe » organisé à Paris en par Eugénie Potonié-Pierre[7]. Il apparaît ensuite aux Pays-Bas dans une lettre ouverte de Mina Kruseman à Dumas fils[8], en Grande-Bretagne en [9], puis aux États-Unis en [10],[3]. Dans un ouvrage en deux volumes intitulé Le Féminisme français ()[11],[12], Charles Turgeon distingue trois sortes de féminisme, le féminisme révolutionnaire ou de gauche, le féminisme catholique et le féminisme indépendant, dans lequel il inclut le féminisme protestant[13]. Dans les années , aux États-Unis, le terme recouvre « deux idées dominantes », « l'émancipation de la femme tant comme être humain que comme être sexuel »[14].
« Les femmes n'ont pas tort du tout quand elles refusent les reigles de vie qui sont introduites au monde, d'autant que ce sont les hommes qui les ont faictes sans elles »
— Michel de Montaigne, Essais, III, 1[15]
Avant l’existence des mouvements féministes, les penseurs et les militants qui ont cherché à faire avancer la cause des femmes ou ont réfléchi à la condition féminine, sont parfois appelés « proto-féministes »[16]. Certains spécialistes critiquent l'usage de ce terme : il minimiserait l'importance des premières contributions ou impliquerait que le féminisme présente une histoire linéaire (notion de proto-féministe et post-féministe)[17].
Renaissance et humanisme
L'écrivaine française Christine de Pisan (-), auteure de La Cité des dames (-) et du Livre des trois vertus à l'enseignement des dames (), est décrite par Simone de Beauvoir comme la première femme à écrire sur la relation entre les sexes et à dénoncer la misogynie[18].
Plus tard, des écrivains du XVIe siècle, comme l'occultiste allemand Henri-Corneille Agrippa de Nettesheim et l'italienne Moderata Fonte, auteure du Mérite des femmes publié en , et des écrivains du XVIIe siècle, comme Hannah Woolley ou Margaret Cavendish en Angleterre, Juana Inés de la Cruz au Mexique, Marie de Gournay et François Poullain de La Barre en France ou Anne Bradstreet en Amérique, sont considérés comme des proto-féministes[19]. Ces auteurs demandent avant tout pour les femmes le même droit à l'éducation que pour les hommes mais les progrès en ce domaine sont lents et limités puisque ce sont des rudiments de catéchisme et, au mieux, la lecture plutôt que l'écriture qui sont enseignés[20].
Parti des femmes
L'Anglaise Mary Astell (-) fait aussi partie de ces femmes qui, dans le système social de la période moderne, s'élèvent contre la « domination masculine ». En s'opposant à John Locke, qui prône un système politique fondé sur les libertés individuelles mais en exclut les femmes, Mary Astell montre que l'affirmation de l'infériorité de la femme n'est pas tenable philosophiquement[21].
Toutefois, dans la philosophie de Locke, la soumission de la femme à l'homme s'appuie sur les textes bibliques et, en particulier, la Première épître aux Corinthiens, qui est analysée dans Paraphrase and Notes on the first Epistle of St Paul to the Corinthians en . Mary Astell, qui est théologienne, réfute cet argument en renvoyant le texte biblique à la morale chrétienne et non à la philosophie. La Bible est un guide pour l'individu mais ne doit pas être invoquée pour résoudre des débats philosophiques[22] : cette position radicale est à remettre dans le contexte de la Glorieuse Révolution britannique et d'une manière de penser issue de la réforme protestante. Sur le plan philosophique, Astell convoque ici l'éthique et une forme de matérialisme : deux manières de penser qui vont ouvrir le champ de la réflexion à la question du rôle politique, et donc sociétal, des femmes[23].
Le « siècle des Lumières » marqué par l'essor de la philosophie, qui aboutit à la mise en question de l'ordre établi, se différencie peu des siècles passés en ce qui concerne la condition féminine. Malgré quelques écrits féministes, les femmes sont toujours vues comme naturellement inférieures. Rares sont celles qui sortent de ce rôle consacré pour se révolter et exiger une égalité totale avec les hommes[24].
Au quotidien et sur le plan politique, la femme est toujours considérée comme mineure et devant se soumettre à l'homme. Même si les philosophes mettent à mal les préjugés religieux, ils sont rares à imaginer une évolution possible de la situation sociale des femmes. Ceci est visible aussi bien dans l'article Femme de l'Encyclopédie que dans celui du Dictionnaire philosophique de Voltaire ou dans les textes de Jean-Jacques Rousseau. En effet, celui-ci dans l'Émile écrit « soutenir vaguement que les deux sexes sont égaux, et que leurs devoirs sont les mêmes, c’est se perdre en déclamations vaines »[24]. Toutefois, certains philosophes de cette époque défendent les droits des femmes. Parmi eux, on peut citer Mary Wollstonecraft, considérée parfois comme la plus importante des écrivaines féministes du XVIIIe siècle, et le marquis de Condorcet.
Mary Wollstonecraft et la Défense des droits de la femme
Mary Wollstonecraft est parfois considérée comme la première philosophe féministe, bien que ce terme n'existe pas encore à l'époque. En effet, au XXe siècle, l'historiographie féministe en fait une des devancières du mouvement[25] et la Défense des droits de la femme () est présenté parfois comme l'un des premiers écrits féministes, bien que la métaphore de la femme comparée à la noblesse qu'elle utilise dans celui-ci (la femme dorlotée, fragile et exposée au danger par sa paresse intellectuelle et morale) puisse apparaître comme un argument dépassé. Malgré ses apparentes contradictions révélatrices des problèmes auxquels il est difficile de donner une réponse satisfaisante, ce livre est devenu par la suite la pierre angulaire de la pensée féministe[26]. Le livre est un succès et la critique de l'époque est quasi unanime pour reconnaître son importance[27].
Comme les auteures précédentes, Mary Wollstonecraft insiste sur la nécessité d'éduquer les jeunes filles. Grâce à l'éducation, elles réaliseront mieux leurs potentiels et seront enfin des êtres humains à part entière. De plus, elle préconise un apprentissage qui permettrait aux femmes de subvenir seules à leurs besoins en exerçant un emploi. Enfin, elle réclame pour les femmes des droits civils et politiques et même des élues les représentant[28].
Période révolutionnaire en France
La Révolution française est une période pendant laquelle les droits des femmes ont été l'objet de nombreux débats. Lors de la convocation des États généraux, les femmes nobles et les religieuses peuvent être représentées par l'ordre auxquelles elles appartiennent. Quant aux femmes du peuple, dès l'écriture des cahiers de doléances, elles réclament l'amélioration de leur condition et pour cela demandent en priorité le droit à l'éducation[29]. L'une d'elles réclame ainsi : « Nous demandons à être éclairées, à posséder des emplois, non pour usurper l'autorité des hommes, mais pour en être plus estimées »[30].
Cependant Isabelle Krier nuance ces revendications, en expliquant qu'une grand part de ces femmes souhaitent être simplement plus considérées, non pas d'avoir autant voire plus de droits que les hommes[31].
Le marquis de Condorcet
Le marquis de Condorcet, mathématicien, politicien libéral et acteur important de la Révolution française, est également un défenseur de l'égalité entre femmes et hommes. Dès , il affirme dans Lettres d’un bourgeois de New Haven à un citoyen de Virginie[32], l'égalité des hommes et des femmes. Durant la période révolutionnaire, il se prononce pour le vote des femmes dans un article du Journal de la Société de 1789 : Sur l'admission des femmes au droit de cité publié le [33].
Olympe de Gouges et la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne
En France, en , Olympe de Gouges, considérée comme une des pionnières du féminisme dans son pays, rédige la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, dans laquelle elle demande que l'on rende à la femme les droits naturels que les préjugés lui ont retirés. Elle argumente pour que la femme soit considérée comme une citoyenne à part entière, qu'elle soit associée aux débats politiques et de société et implore Marie-Antoinette, reine de France, de défendre le « sexe malheureux ». L'une des phrases les plus célèbres de l'ouvrage restera : « La Femme a le droit de monter sur l’échafaud ; elle doit avoir également celui de monter à la Tribune »[34]. Ce souhait de posséder les mêmes droits politiques que les hommes n'est cependant pas représentatif des attentes des femmes et celles-ci acceptent l'inégalité des sexes[35]. Olympe de Gouges ne s'intéresse pas seulement à l'égalité civile, elle demande aussi la création de maternités pour que les femmes accouchent dans de meilleures conditions, imagine un système de protection maternelle et infantile et prône la suppression du mariage religieux en faveur d'un contrat civil de partenariat. À travers ses écrits, elle soutient la Révolution française, mais également les Girondins, ce qui lui vaut d'être guillotinée en [36].
Acquis révolutionnaires
Plusieurs textes législatifs amènent un changement dans la situation des femmes. Ainsi dans la Constitution de 1791 (article 7 du livre I) le mariage devient un contrat civil supposant de fait l'égalité des contractants. L'égalité des héritiers (décret du ) et le droit au divorce (lois de ) sont aussi des victoires pour les droits des femmes. Toutefois les dispositions promouvant l'égalité civile des femmes sont par la suite annulées par le Code Napoléon de et le divorce est de nouveau interdit en , sous la Restauration[37]. La politique impériale n'est qu'une continuation de celle menée à partir de par la Convention qui interdit le Club des Femmes, groupe féminin en première ligne lors des manifestations[38], et refuse d'accorder des droits politiques aux femmes au nom d'une nature « intrinsèquement inférieure »[39].
Progrès notables
Malgré de nombreuses difficultés et les critiques virulentes contre les femmes qui osent sortir du rôle naturel qui doit être le leur ou quitter la place que leur a imposée Dieu[40], les femmes peu à peu commencent à faire entendre leurs voix. Plusieurs textes pré-féministes sont publiés comme ceux de Catharine Macaulay qui avancent que l'apparente faiblesse des femmes est causée par leur manque d'éducation[41]. Dès lors, peu à peu, en Europe et aux États-Unis l'éducation des femmes se développe, surtout dans les classes hautes et moyennes de la société. En Allemagne, Helene Lange et Bertha Pappenheim réclament une meilleure éducation pour les femmes et le développement de l'emploi[42] ; aux États-Unis, les femmes sont à la pointe de la lutte contre l'esclavage et montrent ainsi qu'elles ne sont pas seulement capables d'écrire des romans ou des articles de journaux mais qu'elles peuvent aussi participer à des combats politiques. Cependant, la domination masculine est telle qu'aucune ne peut prétendre sérieusement à l'égalité politique et civile[43].
Sous l'influence du code Napoléon, de nombreux textes législatifs européens, au début du XIXe siècle, limitent les droits des femmes en Europe et inscrivent dans leur droit national ce qui était auparavant une réalité coutumière, à savoir la soumission naturelle de l'épouse à son mari. Cette politique réactionnaire, après les avancées obtenues lors de la Révolution, explique le repli des féministes[44]. Par ailleurs, dans le monde anglo-saxon, la fin du siècle est marquée par l'époque victorienne (-) qui est une ère « domestique » personnifiée par la reine Victoria. La condition féminine dans cette société impose alors une vie centrée sur la famille, la maternité et la respectabilité. C'est l'idéal féminin qui caractérisait déjà les conduct books (littéralement « livres de conduite ») de Sarah Stickney Ellis (-) ou de Mrs Beeton (-). Les féministes du XIXe siècle doivent donc réagir non seulement face aux injustices dont elles sont les témoins mais aussi contre cette image, de plus en plus suffocante, imposée par la société[45]. Cependant, dès le début du XIXe siècle, quelques hommes et femmes prennent la parole en public, bien qu'il soit difficile de savoir quelle influence ils eurent sur les consciences. Dans ces tentatives de prises de parole, deux formes de féminisme vont émerger et s'opposer. La première est un courant égalitaire qui revendique une amélioration de la condition féminine au nom de l'identité humaine. La seconde, dualiste, constate l'opposition entre les hommes et les femmes et demande le respect des particularités féminines[46].
Courant égalitaire
Les tenants de ce courant insistent sur l'identité de l'homme et de la femme en tant qu'être humain. Il ressort de cette identité que les discriminations envers les femmes sont des violations des droits humains alors que l'égalité doit être la règle. L'égalité civique et politique est le combat principal pour ceux qui adoptent cette position. Parmi eux, se trouve John Stuart Mill qui, en , publie son livre De l'assujettissement des femmes. Ce livre connaît un grand retentissement et est traduit en plusieurs langues, ce qui en fait la référence du courant égalitaire[47].
Courant dualiste
A contrario du courant égalitaire, le courant dualiste, dont Ernest Legouvé, auteur de l'Histoire morale des femmes en , est un représentant important, promeut une vision de la société dans laquelle chaque sexe a son rôle. La femme est alors vue essentiellement comme mère et c'est cette importance de la fonction maternelle qui amène des revendications pour qu'elle soit mieux considérée et qu'elle reçoive une meilleure éducation[47].
Défense de la condition féminine dans la littérature
L'une des formes que prend la défense des femmes est la représentation de sa situation au moyen de romans, et plus particulièrement dans le roman anglais. Sans remonter jusqu'à Aphra Behn, perçue comme la première auteure professionnelle, on remarque qu'avec Jane Austen la fiction met en scène la vie étriquée de la femme au début du XIXe siècle, que Charlotte Brontë, Anne Brontë, Elizabeth Gaskell et George Eliot décrivent ses souffrances et frustrations avec acuité. Dans son roman autobiographique, Ruth Hall (), la journaliste américaine Fanny Fern décrit son combat pour éduquer ses enfants et exercer son métier après le décès prématuré de son époux[48]. Louisa May Alcott publie en un roman résolument féministe, A Long Fatal Love Chase (publié en français sous le titre Pour le meilleur et pour le pire, et pour l'éternité), qui narre les tentatives d'une jeune femme pour échapper à son mari polygame et devenir indépendante[49].
Certains hommes de lettres témoignent aussi des injustices faites aux femmes. Les romans de George Meredith, George Gissing et Thomas Hardy, et les pièces d'Henrik Ibsen décrivent la situation des femmes à cette époque[50],[51]. Diana of the Crossways () de Meredith, par exemple, s'inspire de la vie de Caroline Norton, dont le divorce avec un mari violent et ivrogne illustre la dépendance juridique de la femme dans l'Angleterre de l'époque[52].
Saint-simonisme et owenisme
En , William Thompson publie Appeal of One Half of the Human Race, Women, Against the Pretensions of the Other, Men, en créditant Anna Wheeler comme coauteur. Lors de son séjour en France, celle-ci découvre les idées socialistes de Saint-Simon. Dans ces années -, le féminisme s'intègre aux revendications des socialistes utopiques, tels que les saint-simoniens. En effet ceux-ci, dans leurs critiques de la société bourgeoise, font une place particulière à la soumission de la femme dans le cadre du mariage, qui devient alors l'objet de critiques importantes. L'égalité demandée va cependant de pair avec un discours valorisant la femme présentée comme supérieure moralement par nature. Anna Wheeler milite pour le suffrage des femmes[53]. À côté de William Thompson se trouve Richard Owen qui organise de nombreuses conférences et que suivent des féministes comme l'Écossaise Frances Wright, qui défend particulièrement le contrôle des naissances et l'éducation pour les femmes. Ce cercle oweniste se développe et des groupes socialistes sont fondés. D'autres, comme les femmes chartistes, organisent des réunions alors qu'en théorie au Royaume-Uni les femmes n'ont pas le droit d'expression[44]. Les saint-simoniennes, pour se faire entendre, choisissent la voix de la presse. En paraît La Femme libre qui est suivie de La Tribune des femmes. Dans ce premier journal féministe, seules des femmes, ne signant que de leur prénom, écrivent des articles qui ne se limitent pas à des questions d'égalité des sexes[54].
Marion Reid et Caroline Norton
Par la suite au cours du XIXe siècle, les voix contestataires commencent à s'unir face à l'émergence de modèles sociaux rigides et de codes de conduite que les féministes, dont Marion Kirkland Reid (en), considèrent comme oppressants et répressifs pour les femmes[41]. L'importance accrue donnée à la vertu féminine et les tensions causées par le rôle qu'on leur impose émeuvent les premiers féministes[55]. En Écosse, Reid publie son influent A plea for woman (Plaidoyer pour la femme) en qui propose un calendrier pour la mise en place des droits des femmes, y compris celui du droit de vote, des deux côtés de l'Atlantique[56].
Après son divorce houleux d'avec un mari violent, qui met en exergue l'absence de personnalité juridique pour la femme mariée dans la société georgienne, Caroline Norton milite pour le changement de la loi britannique. Son lobbying, et l'appel à la reine Victoria, permettra le vote de l'Infant Custody Bill en qui autorise les femmes divorcées à demander la garde de leurs enfants[57].
Florence Nightingale et Frances Power Cobbe
Beaucoup de femmes se méfient des mouvements féministes de l'époque[58]. Elles préfèrent se lever seules contre tous, comme Florence Nightingale qui dans une lettre de écrit : « Cela me rend folle. Les mouvements pour les droits des femmes parlent de la « volonté d'avoir un domaine » qui serait propre à la femme - quand je donnerai volontiers 500 £ par an pour une femme secrétaire, et (…)[que] je ne peux en trouver une seule… »[59], convaincue que les femmes ont le même potentiel que les hommes sans en avoir les opportunités. Dans l'essai Cassandra, extrait de Suggestions for Thought to Searchers after Religious Truth (Suggestions de Réflexions adressées aux Personnes en quête de Vérité Religieuse), qui sera publié bien après son décès, elle proteste contre le rôle imposé aux femmes par la société qui les rend incapables de se prendre en charge seules[60].
Comme leurs idéologies sous-jacentes sont différentes, les féministes ne sont pas solidaires et leurs efforts se dispersent. Harriet Martineau trouve Mary Wollstonecraft dangereuse et Caroline Norton naïve[61]. Martineau prône l'utilisation des méthodes américaines appliquées dans les campagnes abolitionnistes[62].
Comme Harriet Martineau et Frances Cobbe en Grande-Bretagne, certaines femmes occupent des postes de journalistes, ce qui améliore la visibilité de la cause des femmes. Frances Cobbe milite pour la réforme de l'éducation pour les filles, pour les droits matrimoniaux, les droits à la propriété et contre la violence domestique. Elle est membre du conseil exécutif londonien de la National Society for Women's Suffrage[63].
« Ladies of Langham Place »
Dans les années 1850, à Londres, Barbara Bodichon et ses amies se rencontrent régulièrement à Langham Place pour discuter des droits des femmes et des réformes nécessaires. Avec, entre autres, Bessie Rayner Parkes, Anna Jameson et Matilda Hays, elles sont les « Ladies of Langham Place », l'une des premières organisations féministes de Grande-Bretagne. Ce groupe accueille de nouveaux membres par la suite dont Helen Blackburn, Jessie Boucherett et Emily Faithfull[64].
Ces femmes se battent pour l'éducation des jeunes filles, le droit au travail ou le droit à la propriété des femmes mariées. En , Barbara Bodichon publie sous pseudonyme Brief Summary of the Laws of England concerning Women sur les droits des femmes en Angleterre. Avec Bessie Rayner Parkes et Matilda Hays, elle fonde en le English Woman's Journal[65], véritable tribune pour traiter du travail des femmes et notamment des emplois manuels et intellectuels dans l'industrie, de l'égalité des droits, des réformes, de l'éducation des jeunes filles et des femmes… Elles collectent des milliers de signatures dans le cadre de pétitions adressées au parlement, afin de susciter des réformes législatives. Certaines seront fructueuses, comme le vote du Matrimonial Causes Act autorisant une procédure de divorce facilitée et protégeant le patrimoine de la femme[66].
En , le groupe crée la Société pour la Promotion de l'Emploi des Femmes dont l'objectif est l'amélioration de la formation et de l'emploi des femmes[67].
Autres pays européens
Le XIXe siècle est, en Europe, une période d'importantes transformations avec l'éveil de mouvements nationalistes et de luttes pour l'instauration de la démocratie. Le féminisme se développe alors dans cette aspiration au changement. Ainsi, en Allemagne, à partir des années 1840, des mouvements chrétiens, comme celui de la secte chrétienne des Catholiques allemands (Deutschkatholizismus), s'emparent de la question de la place de la femme pour la critiquer. Louise Dittmar, proche de ce mouvement, écrit de nombreux livres féministes[68]. Quelques années plus tard, en , Louise Otto-Peters écrit ses Lieder eines deutschen Mäadchens et, l'année d'après, elle dirige le journal féministe Frauen-Zeitung[54].
La Suisse avait déjà, depuis , un journal semblable édité par Josephine Zehnder-Stadlin. En Pologne, Narcyza Żmichowska crée le cercle féminin des Enthousiastes qui cherche à promouvoir l'égalité et la liberté. En Italie, pendant la période du Risorgimento, plusieurs femmes, comme Clara Maffei ou Cristina Trivulzio Belgiojoso, tiennent des salons qui sont les lieux de diffusion des idées réformatrices parmi lesquelles se retrouvent celle de l'amélioration du statut de la femme. Entre et , Cristina Trivulzio Belgiojoso, inspirée par les idées de Charles Fourier, crée des institutions chargées d'aider les femmes. Enfin, la Bohême, alors dominée par l'Empire austro-hongrois, voit elle aussi fleurir, dans les années 1860, des salons tenus par des femmes, telles que Karolina Svetla ou Zdenka Braunerová, qui sont cependant plus tournés vers la lutte contre la domination impériale. Ces revendications sont rejetées lorsque les pouvoirs en place reprennent la main. Les aspirations nationalistes et les combats pour la démocratisation ne parviennent pas à s'imposer et ceux pour l'amélioration de la condition de la femme sont oubliés. Il en est ainsi, du moins, jusqu'au début des années 1870, qui voient l'essor de la société bourgeoise capitaliste et son corollaire des associations qui tentent d'améliorer la vie des femmes[69].
Ces aspirations féministes dépassent les frontières européennes. Ainsi, en Perse, Fatemeh, poétesse et réformatrice religieuse, est l'une des premières figures du féminisme iranien. Lors de son exécution, en , ses dernières paroles auraient été : « Vous pouvez me tuer quand vous voulez, mais jamais vous n'arriverez à empêcher l'émancipation des femmes ! »[70]. Des voix féministes s'expriment au Japon (Fusae Ichikawa), en Australie (Mary Lee) et en Nouvelle-Zélande (Mary Ann Müller et Kate Sheppard). Elles font partie de cette première vague de militantes pour les droits des femmes.