In Utero (album)
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In Utero est le troisième et dernier album studio du groupe américain de grunge Nirvana, publié par DGC Records le au Royaume-Uni, puis le aux États-Unis.
Sortie |
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Enregistré |
13-26 février 1993 Studio Pachyderm, Cannon Falls (Minnesota), États-Unis |
Durée | 41:11 |
Genre | Grunge, rock alternatif |
Format | CD, cassette, vinyle |
Producteur | Steve Albini |
Label | DGC Records |
Albums de Nirvana
Incesticide
(1992) MTV Unplugged in New York
(1994)
Singles
- Heart-Shaped Box
Sortie : - All Apologies
Sortie : - Pennyroyal Tea
Sortie :
Alors que Nevermind a dépassé toutes les espérances depuis 1991 en obtenant de multiples récompenses et tandis que le couple Kurt Cobain-Courtney Love fait la pluie et le beau temps des magazines à sensation, l'attente pour ce disque devient énorme. Le groupe se met alors à l'écart de tout contact au studio Pachyderm, dans le Minnesota, avec le producteur Steve Albini à la fin du mois de . Enregistré pour un montant de 180 000 $, l'album retrouve le son qui leur était caractéristique sur Bleach, mais le label et leur entourage le trouvent « inaudible ». Le trio s'insurge dans un premier temps avant d'accepter de revoir sa copie, remixant certaines chansons avec Scott Litt en mai 1993 dans son studio de Seattle.
DGC Records fait de nouveau peu de promotion pour l'album afin d'éviter la surmédiatisation et se retrouve même confronté au refus de certains supermarchés de le vendre à cause de la présence d'un fœtus sur le dos de la pochette et du titre subversif Rape Me (litt. « Viole-moi »). Équilibré entre chansons punk et mélodies pop, ses paroles plus directes se rapportent presque toutes à des maladies ou des souffrances, reflet de l'état de santé de son compositeur, bien qu'il ne le reconnaisse pas.
La presse est globalement moins élogieuse que pour l'album précédent, même si l'accueil reste bon, le son brut et abrasif étant régulièrement mis en avant. Cela ne l'empêche pas d'atteindre les sommets des classements de ventes en France et au Royaume-Uni et d'obtenir des certifications dans un grand nombre de pays, avec notamment plus de 5 millions de copies écoulées aux États-Unis. Les tournées qui suivent la sortie du disque sont chaotiques de par l'état de santé de Cobain qui se dégrade jusqu'à atteindre le point de non-retour lorsqu'il fait une première tentative de suicide le à Rome, avant d'être rapatrié chez lui où il mettra un terme définitif à sa vie un mois plus tard.
Contexte
Nirvana est un groupe originaire d'Aberdeen, dans l'État de Washington, créé par Kurt Cobain et Chris Novoselic, dont le premier album studio, Bleach, sort sur Sub Pop en 1989 avec Chad Channing comme batteur[a 1]. Après le passage de plusieurs batteurs au sein du groupe, Dave Grohl, ex-Scream, est engagé en fixant pour de bon la formation[t 1]. Le trio enregistre alors avec Butch Vig leur deuxième album, Nevermind, aux studios Sound City de Van Nuys, près de Los Angeles, dont la sortie en septembre 1991 dépasse toutes les attentes du label DGC Records. L'album s'est vendu à plus de 5 millions de copies à l'été 1992, et Nirvana occupe le devant de la scène musicale mondiale, rendant populaire le grunge et le rock alternatif en général[t 2]. Kurt Cobain et sa désormais femme Courtney Love font également régulièrement la une des journaux pour leurs frasques et leur consommation excessive de drogues[m 1].
Trouvant le son de Nevermind trop lisse, le groupe souhaite revenir au son et à l'intensité primale de Bleach pour son prochain album, en y ajoutant leur maturité[r 1],[m 2]. Kurt Cobain évoque même lors d'une interview à Rolling Stone début 1992 un album qui ira d'un extrême à l'autre : « ce sera plus brut sur certaines chansons tandis que d'autres morceaux seront de la pop très douce »[p 1]. Le chanteur, qui a déjà entamé la composition de la base de la plupart des chansons dans son appartement au printemps[m 2], souhaiterait commencer à travailler dessus avec le reste du groupe à partir de l'été, mais les trois musiciens vivent désormais dans des villes différentes : Dave Grohl est retourné en Virginie, Krist Novoselic vit avec sa femme à Seattle et Kurt Cobain attend la naissance de sa fille Frances Bean Cobain avec Courtney Love à Los Angeles[a 2]. Alors que le batteur se sent de plus en plus isolé et qu'il a le sentiment d'être exclu de la vie du groupe, il reçoit une lettre du chanteur qu'il considère comme « inestimable » et dans laquelle celui-ci lui dit qu'il est impatient de retrouver les studios[g 1].
En juillet, Kurt Cobain fait part de sa volonté d'enregistrer avec Jack Endino, producteur de Bleach, et Steve Albini, leader de Big Black et de Rapeman mais aussi producteur de Surfer Rosa des Pixies. Il explique qu'il utiliserait les meilleurs morceaux de ces sessions pour le prochain album[p 2]. Le groupe effectue d'ailleurs une session avec Jack Endino à Seattle les 26 et au cours de laquelle six titres sont enregistrés, dont une version chantée de Rape Me[r 2],[m 2]. Endino ne souhaite cependant pas prendre la responsabilité des séances du nouvel album, remarquant d'ailleurs que le trio ne demande pas spécialement son aide pour leur disque, et Kurt Cobain fait donc appel à Steve Albini[r 3],[m 2]. Ce dernier est réputé pour le son « abrasif presque corrosif qui magnétise les auditeurs » sur les albums qu'il produit[g 1].
Ne pouvant publier de nouvel album à la fin de l'année 1992, DGC Records sort le la compilation Incesticide, qui rassemble des titres enregistrés au cours des cinq dernières années et un livret complet où Kurt Cobain évoque principalement ses préférences musicales[m 3]. En parallèle, le label réédite Bleach, leur premier album studio, en collaboration avec Sub Pop afin de profiter pleinement du succès planétaire de Nirvana[p 3]. Lors de leur passage au Brésil pour le festival Hollywood Rock, le groupe se rend dans un studio de la ville avec leur ingénieur du son Craig Montgomery et y enregistre quelques démos, dont Gallons of Rubbing Alcohol Flow Through the Strip, la chanson cachée d'In Utero[r 4]. Le lendemain, le , au Praca Da Apoteose Stadium de Rio de Janeiro, ils jouent pour la première fois en public Scentless Apprentice et Heart-Shaped Box[m 4].
Enregistrement
Kurt Cobain et Steve Albini échangent beaucoup par fax pour préparer le terrain, discutant de la direction qu'ils souhaitent que l'album prenne, la nécessité d'avoir un son rugueux et des sessions en prise directe[m 5]. Ils s'imposent d'entrée une durée maximale de quinze jours pour l'enregistrement de l'album. Se méfiant de DGC Records, le producteur propose que les membres du groupe payent eux-mêmes les sessions, ce qu'ils acceptent. L'album est facturé 180 000 $ au total, dont 24 000 $ pour la location du studio, 100 000 $ pour les services de Steve Albini et le reste pour l'enregistrement[m 6]. Alors que Gold Mountain, la société qui gère le groupe, souhaite qu'il perçoive un pourcentage sur les ventes, celui-ci refuse, considérant cette pratique immorale et comme « une insulte à l'artiste » alors qu'il aurait pu toucher au moins cinq fois plus[a 3],[p 4]. Pour l'enregistrement, le trio a réservé le studio Pachyderm à Cannon Falls, un village à une soixantaine de kilomètres de Minneapolis, dans le Minnesota, sous le nom de Simon Ritchie Bluegrass afin d'éviter tout contact médiatique. L'appellation de Simon Ritchie est un clin d'œil au nom original de Sid Vicious, le bassiste des Sex Pistols[m 6],[t 3].
En , Nirvana se rend au studio et rencontre Steve Albini physiquement pour la première fois[r 5]. Quand ils discutent de l'orientation de l'album, le producteur note « qu'ils souhaitent faire exactement le genre de disque qu'il aime produire »[r 6]. Le groupe loge dans les sous-sols du studio pendant la durée des sessions, des conditions que Krist Novoselic compare au goulag : « il y avait de la neige dehors, on ne pouvait aller nulle part. On pouvait juste travailler »[r 5]. Seuls Steve Albini et Bob Weston, l'ingénieur assistant, accompagnent le groupe durant la grande majorité des sessions car ce dernier a clairement précisé à DGC Records qu'il ne souhaitait pas être dérangé pendant l'enregistrement de l'album, refusant d'ailleurs de montrer le travail en cours à l'A&R du label[a 4]. De plus, le producteur demande aux trois musiciens de ne plus être en contact avec les personnes extérieures car il estime que l'entourage du trio est « le plus gros tas de merde qu'il ait jamais rencontré »[e 1]. Le groupe étant venu au studio sans son matériel, il doit attendre trois jours avant que celui-ci arrive[a 4].
Les premiers enregistrements commencent le et le rythme est rapidement très soutenu : ils travaillent de midi à minuit, ne s'accordant que deux pauses pour le déjeuner et le diner[r 5],[a 4]. En dehors de Very Ape et Tourette's, les chansons les plus rapides, les morceaux sont enregistrés avec les trois musiciens ensemble en direct et sans aucun effet[m 6]. Pour les deux autres, la batterie est entourée de trente micros et enregistrée séparément dans une cuisine pour sa réverbération naturelle[p 4]. Kurt Cobain ajoute ensuite des passages supplémentaires à la guitare sur la moitié des chansons, ainsi que des solos de guitare et enfin le chant. Les sessions sont tellement productives que le groupe ne jette aucune bande et garde tout sur cassette[a 4]. La distorsion de la guitare bon marché de Kurt Cobain provient d'un ampli dont la plupart des tubes ne fonctionnent pas[m 6]. Lors de l'enregistrement de Heart-Shaped Box, Cobain décide au dernier moment d'ajouter un « solo bourré d'effets superflus » qui brise la mélodie. Novoselic proteste, qualifiant le procédé d'« avortement monstrueux », mais doit s'incliner devant les discours de Cobain et d'Albini dénonçant la musique commerciale. Le bassiste finira néanmoins par avoir gain de cause quelques mois plus tard quand le morceau sera retravaillé et le solo supprimé[d 1].
Steve Albini se montre exigeant dans le placement des micros et le niveau d'enregistrement. Il se justifie en précisant qu'« il n'y a pas eu de tours de passe-passe. Enregistrer un disque est un procédé très direct. Ce n'est pas de la magie noire. Il suffit de mettre un micro et d'écouter le résultat. Si ce n'est pas bon, il suffit d'en changer. Afin de savoir où les placer et quoi en faire, il faut avoir quelques bases concernant l'acoustique, l'électronique et les interactions du son dans le studio. C'est là que l'expérience fait la différence »[m 6]. Mais il se rend vite compte de sa faible utilité en tant que producteur et se sent mieux comme ingénieur du son tant le trio est capable de juger de la qualité de ses prises : « Cobain savait ce qui était bon et ce qui ne l'était pas. […] Il était capable de faire de gros efforts pour améliorer ce qui n'allait pas »[a 5]. Il enregistre d'ailleurs le chant en un seul jour sur environ sept heures[m 7], tandis que la totalité de l'enregistrement se fait en six jours[r 7],[a 4]. Le chanteur avait anticipé car il pensait que le confinement leur monterait à la tête, mais également que de possibles désaccords avec Steve Albini pourraient survenir car il avait la réputation d'être un « connard sexiste », mais finalement, il dira par la suite que « ce sont les plus faciles de notre carrière. […] À ma surprise, il s'est montré très amical et facile à vivre »[a 4]. Albini justifie cela par le fait que « c'était le même type de personnes que moi. Je les admirais et je les respectais »[m 7]. Après une semaine, Courtney Love vient voir Kurt Cobain parce qu'il lui manquait, altérant l'ambiance dans le studio. La petite amie de Bob Weston et directrice des lieux explique que sa venue a créé des tensions car elle critiquait leur travail et allait au conflit avec tout le monde, dont une violente altercation avec Dave Grohl[p 4],[g 2].
Mixage et controverses
Un premier mixage de l'album est réalisé en cinq jours, une durée relativement rapide par rapport aux standards de Nirvana mais pas pour Steve Albini, qui a pour habitude d'effectuer ce type de travail en une ou deux journées[r 8]. Mais lorsqu'ils n'arrivent pas au résultat escompté, ils passent le reste de la journée à regarder des vidéos sur la nature et faire des blagues téléphoniques[a 6]. Ils terminent l'album le et envoient alors les bandes aux responsables de Geffen, à Gold Mountain et à leur entourage[r 9]. Les retours sont négatifs : pour eux, c'est un album « inaudible » avec « des paroles pas à la hauteur », « trop d'effets sur la batterie et une voix enfouie » que les radios n'accueilleront probablement pas à bras ouverts[a 7],[m 7]. Les médias s'emparent alors de l'affaire, font monter la pression et Steve Albini est rapidement traîné dans la boue pour « avoir bousillé le disque de Nirvana ». Le producteur estime que « des gens qui ne sont ni moi, ni le groupe ont réussi à transformer la réalisation d'In Utero en une bataille émotionnelle assez malsaine. Et l'éthique journalistique qui a pesé sur ce projet était douteuse et fâcheuse. Quelqu'un a eu peur que cet excellent album soit imparfait. Alors ils ont préféré en faire un album moyen »[m 7]. Peu de gens de DGC Records et Gold Mountain approuvaient au départ le choix de Steve Albini comme producteur alors que Kurt Cobain a senti que derrière ces jugements, il y avait un message qui ressemblait à « jette tout et recommence à zéro ». Il le confie d'ailleurs, énervé, à Michael Azerrad : « j'aurais dû ré-enregistrer ce disque et faire la même chose que l'année dernière. […] Bien sûr qu'ils veulent un autre Nevermind, mais je préfèrerais mourir plutôt que faire ça. C'est exactement le type de disque que j'achèterais si j'étais un fan et que j'apprécierais avoir ». Cependant, quelques amis du groupe apprécient l'album et Nirvana est alors convaincu qu'il faut le publier ainsi en [a 8].
Mais les nombreuses critiques finissent par faire douter les trois musiciens. Et finalement, Kurt Cobain finit par l'admettre également : « la première fois que je l'ai écouté à la maison, j'ai senti que quelque chose n'allait pas. Je n'avais même pas envie de l'écouter à nouveau la première semaine. Il ne me procurait aucune émotion »[p 5]. Le groupe en vient à la conclusion que la basse et le chant sont inaudibles. Ils se tournent alors vers Steve Albini pour remixer l'album, mais celui-ci refuse car Kurt Cobain voulait faire un disque qu'il pourrait brandir fièrement et dire : « je sais qu'il est bon et vos doutes n'ont désormais plus de raison d'être ». Seulement, le producteur n'a pas le sentiment que le chanteur puisse y arriver[r 10]. Le groupe espère néanmoins que les inquiétudes au sujet de l'album cesseront avec le matriçage de Bob Ludwig dans son studio de Portland. Krist Novoselic est ravi du résultat, mais pas Kurt Cobain, qui trouve encore que le son n'est pas parfait[a 9].
Peu après, Steve Albini avoue au Chicago Tribune qu'il a des doutes que l'album paraisse entièrement par Geffen[p 6]. Le magazine Newsweek publie un article dans lequel il est dit que l'album ne peut sortir ainsi et qu'il devrait être refait[p 7]. Nirvana réagit en envoyant une lettre au journal où il est écrit que le groupe ne subit aucune pression de la part du label et que l'auteur de l'article se base sur des sources sans fondement. Une copie de cette lettre est également envoyée au Billboard. En parallèle, le directeur de DGC Records déclare que le label publiera tout ce que le groupe lui proposera. Le fondateur du label David Geffen appelle même personnellement Newsweek pour se plaindre de l'article[a 9]. Steve Albini admettra quelques années plus tard qu'il avait parlé d'une situation qui le dépassait et « dans l'ignorance de certains détails puisqu'il n'était pas présent lors des discussions du groupe avec le label. Tout ce que je sais, […] c'est que nous avons fait un disque, tout le monde en était content. Quelques semaines plus tard, j'ai entendu qu'il n'était pas publiable et que tout était à refaire »[r 11].
Nirvana souhaite alors retravailler certaines chansons avec le producteur Scott Litt, dont la production sur Automatic for the People de R.E.M. a été fortement remarquée[m 8]. Le groupe désire aussi en remixer avec Andy Wallace, qui a déjà effectué cette tâche sur Nevermind, mais Steve Albini proteste violemment, arguant que le groupe avait un accord avec lui et qu'aucune chanson ne pouvait être modifiée sans son accord. Il refuse d'ailleurs au début de donner les bandes à Gold Mountain mais cède finalement quand Krist Novoselic l'appelle. Entre une nouvelle overdose et une arrestation de son chanteur[g 3], le trio décide de retravailler Heart-Shaped Box et All Apologies au studio Bad Animals de Seattle en avec Scott Litt[a 10]. Kurt Cobain retire I Hate Myself and Want to Die de l'album car il considère qu'il y a déjà trop de chansons « bruyantes »[e 2] et surtout qu'il risquerait de provoquer des suicides chez les fans du groupe[m 8]. La nouvelle production et le matriçage sur les deux futurs singles de l'album augmentent le volume de la voix d'environ 3 dB et remettent plus la basse et les guitares en arrière-plan[a 10],[m 8]. Déçu par le disque, Steve Albini est critique vis-à-vis de celui-ci estimant que « le résultat final, celui qui est vendu, n'a pas tout à fait le même son que ce que nous avions fait. Même si c'est toujours eux qui chantent et jouent leurs chansons, la qualité de la musique n'est plus la même »[p 3],[m 8].
Succès commercial
In Utero est publié le au Royaume-Uni, puis une semaine plus tard, le 21, aux États-Unis[m 9],[g 4]. Afin d'éviter la surmédiatisation de l'album, DGC Records fait peu de publicité pour celui-ci, adoptant la même stratégie que pour Nevermind. Le label se concentre d'ailleurs sur les milieux alternatifs et ne le produit dans un premier temps qu'en vinyle et en cassette dans une édition limitée à 25 000 exemplaires[p 8]. Il est ensuite également diffusé en CD des deux côtés de l'Atlantique[r 12]. Aucun single n'est ainsi publié de façon commerciale : Heart-Shaped Box puis All Apologies sont uniquement envoyés aux stations de radio de campus universitaires ou orientées rock[p 8]. Le premier, dont la face B est la chanson composée par Dave Grohl Marigold, est distribué à partir d', tandis que le second, accompagné du sulfureux Rape Me, l'est à partir de décembre[g 4]. Pennyroyal Tea était destiné à être le troisième single de l'album, mais la mort de Kurt Cobain stoppe la procédure et seulement quelques copies se sont écoulées en Allemagne, les autres étant détruites[1].
Les chaînes de magasins Wal-Mart et Kmart refusent quant à elles de vendre l'album à cause de la présence de fœtus sur le dos de la pochette et du morceau Rape Me, dont le titre est douteux[g 4],[t 4],[p 9]. DGC Records imprime alors un tirage spécial avec des illustrations modifiées et le nom de la chanson Rape Me remplacé par Waif Me[r 13]. Kurt Cobain et Krist Novoselic acceptent ce compromis car adolescents, ils ne pouvaient acheter leur musique que dans ce type de supermarchés familiaux, Aberdeen étant dépourvue de véritables magasins de disques. Ils souhaitent donc que les mineurs qui désirent se procurer leurs albums puissent ainsi le faire[m 9],[p 10].
Le groupe espère néanmoins avoir moins de succès avec cet album, Kurt Cobain avouant qu'ils sont « certains de ne pas vendre le quart de ce qu'ils avaient vendus avec Nevermind et que cela leur va très bien puisqu'il préfère largement ce nouvel album »[e 3]. Pourtant, In Utero débute directement à la première place du Billboard 200 avec plus de 180 000 disques écoulés dès la première semaine[r 14], et atteint également les sommets des classements britannique et suédois. En France, il se classe à la 2e place. Il est depuis certifié cinq fois disque de platine aux États-Unis, soit plus de 5 millions de copies vendues, et six fois de la même récompense au Canada, correspondant à plus de 600 000 exemplaires écoulés dans ce pays. En France, il accède également au disque de platine avec plus de 300 000 ventes, tandis qu'il est disque d'or dans plusieurs autres pays du monde. L'album est aussi nommé dans la catégorie « Meilleur album alternatif » aux Grammy Awards en 1994[2].
Pour le vingtième anniversaire de la sortie d'In Utero, une version remastérisée avec plus de soixante-dix morceaux, dont des faces B, des démos et des enregistrements live est annoncée. Cette édition, qui doit sortir le , proposera également l'intégralité du concert Live and Loud enregistré par MTV le au Pier 48 de Seattle et inédit dans son intégralité jusque-là[3].
Accueil critique
Périodique | Note |
---|---|
Time | positif[4] |
Rolling Stone | [5] |
Entertainment Weekly | B+[6] |
NME | [7] |
The Independent | favorable[p 11] |
Robert Christgau | A[8] |
AllMusic | [9] |
Sputnikmusic | [10] |
BBC | positif[11] |
Drowned in Sound | favorable[12] |
In Utero est relativement bien accueilli par la presse bien qu'elle soit moins élogieuse que pour Nevermind[r 14]. Le son plus brut que sur ce dernier est d'ailleurs souvent cité dans les critiques. Ainsi, Ben Thompson, de l'Independent, estime que malgré des chansons plus abrasives, « l'album est bien plus proche de la réussite que de l'échec » et qu'il est « finalement loin de l'inaudible cauchemar punk-rock que le groupe nous avait promis »[p 11]. De même, David Fricke, journaliste du Rolling Stone, considère l'album comme « génial, corrosif, enragé et réfléchi », symbole du « triomphe de la volonté » du trio de revenir à un son plus « underground »[5]. Robert Christgau, qui lui a d'abord attribué un A- avant de revoir son avis pour lui mettre un A, abonde aussi dans ce sens, notant que le son est plus puissant, qu'il y a plus de guitares, et que malgré tout, le disque a de meilleures chansons que son prédécesseur. Il préfère néanmoins un petit peu plus Nevermind à In Utero[8].
John Mulvey, pour le NME, voit dans ce retour aux sources le reflet de la santé mentale du chanteur : « chancelante, insatisfaite et incapable de se réconcilier avec soi-même ». Il considère d'ailleurs que celui-ci devrait en être fier, mais ajoute néanmoins qu'après « l'un des meilleurs albums de ces dix dernières années, In Utero n'est pas à sa place »[7]. David Browne, du Entertainment Weekly, note une forte haine de la part de Kurt Cobain sur ce disque, conduisant à une musique « hypnotisante, cathartique mais sans relâchement, car le groupe ne veut pas tomber dans ce cliché »[6]. Christopher John Farley, du Time, résume en quelque sorte l'état d'esprit général en approuvant la volonté de Nirvana de ne pas céder à la tentation de faire de la musique de grande écoute. Il précise qu'une nouvelle fois, ce sera probablement le public qui viendra à eux[4].
Stephen Thomas Erlewine qualifie d'« envoûtante » l'écriture des chansons, considérant le travail du compositeur comme très bon et regrette à ce titre la sur-production de certaines chansons qui les rendent joyeuses alors qu'en réalité, elles cachent le désespoir de Cobain. Il voit l'album comme « la lettre d'adieu de Kurt Cobain pour le public »[9]. Le journaliste de la BBC abonde dans ce sens, évoquant un disque « puissant, personnel, psychologique, physiologique, scatologique, paranoïaque, frénétique et épuisant, merveilleusement honnête, drôle, poétique, maladif, désarmant, affligeant, bouleversant et mettant terriblement mal à l'aise. Et tellement bon »[11]. Raziq Rauf, de Drowned in Sound, remarque que le groupe a mûri, que la musique est plus développée et variée que précédemment. Il pense d'ailleurs que le disque aurait largement sa place parmi les productions d'aujourd'hui[12]. Sputnikmusic note qu'un grand nombre de paroles sont malgré tout difficiles à déchiffrer tant les sens peuvent aller à Kurt Cobain. Il ajoute qu'« avec un groupe comme Nirvana, vous ne pouvez pas vraiment juger sur la technique » tant les musiciens sont talentueux, précisant que c'est probablement un des albums qui colle le mieux avec les années 1990[10].
L'album figure parmi les meilleures publications de l'année de plusieurs magazines. Ainsi Rolling Stone le place en tête de son classement[p 12], tandis que sur le sondage Pazz & Jop de The Village Voice, il occupe la seconde position[13]. Il figure également dans les « 10 meilleurs albums de l'année » du New York Times[14].
Tournée
Nirvana interprète pour la première fois les chansons d’In Utero lors d'un événement organisé par Chris Novoselic au Cow Palace de San Francisco le afin de dénoncer les viols perpétrés en Yougoslavie, son pays d'origine, et récolter des fonds pour les aider. Le bassiste décide d'ailleurs de se faire désormais appeler Krist pour marquer ses origines croates[t 5]. Ils sont accompagnés de L7 et des Breeders lors de cette soirée. Le groupe ne donnera que trois autres concerts au cours de l'été : le au Roseland Ballroom de New York lors du New Music Seminar, le au King Theatre de Seattle et le à Hollywood pour un concert caritatif intitulé Rock Against Rape. Leur première performance s'effectue après une nouvelle overdose de Kurt Cobain juste avant de monter sur scène et a pour but de présenter le nouvel album à un public de professionnels. Ce spectacle marque également une première pour le trio puisqu'il met en scène un interlude acoustique, auquel participe la violoncelliste Lori Goldston[m 8]. Leur deuxième concert doit apporter des fonds pour mener l'enquête sur l'assassinat de Mia Zapata, chanteuse du groupe local The Gits, et est aussi la dernière performance de Nirvana en trio[m 9]. En effet, quelques jours plus tard, le chanteur invite Pat Smear, l'ancien guitariste des Germs, à une de leurs répétitions et celui-ci est rapidement considéré comme le quatrième membre du groupe. Il permet ainsi à Kurt Cobain d'avoir plus de libertés sur scène, sans avoir à se soucier de certaines portions de guitares devenues ingérables. Lors du troisième spectacle, le leader du groupe rejoint sa femme Courtney Love sur scène pour y interpréter Pennyroyal Tea et Where Did You Sleep Last Night, dans ce qui sera leur unique performance en commun[m 9].
Le désormais quatuor, Pat Smear y effectuant sa première apparition publique, participe pour la seconde fois à l'émission Saturday Night Live le et y joue Rape Me et Heart-Shaped Box[g 5]. Moins d'un mois plus tard, le groupe entame le à Phoenix une tournée de quarante-cinq dates à travers les États-Unis, dont les premières parties sont assurées par leurs groupes favoris, tels que The Breeders, Shonen Knife, Butthole Surfers ou Meat Puppets[m 10],[g 5]. Alors que les ventes d'albums et de places de concerts sont moins élevées que prévu, Nirvana accepte de jouer pour l'émission MTV Unplugged, au cours de laquelle les instruments sont débranchés et les chansons jouées en acoustique. Proposant reprises et chansons de leur répertoire[m 11], ils s'approprient totalement le concept de l'émission et montrent ainsi une nouvelle facette du groupe[m 12]. Diffusé le , leur passage notamment marqué par les morceaux All Apologies, The Man Who Sold the World (reprise de David Bowie) et Where Did You Sleep Last Night de Leadbelly relance les ventes d’In Utero, ainsi que les audiences de l'émission[m 12],[m 13]. L'enregistrement de cette performance est ensuite publié en novembre 1994 sous le nom de MTV Unplugged in New York[m 14].
Après leur dernier concert sur le sol américain, le au Center Arena de Seattle, Kurt Cobain souhaite enregistrer de nouveaux morceaux alors que Dave Grohl et Krist Novoselic ont visité un nouveau studio nommé Bob's Bunker[g 6]. Ils le réservent alors du 28 au . Le chanteur n'arrive que le dernier jour, dans l'après-midi, mais apprécie ce qui ressort de la session commencée sans lui. Il apporte sa voix sur une chanson d'abord intitulée Kurt's Tune #1 puis You Know You're Right, qui devient le titre du groupe enregistré le plus rapidement. Kurt Cobain s'absentant de nouveau, le bassiste et le batteur continuent leur jam session instrumentale, au cours de laquelle le second finalise trois morceaux des futurs Foo Fighters. Bien qu'une seule chanson ne ressorte des enregistrements, ils réservent de nouveau le studio pour le mois d'avril, après leur tournée européenne[m 15].
Nirvana commence son voyage en Europe par un passage dans l'émission Nulle part ailleurs sur Canal+ le . Le groupe se produit ensuite à Lisbonne, à Toulon, à Toulouse et au Zénith de Paris le . Devant renouveler leur performance le lendemain dans la même salle, ils annulent finalement le concert et s'adonnent à une séance de photos sous les ordres de Youri Lenquette, où Kurt Cobain pose avec un revolver en plastique dans la bouche, tel un signe prémonitoire. Ils jouent ensuite à Rennes et à Grenoble avant de donner un ultime spectacle télévisuel pour la Rai le , puis se produisent à Ljubljana, dans l'ex-Yougoslavie chère à Krist Novoselic[m 16]. Les trajets entre les différentes salles se font par bus et une scission entre les membres du groupe est clairement apparente : Dave Grohl et Krist Novoselic sont dans un bus, tandis que Kurt Cobain, Pat Smear et Alex MacLeod, le gérant de la tournée, sont dans un autre. Le batteur, récemment marié à Jennifer Youngblood, profite de ce voyage pour faire sa lune de miel en Irlande[g 6].
Le 1er mars, The Melvins ouvrent pour le concert au Terminal Eins de Munich. Krist Novoselic conclut leur performance en plaisantant avec la foule : « nous ne jouons pas dans une salle énorme ce soir, car notre carrière est déclinante. Nous sommes sur la voie de garage. Le grunge est mort, Nirvana est fini. Notre prochain album sera un disque de hip-hop ». Les deux dernières dates en Allemagne sont annulées à la suite du diagnostic du médecin : le chanteur est doublement atteint d'une bronchite et d'une laryngite. Se reposant avec sa femme Courtney Love à Rome, il fait une première tentative de suicide le dans la capitale italienne en mélangeant du champagne et une cinquantaine de comprimés de Rohypnol[g 7]. Sauvé in extremis après un coma de vingt heures, il est rapatrié dans son manoir aux États-Unis, où il se réfugie et menace d'en finir. Ses armes lui sont confisquées par la police le et il est admis pour une cure de désintoxication à l'Exodus Recovery Center de Los Angeles le 30. Il s'en échappe le lendemain afin de prendre un avion en direction de Seattle où il se donne la mort le , son corps étant retrouvé trois jours plus tard par un électricien venu installer une alarme[m 16].