Jamahiriya arabe libyenne
nom officiel en forme abrégée utilisé par la Libye de 1977 à 2011 / De Wikipedia, l'encyclopédie encyclopedia
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La Jamahiriya arabe libyenne (en arabe : الجماهيرية العربية الليبية, al-jamāhīriyya al-ʿarabiyya al-lībiyya)[note 4],[2],[3] est le nom officiel en forme abrégée utilisé par l'État libyen, de 1977 à 2011, sous le régime politique de Mouammar Kadhafi.
(ar) الجماهيرية العربية الليبية الشعبية الإشتراكية العظمى / al-jamāhīriyya al-ʿarabiyya al-lībiyya aš-šaʿbiyya al-ištirākiyya al-ʿuẓmá
1er septembre 1969 – 20 octobre 2011
Drapeau de la Libye à partir de 1977 |
Armoiries de la Libye à partir de 1977 |
Devise | en arabe : حرية إشتراكية وحدة (ḥuriyya, ištarākiyya, wiḥda, « Liberté, socialisme, unité ») |
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Hymne | en arabe : الله أكبر (Allahu Akbar, « Dieu est le plus grand ») |
Statut |
République jusqu'en 1977 Dictature militaire à parti unique de 1971 à 1977 « État des masses populaires », officiellement démocratie directe à partir de 1977 |
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Capitale | Tripoli |
Langue(s) | Arabe |
Religion | Islam sunnite |
Monnaie |
Livre libyenne de 1969 à 1971 Dinar libyen à partir de 1971 |
Population |
Population totale[1] : En 1969 : 1 911 968 En 1980 : 3 063 000 En 1990 : 4 334 459 En 2000 : 5 231 189 En 2011 : 6 461 292 |
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1er septembre 1969 | Coup d'État de Mouammar Kadhafi, proclamation de la République arabe libyenne |
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1er septembre 1971 | Référendum sur l'union avec l'Égypte et la Syrie |
Été 1973 | La Libye envahit le Tchad |
2 mars 1977 | Proclamation de la Jamahiriya arabe libyenne populaire et socialiste |
15 avril 1986 | Bombardement américain |
21 décembre 1988 | Attentat de Lockerbie |
12 septembre 2003 | L'ONU vote la fin des sanctions contre la Libye |
17 février 2011 | Les manifestations contre Kadhafi, lancées depuis deux jours, tournent à l'affrontement : début de la guerre civile libyenne |
23 août 2011 | Prise de Tripoli par les rebelles |
20 octobre 2011 | Prise de Syrte, mort de Mouammar Kadhafi |
23 octobre 2011 | Proclamation de l'État de Libye, fin de la Jamahiriya |
1969-2011 | Mouammar Kadhafi |
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1er 1969-1979 | Mouammar Kadhafi |
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1992-2008 | Zentani Muhammad az-Zentani |
Der 2010-2011 | Mohamed Abou el-Kassim Zouaï |
1er1969-1970 | Mahmoud Soleiman al-Maghrebi |
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1970-1972 | Mouammar Kadhafi |
1972-1977 | Abdessalam Jalloud |
2003-2006 | Choukri Ghanem |
Der 2006-2011 | Baghdadi Mahmoudi |
Parlement | Congrès général du peuple |
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Entités précédentes :
Entités suivantes :
Kadhafi arrive au pouvoir en 1969 en renversant la monarchie libyenne et institue un régime fortement inspiré, dans un premier temps, du nassérisme égyptien. Durant les premières années de pouvoir de Kadhafi (1969-1977), la Libye porte le nom officiel de République arabe libyenne (الجمهورية العربية الليبية, al-jumhūriyya al-ʿarabiyya al-lībiyya). En 1977, le dirigeant libyen décrète une nouvelle forme de gouvernement et fait de son pays une « Jamahiriya », soit un « État des masses » officiellement gouverné par le biais de la démocratie directe. La Libye est alors rebaptisée du nom complet de Jamahiriya arabe libyenne populaire et socialiste (الجماهيرية العربية الليبية الشعبية الإشتراكية, al-jamāhīriyya al-ʿarabiyya al-lībiyya aš-šaʿbiyya al-ištirākiyya). Dans les faits, le régime continue de fonctionner sur un mode à la fois arbitraire et répressif. En 1986, le régime de Kadhafi adopte son nom définitif de Grande Jamahiriya arabe libyenne populaire et socialiste[note 5], tout en conservant la forme abrégée Jamahiriya arabe libyenne dans les usages diplomatiques[4].
La Libye kadhafiste se distingue d'emblée par un positionnement tiers-mondiste, à la fois panarabe et panafricain, et entretient rapidement des relations conflictuelles, voire hostiles, avec une grande partie des pays d'Afrique, du monde arabe et du monde occidental. Isolée sur le plan international durant les années 1980 et 1990 du fait de son soutien à de nombreuses rébellions et de son concours à des actes de terrorisme, soumise à un embargo imposé par l'ONU entre 1992 et 2003, la Jamahiriya arabe libyenne connaît un retour en grâce diplomatique dans la deuxième moitié des années 2000.
En éclate une révolte contre le pouvoir en place, soutenue à partir de mars par une intervention internationale. En , les rebelles sont maîtres de la capitale et de l'essentiel du territoire libyen. Le Conseil national de transition, organe de direction des rebelles, est reconnu le mois suivant par l'ONU. Les combats contre les partisans de Kadhafi, qui tiennent encore plusieurs bastions, se poursuivent jusqu'en . Mouammar Kadhafi est tué le 20 octobre dans les environs de Syrte et la « libération » de la Libye est proclamée trois jours plus tard.
Dans les années 1960, la monarchie libyenne doit faire face à la montée d'un fort mécontentement social, dû tant à l'inégalité de répartition des richesses naturelles du pays qu'à la position internationale délicate de la Libye. Alliée aux États-Unis et au Royaume-Uni, la Libye a subi avec les autres pays arabes l'humiliation de la Guerre des Six Jours en 1967. Malgré des tentatives de réformes sociales et politiques au cours de la décennie, le régime monarchique se montre incapable de résoudre le malaise de la population et la sclérose de la vie politique[5].
Le , le roi Idris Ier, alors en cure à l'étranger, est déposé lors d’un coup d’État mené presque sans effusion de sang. Les conjurés, qui se désignent sous le nom d'« officiers unionistes libres » et se revendiquent fortement du nassérisme, sont en contact avec les services secrets égyptiens qui les avaient informés que le roi prévoyait, le , d'abdiquer en faveur de son neveu le prince Hassan Reda[6]. Le chef de la conjuration est un jeune capitaine (rétrogradé, par mesure disciplinaire, au grade de lieutenant) alors âgé de 27 ans, Mouammar Kadhafi. Prenant la tête du Conseil de commandement de la révolution (CCR), instance composée de douze dirigeants des officiers unionistes libres, Kadhafi se charge de lire à la radio, le jour du coup d’État, la proclamation des conjurés : il annonce que l’« héroïque armée », répondant aux demandes du peuple, a renversé l'ancien régime « réactionnaire », « arriéré » et « décadent »[7]. La « révolution du 1er septembre » est plus tard désignée sous le nom de « révolution du fateh », terme tiré du Coran et signifiant « qui ouvre » ou « qui conquiert »[8].
Le 8 septembre, le nom de Kadhafi est publiquement révélé quand il est nommé au grade de colonel et proclamé chef des forces armées. S'il est dès lors clairement identifié comme le chef de la conjuration et le nouveau chef du régime, la liste complète des membres du CCR n'est par contre connue du public que quatre mois après la prise de pouvoir. Le Conseil de commandement de la révolution fait office de véritable gouvernement du pays (le conseil des ministres en titre, nommé par le CCR, n'étant qu'un organe d'exécution) : son fonctionnement régulier n'est cependant jamais établi[9],[7].
Le 11 décembre, une « proclamation constitutionnelle », « destinée à fournir la base de l'organisation de l'État durant la phase d'achèvement de la révolution nationale et démocratique » jusqu'à la rédaction d'une constitution définitive, est publiée. La République arabe libyenne se place d'emblée dans une optique panarabe et socialiste, l'article 1 proclamant : « La Libye est une république arabe, démocratique et libre, dans laquelle la souveraineté appartient au peuple. Le peuple libyen est une partie de la nation arabe. Son objectif est l'unité arabe totale. » L'article 6 précise : « L'objectif de l'État est la réalisation du socialisme par l'application de la justice sociale qui interdit toute forme d'exploitation[10] ».
Le premier gouvernement est dirigé par Mahmoud Soleiman al-Maghrebi, un expert pétrolier d'origine palestinienne politiquement marqué à gauche ; ce dernier tente d'introduire de la diversité idéologique dans les cercles du pouvoir, son cabinet comptant plusieurs intellectuels libyens, d'anciens opposants à la monarchie revenus d'exil, ainsi que des personnalités baasistes ou marxistes. Les militaires du CCR s'opposent cependant à l'intégration de ces derniers, qui leur apparaît comme une atteinte à la stratégie identitaire de la révolution. Le , al-Maghrebi doit présenter sa démission et le , Kadhafi devient lui-même Premier ministre, cumulant les postes de chef de l'État (en tant que président du CCR) et de chef du gouvernement et contrôlant ainsi toutes les structures du pouvoir exécutif. Cinq des membres du CCR sont nommés à des postes ministériels, mais Kadhafi semble surtout visé à les isoler ainsi de l'armée, où se situent les vrais enjeux du pouvoir[11]. Les méthodes de gouvernement de Kadhafi ne font cependant pas l'unanimité au sein du régime et, dès les premiers mois, des partisans de la révolution lui reprochent de prendre ses décisions sans concertation et d'agir avec brutalité ; ils réclament en vain l'adoption d'une constitution permanente et la tenue d'élections libres[12]. À partir du , Kadhafi organise un « Congrès de la Pensée révolutionnaire », destiné à discuter de la classification des « forces laborieuses » de la Libye et de l'organisation du pays en structures inspirées du nassérisme et du panarabisme. Les intellectuels et les notables libyens sont invités à y participer, mais les militants dotés d'une expérience partisane (communiste ou baassiste) en sont écartés : Kadhafi canalise et contrôle tous les débats du Congrès, dont il retire ensuite sa légitimité idéologique. Il parvient également à rassurer la bourgeoisie libyenne un temps inquiétée par les discours révolutionnaires et s'impose définitivement en tant que principal dirigeant et idéologue du CCR[13]. Un nouveau gouvernement, fondé le , consacre l'élimination des intellectuels du pouvoir en Libye au profit des fidèles nommés par les militaires du CCR. Le Conseil de commandement de la révolution présidé par Kadhafi cumule dès lors les pouvoirs exécutif et législatif, celui de nomination des ministres, ainsi que le rôle de l'orientation idéologique des rouages de l'État[14].
Les États-Unis sont d'abord rassurés par la promesse des conjurés de ne pas toucher aux intérêts occidentaux et acceptent le non-renouvellement de leurs bases militaires (le dernier soldat américain quitte la Libye le ; les bases britanniques sont également fermées). Ils acceptent également les exigences de Kadhafi en matière pétrolière (relèvement des royalties et de la fiscalité), d'autant que celles-ci leur apparaissent plutôt justifiées sur le fond. La ferveur religieuse de Kadhafi, la constitution provisoire multipliant les allusions à l'islam, le pose aux yeux des Américains comme un anticommuniste avec lequel il est possible de traiter[11].
L'impression des observateurs étrangers est, tout d'abord, d'autant plus positive que Kadhafi introduit sur le plan de la politique intérieure de nombreuses mesures populaires, tels le doublement du salaire minimum ou le gel des loyers. Les palais royaux deviennent des bâtiments publics et l'enseignement est arabisé[11]. Kadhafi s'emploie rapidement à récupérer les terres fertiles du pays, dont une partie demeure entre les mains d'anciens colons italiens : en octobre 1970, son gouvernement procède à l'expropriation et à l'expulsion d'environ 13 000 propriétaires agricoles italiens, dont les biens – environ 3 000 fermes – sont nationalisés. L'État procède à une politique globale de nationalisation des banques étrangères et s'arroge le monopole du commerce extérieur. Kadhafi se distingue également par des mesures inspirées tout à la fois par sa stricte observance musulmane et par son attachement à un nationalisme arabe radical : la consommation d'alcool est interdite, les églises et les boîtes de nuit sont fermées et l'arabe proclamé comme seule langue autorisée pour les communications officielles. À l'occasion du premier choc pétrolier, le gouvernement prend le contrôle des compagnies pétrolières ; les majors sont prises sous contrôle à concurrence de 51 % en novembre 1973 contre de solides concessions financières. L'envolée du prix du pétrole provoque une montée en flèche des rentrées de la rente pétrolière[15],[16],[17],[18].
Après la mort de Nasser, Kadhafi se présente comme l'authentique représentant du nassérisme : son discours officiel amalgame alors sur le plan idéologique le socialisme arabe et le socialisme islamique, commettant d'ailleurs à ce sujet un contresens, car le socialisme arabe était conçu par Nasser comme opposé au socialisme islamique des Frères musulmans[19]. Le , un parti unique, l'Union socialiste arabe, calqué sur le parti de Nasser, est créé, pour canaliser la « mobilisation révolutionnaire » souhaitée par le régime. Le mouvement est conçu moins comme un parti politique que comme un instrument de contrôle social : tout Libyen est tenu d'en être membre, à travers un comité local ou provincial. Kadhafi semble cependant avoir été vite déçu des capacités de mobilisation de l'Union socialiste arabe[20]. La République arabe libyenne ne se conforme pas à un modèle parlementaire classique et mise surtout sur la création d'organisations de masse comme l'Union des femmes ou une union syndicale. L'administration est modernisée, avec l'introduction de gouvernorats et de municipalités, afin de s'éloigner de la base tribale de l'ancien système. L'Union socialiste arabe échoue cependant rapidement à remplir son rôle de relai des masses populaires : le Conseil de commandement de la révolution fait en effet office d'autorité suprême de l'Union socialiste arabe, qui est d'emblée contrôlée de manière rigide par le pouvoir en place. La contradiction entre le rôle de canalisation de l'élan révolutionnaire que le parti est censé remplir et la réalité de sa soumission au gouvernement rend rapidement inopérant le parti unique, également handicapé par la complexité de ses structures[21].
Si, par son arabisme, Kadhafi s'inspire de manière revendiquée de Gamal Abdel Nasser, il est également plus religieux que lui et, tout en s'opposant aux islamistes, manifeste volontiers une foi ardente et lie étroitement arabisme et islam. Sur le plan religieux, Kadhafi se distingue en effet de Nasser par un univers référentiel plus proche de celui des islamistes; bien que méfiant à l'égard des gardiens de la loi religieuse (proche, en Libye, de la monarchie) comme des contestataires islamistes assimilés à la mouvance des Frères musulmans, Kadhafi est l'un des premiers chefs d'État arabes à s'engager dans la voie d'une réislamisation partielle du droit positif. En 1970, une commission est chargée d'« éliminer les règles établies en violation de la charia et de proposer un projet de réhabilitation de ses principes fondamentaux »[22]. L'inspiration égyptienne est cependant la caractéristique dominante des trois premières années du régime de Kadhafi, qui ne manifeste aucune originalité sur le plan institutionnel. L'effort du régime se situe pour l'essentiel dans la concrétisation du panarabisme, via l'union des masses populaires arabes[22].
Dès son arrivée au pouvoir, Kadhafi se distingue par un projet volontariste d'union de la « nation arabe », avec pour finalité d'effacer les traces de la domination occidentale, persistantes même après la décolonisation.
Le 27 décembre, la Libye signe avec l'Égypte de Nasser et le Soudan de Gaafar Nimeiry une « charte révolutionnaire », dite également « Pacte de Tripoli », qui lance un projet de fédération, défini comme une « alliance révolutionnaire dont le but est de déjouer les intrigues impérialistes et sionistes ». La mort de Nasser, en , ne ralentit pas le projet et l'arrivée au pouvoir de Hafez el-Assad en Syrie amène l'adhésion de ce dernier pays au projet. Le est proclamée l'Union des Républiques arabes, fédération regroupant l’Égypte, la Libye et la Syrie et approuvée par référendum dans les trois pays le 1er septembre de la même année en hommage à la date anniversaire du coup d'État libyen. Le Soudan est écarté des projets d'union, du fait de son instabilité politique interne. Le , une union totale entre l'Égypte et la Libye est proclamée : la Syrie n'est plus mentionnée dans cet aspect de l'accord[23]. Rapidement, le président égyptien Anouar el-Sadate, inquiet devant les surenchères et la personnalité de Kadhafi, choisit de s'éloigner de la fédération. La fusion, prévue en 1973, n'a finalement pas lieu et la situation débouche sur une crise diplomatique entre l'Égypte et la Libye.
Kadhafi tente sans grand succès de poser des jalons unitaires avec l'Algérie de Houari Boumédiène, puis entame une autre tentative de fusion, cette fois avec la Tunisie : mais le , Habib Bourguiba, après avoir signé avec Kadhafi un traité d'union entre la Tunisie et la Libye au sein d'une « République arabe et islamique », se retire brutalement du projet de fusion. Les affronts subis de la part de Bourguiba et Sadate contribuent à convaincre Kadhafi que rien de sérieux ne peut être tenté avec l'ancienne génération des dirigeants arabes[24],[25]. En novembre 1978, les accords internationaux entre l'Égypte et la Libye sont dénoncés[26]. En septembre 1980, un nouveau projet d'union est annoncé entre la Libye et la Syrie, mais ne se concrétise pas[27]. En 1981, un autre projet unissant la Libye et le Tchad tourne également court. En 1984, l'Égypte se retire définitivement de l'Union des Républiques arabes, qui était en sommeil depuis plusieurs années et cesse cette fois officiellement d'exister[28]. En , Kadhafi signe un « traité d'Union arabo-africaine » avec le Maroc, qui se traduit surtout par l'arrêt du soutien libyen au Front Polisario et par des échanges commerciaux entre les deux pays. Déçu par le panarabisme, Kadhafi se tourne de plus en plus, au fil des années, vers le panafricanisme, une large part de l'activité diplomatique et humanitaire de la Libye étant consacrée à l'Afrique noire[29].
Les ambitions unitaires de Kadhafi se retrouvent par la suite dans la participation de la Libye à des institutions comme l'Union du Maghreb arabe (qui n'apporte pas les résultats espérés, du fait de l'isolement libyen et de la tension née du regain islamiste et de la guerre du Golfe)[30] et la Communauté des États sahélo-sahariens, ou des initiatives plus tardives comme la Ligue populaire et sociale des tribus du Grand Sahara. En septembre 1999, la Libye accueille la session extraordinaire de l'Organisation de l'unité africaine, où est adoptée, sous l'impulsion de Kadhafi, la résolution connue sous le nom de déclaration de Syrte qui pose les bases de la transformation de l'OUA en Union africaine. Lorsqu'il prend en 2009 la présidence tournante de l'Union africaine, le colonel Kadhafi en profite pour relancer le concept des États Unis d'Afrique, sans soulever l'enthousiasme des autres dirigeants africains[31].
Au début de 1973, Mouammar Kadhafi est confronté à une situation d'échec : sur le plan régional, sa volonté d'unité se heurte à la méfiance des autres chefs d'État ; sur le plan intérieur, l'appareil administratif se montre peu coopératif et il doit faire face à une opposition au sein du Conseil de commandement de la révolution. À l'issue d'une séance orageuse du CCR durant laquelle ses options en matière d'armement sont désavouées, Kadhafi fait part aux autres membres du Conseil de sa volonté de démissionner, mais en révélant « personnellement la nouvelle au peuple ». Quelques jours plus tard, le , Kadhafi prononce à Zouara un discours dans lequel, à la surprise générale, il passe à la contre-offensive, rejetant la légitimité institutionnelle de l'appareil révolutionnaire et appelant les « masses populaires » à « monter à l'assaut de l'appareil administratif »[24]. Kadhafi annonce le début d’une « révolution culturelle » dans les écoles, les entreprises, les industries et les institutions publiques.
La « subversion » interne et externe devient progressivement le mode d'action privilégié de Kadhafi, qui pense avoir trouvé la solution à l'immobilisme ambiant qui frustrait ses ambitions révolutionnaires. Au cours des années 1970, il lance un long processus d'« assaut » (zahf) des institutions, que les citoyens sont invités à contrôler, sans autres intermédiaires que des congrès et des comités théoriquement censés les représenter. Les congrès populaires de base et les Comités populaires, destinés à faire office d'expression directe de la volonté directe du peuple libyen, sont progressivement mis en place. Dans les faits, les Comités populaires commencent d'emblée à fonctionner bien souvent comme des auxiliaires des services secrets, dénonçant les personnes critiques à l'égard de la révolution. Des vagues d'arrestation, parfois à l'initiative de dénonciation par les Comités populaires, ont lieu dans divers cercles politiques, chez les communistes et parmi les sympathisants du Parti Baas ou des Frères musulmans. Les initiatives des Comités populaires se chevauchent en outre dans les premiers temps avec les prérogatives de diverses institutions et aboutissent à des situations d'anarchie[32].
En 1975, le parti unique, l'Union socialiste arabe, est déclaré « ouvert à tous », ce qui annonce sa dissolution pure et simple[33],[34] ; les cellules locales du parti sont coordonnées avec les Comités populaires afin de réduire les chevauchements d'autorité[35]. La même année, Kadhafi publie la première partie de son Livre vert, bref ouvrage doctrinal dans lequel il expose un corpus idéologique de son cru, la « troisième théorie universelle » (censée représenter la « troisième voie », c'est-à-dire l'alternative au capitalisme exploiteur et au communisme totalitaire[36]) et détaille les principes d'une forme de démocratie directe dont il prône l'instauration en lieu et place de la démocratie parlementaire.
En août 1975, une tentative de coup d'État contre Kadhafi, menée par deux des membres du Conseil de commandement de la révolution, est déjouée ; le CCR est ensuite purgé, seuls cinq de ses douze membres d'origine (dont Kadhafi lui-même, Abou Bakr Younès Jaber et Abdessalam Jalloud) demeurant en place. Le CCR cesse de fonctionner comme un organe collégial de prise de décision ; s'il ne disparaît qu'en , la Libye tend désormais inexorablement vers l'instauration d'un pouvoir personnel[37]. L'opposition, réprimée à l'intérieur de la Libye, forme des groupes à l'étranger. Parmi les principales personnalités passées à la dissidence dans la deuxième moitié des années 1970, on compte deux anciens membres du CCR (Abdel-Moneim Al-Huni, ancien ministre de l'Intérieur et Omar al-Meheichi, principal responsable du complot de 1975) et l'ancien Premier ministre Mahmoud Soleiman al-Maghrebi[38].
Le , un Congrès général du peuple, constituant le nouveau Parlement monocaméral de la Libye, est réuni pour une session durant jusqu'au 18, et nomme à son secrétariat général Abdessalam Jalloud, chef du gouvernement depuis 1972. Le Congrès général du peuple fixe le budget des ministères, réaffirme sa foi dans « l'expérience de démocratie populaire » de la République arabe libyenne, et son soutien aux « mouvements de libération nationale » à travers le monde[39].
Le , la dynamique lancée quatre ans plus tôt par le discours de Kadhafi à Zouara débouche sur la proclamation d'un nouveau mode de gouvernement. Le Congrès général du peuple, réuni pour la seconde fois, proclame par le biais d'une allocution prononcée par Abdessalam Jalloud l'instauration officielle en Libye du « Pouvoir du Peuple » ; ce discours, intitulé « Déclaration sur l'avènement du Pouvoir du peuple », tient dès lors lieu de Constitution à la Libye. Le nom du pays est changé en « Jamahiriya arabe libyenne populaire et socialiste ». De république, la Libye devient une Jamahiriya : ce néologisme inventé par Kadhafi et traduisible par « État des masses » se distingue du mot Jumhuriya, mot arabe traduisant « République » et signifiant « Gouvernement (ou État) du public » (« public » étant pris au sens de « masse humaine »). En effet, le mot « masse » est mis au pluriel dans Jamahiriya pour insister sur le fait que le pouvoir est censé y être exercé directement et sans intermédiaires par la population[40],[41]. La dénomination plus courte de « Jamahiriya arabe libyenne » est utilisée de manière officielle, y compris dans les traités et les instances internationales, de préférence à la forme simple « Libye »[42].
Le pays est désormais officiellement gouverné selon un système de démocratie directe par le biais des Comités populaires. Le Congrès général du peuple (CGP) devient le siège du pouvoir exécutif en sus de celui du pouvoir législatif : le CCR est rebaptisé « Secrétariat général du Congrès général du peuple », Kadhafi lui-même prenant le titre officiel de « Secrétaire général du Secrétariat général du Congrès général du peuple » (abrégé ensuite en « Secrétaire général du Congrès général du peuple »)[43],[44]. Plus aucun parti politique n'est autorisé en Libye, où la vie politique se structure autour de trois slogans : « Pas de démocratie sans comités populaires ! », « Des comités populaires partout ! » et « Celui qui crée un parti trahit ! »[44].
Pour conserver son pouvoir, Kadhafi s'appuie sur plusieurs facteurs, dont la faible densité de population du pays, qui rend difficiles grèves, mouvements sociaux et émeutes urbaines. Les quelques manifestations estudiantines, notamment en avril 1984, sont ainsi très violemment réprimées.
Manipulation des alliances tribales
Le système politique de la Jamahiriya arabe libyenne est fondé en grande partie sur des alliances tribales[45]. En quarante ans de règne, Kadhafi a conservé le système tribal et sa manipulation des alliances lignagères a été érigée en un véritable système politique[46]. Mais parallèlement, il a réduit le rôle des tribus et les a marginalisées, en constituant une ébauche de système administratif moderne, avec préfectures (muhāfazāt) et municipalités (baladīyat), ce qui a amoindri le soutien que les tribus étaient susceptibles de lui apporter.
Kadhafi maintient notamment son autorité en jouant des influences de l'armée, du Congrès général du peuple et des Comités révolutionnaires qui noyautent les deux autres institutions. S'entremêlent à ces trois pôles d'influence les réseaux de solidarités tribales[note 6]. Si, durant les premières années du régime de Kadhafi, le pouvoir n'évoque pas officiellement le rôle des tribus, Le Livre vert leur consacre un chapitre entier dès 1975[47]; Kadhafi en fait l'un des principaux leviers de l'équilibre de son pouvoir, tout en les court-circuitant à d'autres moments avec l'aide de l'armée. Membre lui-même de la tribu Qadhadhfa, Mouammar Kadhafi parvient à maintenir un certain équilibre entre les tribus, dont il s'assure le soutien. Mais avec le temps, cet équilibre échoue à se maintenir et le système avantage principalement le clan Kadhafi et certaines des tribus, Magarha, Qadhadhfa ou Ouarfalla[48],[49].
La Qadhadhafā, à laquelle appartient Mouammar Kadhafi, est forte d'environ 125 000 membres surtout dans le Centre de la Libye. Cette tribu a la mainmise sur le régime libyen, elle est la plus armée et a toujours été privilégiée par Kadhafi pour défendre son régime dont elle est le noyau dur. Par ailleurs, le dirigeant libyen a de tous temps été très méfiant vis-à-vis des forces armées libyennes, préférant volontairement les affaiblir par peur des coups d’État. Le « Guide » a plutôt renforcé les milices et les forces de sécurité spéciales dirigées par ses fils et les membres de sa tribu[50].
La Ouarfalla (ou Warfalla ou encore Warfallah) est la plus grande des tribus de Libye avec environ un million de membres. Elle se situe essentiellement à Benghazi, dans l'Est du pays, d’où est partie la révolte. Les officiers warfalites ont fait les frais du coup d’État manqué en 1993, nombre des membres de la tribu occupant des fonctions dirigeantes dans l’armée ont été emprisonnés ou tués.[réf. souhaitée]
La Magarha est concentrée dans les régions de l'Ouest du pays. Cette tribu, dont est issu l'ancien chef du gouvernement Abdessalam Jalloud, comptait parmi les principaux appuis de Kadhafi, avant les représailles consécutives à la tentative de coup d’État de 1993[51][source insuffisante].
Distribution des ressources pétrolières
Les importantes ressources pétrolières du pays permettent en outre à Kadhafi, tout au long des années 1970, de susciter un consensus social en finançant des plans d'équipement efficaces et des politiques sociales généreuses[52]. Le pouvoir s'emploie à améliorer notablement les systèmes éducatif et de santé de la Libye. Dans les années 2000, la Libye est classée au premier rang des pays d'Afrique sur le plan de l'indice de développement humain calculé sur la base de l'espérance de vie, du niveau d'éducation et du niveau de vie ; néanmoins, ce classement masque des problèmes économiques et sociaux croissants[53],[54].
Répression
Outre ces réseaux de solidarité sociale et cet usage des ressources financières du pays, le système de Kadhafi s'appuie au fil des années sur un appareil répressif développé et financièrement choyé par le régime, qui n'hésite pas à user des méthodes les plus brutales[55].
Exécutions, assassinats politiques et régime de terreur
Le pouvoir déjoue une série de tentatives de coups d'État venus de l'armée, dont le premier a lieu dès décembre 1969. Après l'échec du putsch interne au CCR en , les purges politiques s'intensifient[56]. Des exécutions, parfois massives, de conjurés réels ou supposés ont lieu avec régularité ; en novembre 1985, Kadhafi fait exécuter, ou exécute lui-même, son propre beau-frère, Hassan Ishkal, commandant de la région militaire de Syrte, soupçonné de préparer un complot avec l'aide de l'Occident[52]. Mis en place dès la fin 1977, les Comités révolutionnaires, dont l'un des principaux animateurs est Moussa Koussa, se chargent d'appliquer un régime de terreur, multipliant les actes de répression et de violence, comme des autodafés de livres au sein des universités, la pendaison publique d'enseignants islamistes et l'élimination physique des opposants sur le sol libyen et à l'étranger[57]. De nombreux opposants réels ou supposés sont arrêtés, torturés, ou « disparaissent » purement et simplement. Parmi les exilés, on dénombre au fil des années trente-cinq opposants assassinés par des tueurs envoyés par le régime libyen, ce chiffre ne tenant pas compte des tentatives d'assassinat ou des meurtres maquillés en accident. L'ancien ministre des Affaires étrangères Mansour Khikhia, réfugié en Égypte, est enlevé et ramené en Libye pour y être exécuté[58].
Le code pénal libyen fait dès 1972 de toute activité politique contraire à la révolution de un crime passible de la peine de mort. Après l'interdiction de tous les partis en 1977, toute forme de participation aux activités d'un parti politique, de quelque manière et à quelque niveau que ce soit, est punie de mort. Le régime fait, au fil des années, un usage abondant de la peine capitale, les civils étant exécutés par pendaison et les militaires par peloton d'exécution. Les exécutions sont souvent retransmises à la télévision, ou bien photographiées en vue de leur diffusion dans la presse. Lors de la promulgation de sa Charte verte des droits de l'homme en 1988, Kadhafi propose de remplacer la peine de mort par d'autres types de peine, mais la peine capitale ne cesse nullement d'être appliquée dans les années qui suivent. ONG et observateurs internationaux notent de nombreux décès et disparitions de personnalités relevant probablement d'exécutions extra-judiciaires[59].
En , en deux jours, plus d'un millier de détenus auraient été tués dans la prison d'Abou Salim par les forces du régime ; ce massacre est partiellement reconnu par Mouammar Kadhafi en 2004[60],[61].
État des libertés civiles et d'expression
Si une certaine liberté d'expression a cours durant les débats au sein des Comités populaires, des Congrès populaires de base et du Congrès général du peuple, elle est limitée par le choix des sujets et, si des responsables peuvent à l'occasion être publiquement critiqués, les débats ne doivent en aucun cas comporter de critiques envers Mouammar Kadhafi lui-même. La Libye compte sous Kadhafi un réseau particulièrement développé d'informateurs chargés d'espionner la population[62]. Les services de sécurité libyens, notamment ceux liés aux Comités révolutionnaires, ne font généralement aucun cas du cadre légal pour effectuer perquisitions, interrogatoires et arrestations ; le droit à la vie privée des citoyens libyens est de facto inexistant. Les citoyens libyens bénéficient d'une liberté de mouvement à l'intérieur du pays, qui peut cependant être entravée par des blocus temporaires imposés, pour des raisons sécuritaires, à certaines villes ou régions déterminées. La jeunesse est autorisée à étudier à l'étranger, selon un système de bourses d'État, mais les étudiants peuvent être rappelés au pays à tout moment et soumis à des interrogatoires. Le principe de liberté d'expression, théoriquement garanti par la « Charte verte de la liberté et des droits de l'homme en Libye » de 1988, ne recouvre aucune réalité : les médias officiels diffusent scrupuleusement la propagande de l'État et les publications étrangères, bien qu'autorisées en Libye, font l'objet d'une censure régulière. Les syndicats indépendants et les associations de travailleurs sont interdits, car constituant entre l'État et le peuple des « intermédiaires » inacceptables dans la philosophie jamahiriyenne[59].
État des libertés culturelles et religieuses
Sur le plan culturel, le régime fonde une partie de sa propagande sur l'identité arabe de la Libye, et nie toute possibilité d'expression aux populations berbères. La pratique de la langue berbère est interdite, de même que les associations culturelle berbères. L'identité berbère libyenne ne peut s'exprimer librement qu'au sein des groupes d'opposants en exil[63].
L'islam est la religion d'État de la Jamahiriya : les autorités ne reconnaissent cependant comme confession musulmane que le sunnisme et répriment toute autre forme de culte islamique[64]. Les activités des oulémas et les prêches dans les mosquées font l'objet d'une surveillance constante par les services de sécurité[65].
La population juive, réduite à quelques centaines d'individus à l'époque de l'arrivée de Kadhafi au pouvoir, fait d'emblée l'objet d'une hostilité particulière. Durant les premières années de la République arabe libyenne, tous les biens fonciers des Juifs sont confisqués, et les cimetières juifs détruits. Répressions et mesures arbitraires conduisent à l'exil les derniers Juifs de Libye, dont la communauté disparaît totalement avec le temps[66]. Les autres religions non musulmanes, malgré l'antipathie déclarée de Kadhafi pour les chrétiens d'Orient[67], ne font pas l'objet de répressions particulières, du moment que leurs représentants évitent de s'impliquer dans des activités « subversives »[64].
Culte de la personnalité
La propagande du régime libyen s'oriente avec les années vers la diffusion d'un culte de la personnalité, organisé autour de Mouammar Kadhafi et de sa pensée par les médias officiels, comme l'agence de presse Jamahiriya News Agency ou la télévision d'État Aljamahiriya TV. Kadhafi est présenté comme le héros de l'unité arabe et du tiers-monde face à l'hégémonie occidentale[68]. La troisième théorie universelle devient la doctrine officielle de la Jamahiriya ; Le Livre vert est imprimé à des millions d'exemplaires et diffusé dans de multiples langues pour diffuser l'idéologie jamahiriyenne ; des colloques sont organisés pour louer l'ouvrage et le « génie » de son auteur[69].
Kadhafi est omniprésent dans l'information officielle de la Libye, qui laisse relativement peu de place à d'autres personnalités. Les visages, voire les noms, de certains hauts responsables du régime, comme Moussa Koussa (responsable des services de sécurité extérieure, puis secrétaire aux affaires étrangères) ne deviennent connus du grand public libyen qu'à l'occasion du soulèvement de 2011, durant lequel ils apparaissent pour la première fois à la télévision libyenne[70].