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La chanson de Craonne (du nom du village de Craonne) est une chanson contestataire, chantée par des soldats français durant la Première Guerre mondiale, entre 1914 et 1918. Elle est interdite par le commandement militaire qui la censure en raison de ses paroles défaitistes (« on s'en va là-bas en baissant la tête »), antimilitaristes (« Les petits chasseurs vont chercher leurs tombes ») et subversives (« c'est bien fini, on en a assez, personne ne veut plus marcher ») incitant à la mutinerie (« c'est fini, nous, les troufions, on va se mettre en grève ») alors qu'une guerre est en train d'être livrée sur le territoire national.
Sortie | 1918 |
---|---|
Enregistré |
1919 |
Durée | 4 min 15 s |
Genre | chanson engagée |
Auteur | inconnu |
Compositeur | Adelmar Sablon |
Cette chanson politiquement engagée à gauche a des visées anticapitalistes quand elle fustige les « gros », « ceux qu'ont le pognon » et « les biens de ces messieurs-là ». Elle est contemporaine de la révolution d'Octobre de 1917 qui entraîne, en France, la mutinerie des soldats communistes russes à La Courtine et, sur le front de l'Est, la débandade et le retrait des troupes russes (alors alliées de la France).
Une des versions de cette chanson censurée est publiée, après la guerre, en 1919 par l'écrivain Raymond Lefebvre sous le titre de Chanson de Lorette[1].
La Chanson de Craonne est connue pour avoir été entonnée par les soldats qui se sont mutinés (dans une cinquantaine de régiments de l'armée française) après l'offensive très meurtrière et militairement désastreuse du général Nivelle au Chemin des Dames au printemps 1917. Au cours des combats, les soldats français, partant de la vallée de l'Aisne, devaient « monter sur le plateau » tenu par l'armée allemande. La « grève des attaques » commence le . La répression touche quelque 30 000 mutins ou manifestants, d’où 3 427 condamnations, dont 554 à mort et 57 exécutions[2].
Le général Nivelle est limogé le . Le général Pétain, nommé le au poste de général en chef des armées françaises parvient à rétablir la discipline au sein des régiments touchés par les mutineries, en alliant condamnations exemplaires et mesures d'amélioration des conditions de vie des soldats.
Cette chanson reprend la mélodie de Bonsoir m’Amour !, composée en 1911 par Charles Sablon sur un texte de Raoul Le Peltier[réf. nécessaire]. Le refrain est typique des romances de la Belle Époque :
Bonsoir m'amour, bonsoir ma fleur,
Bonsoir toute mon âme !
O toi qui tiens tout mon bonheur
Dans ton regard de femme ! [...]
Réécrite de façon anonyme, potentiellement par plusieurs auteurs, elle est apprise par cœur et se diffuse oralement de manière clandestine. Selon une légende qu'aucune source n'atteste, le commandement militaire aurait promis un million de francs-or et la démobilisation à quiconque en dénoncerait l'auteur[3]. La chanson a continuellement évolué au cours de la guerre en fonction des lieux principaux de combat[1]. Elle apparaît sous le nom de La Chanson de Lorette, avec pour sous-titre « complainte de la passivité triste des combattants »[4] évoquant la bataille de Notre-Dame de Lorette à Ablain-Saint-Nazaire, entre et . Ensuite, la chanson est transformée pour évoquer le plateau de Champagne au cours de l'automne 1915. En 1916, elle devient une chanson sur Verdun, le refrain devient alors :
Adieu la vie, adieu l'amour,
Adieu toutes les femmes
C'est bien fini, c'est pour toujours
De cette guerre infâme
C'est à Verdun, au fort de Vaux
Qu'on a risqué sa peau [...]
La première version publiée est parue sous le titre « Une chanson de soldat » dans la Gazette des Ardennes du [5]. Sous sa forme actuelle — c'est-à-dire mentionnant Craonne — la première version connue est antérieure à l'offensive du : retrouvée dans le carnet du soldat François Court, elle y est suivie de la mention « chanson créée le sur le plateau de Craonne »[6]. Cette version fait la transition avec celles de la Chanson de Lorette puisqu'elle comporte comme elles un couplet supplémentaire absent du texte classique de la Craonne[6].
La chanson est associée aux mutineries de 1917 et le refrain subit une nouvelle transformation : « C'est à Craonne, sur le plateau ».
Pour l'occasion, le village de Craonne gagne une syllabe (Craonne se prononce habituellement /krɑn/, la chanson dit /krɑɔn/ pour avoir le compte de syllabes). Le plateau dont il est question est le plateau de Californie qui surplombe le village. En effet l'endroit est le lieu de terribles combats à partir du 16 avril 1917 : la 1re division d'infanterie qui monte à l'assaut se trouve bloquée au niveau des caves de Craonne. Puis, le , une seconde offensive est lancée par la 36e division d'infanterie qui aboutit à la reprise de Craonne et à la progression sur le plateau de Californie[7].[réf. souhaitée]
Plusieurs variantes de la chanson sont attestées.
Les paroles les plus connues sont celles publiées par Raymond Lefebvre en 1919 puis par Paul Vaillant-Couturier, lui-même issu d'une famille d'artistes lyriques parisiens[8], en 1934, avec de légères différences : celle de 1919 est parue dans La Guerre des soldats[9] et celle de 1934 dans le journal Commune[10].
L'écrivain anarchiste Henry Poulaille, soldat sur le Chemin des Dames, publie, en 1937, une variante dans Pain de soldat : 1914-1917.
Paroles diffusées par Raymond Lefebvre | Paroles diffusées par Henry Poulaille |
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Quand au bout d'huit jours le r'pos terminé C'est malheureux d'voir sur les grands boulevards |
Quand au bout d'huit jours le repos terminé C'est malheureux d'voir sur les grands boulevards |
La chanson a été écrite sur l'air de la chanson Bonsoir M'amour[11],[12], procédé fort utilisé pendant la Grande Guerre. Bonsoir M'amour, paroles de Raoul Le Peltier, musique de Adelmar Sablon (pseudonyme de Charles Sablon) sur un mouvement de valse lente, est publiée aux éditions Valsien en 1911. Créée par Karl Ditan et chantée par de nombreux artistes, dont Emma Liebel, la chanson obtient un grand succès.
Les reprises contemporaines de La chanson de Craonne sont souvent exécutées dans le style de la valse musette, avec accompagnement d'accordéon. C'est notamment le cas des versions de Tichot, des Amis d'ta femme, de Gérard Pierron, de Marc Ogeret ou de Marc Perrone. L'opposition entre une musique dans le style guinguette renforce par contraste le tragique du texte, comme c'est le cas par exemple pour Le Temps des Cerises.
Tous les , depuis les années 1980, des militants pacifistes venus se recueillir devant le monument aux morts de Gentioux-Pigerolles, chantent la Chanson de Craonne en levant le poing[17].
La Chanson de Craonne est peu chantée les 11 novembre. Ayant été longtemps interdite, elle est souvent le signe d'un engagement. Parmi ses usages mémoriels, elle est par exemple chantée à Orly le [18] par les élèves d'un collège de la ville.
Lionel Jospin, alors Premier ministre, rend hommage aux poilus fusillés lors des mutineries de la Première Guerre mondiale dans un discours prononcé symboliquement à Craonne en 1998. Ce discours est fortement critiqué par le président de la République, Jacques Chirac, et par le président du RPR, Philippe Séguin, lequel dénonce un « néo-révisionnisme »[19]. Une vingtaine d'années plus tard, cette tonalité fait l'objet d'un consensus républicain[20].
Le secrétaire d’État Jean-Marc Todeschini refuse que soit entonnée la Chanson de Craonne, le , lors de la cérémonie d'anniversaire commémorant le centenaire de la bataille de la Somme, à Fricourt[21]. Le député PCF Jean-Jacques Candelier réagit à ce refus gouvernemental par courrier[22], dénonçant une censure et « un nouvel affront qui sonne comme une insulte de plus pour les descendants des victimes »[22].
Jean-Marc Todeschini le conteste rappelant que, chef de cabinet de Jean-Pierre Masserret, il a organisé la cérémonie du 5 novembre 1998 au cours de laquelle Lionel Jospin a rendu hommage aux fusillés pour l'exemple et que, membre du Gouvernement, son cabinet a organisé la cérémonie du 16 avril 2017 au cours de laquelle cette même chanson a été chantée devant François Hollande et d'autres chefs d'Etats et membres de Gouvernements [23] . Il a rappelé que le programme des commémorations du 3 juillet 2016 avait plusieurs heures de retard[24].
Le , la Chanson de Craonne est entonnée pour la première fois lors d’une cérémonie officielle, lors de la célébration du centenaire de la bataille du Chemin des Dames, en présence du président de la République François Hollande[20].
Pierre-François Gachet, directeur académique des services de l'Éducation nationale de l'Indre, refuse que le chant soit entonné par les élèves de l'académie pour les cérémonies officielle du [25].
Le , elle est interprétée au couvent des Jacobins de Rennes par la comédienne franco-allemande Katja Krüger dans l’œuvre Black Bohemia du compositeur Guillaume Saint-James. Cette suite concertante spécialement écrite pour le saxophoniste Branford Marsalis est une commande de l'orchestre symphonique de Bretagne. La partition retrace l'histoire des combattants africains-américains engagés dans la grande guerre et s'inscrit dans le programme des commémorations du centenaire de la fin de la Première Guerre mondiale.
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