Lemuriformes
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Les lémuriens (Lemuriformes) forment un infra-ordre de primates strepsirrhiniens endémiques de l'île de Madagascar. Leur nom dérive de celui des lémures (des fantômes ou esprits de la mythologie romaine) en raison de leurs vocalisations rappelant les bruits attribués aux fantômes, de leurs grands yeux réfléchissant la lumière et des habitudes nocturnes de certaines espèces. Bien que les lémuriens soient souvent confondus avec les premiers primates, ils ne sont pas les ancêtres des primates anthropoïdes (singes, grands singes et humains) avec lesquels ils partagent des caractères morphologiques et comportementaux trouvés chez les primates primitifs.
Règne | Animalia |
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Embranchement | Chordata |
Sous-embr. | Vertebrata |
Classe | Mammalia |
Infra-classe | Placentalia |
Ordre | Primates |
Sous-ordre | Strepsirrhini |
Statut CITES
Les lémuriens sont arrivés sur Madagascar depuis le continent africain, il y a de cela de 62 à 65 millions d'années, en traversant la mer sur des tapis de végétation à une époque où les courants océaniques étaient favorables à une dispersion vers l'île. Depuis cette époque, les lémuriens ont évolué pour faire face à un environnement extrêmement saisonnier et leur capacité d'adaptation leur a donné une diversité qui rivalise avec celle de tous les autres groupes de primates. Il y a près de 2 000 ans, peu après l'arrivée des humains à Madagascar, il y avait encore sur l'île des lémuriens de la taille d'un gorille mâle. Aujourd'hui, on y dénombre une centaine d'espèces de lémuriens, et la plupart de ces espèces ont été découvertes (ou promues au rang d'espèce à part entière) dans les années 1990, mais leur classification taxonomique est controversée et dépend de la notion utilisée pour définir une espèce. Même la taxonomie de niveau supérieur est contestée, certains experts préférant placer la plupart des lémuriens dans l'infra-ordre des lémuriformes, tandis que d'autres regroupent tous les strepsirrhiniens actuels dans les Lemuriformes, et placent tous les lémuriens dans la super-famille des Lemuroidea et tous les loris et les galagos dans la super-famille des Lorisoidea.
Leur poids varie de 30 grammes à 9 kilogrammes et ils partagent de nombreux traits de base des primates, comme des doigts opposables aux mains et aux pieds, et des ongles au lieu de griffes pour la plupart des espèces. Cependant, la taille du cerveau par rapport à leur corps est inférieure à celle des primates anthropoïdes et, comme d'autres primates strepsirrhiniens, ils ont un rhinarium. Les lémuriens sont généralement les plus sociaux des primates strepsirrhiniens et communiquent davantage avec les odeurs et les vocalisations qu'avec la vue. Les lémuriens ont des métabolismes de base relativement faibles et peuvent avoir une reproduction saisonnière, une dormance (comme l'hibernation ou la léthargie), ou une femelle dominante socialement. Leur régime alimentaire est généralement composé d'une grande variété de fruits et de feuilles, mais certains ont une alimentation plus spécialisée. Bien que de nombreuses espèces de lémuriens aient des régimes alimentaires similaires, les différentes espèces de lémuriens occupent des niches distinctes dans les mêmes forêts.
La recherche sur les Lémuriens axée sur la taxonomie et la collection de spécimens a commencé au cours des XVIIIe et XIXe siècles. Nous avons connaissance des quelques observations des premiers explorateurs. Si d'autres ou encore les populations présentes les avaient préalablement étudiés, leurs données ne nous sont pas parvenues. Les études récentes sur leur écologie et leur comportement n'ont véritablement commencé qu'en 1950 et 1960. Initialement entravées par l'instabilité et les troubles politiques à Madagascar au milieu des années 1970, les études de terrain ont repris dans les années 1980 et ont grandement amélioré la compréhension de ces primates. Les installations de recherche comme le Centre sur les Lémuriens de Duke ont fourni des moyens de recherche sous des paramètres contrôlés. Les lémuriens sont importants pour la recherche car leur mélange de caractères primitifs et de traits communs aux primates anthropoïdes peut apporter un éclairage nouveau sur l'évolution des primates et de l'homme. Cependant, de nombreuses espèces de lémuriens sont menacées d'extinction en raison de la régression de leur habitat et de la chasse. Même si les traditions locales aident généralement à protéger les lémuriens et leurs forêts, l'abattage illégal, la pauvreté généralisée et l'instabilité politique empêchent et sapent les efforts de conservation.
Carl von Linné, le fondateur de la nomenclature binominale moderne, a donné leur nom aux lémuriens dès 1758, dans son ouvrage Systema Naturae. Il décrivait trois espèces dans le genre Lemur : Lemur tardigradus (le Loris paresseux, maintenant connu sous le nom de Nycticebus coucang), Lemur catta (le Lémur catta) et Lemur volans (le Galéopithèque, maintenant connu sous le nom de Cynocephalus volans)[2]. Bien que le terme « lémuriens » ait apparemment été d'abord destiné à désigner les loris, le nom a rapidement été limité aux primates endémiques à Madagascar, qui sont maintenant connus sous le nom de « lémuriens »[3]. Le nom dérive du terme latin lemures[4] qui désigne des spectres ou des fantômes qui étaient exorcisés pendant la fête de Lemuria[5]. Linné connaissait les habitudes nocturnes et l'aspect fantomatique des lémuriens et des loris[6], ainsi que leurs mouvements silencieux la nuit, le pouvoir réfléchissant de leurs grands yeux et leurs cris de fantômes. Il se peut également qu'il ait eu connaissance des légendes colportées par certains peuples malgaches selon lesquelles les lémuriens étaient les âmes de leurs ancêtres[7]. Familier des œuvres de Virgile et d'Ovide et trouvant là une analogie qui cadrait avec son schéma de nommage, Linné a adopté le terme de « Lemur » pour désigner ces primates nocturnes[8].
Les lémuriens sont des primates prosimiens appartenant au sous-ordre des Strepsirrhini. Comme d'autres primates strepsirrhiniens, tels que les loris, le potto et les galagos, ils partagent des traits ancestraux avec les premiers primates. À cet égard, les lémuriens sont souvent présentés comme les ancêtres des primates, mais il n'en est rien et la lignée des lémuriens n'a pas engendré celle des Haplorrhini, qui inclut les hominidés. Ils ont évolué de façon indépendante dans l'isolement de Madagascar[9]. Traditionnellement, tous les strepsirrhiniens modernes, dont les lémuriens, sont considérés comme ayant évolué à partir des primates primitifs connus sous le nom d'Adapiformes au cours de l'Éocène (il y a 56 à 34 millions d'années) ou au Paléocène (il y a de 65 à 56 millions d'années)[9],[10],[11]. Toutefois les Adapiformes n'avaient pas l'arrangement spécial de dents, connu sous le nom de peigne dentaire, que presque tous les strepsirrhiniens vivants possèdent[12],[13],[14]. Une hypothèse plus récente veut que les lémuriens descendent des primates Lorisiformes. Cette hypothèse résulte des études comparatives du gène du cytochrome b et de la présence du peigne dentaire dans les deux groupes[14],[15]. Au lieu d'être les ancêtres directs des lémuriens, les Adapiformes ont peut-être donné naissance à la fois aux lémuriens et aux Lorisiformes, une division qui serait soutenue par des études de phylogénétique moléculaire[14]. La séparation entre lémuriens et loris se serait produite il y a 62 à 65 Ma selon les études moléculaires[16], bien que d'autres tests génétiques et les gisements de fossiles en Afrique suggèrent des estimations plus prudentes datant cette divergence de 50 à 55 millions d'années[17].
Jadis partie du supercontinent Gondwana, l'île de Madagascar a été isolée après s'être séparée de l'Afrique orientale (il y a environ 160 millions d'années), de l'Antarctique (il y a entre 80 et 130 millions d'années) et de l'Inde (il y a 80 à 90 millions d'années)[18],[19]. Comme les premiers lémuriens sont probablement venus d'Afrique il y a autour de 62 à 64 millions d'années, ils ont dû traverser le canal de Mozambique, un chenal profond entre l'Afrique et Madagascar, d'une largeur minimale d'environ 560 km[14]. En 1915, le paléontologue William Diller Matthew note que la biodiversité des mammifères de Madagascar (lémuriens compris) ne peut s'expliquer que par le hasard de dispersion par radeau de végétation, où de très petites populations de petits animaux venus d'Afrique proche ont été portées sur des tapis de végétaux enchevêtrés partis à la mer depuis l'embouchure de grands fleuves et sont arrivées sur l'île[20]. Cette forme de dispersion biologique a pu se produire de façon aléatoire sur des millions d'années[14],[21]. Dans les années 1940, le paléontologue américain George Gaylord Simpson a inventé le terme d'« hypothèse de la loterie » pour ces événements aléatoires[22]. Le radeau de végétation est depuis l'explication la plus acceptée pour la colonisation de Madagascar par les lémuriens[23],[24] mais, jusqu'à récemment, on pensait que ce voyage était très peu probable car les courants océaniques ont tendance à éloigner les objets de l'île[25]. En , un rapport a démontré que, il y a environ 60 millions d'années, Madagascar et l'Afrique étaient toutes deux à 1 650 km plus au sud que leurs positions actuelles, les plaçant dans des courants océaniques différents, inverses de ce qu'ils sont aujourd'hui. Les courants océaniques auraient été encore plus forts qu'aujourd'hui, ce qui aurait poussé un radeau végétal plus vite, raccourcissant le temps de voyage à 30 jours ou moins, délai assez court pour que de petits mammifères puissent survivre facilement. Comme les plaques continentales ont dérivé vers le nord, les courants ont progressivement changé, et au bout de 20 millions d'années, la fenêtre pour la dispersion océanique a été fermée, isolant les lémuriens et le reste de la faune terrestre malgache de l'Afrique continentale[25]. Isolés sur Madagascar avec seulement un nombre limité de concurrents chez les mammifères, les lémuriens n'ont pas eu à rivaliser avec d'autres mammifères arboricoles comme les écureuils dans leur évolution[26]. Ils n'ont pas eu également à rivaliser avec les singes, qui ont évolué plus tard en Afrique. En effet, l'intelligence, l'agressivité et la rouerie des singes leur a donné un avantage sur les autres primates dans l'exploitation de l'environnement[4],[13].
Phylogénie au sein de l'ordre
Phylogénie des infra-ordres actuels de primates, d'après Perelman et al. (2011)[27] :
Primates |
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Note: l'Aye-Aye est ici classé en dehors des lémuriformes.
Répartition et diversité
Depuis leur arrivée sur Madagascar, les lémuriens se sont adaptés pour occuper de nombreuses niches écologiques disponibles[13],[26]. Leur diversité de comportements et de morphologie sont comparables à celle des singes du reste du monde[4]. D'un poids allant de 30 g pour le Microcèbe de Mme Berthe, le plus petit primate du monde[28], à 160-200 kg pour Archaeoindris fontoynonti récemment éteint[29], les lémuriens ont évolué selon diverses formes de locomotion, différents niveaux de complexité sociale, et des adaptations uniques aux conditions climatiques locales[13],[30].
Les lémuriens n'ont pas de traits communs qui les distingueraient des autres primates[31]. Les différents types de lémuriens ont évolué en des combinaisons uniques de caractéristiques inhabituelles pour faire face au climat rude et saisonnier de Madagascar. Ces caractéristiques peuvent inclure le stockage saisonnier de graisses, l'hypométabolisme (y compris la léthargie et l'hibernation), les groupes de petite taille, la faible encéphalisation, la cathéméralité (activité de jour comme de nuit entrecoupée de périodes de repos) et les saisons de reproduction strictes[10],[30]. Les importantes limitations de ressources et la reproduction saisonnière sont également considérées comme ayant donné lieu à trois autres traits relativement courants chez les lémuriens : la dominance sociale féminine, le monomorphisme sexuel et la concurrence entre mâles avec de faibles niveaux d'agonisme, tels que la compétition spermatique[32].
Avant l'arrivée des humains, il y a environ 1 500 à 2 000 ans, on trouvait les lémuriens sur toute l'île[26]. Cependant, les premiers colons ont rapidement transformé les forêts en rizières et en prairies par le biais d'abattis-brûlis (connus localement sous le nom de « tavy »), restreignant le territoire des lémuriens à environ 10 % de la superficie de l'île, soit environ 60 000 km2[33]. Aujourd'hui, la diversité et la complexité des communautés de lémuriens croit avec la biodiversité végétale et les précipitations et est la plus élevée dans les forêts tropicales de la côte Est, qui sont les plus arrosées et montrent la plus grande richesse floristique[11]. En dépit de leurs adaptations à une adversité extrême, la destruction de leurs habitats et la chasse ont entraîné une forte baisse des populations de lémuriens, et leur diversité a diminué, avec l'extinction récente d'au moins 17 espèces dans huit genres[26],[29],[34], connues collectivement comme les « lémuriens subfossiles ». La plupart des quelque 100 espèces et sous-espèces de lémuriens sont menacées ou en voie de disparition. Sauf changement de tendance, les extinctions sont susceptibles de continuer[35].
Jusqu'à récemment, les lémuriens géants vivaient à Madagascar. Maintenant, on ne les trouve plus que par les restes récents ou sub-fossiles, alors qu'ils étaient des formes modernes qui faisaient autrefois partie de la riche diversité de lémuriens qui vivaient sur l'île. Certaines de leurs adaptations étaient différentes de celles trouvées dans leurs familles actuelles[26]. Les 17 lémuriens éteints étaient plus grands que les espèces actuelles, certains pesant jusqu'à 200 kg[4] et on pense qu'ils étaient actifs durant la journée[36]. Non seulement ils étaient différents en taille et en apparence, mais ils occupaient en plus des niches écologiques qui n'existent plus ou sont restées vides[26]. Une grande partie de Madagascar, qui est maintenant dépourvue de forêts et de lémuriens, accueillait autrefois diverses communautés de primates avec plus de 20 espèces de lémuriens couvrant la gamme complète de taille des lémuriens[37].
Classification taxonomique et phylogénie interne
Phylogénie des lémuriens[23],[38],[37] | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
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D'un point de vue taxonomique, le terme « lémur » désigne à l'origine le genre Lemur, qui ne contient actuellement que le lémur catta. Le terme est maintenant utilisé dans le sens familier pour nommer tous les primates malgaches[39].
La taxonomie des lémuriens est controversée et les experts ne sont pas d'accord, surtout avec l'augmentation récente du nombre d'espèces reconnues[31],[40],[41]. Selon Russell Mittermeier, le président du Conservation International (CI), le taxonomiste Colin Groves et d'autres, il y aurait près de 100 espèces ou sous-espèces actuelles reconnues de lémuriens, divisées en cinq familles et quinze genres[42]. Comme les données génétiques indiquent que les lémuriens sub-fossiles récemment éteints étaient étroitement liés aux lémuriens actuels[43], trois autres familles, huit genres et dix-sept espèces peuvent être inclus dans le total[29],[34]. En revanche, d'autres experts contestent cette inflation taxonomique[41], n'admettant qu'un total proche de 50 espèces[31].
La classification des lémuriens dans le sous-ordre des Strepsirrhini est tout aussi controversée, bien que la plupart des experts s'entendent sur le même arbre phylogénétique. Dans une taxonomie publiée par Colin Groves, l'Aye-aye a été placé dans son propre infra-ordre, les Chiromyiformes, tandis que le reste des lémuriens a été placé dans celui des lémuriformes[44]. Dans une autre taxinomie, les lémuriformes contiennent tous les strepsirrhiniens répartis en deux super-familles, les Lemuroidea pour tous les lémuriens et les Lorisoidea pour les loris et les galagos[17].
3 infra-ordres, 2 super-familles[44] | 1 infra-ordre, 2 super-familles[17],[45] |
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La taxonomie des lémuriens a considérablement changé depuis la première classification de Carl von Linné en 1758. Un des plus grands défis a été la classification de l'aye-aye, sujet à controverse jusqu'à très récemment[4]. Avant que Richard Owen publie une étude anatomique détaillée en 1866, les naturalistes ne savaient pas si l'aye-aye (genre Daubentonia) était un primate, un rongeur ou un marsupial[46],[47],[48]. Toutefois, le classement de l'aye-aye dans le Primates est resté problématique jusqu'à très récemment. Sur la base de son anatomie, les chercheurs ont trouvé un argument pour placer le genre Daubentonia comme un indriidé spécialisé, un groupe sœur de tous les strepsirrhiniens, et un taxon indéterminé au sein de l'ordre des Primates[15]. Des tests moléculaires ont montré que les Daubentoniidae étaient à la base de tous les lémuriformes[15],[49] et en 2008, Russell Mittermeier, Colin Groves et autres ont abandonné la taxonomie de niveau supérieur et défini les lémuriens comme monophylétique et contenant cinq familles, dont les Daubentoniidae[42].
Les relations entre les familles de lémuriens se sont également avérées problématiques et ne sont pas encore définitivement établies[15]. Pour compliquer davantage la question, plusieurs primates fossiles du Paléocène ayant vécu hors de Madagascar, comme Bugtilemur, ont été classés comme des lémuriens[50]. Toutefois, un consensus scientifique s'est fait pour n'accepter que des preuves génétiques[15],[49] et, par conséquent, on admet généralement que les primates malgaches sont monophylétiques[15],[23],[38]. Un autre sujet de discorde est la relation entre les Lepilemuridae et les Megaladapidae aujourd'hui disparus. Regroupés auparavant dans la même famille en raison des similitudes dans leur dentition[51], ils ne sont plus considérés comme étant étroitement liés grâce aux études génétiques[38],[52].
Le plus grand nombre de changements taxonomiques a eu lieu au niveau des genres et, même si ces révisions se sont pas définitives, elles sont souvent appuyées sur des analyses génétiques et moléculaires. Les révisions les plus notables portent sur la scission progressive du genre Lemur en genres distincts : l'actuel genre Lemur qui ne contient plus que le Lémur catta, le genre Varecia (lémurs à crinière) et le genre Eulemur qui se distinguent par de nombreux caractères morphologiques[53],[54].
En raison de plusieurs révisions taxonomiques par Russell Mittermeier, Colin Groves et autres, le nombre d'espèces de lémuriens reconnues est passé de 33 espèces et sous-espèces en 1994 à environ 100 en 2008[31],[42],[55]. Avec le progrès des recherches de cytogénétique et de génétique moléculaire, ainsi que des études de terrain en cours, en particulier avec les espèces cryptiques et minuscules appartenant au genre Microcebus, le nombre d'espèces reconnues de lémuriens est susceptible de continuer à croître[31]. Toutefois, l'augmentation rapide du nombre d'espèces a ses détracteurs parmi les taxonomistes spécialistes des lémuriens. Cette classification dépendra finalement de la définition donnée à la notion d'espèce, les écologistes sont souvent favorables à des définitions qui aboutissent à la séparation de populations génétiquement distinctes en espèces distinctes afin d'obtenir une protection accrue de l'environnement. D'autres penchent pour des différences plus importantes[31],[41].
Les lémuriens varient fortement en taille. Ils comprennent les plus petits primates du monde et, jusqu'à récemment, incluaient également certains des plus grands. Ils se situent actuellement dans une échelle de poids allant d'environ 30 g pour le microcèbe de Mme Berthe (Microcebus berthae) jusqu'à 7 à 9 kg pour l'indri (Indri indri) et le Propithèque à diadèmes (Propithecus diadema)[56],[57]. Si l'on y inclut les espèces récemment disparues, l'échelle de taille va jusqu'à 160 à 200 kg, le poids d'un gorille mâle adulte pour Archaeoindris fontoynonti[4],[29].
Comme tous les primates, les lémuriens ont cinq doigts opposables avec des ongles (dans la plupart des cas) aux mains et aux pieds. La plupart des lémuriens possèdent un ongle long, épais, comprimé latéralement, appelé une griffe de toilette, très souvent sur le deuxième orteil et utilisée par l'animal pour se gratter et se toiletter[47],[58]. En plus de la griffe de toilette, les lémuriens partagent un certain nombre de traits avec d'autres strepsirrhiniens qui sont un rhinarium, un organe voméro-nasal fonctionnel et permettant donc de détecter les phéromones ; ils ont une barre post-orbitaire mais il existe une ouverture post-orbitaire, la cavité orbitaire n'étant pas complètement fermée à l'arrière, les orbites ne sont pas entièrement orientées vers l'avant ; les branches gauche et droite de leur mandibule (mâchoire inférieure) ne sont pas entièrement fusionnées, et le rapport du poids du cerveau au poids du corps est bas[14],[59].
Ils partagent d'autres traits avec des primates prosimiens (primates strepsirrhiniens et tarsiers) comme un utérus bicorne (à deux cornes) et une implantation du placenta épithéliochoriale[12],[59]. Parce que leurs pouces ne sont pas complètement opposables, ils sont moins indépendants des autres doigts que chez les autres primates[58], leurs mains sont loin d'être parfaites pour saisir et manipuler des objets[19]. Aux pieds, au contraire, ils ont un gros orteil largement séparé des autres doigts ce qui facilite la préhension des branches[47]. Contrairement à une croyance très répandue, les lémuriens n'ont pas une queue préhensile, ce caractère étant limité aux singes du Nouveau Monde, en particulier chez les atélidés[58]. Les lémuriens comptent aussi beaucoup sur leur sens de l'odorat, comme la plupart des autres mammifères et primates primitifs, mais pas beaucoup sur l'orientation visuelle comme c'est le cas les primates évolués[19].
Les lémuriens sont un groupe diversifié de primates en termes de morphologie et de physiologie[31]. Certains lémuriens, comme les lépilémuridés et les indriidés, ont des membres postérieurs plus longs que les membres antérieurs, ce qui en fait d'excellents sauteurs[60],[61],[62]. Les indriidés ont aussi un système digestif adapté à leur régime wikt:folivore, présentant de grandes glandes salivaires, un estomac spacieux et un cæcum allongé ce qui facilite la fermentation[11],[13],[57],[63],[64]. Le Chirogale à oreilles velues (Allocebus trichotis) aurait une langue très longue, ce qui lui permet de se nourrir de nectar[47]. De même, le Lémur à ventre roux (Eulemur rubriventer) a une langue en forme de brosse couverte de poils, conçue pour se nourrir uniquement de nectar et de pollen[11]. L'aye-aye a quelques traits qui sont uniques chez les primates, et qui le met à part chez les lémuriens. Ce sont une croissance permanente, des dents antérieures de rongeurs pour ronger le bois et les graines coriaces, un majeur très mobile filiforme pour pouvoir extraire des aliments des petits trous, de grandes oreilles de chauve-souris pour détecter des cavités dans les arbres[13],[26],[47],[65] et d'utiliser des sons qu'il émet pour prospecter[46].
Les lémuriens sont inhabituels dans ce qu'ils ont une grande variabilité dans leur structure sociale[pas clair], mais ils n'ont généralement pas de dimorphisme sexuel en taille et en morphologie des canines[11],[39]. Cependant, certaines espèces ont tendance à avoir des femelles plus grosses que les mâles[46] et deux espèces d'Eulémurs, Eulemur cinereiceps et E. rufus, présentent des différences de taille dans les canines[66]. Certains lémuriens présentent un dichromatisme sexuel (différence sexuelle de coloration de la fourrure)[39] mais cette différence varie de l'évidence, comme chez le lémur noir (E. macaco), à très peu de chose dans le cas du Lémur fauve (E. fulvus)[66].
L'incapacité pour les humains de distinguer visuellement entre deux ou plusieurs espèces a été découverte récemment chez les lémuriens, en particulier chez les lépilémurs et les microcèbes.[pas clair] Chez les lépilémurs, les sous-espèces sont traditionnellement définies sur la base de légères différences morphologiques, mais de nouvelles preuves génétiques ont donné un véritable statut d'espèce à des populations régionales[52]. Dans le cas des lémuriens, le Microcèbe mignon (M. murinus), le Microcèbe brun-doré (M. ravelobensis), et le Microcèbe de Goodman (M. lehilahytsara) étaient considérés comme appartenant à la même espèce jusqu'à récemment, lorsque des tests génétiques les ont identifiés comme des espèces cryptiques[67].
Denture
Famille | Formule dentaire déciduale[51],[68] | Formule dentaire définitive[39],[47] [69],[70] |
---|---|---|
Cheirogaleidae, Lemuridae | 2.1.32.1.3 × 2 = 24 | 2.1.3.32.1.3.3 × 2 = 36 |
Lepilemuridae | 2.1.32.1.3 × 2 = 24 | 0.1.3.32.1.3.3 × 2 = 32 |
† Archaeolemuridae | 2.1.32.0.3 × 2 = 22 | 2.1.3.31.1.3.3 × 2 = 34 |
† Megaladapidae | 1.1.32.1.3 × 2 = 22 | 0.1.3.32.1.3.3 × 2 = 32 |
Indriidae, † Palaeopropithecidae | 2.1.22.1.3 × 2 = 22[N 1] | 2.1.2.32.0.2.3 × 2 = 30[N 2] |
Daubentoniidae | 1.1.21.1.2 × 2 = 16 | 1.0.1.31.0.0.3 × 2 = 18 |
La denture des lémuriens est hétérodonte (les dents ont des morphologies différentes) et dérive d'une denture permanente des premiers primates de formule : 2.1.3.32.1.3.3. Les indriidés, les lépilémuridés, l'aye-aye, et les lémuriens aujourd'hui disparus qu'étaient les Palaeopropithecidae, les Archaeolemuridae et les Megaladapidae ont des dentures réduites, ayant perdu une partie de leurs incisives, canines ou prémolaires[72]. La denture primitive temporaire avait la formule suivante : 2.1.32.1.3 mais les jeunes indriidés, aye-ayes, Palaeopropithecidae, Archaeolemuridae et Megaladapidae avaient sans doute moins de dents de lait[51],[68].
Il y a aussi des différences notables dans la morphologie et la topographie dentaire entre les lémuriens. Les Indriis, par exemple, ont des dents qui sont parfaitement conçues pour couper les feuilles et broyer les graines[57]. Dans le peigne dentaire de la plupart des lémuriens, les incisives et les canines sont orientées vers l'avant plutôt que vers le haut et sont finement espacées, fournissant ainsi un outil utilisé pour le toilettage ou l'alimentation[14],[51],[72]. Par exemple, les indriis utilisent leur peigne, non seulement pour la toilette, mais aussi pour extraire les grosses graines difficiles à séparer de la pulpe des fruits de Beilschmiedia[73], tandis que les lémuriens du genre Phaner utilisent leur peigne relativement long pour mordre à travers l'écorce des arbres jusqu'à atteindre la sève[47]. Seul l'aye-aye, Daubentonia robusta, et les plus grands des Palaeopropithecidae n'avaient pas de peigne fonctionnel[72],[70]. Dans le cas de l'aye-aye, la morphologie des incisives temporaires, qui sont perdues peu après la naissance[74], indique que ses ancêtres avaient un peigne. Ces dents de lait sont remplacées par des incisives à racine ouverte et à croissance continue (dents hypselodontes)[72].
Le peigne des lémuriens se compose normalement de six dents (quatre incisives et deux canines), mais les indriidés, les Archaeolemuridae et certains Palaeopropithecidae ont ou avaient seulement un peigne à quatre dents en raison de la perte soit de deux canines soit de deux incisives[14],[72]. Lorsque la canine inférieure est incluse dans le peigne ou perdue, la denture inférieure peut être difficile à déchiffrer, surtout lorsque la première prémolaire (P2) est en forme de canine pour remplir le rôle de la canine disparue[51]. Chez les lémuriens folivores, à l'exception des indriidés, les incisives supérieures sont réduites ou absentes[51],[72]. Utilisé en association avec le peigne de la mandibule (mâchoire inférieure), cet ensemble n'est pas sans rappeler celui des ruminants[72].
Les lémuriens ont la particularité chez les primates d'avoir un développement dentaire rapide, en particulier pour les plus grandes espèces. Par exemple, la croissance du corps des indriidés est relativement lente, mais la formation et l'éruption des dents extrêmement rapide[75]. En revanche, les primates anthropoïdes présentent un développement dentaire plus lent associé à la croissance et au développement de l'individu[72]. Les lémuriens ont également un développement dentaire précoce à la naissance, et ont leur denture permanente complète au moment du sevrage[30].
Les lémuriens ont généralement un émail dentaire plus mince que celui des primates anthropoïdes. Cela peut entraîner une usure supplémentaire et des bris de la partie antérieure des dents en raison de l'usage important qui en est fait dans la toilette, l'alimentation et les combats. On a peu d'informations sur la santé dentaire des lémuriens, en dehors des lémuriens sauvages de la réserve privée de Berenty où l'on a observé parfois des abcès dentaires (considérés comme des plaies ouvertes sur le museau) et des caries, probablement en raison de la consommation d'aliments introduits[72].
Sens
L'odorat est un sens très important chez les lémuriens et est fréquemment utilisé dans leurs communications[11],[13],[19]. Les lémuriens ont un museau plus long que celui des haplorrhiniens ce qui est traditionnellement considéré comme leur permettant d'avoir un meilleur criblage des odeurs[13] bien que cela ne se traduise pas nécessairement par une meilleure acuité olfactive puisque ce n'est pas la taille relative de la cavité nasale qui est corrélée à l'acuité de l'odorat mais la densité des récepteurs olfactifs[76],[77]. À noter cependant qu'un museau allongé peut faciliter la mastication[77].
Le rhinarium, est un organe partagé avec les autres strepsirrhiniens et de nombreux autres mammifères, mais pas avec les primates haplorrhiniens[47]. Bien que l'on prétende qu'il serve à renforcer l'odorat[59], c'est surtout un organe du toucher associé à un organe voméronasal bien développé. Comme les phéromones sont généralement des molécules de grande taille, non-volatiles, le rhinarium sert à toucher un objet possédant des phéromones et à les transférer par le philtrum (la fente sous-nasale centrale) jusqu'à l'organe voméronasal via le foramen incisif situé dans le palais osseux[12].
Pour communiquer par l'odorat, ce qui est utile la nuit, les lémuriens marquent les lieux avec de l'urine ainsi qu'avec des glandes odorantes situées sur les poignets, à l'intérieur du coude, les régions génitales ou le cou[12],[59]. La peau du scrotum de la plupart des lémuriens mâles a des glandes odorantes[78]. Les lémuriens Varecia et les propithèques mâles possèdent une glande à la base du cou[12],[47], tandis que le grand hapalémur (Prolemur simus) et le lémur catta ont des glandes à l'intérieur des bras, près des aisselles[12]. Les lémurs catta mâles possèdent également des glandes odorantes à l'intérieur de leur avant-bras, à côté d'un éperon pointu, dont ils se servent comme gouge lorsqu'ils marquent les branches de leur empreinte olfactive[47]. Ils peuvent également frotter leur queue contre leurs avant-bras, puis s'engager dans un combat odorant en agitant la queue devant leur adversaire[12].
Les lémuriens (et les strepsirrhiniens en général) sont considérés comme s'orientant moins visuellement que les primates supérieurs mais dépendent très fortement de leur sens de l'odorat et de la détection des phéromones. La fovéa rétinienne, qui donne une bonne acuité visuelle supérieure, n'est pas bien développée. La paroi postorbitaire (la fermeture osseuse derrière l'œil) des primates haplorrhiniens est considérée comme stabilisant légèrement l'œil, permettant l'évolution de la fovéa. Avec seulement une barre postorbitaire, les lémuriens ont été incapables d'utiliser une fovéa[79]. Par conséquent, quelle que soit leur période d'activité (nocturne, cathémérale ou diurne), les lémuriens ont une faible acuité visuelle et une haute sommation rétinienne[30]. Les lémuriens ont cependant un champ visuel plus large que les primates anthropoïdes en raison d'une légère différence dans l'angle entre les deux yeux, comme indiqué dans le tableau suivant[80] :
Angle des yeux | Champ binoculaire | Champ visuel total | |
---|---|---|---|
Lémuriens | 10–15° | 114–130° | 250–280° |
Anthropoïdes | 0° | 140–160° | 180–190° |
Bien que dépourvus de fovéa, certains lémuriens diurnes ont une zone riche en cônes, bien que moins bien regroupés que dans la fovéa, l'area centralis[79]. On a constaté que cette zone de la rétine a cependant un rapport cellules à bâtonnet / cellules à cônes élevé chez de nombreuses espèces diurnes étudiées jusqu'à présent, alors que les anthropoïdes diurnes n'ont pas de cellules à bâtonnet dans leur fovéa. Encore une fois, cela suggère une acuité visuelle inférieure des lémuriens par rapport aux anthropoïdes[81]. En outre, ce rapport de cellules peut être variable, même chez les espèces diurnes. Par exemple, le sifaka de Verreaux (Propithecus verreauxi) et l'indri (Indri indri) ont seulement quelques grands cônes dispersés dans leur rétine dominée par les bâtonnets. Les yeux du lémur catta contiennent un cône pour cinq bâtonnets. Par contre, les lémuriens nocturnes comme les microcèbes et les cheirogales ont des rétines entièrement composées de bâtonnets[12].
Comme les cellules à cône permettent la vision des couleurs, la prévalence élevée de cellules à bâtonnet dans les yeux des lémuriens suggère qu'ils n'ont pas évolué dans la vision des couleurs[12]. Chez le lémurien le plus étudié, le Lémur catta, on a démontré la possibilité de distinguer les couleurs bleu et jaune, mais aussi leur incapacité à voir le rouge et le vert[82]. En raison du polymorphisme des gènes du chromosome X qui codent les opsines, les protéines réceptives à la couleur, on peut quelquefois trouver quelques femelles de lémuriens tels que le sifaka de Coquerel (Propithecus coquereli) et le Maki vari roux (Varecia rubra) qui ont une vision trichromatique. La plupart des lémuriens, par conséquent, ont soit une vision monochromatique (ne voient qu'une couleur) soit une vision dichromatique[12].
La plupart des lémuriens ont conservé leur tapetum lucidum, une couche réfléchissante située dans l'œil, que l'on retrouve chez de nombreux vertébrés[39]. Ce trait est absent chez les primates haplorrhiniens et sa présence limite l'acuité visuelle chez les lémuriens[30],[81]. Le tapetum des strepsirrhiniens est unique chez les mammifères car il est constitué de riboflavine cristallisée, et la diffusion résultante de la lumière est le facteur limitant de leur acuité visuelle[81]. Bien que le tapetum soit considéré comme omniprésent chez les lémuriens, il semble y avoir des exceptions chez les Eulémurs, comme le lémur noir et le Lémur brun commun, ainsi que les lémuriens huppés[12],[30],[81]. Mais comme la riboflavine a tendance à se dissoudre et disparaître lors des traitements pour examen histologique, ces exceptions sont encore discutables[12].
Métabolisme
Les lémuriens ont un métabolisme de base (MB) réduit, ce qui les aide à conserver leur énergie pendant la saison sèche, quand l'eau et la nourriture sont rares[11],[62]. Ils peuvent optimiser leur consommation d'énergie en abaissant leur besoins métaboliques à 20 % en dessous des valeurs prédites pour les mammifères de masse corporelle similaire[83]. Le Lépilémur à queue rousse (Lepilemur ruficaudatus), par exemple, a un des métabolismes les plus bas chez les mammifères. Son faible métabolisme peut être lié à son régime alimentaire folivore et à sa masse corporelle relativement faible[62]. Les adaptations comportementales des lémuriens complètent ces explications, comme leur exposition au soleil, leur tenue assise dos voûté, le fait de se blottir groupés et le partage du nid pour réduire les pertes de chaleur et économiser les calories[83]. Les cheirogales et les microcèbes présentent une période de dormance pour économiser l'énergie[83]. Avant la saison sèche, ils accumulent des graisses à la base de la queue et dans leurs pattes arrière, doublant ainsi leur poids[28],[84],[85]. Des lémuriens qui ne connaissent pas la dormance sont également en mesure d'arrêter certains aspects de leur métabolisme pour conserver leur énergie[83].