Manufactures royales en France
lieux de fabrication développés en France aux XVIIe et XVIIIe siècles avec le soutien du pouvoir royal / De Wikipedia, l'encyclopédie encyclopedia
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Les manufactures royales sont en France aux XVIIe et XVIIIe siècles des manufactures bénéficiant d'un privilège royal, c'est-à-dire d'un règlement pris par lettres patentes accordant des dérogations par rapport au statut commun de la communauté de métier correspondant à l'activité, notamment la possibilité de ne pas être vérifiés par ses jurés, d'avoir beaucoup plus de compagnons et d'apprentis que ne le permet une maîtrise, de réunir les activités de plusieurs métiers, ou de posséder un monopole. Ce règlement, qui comporte plusieurs dizaines d'articles, se substitue à ceux des métiers et constitue le statut de la manufacture.
Ces lieux de fabrication peuvent bénéficier d'un appui de l'État sous forme d'aides financières, d'aide au transfert de technologies, de commandes publiques, et de mesures protectionnistes comme l'octroi de monopoles temporaires.
Elles sont généralement associées aux politiques de Laffemas, ministre d'Henri IV qui publie en 1596 un Règlement général pour dresser les manufactures en ce royaume, et de Jean-Baptiste Colbert, ministre de Louis XIV entre 1661 et 1683, période pendant laquelle il instaure une politique industrielle d'État et crée des manufactures dans le textile, la sidérurgie, la céramique, le tabac, la construction navale et la verrerie. La plus connue, la manufacture des glaces de miroirs, permet d'équiper la galerie des Glaces du château de Versailles.
Au XVIIe siècle, la croissance du nombre de manufactures se poursuit dans un climat favorable à la diffusion des connaissances, marqué par la publication des « Descriptions des arts et métiers » par l'Académie royale des sciences (fondée par Colbert), puis, au milieu du XVIIIe siècle de la première « Encyclopédie » par Denis Diderot et Jean Le Rond d'Alembert.
L'héritage historique des politiques industrielles de Colbert et de ses successeurs est majeur, avec plusieurs grandes entreprises françaises issues d'anciennes manufactures royales, comme Saint-Gobain (ancienne manufacture des glaces de miroirs), Balsan (ancienne manufacture des draps de Châteauroux) ou encore la cristallerie Baccarat. Elle se poursuit jusqu'au XXe siècle avec les grandes entreprises d'État comme la SNCF, Électricité de France, France Télécom, Sud-Aviation devenu Airbus Industrie (1957), SEREB devenu Ariane Espace (1959), dans une tendance que l'économiste Elie Cohen a appelé le « colbertisme high tech » en hommage à l'ancien ministre de Louis XIV.
Malgré cela, l'impact à long terme des politiques industrielles de Colbert est controversé. Certains économistes et historiens libéraux considèrent cet interventionnisme comme inefficace, voire néfaste, par rapport au libéralisme économique en place à la fin du XVIIIe siècle en Grande-Bretagne où commence la révolution industrielle. D'autres au contraire font l'éloge de ces mesures volontaristes et protectionnistes et appellent à s'en inspirer, dans un contexte de forte désindustrialisation de la France depuis la fin du XXe siècle.
Contexte international
Progrès techniques et organisationnels
À partir du XVe siècle, la renaissance se répand en Europe, et se caractérise notamment par l'apparition et la diffusion de techniques de rupture notamment l'imprimerie, créée dans les années 1450 par Johannes Gutenberg, qui constitue une étape majeure de la mécanisation et de la diffusion des connaissances par écrit[1].
D'autres domaines connaissent des progrès techniques importants, comme la navigation, l'horlogerie, l'extraction minière et les méthodes bancaires[2].
L'usine, au sens moderne, est inexistante, mais certaines formes d'organisations basées sur une sous-traitance à domicile apparaissent (comme l'établissage dans l'industrie horlogère), ainsi que des formes d'organisations scientifiques du travail comme à l'arsenal de Venise, producteur d'armes et galères[2].
À la fin du XVIe siècle, l'avènement des indiennes de coton dont la fabrication implique la mise en œuvre de processus techniques complexes provoque le développement en Europe d'une « proto-industrie » sous forme de petits ateliers en milieu rural[3]. Parallèlement la production de soie, historiquement importée d'Asie par les « routes de la soie », est peu à peu maîtrisée en Europe notamment en France, où le roi Louis XII encourage, par lettres patentes, l'ouverture d’ateliers dans le Languedoc[4].
Évolution de la société
Au XVIe siècle, la Réforme protestante conduite par Martin Luther et Jean Calvin bouleverse l'Europe et porte les germes de ce qui constitue un « terreau » de valeurs qui révolutionnent la conception du travail et de la vie[5]. En effet, d'après Max Weber, le travail n'a pas à être considéré comme le châtiment expiatoire du péché originel, mais comme une valeur fondamentale au travers de laquelle chacun s'efforce de se rapprocher de Dieu[5].
Tandis que l’Église catholique condamne l'usure, Jean Calvin l'autorise rendant le protestantisme compatible avec le libéralisme et la spéculation[5]. Il est notable que l'expansion économique précoce se fait souvent dans un contexte politique déjà en partie affranchi du féodalisme : Venise est dominée par les marchands, et les Provinces-Unies ainsi que l'Angleterre se sont dotées d'un régime parlementaire[2].
Nouvelles idées économiques
À partir du XVIe siècle, la pensée politique n'est plus dominée par les théologiens, mais par des penseurs laïcs qui se soucient en premier lieu de la puissance de l'État et développent un nouveau courant de pensée : le mercantilisme[6]. Selon les penseurs mercantilistes, l'État seul incarne l'intérêt national et il doit le défendre contre les agissements des autres nations, engendrant des politiques autoritaires, protectionnistes et très agressives[6]. Ainsi au XVIe siècle, des sous-branches du mercantilisme émergent dans les différents pays d'Europe : Espagne (avec le bullionisme)[7], France (le colbertisme, puis le mouvement physiocratique de François Quesnay)[8], Hollande et Angleterre (le commercialisme)[7].
Cette pensée est précapitaliste, car elle se soucie davantage de la puissance de l'État que du développement de la richesse privée[6]. Toutefois, en contribuant à promouvoir l'idée d'un développement volontaire, raisonné, construit de l'activité économique, et privilégiant les activités à rendements croissants, le mercantilisme inspire des choix politiques favorables à une croissance économique en Europe à partir du XVIe siècle[9].
Royaume de France sous la dynastie des Bourbons
Règne d'Henri IV : fin des guerres de religion et relance de l'économie
Arrivé au pouvoir en 1589, le roi Henri IV met fin aux guerres de religion en promulguant l'édit de Nantes en 1598, mais le royaume est alors dévasté et l'économie est à reconstruire[10]. La production française de draps a été divisée par quatre entre le début de la guerre civile en 1562, et sa fin en 1598, tandis que le nombre d'artisans de la soie est passé de quarante mille à moins de mille sur la même période[11].
Henri IV et son ministre le duc de Sully cherchent en outre à mettre fin aux importations massives de tapisseries des Flandres, qui déséquilibrent la balance commerciale française, et à libérer les forces créatives du pays dont l'accès aux métiers est verrouillé par le système des corporations[12].
En 1596, l'économiste et conseiller au commerce d'Henri IV Barthélemy de Laffemas publie un rapport intitulé Règlement général pour dresser les manufactures et ouvrages en ce royaume contenant une série de préconisations pour relancer l'industrie, incluant l'interdiction d’importer des objets manufacturés, pour attirer les ouvriers étrangers par la naturalisation, et créer des ateliers publics pour les personnes valides sans emploi[11].
En 1601, les lissiers Marc de Comans et François de La Planche reçoivent l'autorisation pour l'ouverture d'une manufacture de tapisseries dans des ateliers du faubourg Saint-Marcel, la manufacture royale des Gobelins[13], et en 1606, Henri IV transforme les galeries du Louvre en « pépinière » d'artistes et artisans, faisant concurrence aux corporations et intégrant une grande diversité de métiers[11].
Parallèlement, Barthélemy de Laffemas et le jardinier nîmois François Traucat s'inspirent des travaux de l'agronome Olivier de Serres et jouent un rôle majeur dans l'histoire de la soie en faisant planter des millions de mûriers dans le Languedoc[11],[12]. En 1605 commencent les travaux de creusement du canal de Briare reliant la Seine et la Loire, premier canal de transport fluvial creusé en France[14].
Politique économique de Richelieu sous le règne de Louis XIII
Le règne de Louis XIII de 1610 à 1643 est davantage marqué par un agrandissement du royaume et un renforcement du pouvoir royal orchestré par le cardinal de Richelieu, que par des politiques volontaristes dans l'économie du pays[15]. Richelieu crée toutefois la Compagnie maritime de la « Nouvelle-France » en 1627, destinée à faciliter la colonisation du nord de l'Amérique[16], alors que l'économie du Royaume de France se lance dans la traite négrière en 1642[17]. Aucune nouvelle manufacture royale n'est créée pendant cette période, mais Louis XIII développe la manufacture des Gobelins en installant les ateliers sur les bords de la Seine dans les bâtiments d'une ancienne fabrique de savon, d'où le nom de cette extension, « manufacture de la Savonnerie »[18].
Colbertisme sous le règne de Louis XIV
Louis XIV accède au trône de France à la mort de son père en 1643, mais sa mère Anne d'Autriche assure la régence en raison de son jeune âge jusqu'en 1651. C'est pendant cette période qu'est construite la manufacture de cire Trudon (1643) qui fournit les églises et les châteaux du royaume en bougies et chandelles[19], tandis que les faïenceries de Rouen sont relancées grâce à l'appui de la Régente Anne d’Autriche (1644)[20].
En , sept ans après son couronnement, Louis XIV nomme Jean-Baptiste Colbert intendant des finances, puis contrôleur général des finances en [21]. Comme ses prédécesseurs Sully et Richelieu, Colbert cherche à réduire le décalage entre le potentiel économique de la France et l'activité assez médiocre de l'économie réelle, et dès lors mettre fin à un commerce extérieur déficitaire[21]. Pour diminuer les importations de produits de luxe italiens ou flamands, il décide de créer des manufactures et de favoriser le transfert de compétences en France, par l'embauche de travailleurs étrangers et parfois en pratiquant l'espionnage industriel[22].
En , Colbert crée la manufacture royale de glaces de miroirs (qui deviendra plus tard Saint-Gobain), qui équipe la galerie des Glaces du château de Versailles entre 1678 à 1684[23] et autorise l'établissement des manufactures royales de tapisserie de haute et basse lice à Beauvais[24]. L'année 1664 est aussi marquée par la création par Colbert de la Compagnie française des Indes orientales, qui contribue à l’expansion économique de la France, tout en engageant davantage le Royaume dans la traite négrière, ce qui lui permet d'importer depuis les colonies des matières premières à bas coût[25].
Au début les années 1670, Louis XIV relance l'alliance franco-ottomane, favorisant sa politique expansionniste au détriment des Habsbourg, et l'obtention d'importants débouchés commerciaux au Levant pour l'industrie française[26]. De grandes quantités de marchandises, principalement textiles, y sont expédiées depuis les ports de Sète et Marseille[26], tandis que les années suivantes, bénéficiant de ces aides à l'exportation, une douzaine de manufactures royales de draps est fondée dans la province du Languedoc[27].
Parallèlement pour améliorer la circulation des marchandises, Colbert développe de nouvelles voies de communication fluviales, comme le canal d'Orléans (1676-1692), et surtout le canal du Midi (1666-1681) permettant de relier l'océan Atlantique à la mer Méditerranée via la Garonne[28].
En 1678, la victoire de la France au terme de la guerre de Hollande lui permet d’agrandir son territoire vers l'est, et de faciliter ses exportations en Europe via les traités de Nimègue qui suppriment des tarifs douaniers à ses frontières[21].
Néanmoins, la révocation de l'édit de Nantes en 1685 (deux ans après la mort de Colbert) crée un exode massif de protestants français, dont un nombre important de négociants, d'artisans et ouvriers spécialisés, ce qui appauvrit le Royaume de France au profit des pays qui les accueillent (essentiellement la Grande-Bretagne, les Provinces-Unies, la Suisse, et certaines principautés allemandes)[29]. Ces difficultés économiques sont en partie compensées par les dépenses militaires et les constructions entreprises en grand nombre dans le royaume, qui entretiennent une forte demande intérieure par la commande publique, et favorisent la production et le commerce[30][source insuffisante].
Dans les dernières années du XVIIe siècle, une nouvelle guerre menée par Louis XIV contre les puissances voisines, la guerre de la Ligue d'Augsbourg, lui permet d'affaiblir considérablement les économies britannique et hollandaise, ce qui profite aux producteurs et négociants français dans le secteur du textile[26].
À partir du début du XVIIIe siècle s’ouvre une phase de croissance de l'industrie manufacturière française qui dure, malgré quelques à-coups (guerres, épidémies de peste, crises commerciales), jusqu’à la guerre de Sept Ans (1756-1763)[26]. Le conseil et bureau du commerce, institution royale ancêtre des chambres de commerce et destinée à stimuler les exportations, est fondé en 1700[31]. Le XVIIIe siècle est ainsi caractérisé par une symbiose étroite entre les régions manufacturières de province et la capitale, dominatrice, qui offre les appuis financiers et les commodités de ses structures commerciales[26].
Règne de Louis XV et siècle des lumières
Après la mort de Louis XIV en 1715, son arrière-petit-fils Louis XV lui succède, montant sur le trône à l'âge de cinq ans comme son prédécesseur (son oncle Philippe d'Orléans assure la régence jusqu'en 1723)[32].
Deux ans plus tard, le tsar de Russie Pierre Ier le Grand effectue un voyage de trois mois en France, avec l'intention assumée de s'inspirer du développement industriel de royaume pour moderniser à son tour son Empire[33],[34]. Il rencontre le roi Louis XV alors âgé de sept ans, et visite les manufactures royales des Gobelins (tapisserie), d'Abbeville (draps de luxe), et de Charleville (armes à feu), ainsi que le système de pompage de Marly dans le parc de Versailles, les caves de Champagne à Reims, et l'Académie royale des sciences (fondée par Colbert en 1666[25])[35],[33]. À son retour en Russie, il fonde l'Académie des sciences de Saint-Pétersbourg en 1724[36]. Ainsi, à peine un demi-siècle après le début des politiques volontaristes de Colbert, le développement industriel du royaume de France est devenu un exemple en Europe[34].
En 1730, Louis XV charge son secrétaire d'État de la Guerre Nicolas-Prosper Bauyn d'Angervilliers de créer une manufacture d'armes blanches à Klingenthal en Alsace[37]. Dans le contexte de l'exploitation naissante des mines de charbon, un arrêt du Conseil d'État est édité en 1744, rappelant que les mines sont soumises aux droits attachés au Domaine de la Couronne et à sa Souveraineté[38].
Parallèlement, le règne de Louis XV, qui occupe la majeure partie du XVIIIe siècle, est marqué par la période du « siècle des lumières », caractérisée par une grande richesse littéraire, philosophique et culturelle, et une ambition de lutter contre l'obscurantisme et promouvoir la connaissance[39].
C'est dans ce contexte qu'est notamment rédigée la première « Encyclopédie » entre 1751 et 1772, avec pour ambition de synthétiser et diffuser les connaissances techniques et scientifiques de l'époque, et dont plusieurs articles décrivent des techniques et procédés industriels[40]. Certains s'inspirent ou reprennent une partie des gravures intégrées dans les Descriptions des arts et métiers, une collection d'ouvrages publiés à la même époque par l'Académie royale des sciences[41]. Ces travaux de compilation, synthèse, et diffusion des connaissances en sciences et ingénierie profitent à l'économie nationale en diffusant les compétences artisanales et industrielles[42]. Par exemple, l'article du physicien René-Antoine Ferchault de Réaumur (qui dirige Descriptions des arts et métiers au début de sa publication) « L'Art de convertir le fer forgé en acier » permet au Royaume de France de fabriquer ce métal auparavant importé de l'étranger[42].
Règne de Louis XVI et révolution française
Le règne de Louis XVI est de relativement courte durée par rapport à ses prédécesseurs : accédant au trône en , il est renversé dix-huit ans plus tard par la Révolution française, avant d'être exécuté en à l'âge de trente-huit ans[43]. L'année même de son accession au trône, en octobre 1774, il accorde le titre de manufacture royale à la manufacture de cire, bougies, cierges et flambeaux de Dugny. Son règne est marqué par l'intervention française dans la guerre d'indépendance américaine en 1778 qui profite aux industries françaises, notamment aux manufactures d'armes à feu de Charleville et de Saint-Étienne, ainsi qu'à la manufacture de toiles à voiles d'Agen[44]. L'écrivain dramaturge et homme d'affaires Pierre-Augustin Caron de Beaumarchais est sollicité par Louis XVI pour organiser la logistique des exportations d'armes produites en France à destination des insurgés américains[44].
Mais cette intervention s'avère très coûteuse pour le royaume, et la détérioration des finances publiques, ajoutée à la médiocrité des récoltes exposées à un hiver particulièrement rude, crée les conditions de la Révolution française qui met fin à la monarchie en 1792[43].
Le règne de Louis XVI est néanmoins marqué par plusieurs réformes progressistes notoires, comme l'abolition du servage en 1779, et l'édit de Versailles, qui rétablit en 1787 les principes de l'édit de Nantes un siècle après sa révocation par Louis XIV[43]. D'ailleurs, la même année, Louis XVI anoblit Christophe-Philippe Oberkampf, industriel protestant d'origine germanique, quatre ans après avoir décerné à sa manufacture de toiles indiennes le titre de « manufacture royale »[45]. C'est enfin à Louis XVI qu'on doit la création de l'École nationale supérieure des mines de Paris, c'est l’une des plus anciennes et sélectives écoles d'ingénieurs françaises, fondée par une ordonnance du , alors que l'industrie minière est en pleine expansion[46].
Au siècle suivant, capitalisant sur les innovations technologiques et organisationnelles des XVIIe et XVIIIe siècles, une partie de l'Europe incluant la France bascule d'une société à dominante agraire et artisanale, vers une société commerciale et industrielle, dans un processus connu comme la « révolution industrielle »[47].