Grève étudiante québécoise de 2012
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La grève étudiante québécoise de 2012 ou printemps érable (par calembour avec « printemps arabe ») désigne l'ensemble des événements, mouvement sociaux et perturbations induits par une grève étudiante générale et illimitée dans les établissements d'enseignement supérieur québécois du au . Cette grève étudiante, la plus longue et la plus imposante de l'histoire du Québec et du Canada[6],[7], est une réponse à l'augmentation projetée des droits de scolarité universitaires pour la période 2012 à 2017 dans le budget provincial 2012-2013 du gouvernement du Parti libéral de Jean Charest. L'élection du gouvernement péquiste de Pauline Marois, le , et l'annulation par décret de la hausse des droits de scolarité entraînent de facto la cessation du conflit.
du 22 mai 2012 (haut), du 14 avril 2012 (centre) et
émeute de Victoriaville du 4 mai 2012 (bas).
Date | Du au |
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Localisation | Québec |
Organisateurs | |
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Revendications |
Retrait de la hausse des frais de scolarité de 1 625 $ sur 5 ans Gestion saine des Universités Gel des frais de scolarité Gratuité scolaire |
Types de manifestations | Désobéissance civile, occupation, manifestation, piquet de grève, cyberactivisme, Émeute, Concert de casseroles |
Blessés |
41 |
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Arrestations | 3509[5] |
Procès | 471[5] |
Ce sont les fédérations d'associations étudiantes québécoises, la CLASSE, la FECQ et la FEUQ, qui coordonnent la grève. Outre la grève des cours, les principaux moyens de pression sont les manifestations dans plusieurs villes du Québec, l'érection de piquets de grève autour des établissements d'enseignement en grève et les « manifestations nationales » des , et à Montréal, et du à Montréal et Québec. S'ajoutent à ces actions concertées les nombreuses démonstrations d'appui populaire comme les marches et les « concerts de casseroles » au Québec, au Canada et à l'étranger.
Devant la persistance du conflit, l'Assemblée nationale du Québec adopte le projet de loi 78, qui devient la loi 12, le . La loi a pour effet de suspendre les cours dans les établissements d'enseignement en grève jusqu'à la fin du mois d'août. Elle pose des conditions à l'organisation de manifestations de plus de 50 participants et interdit toute forme d'entrave à la reprise des activités d'enseignement[8]. Dénoncée par le Barreau du Québec, Amnistie Internationale et le Conseil des droits de l'homme de l'Organisation des Nations unies, la loi 12 est abrogée par décret par le gouvernement péquiste le .
À l'image de la grève de 1968, cette grève a vu naître de futurs politiciens. Du côté des principaux représentants étudiants, Léo Bureau-Blouin fut député du Parti québécois de 2012 à 2014 et Martine Desjardins candidate pour ce même parti en 2014. Gabriel Nadeau-Dubois est devenu co-porte-parole de Québec solidaire en 2017 et député de ce parti la même année. Du côté des carrés verts, Laurent Proulx a été conseiller municipal à la ville de Québec de 2013 à 2017 pour le parti Équipe Labeaume.
Plusieurs expressions furent utilisées pour nommer ce mouvement social québécois de contestation en 2012, dont surtout, dans les journaux québécois et internationaux : « grève étudiante », « conflit étudiant », « crise étudiante », « printemps 2012 », « printemps étudiant » et, de façon poétique, « Printemps québécois »[9] ainsi que « Printemps érable »[10] ,[11], évoquant le Printemps arabe et la montée printanière de la sève d'érable, un symbole culturel québécois.
L'expression « grève étudiante » est critiquée, voire rejetée par les membres du gouvernement Charest, et remplacée par « boycott étudiant ». Selon eux, les actions menées par le mouvement étudiant ne peuvent être qualifiées de « grève » en vertu des dispositions du Code du travail du Québec. Selon la loi, seuls les travailleurs syndiqués bénéficient d'un « droit de grève » reconnu par la loi et ce droit de grève ne peut être exercé que pour la négociation d'une convention collective[12].
Au Canada, selon l'Article 93 de Loi constitutionnelle canadienne de 1867, l'éducation est une compétence exclusivement provinciale[13]. Au Québec, c'est le gouvernement du Québec qui est chargé de la gestion et du financement des universités québécoises.
Avant les années 1960, c'est le Département de l'Instruction publique, contrôlé par l'Église catholique, qui est chargé de l'éducation dans la province. L'éducation universitaire est alors réservée aux élites fortunées : seulement 3 % des jeunes francophones et 11 % des jeunes anglophones ont accès aux études universitaires[14]. La Réforme Parent, au cours des années 1960, entraîne la création du Ministère de l'éducation du Québec et facilite l'accès aux universités québécoises.
Droits de scolarité
Au Québec
En 1968, les droits de scolarité des universités publiques du Québec sont établis et fixés à 540 $ CAN par an. Le , le Canada adhère au Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels[15],[16],[17] dont l'article 13 stipule que : « L'enseignement supérieur doit être rendu accessible à tous en pleine égalité, en fonction des capacités de chacun, par tous les moyens appropriés et notamment par l'instauration progressive de la gratuité. » Le gel des frais de scolarité perdure jusqu'en 1990. Ils triplent pour atteindre 1 668 $ CAN par an lors du deuxième gouvernement de Robert Bourassa. Les frais sont gelés à nouveau de 1994 à 2007. En 2007, le gouvernement de Jean Charest décide d'appliquer une nouvelle augmentation des droits de scolarité de 500 $ CAN sur 5 ans, les faisant passer à 2 168 $ CAN par année.
Le , le gouvernement de Jean Charest, dans son dépôt budgétaire, exprime sa décision d'augmenter les droits de scolarité de 1 625 $ CAN sur 5 ans, pour les faire passer à 3 793 $ CAN par année. Selon la FEUQ et la FECQ, en y additionnant les frais afférents exigés par les universités, la facture étudiante totale avoisinerait ainsi annuellement, en 2016, les 4 500 $ CAN[18].
Contexte hors du Québec
Au Canada
En 2011, le Québec est la province canadienne avec les droits de scolarité universitaires les plus bas ; ils se chiffrent à 2 519 $ CAN par année[19] soit 53 % en deçà de la moyenne canadienne qui se chiffre à 5 366 $ CAN.
En 2011, c'est l'Ontario qui est la province où les frais de scolarité sont les plus élevés au Canada; les frais annuels s'y élève à plus de 6 640 $ CAN. Elle est suivie des provinces maritimes du Nouveau-Brunswick et de la Nouvelle-Écosse à 5 853 $ CAN et 5 731 $ CAN respectivement[20].
De 2010 à 2011, l'ensemble des provinces canadiennes, à l’exception de Terre-Neuve-et-Labrador, ont augmenté leurs droits de scolarité de 4,3 % en moyenne[19].
Au sein de l'OCDE
Les États-Unis est le pays de l'OCDE où les frais de scolarité universitaires sont les plus élevés en moyenne. Depuis la fin des années 1970, les frais de scolarité y ont augmenté de 1120 %; dont 15 % entre 2008 et 2010[21]. Le Royaume-Uni a connu d'importantes hausses des droits de scolarités, particulièrement en Angleterre et en Irlande du Nord, au cours des années 2000; les droits ont passé de 1,175 £ à 3,225 £ de 2006 à 2010[22]. En 2010-2011, le pays a connu une vague de protestations étudiantes. L'Écosse, pour sa part a maintenu la gratuité scolaire et le pays de Galles ses droits à 1,285 £.
En 2008-2009, les pays de l'OCDE d'Asie et d'Océanie, la Corée du Sud, le Japon et l'Australie ont des droits de scolarité plus élevés que la moyenne canadienne à 5 315 $ US, 4 602 $ US et 4 140 $ US respectivement. La Nouvelle-Zélande pour sa part est en deçà de la moyenne canadienne mais au-dessus de la moyenne québécoise à 3 019 $ US. La majeure partie des pays d'Europe continentale et scandinaves offre la gratuité scolaire ou de faibles droits de scolarité[23]. Au Danemark, en plus d'avoir accès à l'université gratuitement, les étudiants universitaires reçoivent, en 2012, l’équivalent d'un peu plus de 480 $US/mois lorsqu'ils demeurent chez leurs parents et un peu plus de 975 $US/mois lorsqu'ils demeurent seuls. La gratuité scolaire est également en vigueur au Mexique. Au Chili, les droits de scolarités universitaires avoisinent les 3 400 $ CAN par années soit un peu moins que la moitié du revenu annuel d'un ménage chilien moyen; chiffré à l'équivalent de 8 500 $ CAN[24]. Le Chili fut l'hôte de grandes manifestations étudiantes en 2011.
Pays/Région | Frais annuels (USD) | Pays/Région | Frais annuels (USD) | Pays/Région | Frais annuels (USD) | Pays/Région | Frais annuels (USD) |
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États-Unis | 6 312 | Nouvelle-Zélande | 3 019 | Suisse | 879 | Finlande | Gratuité |
Corée du Sud | 5 315 | Québec | 2 168 | Autriche | 853 | Islande | Gratuité |
Royaume-Uni sauf Écosse | 4 840 | Pays-Bas | 1 851 | Belgique (Fr) | 599 | Mexique | Gratuité |
Japon | 4 602 | Italie | 1 281 | France | 190 (minimum) | Norvège | Gratuité |
Australie | 4 140 | Portugal | 1 233 | Danemark | Gratuité | République tchèque | Gratuité |
Canada | 3 774[26] | Espagne | 1 038 | Écosse | Gratuité | Suède | Gratuité |
Contexte socio-économique des étudiants
En 2009-2010, on compte approximativement 485 000 étudiants postsecondaires au Québec ; 214 000 collégiens et 272 000 universitaires[27] (soit l'équivalent à 207 000 étudiants universitaires à temps plein[28]).
Selon les prévisions des effectifs universitaires sur 15 ans du Ministère de l'Éducation du Québec, l'équivalent d'étudiants universitaires à temps plein augmente, à partir de 2010, de 10 % pour plafonner en 2014-2015 à 227 082 étudiants temps-plein pour ensuite entamer une longue et faible décroissance de 10 % jusqu'en 2025[28].
Selon une étude commandée en 2010 par la FEUQ, la moitié des étudiants universitaires vivent avec moins de 12 200 $ CAN par année; un quart avec moins de 7 400 $ CAN par année. Selon l'étude, une majorité d'étudiants font appel au crédit privé et le quart des étudiants travaillent plus de 20 heures par semaine en plus des études[29]. L'étude indique aussi que 60 % des universitaires à temps plein prévoient entre 2 000 $ CAN et 9 000 $ CAN de dettes étudiantes à la fin de leurs études[30]. En 2010, Statistique Canada a établi que s'endetter pour étudier a des conséquences à long terme et que l'augmentation de plus de 200 % des droits de scolarité entre 1995 et 2005 a fait passer de 49 % à 57 % la proportion des étudiants qui s'endettent pour étudier[31].
Aussi, selon un sondage commandé par le Conseil du patronat du Québec en 2010, 56 % des étudiants possèdent une voiture personnelle, 70 % dépensent 36 $ par mois en moyenne pour l'accès à l'internet[32].
Contexte économique des établissements d'enseignement supérieur
Gestion universitaire
En 2010, Daniel Zizian, directeur général de la CRÉPUQ, déclare que les dérives immobilières ne sont pas généralisés ; les universités furent les plus importants promoteurs immobiliers du Québec au cours des années précédentes[33].
Besoins de l'administration universitaire
Dès 2009, l'Université du Québec à Montréal anticipe des hausses des frais institutionnels obligatoires et des droits de scolarité de 100 $ CAN par année dans sa planification financière jusqu'en 2015-2016, afin d'appuyer son plan de relance, après l'échec de son développement immobilier à l'îlot Voyageur en 2007[34].
Dans une entrevue qu'il accordait au quotidien montréalais Le Devoir en , le recteur de l'Université Laval, Denis Brière, jugeait que les universités n'avaient d'autre choix que « d'engager le combat pour le dégel des droits de scolarité », compte tenu de leurs lourds déficits. Selon lui, il faudrait que ces droits soient augmentés de 1 500 $ CAN par année pour qu'ils atteignent la moyenne canadienne, avouant toutefois qu'il s'agit de quelque chose qui n'est pas réalisable. Le recteur dit toutefois que la hausse est inévitable mais « [qu']elle serait certainement bien accueillie par les étudiants[35] ».
Au début de , la Conférence des recteurs et des principaux des universités du Québec (CREPUQ), indique que les universités du reste du Canada peuvent compter annuellement sur 620 millions de plus que les universités du Québec; la conférence veut « améliorer l'expérience étudiante » sans toutefois lister ces améliorations[33]. Le , la (CREPUQ) propose à la ministre de l'Éducation du Québec une hausse de 2 068 $ à 3 680 $ en cinq ans jusqu'en 2014- 2015[36].
Augmentations de frais spécifiques avant la grève
En , la faculté de médecine dentaire de l'Université de Montréal propose des frais obligatoires de 5 000 $ CAN par étudiant inscrit au programme afin de moderniser son équipement et d'engager du personnel, en dépit des règles fixées par Québec[37].
En , l'Université McGill prend unilatéralement la décision de se soustraire aux règles imposées par le gouvernement et ouvre un programme de MBA à 30 000 $ CAN[38].
Contexte politique et position gouvernementale
Position du gouvernement Jean Charest
« L'avenir du Québec n'est pas dans les moratoires et les gels[39]. »
— Jean Charest, premier ministre du Québec à propos du gel des droits de scolarité
Le Parti libéral du Québec forme le gouvernement du Québec à l'Assemblée nationale du Québec depuis . Lors de la grève étudiante québécoise de 2012, le gouvernement Charest est à la fin de son 3e et dernier mandat. La position du gouvernement Charest à l'égard des droits de scolarité universitaires a évolué au cours des années 2000. Durant la campagne de l'élection générale québécoise de 2003, les libéraux se positionnent pour le gel des droits de scolarité universitaires[40],[41]. Élus majoritaires à l'Assemblée nationale, leur premier budget propose une réforme du régime d'aide financière aux études qui consiste à augmenter la limite d'endettement ainsi qu'à la conversion de 103 millions $ CAN de bourses d'études en prêts[42]. Cette décision budgétaire entraine le déclenchement de la grève étudiante québécoise de 2005.
Tel qu'il l'avait proposé durant la campagne électorale de 2007, le gouvernement Charest impose une augmentation de 50 $ par semestre des droits de scolarité, peu de temps après sa réélection, les faisant passer de 1 668 $ CAN en 2006-2007 à 2 168 $ CAN pour l'année scolaire 2011-2012. Les droits avaient fait l'objet d'un gel depuis 1994[43].
Au début de la grève de 2012, c'est l'ancienne député de Bourassa-Sauvé, Line Beauchamp, qui occupe le poste de ministre de l'Éducation, du Loisir et du Sport. Après 13 semaines de manifestations étudiantes, elle donne sa démission le . Elle est remplacée dans ces fonctions par Michelle Courchesne député de Fabre[44].
La hausse des droits de scolarité 2012-2017
C'est le député libéral d'Outremont, Raymond Bachand, qui est ministre des finances du Québec de 2009 jusqu'à la fin de la grève étudiante de 2012.
La hausse des droits de scolarité 2012-2017 dans les universités québécoises est confirmée pour la première fois lors du dépôt du plan budgétaire 2011-2012 du gouvernement du Québec, le .
Le budget projette alors 850 millions $CAN en revenus supplémentaires pour les universités québécoises pour l'année 2016-2017. De ces revenus, 430 millions $CAN proviennent de l'État, 265 millions $CAN de l'augmentation des frais de scolarité universitaires, 54 millions $CAN du secteur privé et 101 millions $CAN d'autres sources[45]. Le gouvernement incite aussi les universités à recueillir davantage de dons de la part des particuliers et des entreprises.
Le budget 2012-2013, déposé le , fait passer les revenus supplémentaires projetés des universités pour 2016-2017 à 967 millions $CAN. De ces revenus, 493 millions $CAN proviennent de l'État, 279 millions $CAN de l'augmentation des frais de scolarité universitaires, 54 millions $CAN du secteur privé et 141 millions $CAN d'autres sources[46].
La hausse de la contribution de chaque étudiant à temps plein, selon le budget 2012-2013, est donc de 325 $CAN par année pendant 5 ans; soit 1 625 $CAN d'augmentation de 2012 à 2017. Après cette augmentation, les droits de scolarité atteindront 3 793 $CAN par année.
2011-2012 | 2012-2013 | 2013-2014 | 2014-2015 | 2015-2016 | 2016-2017 |
2 168 $ | 2 493 $ | 2 818 $ | 3 143 $ | 3 468 $ | 3 793 $ |