musicien, producteur de musique, théoricien de la musique et artiste visuel britannique (né en 1948) De Wikipédia, l'encyclopédie libre
Brian Eno [ˈbɹaɪən ˈiːnoʊ][1], nom de scène de Brian Peter George St. John le Baptiste de la Salle Eno[4], né plus simplement Brian Peter George Eno le à Woodbridge (Suffolk, Angleterre), est un musicien, arrangeur et producteur britannique[3]. Eno s'est décrit comme un « non-musicien » et a contribué à introduire une variété d'approches conceptuelles et de techniques d'enregistrement dans la musique contemporaine, prônant une méthodologie de « la théorie sur la pratique, la sérendipité sur la prévoyance et la texture sur l'artisanat » selon AllMusic[5]. Il a été décrit comme l'une des personnalités les plus influentes et les plus novatrices de la musique, l'avant-garde autant que la populaire[3].
Nom de naissance | Brian Peter George Eno |
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Naissance |
Woodbridge, Suffolk, Angleterre |
Activité principale | Musicien, arrangeur, producteur |
Genre musical | Ambient, rock, musique électronique, pop, musique expérimentale |
Instruments | Synthétiseur, Claviers, voix, piano, guitare basse, guitare |
Années actives | Depuis 1968 |
Site officiel | Brian-Eno.net |
Né dans le Suffolk, Eno a étudié la peinture et la musique expérimentale à l'école d'art de l'Ipswich Civic College au milieu des années 1960[6], puis à la Winchester School of Art[7]. En 1971, il a rejoint le groupe de glam rock Roxy Music, d'abord en tant que technicien son[8], puis comme joueur de synthétiseur[7],[9]. Après avoir participé aux deux premiers albums de Roxy Music, il quitte le groupe en 1973 pour enregistrer plusieurs disques en solo[9], inventant le terme « musique ambient » pour décrire son travail dans des albums tels que Discreet Music (1975) et Music for Airports (1978)[10]. Il a également collaboré avec des artistes tels que Daniel Lanois, Robert Fripp, Icehouse, Cluster, Harold Budd, David Bowie pour la trilogie berlinoise et David Byrne, et a produit de nombreux albums comme ceux de U2, John Cale, Jon Hassell, Laraaji, Talking Heads et Devo[11],[12].
Eno a continué à enregistrer des albums solo et à travailler avec des artistes tels que Laurie Anderson, Genesis pour qui il a fait les traitements de la voix de Peter Gabriel sur l'album The Lamb Lies Down on Broadway[13], Grace Jones, Slowdive, Coldplay, James Blake et Damon Albarn[14]. Depuis ses débuts en tant qu'étudiant, il s'intéresse à l'art conceptuel, à la vidéo et au multimédia, y compris les installations sonores[15]. Il a co-développé au milieu des années 1970 le jeu de cartes « stratégies obliques », contenant des aphorismes cryptiques destinés à stimuler la pensée créatrice[16]. À partir des années 1970, certaines installations d'Eno ont été projetées sur les voiles de l'opéra de Sydney en 2009[11],[17], et le télescope Lovell de la Jodrell Bank en 2016[11],[18]. Défenseur de nombreuses causes humanitaires, Eno écrit sur divers sujets et fait partie des membres fondateurs de l'organisation The Long Now Foundation[11],[19],[20].
Brian Peter George Eno est né le , au Phyllis Memorial Hospital dans le village de Melton[21] près de la petite commune rurale de Woodbridge dans le comté du Suffolk situé au nord-est de Londres[22],[3]. Il est le fils de William Arnold Eno (1916-1988) et de Maria Alphonsine Buslot (1922-2005)[21], d'origine flamande, et que son père avait épousé en 1946[21], lorsqu'il était cantonné en Belgique juste après la Seconde Guerre mondiale[22],[3]. Brian est l'aîné des trois enfants de William et Maria, il a une sœur cadette nommée Arlette et un jeune frère Roger, qui deviendra également musicien[23]. Le jeune garçon est le plus souvent solitaire mais joue parfois avec Rita, une demi-sœur plus âgée[23]. Il grandit au sein d'un foyer populaire qui ne manquait pas de talents : son grand-père était l'un des rares à savoir jouer du basson dans le comté, et son oncle faisait de la restauration de porcelaine. Quant à son père, qui exerçait le métier de facteur (profession adoptée par d'autres membres de la famille depuis plusieurs générations), il savait aussi réparer les mécanismes d'horlogerie[24]. L'enfance d'Eno joue un rôle décisif dans la composition de certains de ses morceaux, il a raconté à son biographe David Sheppard combien il avait été impressionné par les sonorités carillonnantes que produisent les câbles et cordages des bateaux frappés par le vent dans les ports de plaisance du Suffolk. C'est ce type de son qu'il essayera de recréer sur The Lost Day, extrait de l'album Ambient 4: On Land[25].
Issu d'un milieu catholique, l'enfant intègre en le St Joseph's College à Ipswich, une école religieuse dirigée par des Lasalliens qui incitent les élèves à ajouter le nom de leur saint patron[4] à leur patronyme[2],[21]. C'est à cette époque qu'il a ses premiers émois musicaux en découvrant les disques de rock 'n' roll, rhythm and blues et de doo-wop grâce à la proximité d'une base américaine[26],[27]. Faute d'argent pour se procurer un instrument, il chante dans une chorale de gospel[7]. Il poursuit ensuite ses études à l'Ipswich School of Art sous la houlette de Roy Ascott[7],[28]. Adepte de l'art cybernétique, Ascott a des méthodes d'enseignement peu orthodoxes et lui apprend entre autres à établir un « questionnement de toutes les hypothèses » en matière artistique[29]. L'artiste et compositeur Tom Phillips figure également parmi ses professeurs[30], il l'encourage et tisse ensuite avec lui une relation amicale[31],[32]. Grâce à Phillips[33], le jeune Eno découvre la musique contemporaine, en particulier John Cage et son ouvrage Silence: Lectures and Writings (1961)[7]. En 1948, ce dernier avait notamment composé In a Landscape[34], une pièce pour piano qui anticipe la musique « ambient »[33],[35],[30]. La pensée de John Cage aura un impact très important sur celle du jeune Eno qui reprendra à son compte des préceptes comme « Crée tes propres paramètres, met en place ton propre système ou tes propres règles du jeu […] et observe ce qui se passe », et qu'il mettra également à profit en tant que producteur lorsqu'il donnera des directives poétiques ou originales à des musiciens, notamment dans la trilogie berlinoise de David Bowie[36]. Tom Phillips lui fait aussi découvrir des musiciens de la scène expérimentale anglaise comme John Tilbury (en)[37] mais aussi des minimalistes américains comme La Monte Young et Terry Riley, pionniers dans l'utilisation des bandes magnétiques. Terry Riley et son successeur Steve Reich avaient mis au point une technique basée sur le « déphasage » entre deux bandes magnétiques dans des pièces comme It's Gonna Rain qui impressionnent énormément Eno[38], et dont il s'inspirera lors de ses premières expérimentations faites au magnétophone, en particulier sur l'album (No Pussyfooting) (1973) réalisé avec le guitariste Robert Fripp[30]. En 1966, il rentre à la Winchester School of art où il étudie l'art conceptuel. Il en ressort persuadé que la peinture, la sculpture et la musique pourraient fusionner ensemble[39]. En 1968, il écrit un essai en forme de pamphlet intitulé Musique pour non-musiciens[40] qui est publié à 25 exemplaires[41]. Il commence aussi à s'intéresser à l'électronique et au fonctionnement des magnétophones[7] qu'il achète par dizaines dans des dépôts-vente ou vide-greniers, puis élabore des « sculptures sonores »[42].
En dehors de la musique expérimentale, Eno se passionne pour le rock. Il aime les courants les plus audacieux de la fin des années 1960, comme la période psychédélique des Beatles (notamment l'album Revolver dont il reprendra le titre Tomorrow Never Knows sur le disque 801 Live (en) en 1976) mais aussi des artistes comme The Who, The Byrds, Jimi Hendrix, The Velvet Underground[45] et Can[7]. Durant ses études, il participe à différents groupes de musique comme les Black Aces, Maxwell Demon et Merchant Taylor's Simultaneous Cabinet[46],[47].
Après avoir obtenu son diplôme des beaux-arts à Winchester en 1969[48], il part à Londres où il intègre plusieurs orchestres expérimentaux comme le Scratch Orchestra de Cornelius Cardew[51] puis le Portsmouth Sinfonia en 1970[52],[46].
Avant de pouvoir gagner sa vie dans le monde de la musique, Eno commence d'abord par travailler comme maquettiste d'appoint pour le compte d'un journal, puis essaye de revendre des haut-parleurs auprès de son cercle d'amis[7]. En 1971, dans le wagon d'une rame de métro, il croise par hasard le saxophoniste et hautboïste Andy Mackay[53], avec qui il avait noué des liens d'amitié quand ce dernier étudiait à l'université de Reading à la fin des années 1960[54]. Mackay, qui venait d'intégrer le groupe de glam rock Roxy Music (fondé par Bryan Ferry), lui propose d'enregistrer des démos avec son magnétophone[53],[7], et l'autorise aussi à utiliser son synthétiseur VCS3, tout juste conçu par la société Electronic Music Studio[57] et qu'il ne maîtrise pas lui-même[7].
Recruté d'abord comme simple technicien son à la console de mixage, il chante parfois dans les chœurs et prend toujours plus de place au sein du groupe, grâce à sa maîtrise du matériel mis à sa disposition (trois magnétophones à bandes magnétiques, un magnétophone à cassette et un générateur de delay)[56] et aux sonorités étranges qu'il tire du synthétiseur VCS3[7]. Dans une interview donnée au magazine Q en 1990, Brian Eno a déclaré :
« Je voulais utiliser Roxy comme un terrain pour les expérimentations sonores que je faisais à l'université[7]. »
On peut entendre distinctement plusieurs des interventions d'Eno au synthétiseur sur certains titres des deux albums auquel il a participé, comme 2HB et Ladytron sur Roxy Music (1972)[58],[30], ou encore Editions of You sur For Your Pleasure (1973)[59]. Sur Ladytron, Bryan Ferry lui demande de créer une sonorité de « paysages lunaires »[60].
Mais Eno peut aussi traiter le son des autres instruments (comme la guitare de Phil Manzanera) à travers les modules de son synthétiseur[61]. Préposé à la manipulation des bandes magnétiques, il innove en expérimentant des techniques de son invention comme le « butterfly echo » sur la chanson-titre du second album For Your Pleasure[62]. Sur ce morceau, il manipule le son du piano de Bryan Ferry en mettant du ruban adhésif sur le cabestan du magnétophone afin de faire « flotter » le son de la bande magnétique « à la manière d'un papillon battant ses ailes colorées »[62].
Sur scène, les membres du groupe portaient des tenues extravagantes ressemblant « au genre de costumes qu'aurait pu arborer le Président du Parlement Galactique dans une série B des années 1950 »[63]. Brian Eno était sans doute le plus androgyne de tous[67]. Maquillé et habillé comme un « travesti futuriste[7] », il n'hésitait pas à se vêtir de costumes de scène rigides mis au point par sa petite amie Carol McNicoll et qui ressemblaient plus à des sculptures qu'à des vêtements. Ces tenues permettaient de le mettre en valeur sur scène, pendant qu'il manipulait le joystick et les potentiomètres de son instrument sans pouvoir bouger de son emplacement[64].
En , après un concert au York Festival, il est poussé à la démission à cause d'une incompatibilité d'humeur et d'intérêts avec le chanteur Bryan Ferry[68]. Dans la biographie The Thrill of it All : The Story of Bryan Ferry and Roxy Music écrite par David Buckley, Eno a donné l'explication suivante : « C'était le clash typique entre l'ego de deux jeunes mâles. C'est arrivé parce que j'avais un look bizarre, j'ai attiré l'attention de la presse et j'ai fait de belles photos. Ça a donné l'impression que j'étais le leader créatif du groupe, alors que c'était le groupe de Bryan[69] ».
Après son passage chez Roxy Music, il entame une longue carrière toujours poussée vers la recherche, l'expérimentation et l'ouverture à toutes les formes de musique et d'art. Elle débute en réalité en 1972, alors qu'il était encore membre du groupe de Bryan Ferry, et qu'il enregistre (No Pussyfooting) avec Robert Fripp, guitariste et fondateur du groupe King Crimson. Cet album expérimental, réalisé avec un dispositif de delay inspiré des techniques d'enregistrement des compositeurs Terry Riley et Pauline Oliveros[70], paraît en 1973[71].
C'est en 1974 que sort le premier album solo d'Eno, Here Come The Warm Jets (auquel participent entre autres les guitaristes Robert Fripp, Phil Manzanera, Chris Spedding et le bassiste John Wetton), un de ceux qui connaîtront le plus de succès en restant pendant deux semaines à la 26e place des charts en Angleterre[72]. Encore très marqué par le glam rock[73], Here Come The Warm Jets propose un contenu hétéroclite mêlant chansons parfois inspirées par le doo-wop, et pistes plus expérimentales comme Baby's On Fire qui est restée célèbre pour son mémorable solo de guitare signé Robert Fripp[7],[74]. Eno écrit ses propres textes qui sont souvent basés sur des « rythmes-syllabes », ou qui découlent d'une réflexion ludique sur le langage non dénuée d'une certaine poésie absurde[75].
Un single inédit, Seven Deadly Finns, enregistré avec le groupe The Winkies, sort en mars 1974, et parvient presque à se classer dans le UK Singles Chart[76]. Le britannique réitérera l'expérience l'année suivante, en publiant un autre single reprenant la célèbre chanson The Lion Sleeps Tonight[77].
Un second album, Taking Tiger Mountain (By Strategy) (en) paraît en fin d'année et bénéficie entre autres de la participation de Robert Wyatt, l'ex-batteur de Soft Machine, et du Portsmouth Sinfonia[78]. Son titre fait référence à un opéra chinois du même nom, qu'Eno avait découvert sous forme d'images, en dénichant un lot de cartes postales dans une boutique de souvenirs à San Francisco, au cours d'une tournée promotionnelle aux États-Unis[79]. Les chansons de Taking Tiger Mountain (By Strategy) ressemblent à celles du disque précédent, mais l'esthétique de l'album s'écarte un peu plus du rock traditionnel. Les arrangements inhabituels des morceaux sont dus en particulier à l'usage des « stratégies obliques », un jeu de cartes spécialement créé par Eno et le peintre Peter Schmidt, avant qu'il ne soit commercialisé en 1975. Afin de permettre aux musiciens de se libérer de leurs pratiques habituelles ou pour débrider leur créativité, ils sont invités à tirer une des cartes du jeu au hasard, et à suivre l'instruction qu'elle propose, comme par exemple : « Honore tes erreurs comme une intention cachée », « Demande à ton corps », « Assourdis (ou coupe le son) et continue »[80], etc. Eno se servira désormais des « stratégies obliques » tout au long de sa carrière, et notamment dans son travail de réalisateur artistique.
C'est sur Taking Tiger Mountain (By Strategy) que figure Third uncle, une composition d'Eno arrangée par le bassiste Brian Turrington, et ayant fait l'objet d'un 45 tours français, publié à l'époque par le label Island Records dans la collection Série Parade[81]. De style protopunk, voire quasi heavy métal, cette chanson a été reprise par Eno lui-même en 1976, puis en 1982 par le groupe Bauhaus dans une version très fidèle parue sur l'album The Sky's Gone Out[82].
Pour le critique Simon Reynolds, ces deux premiers albums constituent « une sorte de chaînon manquant […] entre les fantaisies psychédéliques à la Syd Barrett et la frange la plus excentrique de la new wave »[73]. Parallèlement, Eno se produit sur scène pour faire la promotion de ses disques. Après un collapsus pulmonaire survenu pendant une tournée épuisante avec les Winkies, il prend conscience qu'il n'est pas un artiste de scène[83]. On le retrouve néanmoins le , lors d'un concert en compagnie de nombreux autres artistes comme Kevin Ayers, John Cale et Nico au Rainbow Theatre de Londres, et qui donnera lieu à l'album June 1, 1974[7].
Paru en 1975, son troisième album Another Green World est souvent perçu comme le chef-d'œuvre de ses disques chantés[84],[85],[86]. Avec ce disque, Eno commence à proposer un contenu radicalement neuf en matière de musique pop[7]. Another