extension du corps des rationnels De Wikipédia, l'encyclopédie libre
En mathématiques, et plus particulièrement en théorie des nombres, pour un nombre premier p fixé, les nombres p-adiques forment une extension particulière du corps des nombres rationnels, découverte par Kurt Hensel en 1897. Le corps commutatif des nombres p-adiques peut être construit par complétion de , d'une façon analogue à la construction des nombres réels par les suites de Cauchy, mais pour une valeur absolue moins familière, nommée valeur absolue p-adique.
Un nombre p-adique peut aussi se concevoir comme une suite de chiffres en base p, éventuellement infinie à gauche de la virgule (mais toujours finie à droite de la virgule), avec une addition et une multiplication qui se calculent comme pour les nombres décimaux usuels.
La principale motivation ayant donné naissance aux corps des nombres p-adiques était de pouvoir utiliser les techniques des séries entières dans la théorie des nombres, mais leur utilité dépasse maintenant largement ce cadre. De plus, la valeur absolue p-adique sur le corps est une valeur absolue non archimédienne : on obtient sur ce corps une analyse différente de l'analyse usuelle sur les réels, que l'on appelle analyse p-adique.
Une construction algébrique de l'ensemble des nombres p-adiques est découverte par Kurt Hensel en 1897[1], en cherchant à résoudre des problèmes de théorie des nombres par des méthodes calquant celles de l'analyse réelle ou complexe[2]. En 1914, József Kürschák développe le concept de valuation, obtenant une construction topologique de ces nombres[3]. En 1916, Alexander Ostrowski montre qu'il n'existe pas d'autre complétion de que et (résultat connu sous le nom de théorème d'Ostrowski). En 1920, Helmut Hasse redécouvre les nombres p-adiques[4], et les utilise pour formuler le principe local-global.
Fixons un nombre premier p. La valuation p-adique d'un entier relatif a non nul (notée ) est l'exposant de p dans la décomposition de a en produit de facteurs premiers (c'est un cas particulier de valuation discrète). On pose . Par exemple, car la décomposition de 2662 en facteurs premiers est 2662 = 113 × 2. On étend cette valuation à en posant : . Cette définition ne dépend pas du représentant choisi pour le rationnel.
On définit la valeur absolue p-adique sur l'ensemble par : (en particulier, : en quelque sorte, plus est divisible par p, plus sa valeur absolue p-adique est petite). Le corps valué des nombres p-adiques muni d'une valeur absolue (encore notée ) peut alors être défini comme le complété du corps valué .
Cette construction de permet de le considérer comme un analogue arithmétique de . Cependant, le monde p-adique se comporte de façon très différente du monde réel.
est le corps des fractions de son anneau de valuation (les nombres p-adiques de valuation positive ou nulle), noté et appelé l'anneau des entiers p-adiques. Ce sous-anneau de est l'adhérence de . On aurait donc pu le construire directement comme l'anneau complété de .
Ostrowski a démontré que toute valeur absolue non triviale sur est équivalente soit à la valeur absolue usuelle , soit à une valeur absolue p-adique. est dite normalisée (on pourrait prendre pour un réel autre que : on obtiendrait une distance associée uniformément équivalente). L'avantage de la normalisation est la « formule du produit » pour tout rationnel non nul. Cette formule montre que les valeurs absolues sur (à équivalence près) ne sont pas indépendantes.
Dans cette approche, on commence par définir l'anneau intègre des entiers p-adiques, puis on définit le corps des nombres p-adiques comme le corps des fractions de cet anneau.
On définit[5] l'anneau comme la limite projective des anneaux , où le morphisme est la réduction modulo . Un entier p-adique est donc une suite telle que pour tout n ≥ 1 :
On démontre alors[6] que cet anneau est isomorphe à celui construit dans l'« approche analytique » (voir supra) et l'est même en tant qu'anneau topologique, vu comme sous-anneau (compact) du produit des anneaux discrets .
Le morphisme canonique de dans est injectif car est le seul entier divisible par toutes les puissances de .
Toute suite dont le premier élément n'est pas nul a un inverse dans car p est l'unique élément premier de l'anneau (c'est un anneau de valuation discrète) ; c'est l'absence de cette propriété qui rendrait la même construction sans intérêt (algébrique) si l'on prenait pour p un nombre composé[7].
Puisque de plus n'est pas un diviseur de zéro dans , le corps s'obtient en adjoignant simplement à l'anneau un inverse pour p, ce que l'on note (anneau engendré par et , donnant les expressions polynomiales en , analogue de la construction des nombres décimaux ).
D'après ce qui précède, tout élément non nul de s'écrit de manière unique comme une série (automatiquement convergente pour la métrique p-adique) de la forme :
où est un entier relatif et où les sont des nombres entiers compris entre et , étant non nul. Cette écriture est la décomposition canonique de comme nombre p-adique. Elle se déduit immédiatement du cas [8], c.-à-d. : si , la donnée des équivaut à celle des puisque . On peut donc représenter un entier p-adique par une suite infinie vers la gauche de chiffres en base p, tandis que les autres éléments de , eux, auront en plus un nombre fini de chiffres à droite de la virgule. Cette écriture fonctionne en somme à l'inverse de ce qu'on a l'habitude de rencontrer dans l'écriture des nombres réels.
Par exemple, avec :
Exemple : dans
c'est que
Exemple 1 : dans
Exemple 2 : de même, dans
ce qui montre que .
Exemple 1 : Écrivons dans . Remarquons tout d'abord que car sa valuation 7-adique est 0. Ainsi avec .
3 est inversible modulo 7 puisque . Ceci permet d'ailleurs d'écrire la relation de Bézout suivante :
d'où :
Continuons et multiplions par -2 :
et arrangeons pour obtenir des coefficients entre 0 et 6 :
d'où :
Au bilan : c'est-à-dire :
d'où l'écriture 7-adique :
Exemple 2 : Écrivons dans . On sait que car sa valuation 7-adique est –1 : ce sera donc un nombre 7-adique « à virgule ».
On écrit :
Or on sait que donc en multipliant par 4 :
Il ne reste plus qu'à diviser par 7, mais ceci revient à décaler la virgule vers la gauche (on est en base 7) :
Exemple 3 : Calcul de dans . On sait (théorème d'Euler) que 9 divise , et de fait 1736, et ; on a donc et finalement .
Les ensembles et sont équipotents et non dénombrables. Plus précisément, ils ont la puissance du continu, car la décomposition de Hensel ci-dessus fournit une bijection de dans et une surjection de dans .
Un nombre p-adique est rationnel si, et seulement si, sa décomposition de Hensel est périodique à partir d'un certain rang[11], c'est-à-dire s'il existe deux entiers et tels que . Par exemple, l'entier p-adique n'est pas dans .
Le corps contient donc sa caractéristique est nulle.
Il n'est cependant pas totalement ordonnable puisque (voir supra) 1 – 4p est un carré dans .
Pour p et q premiers distincts, les corps et ne sont pas isomorphes, puisque q2 – pq n'est pas un carré dans (sa valuation q-adique n'étant pas divisible par 2) mais est un carré dans si p > 2 (voir supra)[12].
La structure du groupe multiplicatif des « unités p-adiques » (le groupe des inversibles de l'anneau ) et celle du groupe sont données par[13] :
On en déduit que :