ordre de la classe des Mammifères (Mammalia) De Wikipédia, l'encyclopédie libre
Rongeurs, Rodentiens
Règne | Animalia |
---|---|
Embranchement | Chordata |
Sous-embr. | Vertebrata |
Super-classe | Tetrapoda |
Classe | Mammalia |
Sous-classe | Theria |
Infra-classe | Placentalia |
Super-ordre | Euarchontoglires |
Sous-ordres de rang inférieur
Les rongeurs ou Rodentiens (Rodentia) sont un ordre de mammifères placentaires (le plus grand ordre de mammifères, regroupant plus de 2 000 espèces). Ces animaux se caractérisent par leur unique paire d'incisives à croissance continue sur chacune de leurs mâchoires (ce qui les distingue des Lagomorphes), qui leur servent à ronger leur nourriture, à creuser des galeries ou à se défendre. Le reste de leur morphologie est relativement variable, mais la majorité des espèces sont de petite taille, avec un corps trapu, des pattes courtes et une longue queue. La plupart des rongeurs se nourrissent de graines ou d'autres matières végétales, mais d'autres ont des régimes alimentaires plus variés. Ce sont souvent des animaux sociaux et beaucoup d'espèces vivent en communauté au sein desquelles les individus interagissent et communiquent entre eux de façon complexe. Le mode de reproduction peut être monogame, polygyne ou avec promiscuité sexuelle. De nombreuses espèces ont des portées de petits peu développés et dépendants, quand d'autres donnent directement naissance à des jeunes déjà relativement bien développés.
Les rongeurs forment un groupe très diversifié, présent sur tous les continents à l'exception de l'Antarctique. C'est le seul ordre de mammifères placentaires à avoir colonisé l'Australie sans l'intervention humaine. Ils se sont adaptés à de très nombreux habitats terrestres, dont ceux anthropisés, et certaines espèces sont arboricoles, fouisseuses ou semi-aquatiques. L'ordre des Rodentia représente près de quarante pour cent des espèces de mammifères, ce qui en fait le plus diversifié devant celui des chauves-souris. Parmi les espèces les plus connues de ce groupe sont les souris, les rats, les écureuils, les chiens de prairie, les porcs-épics, les castors, les cochons d'Inde et les hamsters. D'autres animaux tels que les lapins, les lièvres et les pikas, qui peuvent être pris pour des rongeurs et qui ont été placés dans cet ordre par le passé, constituent désormais l'ordre des Lagomorpha. Les données fossiles disponibles sur les rongeurs remontent jusqu'au Paléocène en Laurasia. Ce groupe connaît une grande diversification au cours de l'Éocène et se disperse sur tous les continents, parfois même en traversant les océans et rejoignant ainsi l'Amérique du Sud et Madagascar depuis l'Afrique.
Les rongeurs sont utilisés en tant que source de nourriture, pour la confection de vêtements, en tant qu'animaux de compagnie ou de laboratoire. Certaines espèces, comme le Surmulot (Rattus norvegicus), le rat noir (Rattus rattus) ou la souris grise (Mus musculus) sont de sévères ravageurs, mangeant ou dégradant les stocks de nourriture humains, ou agissant comme vecteurs de parasites (poux, tiques…) et de maladies infectieuses, souvent zoonotiques (touchant à la fois l'homme et l'animal)[1]. Les espèces de rongeurs introduites par accident deviennent souvent envahissantes, menaçant la survie d'espèces indigènes. C'est notamment le cas de nombreux oiseaux insulaires, auparavant privés de prédateurs et dont les couvées peuvent être prédatées.
Les rongeurs se caractérisent par l'existence d'une unique paire d'incisives, acérées et à croissance continue, sur chacune de leurs mâchoires[2]. Ces dents sont munies d'épaisses couches d'émail sur l'avant, mais le sont peu sur l'envers[3]. Leur croissance ne cessant jamais, c'est leur usure perpétuelle qui leur évite de ne trop croître, et ainsi d'atteindre ou même de percer le crâne. Comme les incisives s'aiguisent les unes contre les autres, la dentine à l'arrière des dents s'use, ne laissant que l'émail, solide, taillé comme un ciseau[4]. La plupart des espèces ont jusqu'à 22 dents, sans canines ni prémolaires antérieures. Il y a un écart, ou diastème, entre les incisives et les molaires chez la plupart des espèces. Cela leur permet d'aspirer leurs joues ou leurs lèvres et protéger leur cavité buccale de copeaux de bois ou d'autres matières non comestibles, et de se débarrasser de ces déchets par les côtés de leur bouche[5]. Les chinchillas et les cobayes ont une alimentation riche en fibres, et leurs molaires n'ont pas de racines mais ont une croissance continue comme les incisives[6].
Chez beaucoup de rongeurs les molaires sont relativement grosses, très structurées et avec des cuspides ou des sillons très marqués, bien que chez d'autres, comme les espèces du genre Pseudohydromys, elles sont plus petites et plus simples. Les dents sont bien adaptées à broyer les aliments en petits morceaux[2]. La musculature de la mâchoire est forte. La mandibule est poussée vers l'avant pour ronger, et tirée vers l'arrière lors de la mastication[3]. Les différents groupes de rongeurs diffèrent, à la fois des autres mammifères et entre eux, par l'arrangement des muscles de leur mâchoire et par les structures du crâne associées à cette musculature. Les Sciuromorpha, qui comprennent les écureuils typiques, ont le faisceau profond de leur masséter particulièrement puissant, qui les rend efficaces pour mordre avec les incisives. Les Myomorpha, qui comprennent les souris, ont un muscle temporal élargi, qui leur permet de mastiquer puissamment avec les molaires. Le Hystricomorpha, comme les cochons d'Inde ou les porcs-épics, ont un faisceau superficiel de leur masséter plus grand et un faisceau profond plus petit que les souris ou les écureuils, les rendant peut-être moins efficaces à mordre avec les incisives, mais leur muscle ptérygoïdien intérieur plus puissant leur permet de bouger davantage leur mâchoire sur les côtés lors de la mastication[7].
Le plus petit rongeur existant est la gerboise Salpingotulus michaelis, qui mesure en moyenne 4,4 cm de longueur (tête et corps), avec des femelles adultes ne pesant que 3,75 g. La plupart des espèces de rongeurs pèsent moins de 100 g, mais le plus grand rongeur actuel, le Capybara (Hydrochoerus hydrochaeris), peut peser jusqu'à 66 kg. Du côté des taxons éteints, les ossements fossiles ont montré qu'il y a environ trois millions d'années vivait au sud de l'Amérique un rongeur bien plus grand (plus grand encore que Eumegamys paranensis ou que Phoberomys pattersoni, découvert au Venezuela et pouvant peser de 436 à 741 kg, précédents records en taille chez les rongeurs fossiles[8]) : Josephoartigasia monesi était aussi haut qu'un bison et pesait jusqu'à une tonne environ[9]. C'est le plus grand des rongeurs connus ayant vécu sur la Terre[10]. Plusieurs indices laissent à penser que sa mâchoire était dotée d'une force exceptionnelle[11],[12] (plus encore que celle du tigre ou du crocodile[13]). Ce rongeur géant pourrait avoir ressemblé au cochon d'Inde, mais de la taille d'un hippopotame[14].
La diversité des caractéristiques des rongeurs est grande, parfois même entre des espèces étroitement apparentées. Les caractéristiques de quelques espèces de rongeurs typiques sont données dans le tableau ci-dessous[15] :
Espèce | Record de longévité (en années) † : en captivité |
Poids de l'adulte (en grammes) |
Durée de la gestation (en jours) |
Nombre de portées par an |
Nombre moyen de petits par portée (et extrêmes) |
---|---|---|---|---|---|
Souris grise (Mus musculus)[16] | 4,0† | 20 | 19 | 5,4 | 5,5 (3 à 12) |
Rat-taupe nu (Heterocephalus glaber)[17] | 31,0 | 35 | 70 | 3,5 | 11,3 |
Rat noir (Rattus rattus)[18] | 4,0† | 200 | 21 | 4,3 | 7,3 (6 à 12) |
Rat brun (Rattus norvegicus)[19] | 3,8† | 300 | 21 | 3,7 | 9,9 (2 à 14) |
Écureuil roux (Sciurus vulgaris)[20] | 14,8† | 600 | 38 | 2,0 | 5,0 (1 à 10) |
Chinchilla à longue queue (Chinchilla lanigera)[21] | 17,2† | 642 | 111 | 2,0 | 2,0 (1 à 6) |
Cochon d'Inde (Cavia porcellus)[22] | 12,0 | 728 | 68 | 5,0 | 3,8 (1 à 8) |
Ragondin (Myocastor coypus)[23] | 8,5† | 7 850 | 131 | 2,4 | 5,8 (3 à 12) |
Capybara (Hydrochoerus hydrochaeris)[24] | 15,1† | 55 000 | 150 | 1,3 | 4,0 (2 à 8) |
De nombreuses espèces de rongeurs présentent un dimorphisme sexuel. Chez certaines, les mâles sont plus gros que les femelles tandis que chez d'autres c'est l'inverse. Les gros mâles sont typiques chez les écureuils terrestres, les rats kangourous, les rats-taupes solitaires et les gaufres à poche, et ce dimorphisme est probablement apparu par sélection sexuelle et par l'existence de combat entre mâles. Les grosses femelles sont trouvées chez les tamias et les souris sauteuses. On ne sait pas pourquoi ce phénomène se produit, mais chez le Tamia amène (Tamias amoenus) il se pourrait que les mâles choisissent les femelles plus grosses qui auraient un meilleur succès reproducteur. Chez certains rongeurs, comme les campagnols, le dimorphisme sexuel peut varier d'une population à une autre. Chez le Campagnol roussâtre (Myodes glareolus), les femelles sont généralement plus grosses que les mâles, mais c'est l'inverse qui se produit chez les populations alpines, peut-être en raison du manque de prédateurs et des compétitions plus marquées entre mâles[25].
Les différents groupes de rongeurs ont des morphologies très variables, mais ont généralement des corps massifs, trapus avec des pattes courtes[2]. Les membres antérieurs ont généralement cinq doigts, dont un pouce opposable, tandis que les membres postérieurs ont trois à cinq doigts. Le coude donne à l'avant-bras une grande flexibilité[4]. La majorité des espèces sont plantigrades, marchant sur la sole de leurs pattes, et ont des ongles semblables à des griffes. Les ongles des espèces fouisseuses ont tendance à être longs et forts, tandis qu'ils sont plus courts et plus pointus chez les rongeurs arboricoles[26]. Les différentes espèces de rongeurs utilisent une grande variété de modes de locomotion, dont la marche quadrupède, la course, l'usage de galeries souterraines, la grimpe, le saut bipède (gerboises, rats-kangourous et souris sauteuses d'Australie), la natation ou même le vol plané. Les espèces de la famille des Anomaluridae et celles de la sous-famille des Pteromyinae, toutes appelées « écureuils volants », peuvent en effet planer d'arbre en arbre en utilisant des membranes qui s'étendent entre les membres antérieurs et postérieurs[27]. Les agoutis (Dasyprocta) sont des animaux rapides, étant munis d'ongles semblables à des sabots qu'ils utilisent en course digitigrade. La majorité des rongeurs sont munis de queues, qui peuvent être de formes et tailles variées. Certaines sont préhensiles, comme celle du Rat des moissons (Micromys minutus), et leur fourrure peut être touffue ou au contraire très réduite. Cet organe sert parfois à la communication, comme chez le castor qui claque sa queue sur la surface de l'eau ou la souris domestique qui l'ébranle pour signaler un danger. D'autres espèces ont des queues rudimentaires, ou pas de queue du tout[2]. Chez certaines espèces enfin, la queue est capable de régénération si elle est en partie coupée[4].
Les rongeurs ont généralement les sens de l'odorat, de l'ouïe et de la vision bien développés. Les espèces nocturnes ont souvent de grands yeux et certaines sont sensibles à la lumière ultraviolette. De nombreuses espèces ont de longues vibrisses, qui leur servent à balayer l'environnement lors de la locomotion (avec des mouvements d'avant en arrière, le whisking). Certains rongeurs ont des abajoues, qui peuvent être doublées de fourrure. Chez de nombreuses espèces, la langue ne peut pas aller plus loin que les incisives. Le système digestif des rongeurs est efficace, absorbant près de 80 pour cent de l'énergie ingérée. Lorsqu'un rongeur consomme de la cellulose, la nourriture est d'abord prédigérée dans l'estomac puis passe dans le cæcum, où des bactéries la réduisent en glucides. Le rongeur pratique alors la coprophagie, consommant ses propres pelotes fécales, de sorte que les nutriments peuvent ensuite être absorbés par l'intestin. Ils produisent donc souvent des crottes dures et sèches[2]. Chez de nombreuses espèces, le pénis contient un os, le baculum. Les testicules peuvent être situés sur l'abdomen ou à l'aine[4].
La plupart des rongeurs sont herbivores, se nourrissant exclusivement de graines, de tiges, de feuilles, de fleurs ou de racines. D'autres sont omnivores, et quelques-uns sont prédateurs[3]. Le Campagnol agreste (Microtus agrestis) est un exemple typique d'espèce herbivore, se nourrissant d'herbe, de tubercules, de mousses et d'autres végétaux. Il ronge de l'écorce au cours de l'hiver, et consomme occasionnellement des invertébrés comme des larves d'insectes[28]. Le Gaufre brun (Geomys bursarius) mange des végétaux trouvés sous terre lorsqu'il creuse des galeries, et collecte aussi de l'herbe, des racines et des tubercules dans ses abajoues et qu'il cache dans des chambres souterraines[29]. Le gaufre à poche Geomys personatus évite de sortir à la surface pour se nourrir, attrapant les racines de plantes avec ses mâchoires et les tirant vers le bas creusé dans son terrier. Il pratique aussi la coprophagie[30]. Le Cricétome de forêt (Cricetomys emini) cherche sa nourriture à la surface, collectant tout ce qui est comestible dans ses grosses abajoues, et ramène le tout dans son terrier pour le consommer[31].
Les agoutis (Dasyprocta sp.) sont des rares animaux qui arrivent à ouvrir les fruits du Noyer d'Amazonie (Bertholletia excelsa). Chaque fruit contenant de nombreuses noix, l'animal ne les consomme pas en une fois mais les transporte et les cache, aidant à la dispersion des graines qu'il ne retrouve pas. D'autres arbres à noix produisent de très nombreux fruits en automne, qui sont stockés dans des trous ou des crevasses par les écureuils. Dans certaines régions arides, les graines sont souvent disponibles pour de courtes périodes, et les rats-kangourous en collectent autant qu'ils peuvent pour les stocker dans des chambres souterraines[31]. Une autre stratégie pour tirer parti des abondances saisonnières sont les réserves de graisse. Elle est par exemple utilisée par les marmottes (Marmotta sp.), qui peuvent être de 50 % plus lourdes à l'automne qu'au printemps, utilisant leurs réserves durant leur longue hibernation[31]. Les castors se nourrissent de feuilles, de bourgeons et de l'écorce interne des arbres en croissance, ainsi que de plantes aquatiques. Durant l'automne, ces rongeurs coupent de petits arbres et des branches feuillues, et les immergent dans leur étang en plantant une extrémité dans la boue pour les fixer. L'hiver, ils peuvent accéder à ces réserves, même lorsque l'eau est gelée en surface[32].
Bien que les rongeurs ont par le passé été considérés comme des herbivores, un certain nombre d'espèces se montrent opportunistes et consomment à l'occasion des insectes, du poisson ou de la viande, et d'autres plus spécialisées ont besoin de ces ressources dans leur régime alimentaire. Une étude morphologique et fonctionnelle de la dentition des rongeurs suggère que les rongeurs primitifs étaient omnivores plutôt qu'herbivores. D'autres études montrent que de nombreuses espèces des sous-ordres des Sciuromorpha et des Myomorpha, et quelques membres des Hystricomorpha, incorporent naturellement de la matière animale dans leur régime alimentaire ou la consomme volontiers si ces aliments leur sont donnés en captivité. L'examen du contenu stomacal de Souris à pattes blanches (Peromyscus leucopus) en Amérique du Nord, espèce normalement considérée comme herbivore, a montré que la matière animale constituait 34 % de l'alimentation[33]. Parmi les rongeurs carnivores plus spécialisés, on compte les espèces du genre Rhynchomys aux Philippines, qui se nourrissent d'insectes et d'invertébrés mous, et le Rat d'eau australien (Hydromys chrysogaster), qui consomme des insectes aquatiques, des poissons, des crustacés, des moules, des escargots, des grenouilles, des œufs d'oiseaux et des oiseaux aquatiques[33],[34]. La Souris sauterelle (Onychomys leucogaster), qui peuple les régions sèches de l'Amérique du Nord, se nourrit d'insectes, de scorpions ou d'autres petites souris, et seulement un peu de matière végétale. Son corps est trapu et ses pattes et queue courtes, mais elle est agile et peut facilement maîtriser des proies aussi grandes qu'elle[35].
Les rongeurs présentent une multitude d'organisations sociales, allant du système de castes du Rat-taupe nu (Heterocephalus glaber), un des seuls cas connus d'eusocialité chez les mammifères[36], aux colonies denses des chiens de prairie partageant de grands réseaux de galeries (appelés « villes »)[37], en passant par les groupes familiaux ou le mode de vie solitaire du Loir gris (Glis glis). Si les loirs adultes peuvent avoir des zones d'alimentation se chevauchant, ils vivent dans des nids différents et se nourrissent séparément, les rencontres n'ayant lieu que pour la reproduction. Les gaufres à poche (Geomyidae) mènent aussi une vie solitaire en dehors de la saison de reproduction, chaque individu creusant son propre réseau de galerie et défendant son territoire[26].
Les gros rongeurs ont tendance à vivre en groupes familiaux au sein desquels les parents vivent avec leur progéniture jusqu'à ce que celle-ci se disperse. Les castors vivent en familles élargies, comptant généralement avec un couple d'adultes, les jeunes de l'année, ceux de l'année précédente et parfois d'années antérieures[38]. Le Rat brun vit généralement en petites colonies, avec jusqu'à six femelles partageant un terrier et un mâle défendant un territoire autour de celui-ci. Quand les densités de rats sont élevées, ce système est abandonné et les mâles utilisent un système hiérarchique de domination, avec des territoires qui se chevauchent. La progéniture femelle reste dans la colonie tandis que les jeunes mâles se dispersent[39]. Le Campagnol des Prairies (Microtus ochrogaster) est monogame et forme un couple uni pour la vie. En dehors de la saison de reproduction, il vit en proximité d'autres congénères en petites colonies. Un mâle n'est pas agressif envers les autres mâles jusqu'à ce qu'il se soit accouplé, après quoi il défend un territoire, une femelle et un nid contre les autres mâles. Les deux partenaires se blottissent l'un contre l'autre, se toilettent mutuellement, et participent ensemble à l'élevage des jeunes[40].
Les écureuils terrestres, comme les marmottes, figurent parmi les rongeurs les plus sociaux. Ils forment généralement des colonies de femelles apparentées, les mâles se dispersant après le sevrage pour mener une vie nomade. Les animaux d'une colonie peuvent coopérer à différents niveaux, en s'avertissant par des cris d'alarme, en défendant un territoire commun, en partageant leur nourriture ou en protégeant les zones de mise bas et les jeunes[38]. Le Chien de prairie à queue noire (Cynomys ludovicianus) forme des « villes » pouvant couvrir plusieurs hectares. Les galeries les composant ne sont pas interconnectées mais sont creusées et occupées par des familles territoriales appelées « coteries ». Ces dernières sont généralement constituées d'un mâle adulte, de trois ou quatre femelles adultes, de plusieurs jeunes non-reproducteurs et des petits de l'année. Les membres d'une coterie interagissent paisiblement entre eux mais se montrent hostiles aux membres externes[37].
Les exemples de comportement colonial des plus extrêmes chez les rongeurs sont probablement ceux des rongeurs eusociaux que sont le Rat-taupe nu (Heterocephalus glaber) et le Rat-taupe de Damaraland (Cryptomys damarensis). Le premier vit entièrement sous terre et peut former des colonies comptant jusqu'à 80 individus. Seule une femelle et jusqu'à trois mâles s'y reproduisent, tandis que les autres membres de la colonie sont plus petits, stériles et ont la fonction d'ouvriers. Certains individus sont de taille intermédiaire, et aident à l'élevage des jeunes et peuvent prendre la place des reproducteurs si l'un d'eux meurt[36]. Chez le Rat-taupe de Damaraland, il n'y a qu'un couple reproducteur. Les autres individus ne sont pas complètement stériles, mais ne deviennent fertiles que s'ils forment leur propre colonie[41].
Les rongeurs utilisent le marquage sensoriel dans divers contextes sociaux, comme la communication inter- et intra-spécifique, le marquage des passages et l'établissement de territoires. Leur urine donne des informations génétiques aux autres individus de l'espèce, comme le sexe ou l'identité, et des informations métaboliques sur le statut de dominance, le statut de reproduction et la santé. Des composés dérivés du complexe majeur d'histocompatibilité (CMH) sont liés à plusieurs protéines urinaires. L'odeur d'une prédateur conduit à réduire ce comportement de marquage sensoriel[42].
Les rongeurs sont capables de reconnaître des individus qui leur sont apparentés par l'odeur, et cela leur permet de se comporter plus favorablement envers leurs proches (« népotisme ») et d'éviter la consanguinité. Les animaux reconnaissent ainsi leurs proches par des signaux olfactifs à partir de l'urine, des fèces et des sécrétions glandulaires. Le principal facteur de détermination implique le CMH, puisque le degré de parenté entre deux individus est corrélé avec les gènes CMH qu'ils ont en commun. Dans la communication entre animaux qui ne sont pas apparentés, des marqueurs olfactifs plus permanents sont nécessaires, comme au niveau des limites de territoire, avec des protéines urinaires majeures non volatiles, dont la fonction de transporteurs de phéromones peut également être utilisée. Ces protéines urinaires majeures peuvent aussi indiquer l'identité de chaque individu, chaque mâle de Souris grise excrétant dans son urine une combinaison de 12 protéines spécifique à l'animal[43].
Les Souris domestiques déposent leur urine, qui contient des phéromones, pour marquer leur territoire, reconnaître les individus et pour des raisons d'organisation sociale. Cela peut prendre différentes formes[44] :
Des rongeurs territoriaux comme les castors ou les Écureuils roux (Sciurus vulgaris) analysent et s'habituent aux odeurs de leurs voisins et sont moins agressifs envers leurs intrusions qu'envers celles d'animaux errants ou étrangers[46],[47].
Plusieurs espèces de rongeurs, particulièrement celles qui sont diurnes et sociales, ont une large gamme de cris d'alarme qui sont émis quand ils perçoivent des menaces. Ces cris ont des bénéfices directs comme indirects. Ainsi, un prédateur potentiel peut s'arrêter à l'écoute de ce cri, considérant qu'il est repéré, et l'alarme ainsi donnée peut conduire les congénères de l'animal le produisant à se cacher pour éviter le danger[48]. Plusieurs espèces, par exemple les chiens de prairies, ont un système de cris d'alerte complexe. Ces espèces peuvent employer des cris différents suivant le prédateur (un cri pour les prédateurs terrestres et un pour les prédateurs aériens par exemple) et chacun donne des informations sur la nature exacte de la menace[49]. L'urgence de la menace peut également être indiquée par les propriétés acoustiques du cri[50].
Les rongeurs sociaux ont une plus large gamme de vocalisations que les espèces solitaires. Quinze différents cris d'alarme ont été reconnus chez l'adulte rat-taupe Fukomys micklemi et quatre chez les jeunes[51]. De la même manière, l'octodon, un autre rongeur social, qui creuse des terriers, a une vaste palette de moyens de communication et un répertoire vocal élaboré comprenant 15 différentes catégories de sons[52]. Les ultrasons jouent un rôle dans la communication des loirs et sont utilisés quand les individus sont hors de vue les uns des autres[53].
Les Souris grises utilisent à la fois des cris audibles et des ultrasons suivant le contexte. Les cris audibles peuvent généralement être entendus lors d'échanges agressifs, tandis que les ultrasons sont utilisés dans la communication sexuelle ainsi que par les jeunes quand ils tombent de leur nid[44].
Les rats de laboratoires (qui sont des Rats bruns, Rattus norvegicus) émettent des courtes vocalisations ultrasoniques à de hautes fréquences durant des expériences supposées agréables pour l'animal comme lorsqu'on lui administre une dose de morphine, lors de l'accouplement ou lorsqu'il est chatouillé. Le cri, décrit comme un « gazouillis » caractéristique, est comparé à un rire, et est interprété comme l'attente de quelque chose de bon. Dans des études cliniques, le « gazouillis » est associé à des sentiments positifs, et les liens sociaux naissent avec les chatouilles, qui sont donc recherchées par les rats. Toutefois au fur et à mesure que les rats vieillissent, ils sont de moins en moins enclins à « gazouiller ». Comme la plupart des vocalisations des rats, le « gazouillis » se fait à des fréquences trop hautes pour que les humains les entendent sans équipement spécial, et un récepteur approprié est donc utilisé pour ce type d'études[54].
Il a été démontré que le Rat brun pouvait utiliser les ultrasons pour faire de l'écholocation[44]. La gamme de fréquences écoutée par les rongeurs diffère entre les espèces. Le tableau ci-dessous montre la gamme entendue par différentes espèces[55].
Espèce | Limite inférieure (Hz) | Limite supérieure(Hz) | Cris spécifiques |
---|---|---|---|
Homme | 64 | 23 000 | |
Rat | 200 | 76 000 | Cri de « plaisir » ultrasonique émis à 50 kHz |
Souris | 1 000 | 91 000 | Cri de détresse des jeunes émis à 40 kHz |
Gerbille | 100 | 60 000 | |
Cochon d'Inde | 54 | 50 000 | |
Chinchilla | 90 | 22 800 |
Les rongeurs, comme les autres mammifères placentaires à l'exception des primates, ont deux types de cônes pour capter la lumière au niveau de leur rétine[56], des cônes S sensibles aux courtes longueurs d'onde qui permettent de percevoir la couleur bleue et des cônes M qui possèdent un photopigment sensible aux moyennes longueurs d'onde et permettent de capter la couleur verte. Ce sont donc des animaux dichromates. Toutefois, ils sont sensibles au spectre ultraviolet, et c'est pourquoi ils peuvent voir des choses que l'Homme ne voit pas. Le rôle de cette sensibilité aux ultraviolets n'est pas toujours clairement connu. Chez les octodons, par exemple, le ventre reflète plus de lumière ultraviolette que le dos. C'est pourquoi, quand un octodon se dresse sur ses pattes arrière, ce qu'il fait en cas d'alerte, il expose son ventre aux autres octodons et la vision ultraviolette pourrait servir à communiquer l'alarme. Quand il se tient à quatre pattes, sa faible réflectance des rayons ultraviolets pourrait le rendre moins visible pour les prédateurs[57]. La lumière ultraviolette est abondante durant la journée mais pas la nuit. Il y a une forte augmentation du taux de rayons ultraviolets par rapport à la lumière visible à l'aube et au crépuscule. Certains rongeurs sont particulièrement actifs à ces heures de la journée, et la sensibilité aux ultraviolets leur donne alors un avantage[58].
L'urine de plusieurs rongeurs (par exemple les campagnols, les octodons, les rats et les souris) reflète fortement la lumière ultraviolette et cela pourrait être un moyen de communication laissant un marquage à la fois visuel et olfactif[59]. Toutefois, la quantité d'ultraviolets reflétée diminue avec le temps, ce qui dans certaines circonstances peut constituer un désavantage pour les animaux ; le Faucon crécerelle (Falco tinnunculus) peut faire la différence entre un passage récent de rongeur et un passage plus ancien, ce qui lui donne un avantage lorsqu'il chasse[60].
Les vibrations émises par certaines espèces sur le sol peuvent informer leurs congénères sur certains de leurs comportements. Le rat-taupe Nannospalax ehrenbergi est le premier mammifère pour lequel la communication par vibrations a été observée. Ce rongeur fouisseur cogne sa tête contre les parois de ses tunnels. Ce comportement, que l'on pensait tout d'abord faire partie du processus de construction du tunnel, génère des signaux utiles pour la communication avec d'autres rats-taupes sur de longues distances[61].
Certains rongeurs frappent le sol avec leurs pattes pour alerter de la présence d'un prédateur ou pour se défendre. Ce comportement est principalement utilisé par des rongeurs fouisseurs ou semi-fouisseurs[62].