Loading AI tools
De Wikipédia, l'encyclopédie libre
La dynastie Han est une période de l'histoire de la Chine qui débute en 206 av. J.-C, lorsque Han Gaozu fonde la dynastie en montant sur le trône, et s’achève en 220 ap. J.-C, à la fin du règne de Han Xiandi. Elle est elle-même divisée en deux périodes : celle des Han occidentaux (西漢) ou Han antérieurs (前漢) (206 av. J.-C. - 9 ap.J.-C), capitale Chang'an, et celle des Han orientaux (東漢) ou Han postérieurs (後漢), (25 - 220), capitale Luoyang. Ces deux périodes sont séparées par la courte dynastie Xin fondée par Wang Mang et qui disparaît après la mort de son fondateur.
Les quatre siècles que dure la dynastie Han sont une période de grands progrès économiques, technologiques, culturels et sociaux pour la Chine. Le pays est dirigé par un empereur, qui partage son pouvoir avec un appareil bureaucratique et des nobles dans une situation de semi-féodalité. Les lois, les coutumes, la littérature et l'éducation sont largement inspirés par la philosophie et l'éthique du Confucianisme ; même si l'influence du Légisme et du Taoïsme, présents depuis l'époque de la dynastie Zhou, se font toujours sentir. Ainsi, les lettrés et les nobles qui désirent se mettre au service de l'état, ne peuvent prétendre à un poste officiel que s'ils ont reçu une éducation basée sur les principes de la philosophie de Confucius. C'est sous les Han occidentaux que le lettré Dong Zhongshu (179–104 av. J.-C.) crée une véritable idéologie synthétique du Confucianisme Han, en unifiant le canon officiel du Confucianisme, avec les cycles cosmologiques du Yin et Yang et les cinq éléments du Wuxing
La société est hiérarchisée, et le statut social des nobles, fonctionnaires, agriculteurs et artisans est supérieur à celui des humbles marchands. Cependant, malgré ce carcan social, de véritables hommes d'affaires riches et prospères réussissent à amasser des fortunes considérables, qui leur permet de rivaliser en termes de prestige avec les nobles les plus puissants et les officiels de haut rang. Les esclaves sont en bas de l'échelle sociale, mais ne représentent qu'une infime portion de la population totale. Les « invités permanents » existent en plus grand nombre et sont considérés comme faisant partie des « biens » liés à telle ou telle exploitation d'un grand propriétaire terrien. Enfin, les médecins et les occultistes/religieux employés par l'état réussissent à vivre dans la dignité, sans avoir un train de vie démesuré. Quelle que soit leur classe sociale, la plupart des gens vénèrent les dieux d'un panthéon riche et varié, qui donnera naissance avec le temps à la religion traditionnelle chinoise. Dans les premiers temps de la dynastie Han, les taoïstes s'organisent en petits groupes et se concentrent sur la recherche de l'immortalité. Ce n'est que dans la seconde moitié du IIe siècle qu'ils se structurent en une vaste société hiérarchisée, qui voit en Lao Tseu un prophète et concurrence l'autorité impériale.
Le foyer-type de la période Han est une maison dans laquelle habite une famille nucléaire de quatre à cinq personnes. Ce n'est que quelques siècles plus tard, sous les dynasties suivantes, que la situation change et on se retrouve avec un foyer qui regroupe plusieurs générations sous le même toit, ainsi que les membres de la famille étendue. Ce sont des familles patrilinéaires, qui sont sous la tutelle du père de famille, ou les mariages arrangés sont la norme. Lors de ces mariages, la nouvelle épouse quitte le clan de ses parents et rejoint celui de son époux; ce qui peut provoquer la disparition de clans entiers s'il y a beaucoup de naissances de filles en leur sein. De plus, seuls les descendants de sexe masculin peuvent assurer le culte des ancêtres, ce qui amène la société Han à privilégier la naissance et la survie des garçons aux dépens des filles.
Selon les coutumes et la tradition confucéenne, toutes les filles et les femmes doivent, en théorie, obéir passivement à leurs parents de sexe masculins. Dans les faits, les mères ont un statut familial supérieur à celui de leurs fils et de nombreuses femmes sortent de leur domicile pour exercer différentes professions et ce en étant protégées par la loi contre ceux qui voudraient les en empêcher. Au plus haut sommet de l'état, l'impératrice jouit d'un statut supérieur à celui des parents mâles du clan de son époux. Enfin, si jamais l'empereur meurt sans avoir désigné de successeur, l'impératrice douairière[1] peut choisir le successeur de son fils.
Au sommet de la société Han se trouve l'empereur, membre du clan Liu et descendant de l'empereur Han Gaozu, le fondateur de la dynastie[2]. Ses sujets n'ont pas le droit de s'adresser à lui en l’appelant par son nom et doivent à la place utiliser des périphrases telles que « Votre Majesté Impériale »(Bixia 陛下), « Empereur d'En Haut» (Huang Shang 皇上), « Fils du Ciel»'(Tian Zi 天子) ou «Divinité d'En Haut»(Sheng Shang 聖上).La mère de l'empereur doit s'adresser à lui en l'appelant « Empereur» (Huángdì) ou simplement «Fils» (Er) et ses serviteurs doivent lui parler en lui donnant le titre de « Seigneur des Dix Mille Ans» (Wan Sui Ye 萬歲爺). Enfin, lorsque l'empereur parle de lui-même devant ses sujets, il utilise le mot Zhen (朕), ce qui correspond à peu près au « Nous » de majesté des rois en occident[3]. Que l'on soit un humble paysan, un puissant noble ou un ministre influent, entrer dans le palais de l'empereur sans en avoir officiellement la permission est un crime puni de mort[4]. Des neuf ministres du gouvernement impérial, c'est le Commandant de la Justice qui est chargé de rendre la justice et de faire appliquer les peines après les jugements; ce qui, en théorie, fait de lui l'autorité judiciaire suprême de l'empire. Dans les faits, l'empereur peut casser n'importe quel jugement et rejuger lui-même le cas. Il peut également rédiger à loisir de nouvelles lois et abroger les anciennes sans en référer à qui que ce soit[5]. L'empereur peut aussi pardonner un criminel[6] et accorder des amnisties générales.[5] La plupart du temps, lorsqu'un consensus émerge entre les ministres pendant une conférence (tingyi 廷議) de la Cour[7], l'empereur suit leur avis. Cependant, son approbation est nécessaire pour valider toute décision politique et il arrive qu'il rejette l'opinion de la majorité pour suivre la sienne[8].
De tous les proches de l'empereur, la plus puissante est l'impératrice douairière qui est à la fois un lien direct avec le précédent empereur et, la plupart du temps, la mère biologique de l'empereur régnant[9]. Si la grand-mère de l'empereur est toujours vivante lorsque ce dernier monte sur le trône, elle devient la grande impératrice douairière et bénéficie d'une position sociale supérieure à celle de l'impératrice douairière[9]. Très souvent, les empereurs cherchent à obtenir l'approbation de leurs décisions par l'impératrice douairière[10]. Si jamais l'empereur n'est qu'un enfant au début de son règne, il ne sert la plupart du temps que d'homme de paille pendant que l'impératrice douairière se retrouve, de fait, à la tête des affaires politiques et de la cour[10]. Enfin, elle a aussi le droit de promulguer des édits et des grâces et si jamais l'empereur meurt sans avoir désigné un héritier, elle est la seule à avoir le droit de choisir qui va monter sur le trône[11]. Juste en dessous de l'impératrice douairière, viennent l'impératrice et les concubines impériales[11]. Même si elle est l'épouse de l'empereur, la position de l'impératrice n'est pas sûre et stable, car l'empereur peut la répudier à tout moment[12]. Malgré cela, l'impératrice a le privilège d'obliger les concubines de son époux à agir à son égard comme de simples servantes. Et si jamais lesdites concubines tentent d'obtenir des postes prestigieux pour leurs fils, ou même d'en faire l'héritier du trône, elles le font à leurs risques et périls[12].
Au début de la période des Han occidentaux, Han Gaozu a élevé à la dignité de roi-vassal un grand nombre de ses parents, ainsi que plusieurs officiers militaires. Ces roi-vassaux se retrouvent alors à la tête de grands fiefs semi-autonomes, ce qui leur garantit richesse et puissance. Après la mort des rois qui n'étaient pas des parents de Gaozu, un édit impérial interdit à quiconque n'est pas membre du Clan Liu, le clan de l'empereur, d’accéder à la royauté[14]. Finalement, les frères de l'empereur, ses cousins paternels, ses neveux et ses fils, à l'exclusion de son héritier, sont tous élevés à la dignité de roi-vassal[14]. Dans le même temps, les sœurs et les filles de l'empereur sont élevées au rang de princesses et reçoivent elles aussi des fiefs[15]. Même si le pouvoir central leur a enlevé tout pouvoir politique et assure la gestion administrative de leur royaume, les rois restent puissants. En effet, ils ont le droit de garder pour eux une part des taxes et impôts levés sur leurs territoires et jouissent d'un statut social élevé, qui les place juste en dessous de l'empereur[16]. Chaque roi désigne un de ses fils comme étant son héritier; pendant que ses autres fils et ses frères sont élevés à la dignité de marquis et dirigent de petits marquisats[17], ou ils ont, à leur tour, le droit de garder pour eux une part des taxes et impôts[18]. Même si les rois et les marquis bénéficient de nombreux privilèges, ils ne sont pas à l’abri de tout; car la cour impériale adopte régulièrement une attitude suspicieuse et agressive à leur encontre afin de limiter leurs pouvoirs. Ainsi, dès le règne de l'empereur Gaozu, des centaines de familles nobles, incluant les familles royales des anciens royaumes combattants[19], sont déménagées de force et réinstallées à proximité de Chang'an, la capitale de l'empire[20]. Durant la première moitié de la période des Han occidentaux, ce genre de déménagements forcés peut être imposé aussi bien aux hauts fonctionnaires riches et puissants qu'aux particuliers dont les biens ont une valeur de plus de 1 million de Wuzhu (五銖)[21],[20].
Le poste de régent, ou Général-en-Chef (大將軍) pour reprendre la titulature officielle, est créé à la fin du règne de l'empereur Han Wudi (141 – 87 av. J.-C.). Lorsque ce dernier tombe gravement malade en 88 av. J.-C., son fils et futur empereur est trop jeune pour pouvoir régner sur l'empire, car il n'a que 6 ans. Sur son lit de mort, Wudi désigne trois hauts fonctionnaires pour qu'ils forment un triumvirat qui doit assurer la régence en attendant que Han Zhaodi (94 – 74 av. J.-C.), le futur empereur, soit en âge de régner seul[22]. Les régents sont souvent des parents par alliance des empereurs, plus que des parents proches, mais ils peuvent aussi être des hommes de basse extraction qui doivent leur réussite aux faveurs de l'empereur[23]. Les eunuques, qui ont la charge du harem impérial, peuvent aussi avoir un poids politique semblable à celui des régents. Ils font le plus souvent partie de la classe moyenne et ont des liens avec les milieux commerçants[24]. Sous les Han occidentaux, il y a peu d'exemples d’eunuques qui réussissent à accéder à un tel pouvoir, la bureaucratie officielle étant alors assez puissante pour se débarrasser d'eux[25]. Lorsque l’eunuque Shi Xian (石顯) devient le Préfet des Maîtres des Écrits du Palais(中尚書), l'empereur Han Yuandi (48 – 33 av. J.-C.) lui abandonne la plus grande partie de ses pouvoirs et le laisse prendre des décisions politiques importantes, que la cour impériale est obligée de respecter[26]. Finalement, Shi Xian est renvoyé de son poste dès le début du règne de l'empereur Han Chengdi (33 – 7 av. J.-C.)[27]. Plus aucun eunuque du palais n'obtiendra de pouvoir comparable avant l'an 92, lorsque les eunuques, sous la direction de Zheng Zhong, s'allient avec l'empereur Han Hedi (88 - 105) pour organiser un coup d'état et se débarrasser du clan Dou 竇, dont fait partie l'impératrice douairière[28]. Par la suite, les membres de la cour et du gouvernement se plaignent auprès de l'empereur Han Shundi (125 - 144), lorsque ce dernier élève au rang de marquis des eunuques comme Sun Cheng. Ces plaintes se révèlent vaines, car dès l'année 135, les eunuques sont autorisés à transmettre leur titre de marquis à leurs fils adoptifs[29]. Finalement, les eunuques deviennent la faction la plus puissante de la cour lorsque l'empereur Han Lingdi (168 - 189) donne quasiment les pleins pouvoirs à Zhao Zhong et Zhang Rang, ses favoris. Tout ceci s’arrête en 189, lorsque Zhao, Zhang et tous les autres eunuques de la cour sont massacrés ou se suicident quand Yuan Shao et ses soldats envahissent les palais de Luoyang pour éliminer physiquement leur faction[30].
Ceux qui sont au service de l'État bénéficient d'une position privilégiée au sein de la société Han, car en termes de rang, ils viennent juste après les nobles et avant tous les autres. Certains hauts fonctionnaires finissent même par recevoir un fief et être anoblis[31]. Ils ne peuvent pas être arrêtés s'ils commettent un crime, sauf autorisation spéciale de l'empereur[32]. Mais si jamais cette autorisation est délivrée, un fonctionnaire aux arrêts est emprisonné et mis aux fers, comme n'importe quel homme du peuple[33]. Il faut également l'approbation de l'empereur pour punir un fonctionnaire qui a commis une erreur dans l'exercice de ses fonctions[34]. Les serviteurs de l'État ne sont pas à l'abri d'une exécution, mais on leur laisse la possibilité de se suicider, ce qui est considéré comme une fin plus digne[34]. Les postes les plus élevés sont ceux des trois excellences, qui sont les « directeurs » des trois départements (chinois traditionnel : 省 ; pinyin : ) qui forment le gouvernement. Ces départements sont :
Au-dessus des trois excellences, mais en dessous de l'empereur, il existe le poste de Grand Tuteur ; qui est occupé de manière irrégulière, en général quand l'empereur n'est pas capable d'assurer sa fonction[35]. Les titres individuels et les fonctions exactes des trois excellences varient entre l'époque des Han occidentaux et celle des Han orientaux, mais rentent tout de même liés au fonctionnement des trois départements. Ce qui ne change pas, c'est leur salaire annuel, qui est de 10,000 boisseaux de grains (chinois traditionnel : 石 ; pinyin : shi), qui se transforme souvent en paiement sous forme de pièces et d'objets de luxe, comme de la soie[36]. En dessous des excellences, on trouve les neuf ministères; soit neuf officiers dirigeant chacun une branche du gouvernement et rattachés à l'un ou l'autre des trois départements. Chacun de ces officiers gagne 2 000 boisseaux de grains par an[31]. Enfin, en dessous de ces hauts fonctionnaires, on trouve la grande masse des employés de base, rémunérés à hauteur de 100 boisseaux de grains par an[37]. Les dirigeants de la dynastie Han pensent que des fonctionnaires riches seront moins tentés par des pots-de-vin. Par conséquent, au début de la dynastie, avoir un revenu personnel imposable d'au moins 100 000 pièces de monnaie est une condition sine qua non pour occuper un poste[38]. Ce montant est ramené à 40 000 en 142 av. J.-C., avant d'être aboli sous le règne de l'empereur Han Wudi[38].
À partir du règne de l'empereur Han Wudi, se met en place le xiaolian (chinois traditionnel et simplifié : 孝廉, pinyin : xiàolían); un système basé sur la recommandation, où les divers responsables locaux proposent à la cour de nommer à un poste officiel. Ce système de recrutement des fonctionnaires donne énormément de pouvoir à ceux qui détiennent un poste élevé au sein de l'État et tourne rapidement au clientélisme[39]. Ainsi, lorsque le prestige du clan consort se trouve renforcé grâce à l'impératrice douairière Dou (??? - 97), une succession de régents venant de son clan se retrouvent aux commandes des affaires de l'empire. Ils réunissent autour d'eux une grande quantité de clients, dont les chances de promotion dépendent de la survie politique du clan de l'impératrice douairière, survie qui est souvent de courte durée[40]. À côté de cette relation patron-client, nombre de postes sont pourvus grâce aux liens familiaux[41]. Selon Patricia Ebrey, l'accès à la fonction publique est plus ouvert et la mobilité sociale par la promotion touche plus de personnes sous les Han occidentaux que sous les Han orientaux[42]. Pour avoir une idée assez précise du niveau de mobilité sociale sous les Han orientaux, il suffit de se plonger dans les 252 biographies du Livre des Han postérieurs qui sont consacrées à des membres du gouvernement. On constate alors qu'un tiers de ces biographies concerne des fils ou des petits-fils d'anciens membres du gouvernement qui se mettent à leur tour au service de l'État et qu'un cinquième concerne des membres de grandes familles provinciales ou des personnes ayant un ancêtre qui a autrefois servi les Han[43]. Entre l'an 86 et l'an 196, soit les 110 dernières années de la période des Han orientaux, pendant 46 ans on retrouve un membre du clan Yuan ou du clan Yang en poste au sein des trois excellences[44].
De nombreux fonctionnaires du gouvernement central ont également commencé leur carrière comme officiers subalternes de l'administration au sein des nombreuses commanderies qui existent en Chine[45]. Il est très rare de voir des officiers subalternes sortant de l'administration des Comtés[46] réussir à s'élever jusqu'au niveau du gouvernement central. Et à chaque fois que cela arrive, il s'agit systématiquement d'une promotion à la suite d'une victoire militaire pendant les troubles qui accompagnent la fin de la dynastie Han[45]. Même si un fonctionnaire réussit à obtenir une position sûre par l'un ou l'autre de ces moyens, il se doit encore d'être compétent dans l'accomplissement des tâches qu'on lui confie. Ceux qui aspirent à servir les Han se doivent donc d'avoir reçu une formation poussée[47]. Pour répondre à ce besoin de formation, il existe de nombreux tuteurs privés, puis, à partir de 124 av. J.-C., une Université impériale (Taixue), créée par le gouvernement. Au début, cette université n'accueille que 50 élèves, mais dès le IIe siècle leur nombre se monte à plus de 30 000 étudiants[48]. Ces étudiants peuvent être nommés par l'empereur à divers postes gouvernementaux suivant les grades qu'ils obtiennent à leurs examens[49].
Malgré un déclin de la mobilité sociale pour ceux appartenant aux clans les moins importants, la période des Han orientaux est marquée par une intégration beaucoup plus poussée des élites locales aux élites nationales, ce qui renforce d'autant la classe dirigeante[42]. Dans le même temps se crée une "petite noblesse" composée de lettrés au chômage, d'enseignants, d'étudiants et d'officiels du gouvernement[42]. Même s'ils sont dispersés géographiquement et cantonnés aux tâches locales, ces hommes commencent à se voir collectivement comme les acteurs d'une politique plus "globale" et porteurs d'un ensemble de valeurs[50]. Ils se reconnaissent dans les valeurs que sont la piété filiale, la retenue et insistent sur l'importance des cinq classiques, dont l'étude est jugée plus essentielle que n'importe quel poste officiel[51]. Ces hommes gagnent une telle influence qu'en 40 av. J.-C l'empereur Han Yuandi est contraint d'abandonner son programme de déménagements forcés des fonctionnaires et de leurs familles vers la région des tombes royales, à proximité de la capitale impériale. En 15 av. J.-C, c'est son successeur, Han Chengdi, qui doit abandonner à son tour un projet de déménagement forcé, pour les mêmes raisons. D'après l'historien Cho-Yun Hsu c'est à ce moment-là que les fonctionnaires et les universitaires ont acquis une telle influence dans la politique locale et au niveau national, qu'il devient impossible de les déplacer de force, comme cela se faisait à l'époque de l'empereur Han Wudi[52].
En 159 une révolte étudiante généralisée éclate à la suite d'un coup d'État orchestré par les eunuques contre le régent Liang Ji. Dans un élan de solidarité avec le régent et pour protester contre l'emprise des eunuques sur la cour, les étudiants de l'Université impériale descendent dans la rue et scandent les noms des eunuques auxquels ils s'opposent[53]. À la suite de ces manifestations, et à l'instigation des eunuques, l'empereur Han Huandi lance en 166 la politique dite de "l'Interdiction des Partisans". Il s'agit en fait d'une campagne de proscription à grande échelle visant Li Ying (李膺) et ses associés en poste au sein de l'Université impériale et dans les provinces, qui sont catalogués comme étant des partisans (黨人), au sens politique du terme[54]. Peu après le début du règne de l'empereur Han Lingdi (168 -189), le régent Dou Wu se suicide en l'an 168, à la suite de son échec dans sa tentative de contrer le pouvoir croissant des eunuques. Après sa mort, ces derniers interdisent à des centaines d'étudiants d'occuper des charges officielles, afin de pouvoir vendre ces charges au plus offrant[55]. Indignés par ce qu'ils considèrent comme un gouvernement corrompu, les membres de la petite noblesse refusent dès lors de servir au sein de l'administration et de la Cour; préférant mener une vie consacrée aux études et à la morale[56]. C'est ainsi que "l'interdiction des partisans" aboutit à la création d'un nouveau parti, composé de l'ensemble des nobles qui sont mécontent du fonctionnement de l'État et qui, au lieu de juste mener une vie de reclus dans leurs villes natales, gardent des contacts entre eux à travers toute la Chine et restent activement engagés dans le mouvement de protestation[57]. Ce parti revient vers le pouvoir à partir de l'année 184, quand l'empereur Lingdi se voit obligé d'abroger "l'interdiction des partisans" pour que ces nobles répondent à son appel à l'aide pour lutter contre la rébellion des Turbans jaunes. Mais il faut attendre que Cao Cao (155 - 220) devienne chancelier et mette en place le système des neuf-rangs pour que tous les nobles réintègrent la vie politique et le service de l'État. En effet, grâce à ce système, Cao laisse la charge du recrutement des fonctionnaires à la petite noblesse. Il donne au noble le plus important de chaque comté et de chaque commanderie, la tâche de sélectionner les candidats les plus doués pour les divers postes administratifs, en les catégorisant en 9 rangs selon leurs capacités[58].
Beaucoup d'étudiants ont besoin d'argent pour financer leurs études ou pour vivre en attendant de décrocher un poste officiel. Pour gagner cet argent, ils se tournent souvent vers l'agriculture, qui est vue comme un métier honnête et que l'on peut pratiquer sans être méprisé par les autres membres de la noblesse[59]. Les riches nobles, fonctionnaires et commerçants possèdent souvent des terres, mais souvent ils ne cultivent pas eux-mêmes et agissent comme des propriétaires absents, vivant en ville et non sur leur propriété[60]. Leurs champs sont surtout cultivés par des fermiers pauvres (diannong 佃農) qui payent un loyer, correspondant à environ cinquante pour cent de leur production, en échange de la terre, des outils pour la travailler, des animaux de trait et d'une petite maison[61]. Des ouvriers journaliers (gunong 雇農) et des esclaves travaillent également sur les domaines des riches, bien qu'ils ne soient pas aussi nombreux que les fermiers[62]. Pendant la période des Han occidentaux, le petit propriétaire-cultivateur indépendant représente la majorité des paysans. Bien qu'ils luttent pour rester indépendants, les guerres, les catastrophes naturelles et les crises ont conduit beaucoup d'entre eux à sombrer dans l'endettement, le banditisme et l'esclavage. À la fin des Han orientaux, le nombre de journaliers a considérablement augmenté par rapport à la période précédente[63]. Le statut social des propriétaires-cultivateurs indépendants pauvres est supérieur à celui des journaliers, mais inférieur à celui des riches propriétaires terriens[64]. Parmi les ouvriers journaliers, ceux qui louent des terres aux riches propriétaires terriens et les petits propriétaires terriens, certains réussissent à gagner assez d'argent pour acheter une propriété de petite ou moyenne taille. Ceux-là agissent souvent comme des gestionnaires, pendant que leurs fils labourent les champs et que leurs filles tissent des vêtements et s'engagent dans la sériciculture pour produire de la soie à usage domestique ou à vendre au marché[65].
Pendant la période des Han occidentaux, les paysans forment la majorité de ceux qui sont mobilisés par le gouvernement pour effectuer des corvées ou intégrer l'armée. Pour les corvées (gengzu 更卒), ce sont tous les hommes de quinze à cinquante-six ans qui doivent travailler sur des projets de construction et effectuer d'autres tâches d'intérêt général dans leurs commanderies et les comtés, et ce un mois par an[66]. La conscription (zhengzu 正卒), touche tous les hommes âgés de vingt-trois ans, qui doivent se former pendant un an à l'une des trois branches des forces armées : infanterie, cavalerie ou marine[66]. Jusqu'à ce qu'ils atteignent l'âge de cinquante-six ans, ils peuvent à tout moment devoir assurer une année de service actif comme soldat envoyé pour garder les frontières contre les nomades hostiles ou comme garde dans la capitale[66]. D'importantes modifications sont apportées à ce système à l'époque des Han orientaux. Ainsi les paysans qui veulent éviter le mois de travail obligatoire peuvent s'en affranchir au prix d'une taxe. Les revenus ainsi engrangés permettent de payer les employés des divers chantiers, le travail salarié étant devenu plus populaire que le travail forcé dans le domaine de la construction et autres travaux d'intérêt général[67]. De même, l'obligation de service militaire peut être évitée en payant une autre taxe, car durant cette période, l'armée devient une troupe d'engagés volontaires[68]. Et la base du recrutement s'élargit car, en plus des paysans, d'autres roturiers, comme les marchands, peuvent également rejoindre l'armée[69].
Au sein de la société Han, les artisans ont un statut socio-économique qui est entre celui des agriculteurs et celui des marchands[70]. Pourtant certains d'entre eux réussissent à s'enrichir, au point qu'un artisan qui forge des couteaux et des épées peut s'offrir des repas dignes de ceux des nobles et des membres de la cour[71]. D'un point de vue juridique, les artisans jouissent d’un statut juridique supérieur à celui des marchands. Contrairement aux humbles marchands, les artisans sont autorisés à porter de somptueux vêtements en soie, à posséder et à se déplacer à cheval et à rouler en chariot[71]. De plus, il n'existe aucune loi qui interdit aux artisans de devenir fonctionnaires. Ainsi, un peintre artisan qui a travaillé à l’Académie impériale a refusé de nombreuses offres pour décrocher ensuite un poste dans l'administration[72]. À l’opposé, un bureaucrate qui nomme un marchand à un poste de fonctionnaire peut être démis de ses fonctions, tandis que certains évitent d'être nommés à un poste officiel en prétendant qu’ils sont des marchands[72].
Malgré leurs privilèges légaux par rapport aux marchands, le travail des artisans est considéré par les lettrés confucéens Han comme étant d’importance secondaire par rapport à celui des agriculteurs[73]. Cela est peut-être dû en grande partie au fait que les universitaires et les fonctionnaires ne peuvent pas survivre sans les produits des agriculteurs et les taxes qui sont payées en grains[74]. Le gouvernement dépend de ces taxes en nature pour financer ses campagnes militaires et entrepose les grains excédentaires afin d’atténuer les famines généralisées qui surviennent durant les périodes de mauvaise récolte[73]. Mais, malgré l’importance accordée aux agriculteurs, les lettrés confucéens reconnaissent que les artisans jouent un rôle économique essentiel[73]. Ce point de vue n'est rejeté que par une petite minorité de légistes, qui prônent l'établissement d'une société composée uniquement de soldats et de paysans, et par certains taoïstes qui veulent que tout le monde vive dans des villages autonomes et sans aucune forme de commerce[73].
Les artisans peuvent être employés par un particulier ou travailler pour le gouvernement. Dans les ateliers du gouvernement, on trouve des condamnés, des paysans accomplissant leur mois de corvée et des esclaves appartenant à l’État pour effectuer des tâches subalternes. Le maître artisan, lui, reçoit un revenu significatif pour son travail dans la production d’articles de luxe tels que des miroirs en bronze et des objets laqués[75].
Les lettrés de la petite noblesse ne sont pas attirés par les professions marchandes, à l’exception des libraires et des apothicaires. En effet, les lettrés et les fonctionnaires voient les marchands comme les membres d'une classe basse et méprisable[76]. Preuve d'une certaine empathie envers les paysans qui ont perdu leurs terres, un édit de la Cour de l'an 94 stipule que les paysans ruinés qui en sont réduits à devenir marchands ambulants ne doivent pas être taxés comme le sont les autres marchands autorisés[77]. En effet, la plupart de ces derniers sont des petits boutiquiers urbains, dont les revenus sont lourdement taxés par l'État[78], car ils doivent payer des taxes commerciales, en plus de l'impôt par tête qui s'applique à tout le monde[79].
Les marchands autorisés sont contraints par la Loi de porter des vêtements de couleur blanche, qui sert à indiquer leur statut social inférieur[80], et dans le cadre de la conscription, ils peuvent être mis à part des autres conscrits et envoyés dans les provinces les plus au sud, là où le paludisme est endémique[81]. En revanche, les marchands ambulants sont souvent plus riches, grâce à leurs négoces qui impliquent tout un ensemble de villes au lieu d'une seule, et à leur mobilité, qui leur évite d’être inscrits comme marchands sur les registres officiels[79]. À partir du règne de l’empereur Han Gaozu, la loi interdit aux marchands enregistrés de porter des vêtements de soie, de monter à cheval ou d'occuper un poste au sein de l'administration. Le contraste avec les marchands ambulants non enregistrés est frappant. Le chroniqueur Chao Cuo (?? - 154 av. J.-C.) rapporte que ces derniers s'habillent de luxueux vêtements de soie, roulent dans des chariots tirés par des chevaux gras et sont assez riches pour s'associer avec les membres du gouvernement[82].
Bien que ces lois s'assouplissent au fil du temps, l'empereur Han Wudi renoue avec la persécution d’État des marchands, quand en 119 av. J.-C., il promulgue une loi interdisant aux commerçants enregistrés d'acheter des terres[83]. Si jamais ils violent cette loi, leurs terres et leurs esclaves sont confisqués par l’État[83]. L’efficacité de cette loi est sujette à caution, puisque les auteurs de cette époque parlent de marchands possédant de vastes étendues de terres[84]. Ainsi, un marchand qui possède des biens d’une valeur de mille catty d’or, soit l'équivalent de 10 millions de Wuzhu, est considéré comme un grand marchand[85]. Ce montant est cent fois plus élevé que le revenu moyen d’un propriétaire-cultivateur de la classe moyenne et éclipse le revenu annuel de 200 000 Wuzhu d’un Marquis qui collecte les taxes d'un millier de foyers[86]. Quelques familles de marchands réussissent à accumuler une fortune dépassant les 100 millions de Wuzhu, ce qui équivaut à la richesse acquise par les plus hauts responsables au sein du gouvernement[87].
Les commerçants s'investissent dans une multitude d'activités et d'investissements. Un marchand seul s'investit souvent dans plusieurs métiers pour faire des profits plus importants, et peut pratiquer, entre autres choses, l’élevage, l’agriculture, la fabrication d'objets divers, le commerce proprement dit et le prêt d’argent[88]. Sous la dynastie Han, les commerces les plus rentables sont ceux du sel et du fer; au point qu'un vendeur prospère spécialisé dans ces produits peu amasser une fortune allant jusqu'à 10 millions de Wuzhu[89]. Au début de la période des Han occidentaux, de puissants marchands peuvent avoir sous leurs ordres une main d'œuvre de plus de mille paysans, occupés à travailler dans les mines de sel, à récolter et faire s'évaporer la saumure des marais pour en récolter le sel, ou en train d'actionner des soufflets dans des forges, pour créer des outils en coulant du fer dans des moules[90]. Pour limiter l’influence croissante de ces riches industriels, l'empereur Han Wudi nationalise ces industries en 117 av. J.-C. et engage d'anciens marchands, comme Sang Hongyang (??? - 80 av.J.-C.), pour les mettre à la tête de ces monopoles publics. Offrir des postes officiels à des marchands est une grande première pour les Han, et en agissant ainsi, Wudi espère profiter de leur expérience et de leur savoir-faire technique pour gérer correctement ces industries[91]. Cependant, durant la période des Han orientaux, le gouvernement central finit par abolir les monopoles d’État sur le sel et le fer[92]. Mais même avant cette date, l’État arrête d'employer des anciens marchands dans les organismes gouvernementaux gérant le sel et le fer, lorsqu'un édit de l'an 7 av.J.-C. renouvelle l’interdiction qui leur est faite d'intégrer l'administration ou d'avoir un quelconque poste officiel[80]. Il faut noter que Wang Mang, le seul empereur de la brève dynastie Xin, a employé certains commerçants comme fonctionnaires de bas niveau avec un salaire de 600 boisseaux de grains par an[80]. Une autre industrie rentable est celle des vins et spiritueux, que l’État a brièvement monopolisé de 98 à 81 av. J.-C.. Ce monopole est rapidement aboli, l'État préférant laisser la production aux mains des commerçants, tout en réinstaurant les taxes sur les ventes d'alcool[93]. Cette profession n'est pas plus valorisée que les autres, comme le montre le cas de Cui Shi (催寔) (??? - 170). Membre reconnu de l'administration, il lance une entreprise de brasserie pour pouvoir payer les coûteuses funérailles de son père. Il est alors fortement critiqué par ses collègues et les autres nobles, qui considèrent cette seconde profession comme une honte pour tout lettré qui se respecte[94]. Enfin, il faut noter que les mines de cinabre sont également une industrie très lucrative[89].
Depuis la période des Royaumes combattants, il existe ceux que l'on appelle les vassaux (binke 賓客). Ce sont des personnes d'origine populaire, qui vivent sur la propriété d’un hôte auxquels ils payent un loyer sous forme de services divers[95]. La plupart du temps, ces personnes appartenaient auparavant à d’autres groupes sociaux, et il s'agit parfois de fugitifs cherchant à se mettre à l'abri des autorités[96]. Les hôtes sont souvent des membres de l'administration ou des nobles riches, mais ils peuvent aussi être de riches roturiers[97]. En règle générale, dans cette situation l'hôte fournit logement, nourriture, vêtements et moyens de transports à ses vassaux. En retour ces derniers exécutent des travaux occasionnels et non routiniers ou des services divers comme servir de conseiller à leur hôte, faire office de garde du corps ou exécuter des travaux dans la maison[98]. Ils peuvent parfois se voir confier des missions plus dangereuses telles que commettre des assassinats, repousser des bandits ou participer à une bataille pour défendre l’hôte[98]. Ils peuvent aussi servir d'espions ou d'astrologues[99].
Normalement, un hôte traite très bien ses vassaux et peut les couvrir de cadeaux de luxe s’il veut mettre en avant sa richesse et son statut[96]. Un vassal a ainsi reçu de son hôte un fourreau d’épée décoré avec du jade et des perles, tandis que d’autres ont reçu des articles de luxe, comme des chaussures ornées de perles[96]. Cependant, tous les vassaux n'ont pas le même statut et ceux qui sont couverts de cadeaux de luxe fournissent un travail hautement qualifié ou de grands services. Ceux qui sont moins habiles reçoivent des cadeaux de moindre valeur et sont assis plus loin de leur l’hôte, lorsque ce dernier les réunit[100]. Indépendamment de leur statut, n’importe quel vassal peut aller et venir comme bon lui semble dans la résidence de son hôte, contrairement à un esclave qui est la propriété de son maître et qui est rattaché en permanence aux biens de ce dernier[101]. Les Han n'ont établi aucun statut officiel pour les vassaux, ils sont simplement arrêtés et jugés quand ils bafouent la loi. Selon la situation, ils peuvent aussi être arrêtés et jugés en même temps que leur hôte si c'est ce dernier qui bafoue la loi[102].
Les vassaux forment une grande partie des forces armées que lève le futur empereur Han Guang Wudi pendant la guerre civile contre le régime de Wang Mang[103]. Le rôle militaire des vassaux est beaucoup plus marqué à la fin du IIe siècle, lorsque monte l’agitation politique qui va aboutir à la partition de l’empire en trois États concurrents[103]. À cette époque, les hôtes commencent à traiter les vassaux comme s'ils étaient leurs troupes personnelles (buqu 部曲), ce qui réduit leur liberté de mouvement et leur indépendance par rapport a ceux des siècles précédents[104]. Alors qu'auparavant les vassaux sont des individus qui rejoignent un hôte à la suite d'une décision personnelle, à la fin du IIe siècle on voit apparaître des familles entières de vassaux, fortement contrôlée par leur hôte[104].
Sous les Han, les esclaves (nuli 奴隸) représentent environ 1 % de la population[105]. C'est une proportion beaucoup moins importante que dans le monde gréco-romain qui, à la même époque, fonctionne sur un modèle économique basé sur le travail d’une importante population d'esclaves[99]. Les esclaves sont classés en deux catégories : ceux qui appartiennent à des particuliers et ceux qui appartiennent à l’État[106]. Les esclaves des particuliers sont souvent d'anciens paysans qui se sont endettés et finissent par se vendre comme esclaves pour éponger leurs dettes. Une petite partie d'entre eux sont des anciens esclaves d'État donnés aux nobles et hauts fonctionnaires comme récompense pour leurs services[107]. Les esclaves d'État sont parfois des prisonniers de guerre; même si tous ces prisonniers ne sont pas réduits en esclavage[108]. La plupart des esclaves d'État sont des tributs donnés à la cour des Han par des États étrangers, les familles des criminels coupables de trahison envers l’État et des anciens esclaves privés qui étaient soit donnés aux autorités par leur ancien maître[109] soit confisqués par l’État si leur maître enfreint une loi[110]. Par contre, que ce soit sous les Han occidentaux ou les Han orientaux, les criminels arrêtés sont condamnés suivant les lois en vigueur mais ne sont jamais réduits en esclavage. Il n'y a que sous le règne de Wang Mang, pendant la brève dynastie Xin, que les faussaires sont réduits en esclavage[108].
Les esclaves d’État travaillent dans les palais, les bureaux, les ateliers, les écuries et parfois dans les propriétés agricoles appartenant à l’État[112]. Par contre, ils ne travaillent pas dans les industries métallurgique et d'extraction du sel, pendant la période ou l'État en a le monopole[113]. Les esclaves privés sont, eux le plus souvent utilisés comme domestiques et parfois comme ouvriers agricoles[112]. Cependant, la grande majorité des agriculteurs non indépendants qui travaillent pour les riches propriétaires terriens ne sont pas des ouvriers salariés ou des esclaves, mais des paysans sans terre, qui payent un loyer en tant que locataire de la terre qu'ils travaillent[114]. Ce choix de préférer louer à des paysans sans terre a peut-être des raisons économiques. En effet, les maîtres d’esclaves sont obligés de payer un impôt par tête de 240 Wuzhu par an et par esclave possédé, ce qui correspond au montant de l'impôt par tête que payent les marchands[115]. Les esclaves privés cantonnés aux tâches domestiques sont habituellement affectés aux cuisines, mais ils peuvent aussi servir de gardes du corps armé, d'escortes montées, d'acrobates, de jongleurs, de danseurs, de chanteurs et de musiciens[116].
Les enfants d'esclaves sont esclaves de naissance, et ceci vaut pour les esclaves d'État comme pour les esclaves privés[117]. Les esclaves d'État peuvent être affranchis par l’empereur s’ils sont jugés trop âgés pour continuer à travailler, si l’empereur a pitié d'eux, ou s’ils accomplissent un acte d'un grand mérite[118]. Le cas le plus exceptionnel est celui de Jin Midi (??? - 86 av. J.-C.), un ancien esclave qui finit par devenir régent de l'empire[119]. Les esclaves privés, eux, peuvent acheter leur liberté à leur maître, ces derniers pouvant également choisir de libérer leurs esclaves[120]. Même si les esclaves peuvent être passés à tabac s’ils n’obéissent pas à leurs maîtres, il est illégal de les tuer. Des rois-vassaux ont été dépouillés de leurs royaumes, après qu’il a été constaté qu’ils avaient assassiné des esclaves, et Wang Mang a même forcé un de ses fils à se suicider a cause du meurtre d’un esclave[121]. Un édit datant de l'an 35 abroge la peine de mort pour tout esclave qui a tué un roturier[122].
Tous les esclaves n'ont pas le même statut social. Certains esclaves qui appartiennent à de riches familles vivent mieux que certains hommes libres de condition modeste, car ils sont autorisés à porter des vêtements luxueux et à consommer le vin et la nourriture de qualité de leurs maitres[122]. Les esclaves des hauts fonctionnaires sont même craints et respectés. Ainsi les esclaves du Régent Huo Guang (??? - 68 av. J.-C.) viennent parfois en armes sur le marché et combattent les roturiers. Un jour, une bagarre éclate entre eux et les esclaves du Secrétaire impérial pour une question de préséance, chaque parti soutenant que l'autre doit lui céder le passage dans la rue. À la fin de la bagarre, les esclaves du Régent forcent le Secrétaire Impérial à faire kowtow[123] devant leur maitre et à s'excuser. Ultime preuve de leur importance, certains fonctionnaires cherchant à avoir une promotion grâce à l’influence de Huo Guang n'hésitent pas à proposer leurs services à ses esclaves[124].
En plus des fonctionnaires, enseignants, commerçants, agriculteurs, artisans et des invités permanents, il y a beaucoup d’autres métiers. Ainsi, être éleveur de porc n’est pas considéré comme une profession humble, si elle est exercée par un érudit pauvre pour payer ses études[125]. À titre d'exemple, le premier chancelier des Han qui obtient ce poste sans avoir d'expérience militaire ou un titre de marquis est un éleveur de porcs nommé Gongsun Hong (公孫弘) qui obtient son poste pendant le règne de l’empereur Han Wudi[125]. Les médecins qui prodiguent des soins et étudient les classiques médicaux peuvent non seulement avoir un revenu convenable, mais également devenir des lettrés et intégrer l'administration[126]. Le médecin Hua Tuo (110–207) s'est vu proposer un poste avec de hautes responsabilités dans l'administration, ce qu'il refuse, tandis qu'un autre est nommé préfet des Gentilshommes du Palais (郎中令)[126].
Ceux qui pratiquent les arts occultes en tant qu'alchimistes ou comme médiums sont souvent employés par le gouvernement pour pratiquer des sacrifices religieux. En de rares occasions, un occultiste, comme Luan Da (??? - 112 av. J.-C.), peut épouser une princesse ou devenir Marquis[127]. Alors qu’il est socialement acceptable pour les lettrés de la noblesse de s’engager dans les arts occultes de la divination et de l'astrologie chinoise, les devins de carrière ont un statut inférieur et leurs revenus sont modestes[128]. Les autres professions de statut inférieur liées à l'occultisme incluent la sorcellerie et la physiognomonie. Tout comme pour les marchands, ceux qui pratiquent la sorcellerie ne peuvent pas entrer dans l’administration