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portrait de l'artiste par lui-même De Wikipédia, l'encyclopédie libre
Un autoportrait est la représentation imagée d'une personne par elle-même : dessin, peinture, gravure, sculpture, écriture et, depuis la seconde moitié du XIXe siècle, photographie.
Bien que la pratique des arts plastiques ait cours depuis les temps les plus reculés, ce n'est qu'en Europe que l'autoportrait est apparu en tant que genre artistique et seulement à partir de la fin du XIVe siècle[1] : d'abord selon le procédé du caméo (insertion du portrait dans des compositions de grands formats) puis, à la fin du XVe siècle, de façon cette fois totalement indépendante.
L'autoportrait émerge essentiellement en raison de deux facteurs. Le premier, d'ordre technique, est le développement de la miroiterie, qui permet à un plus grand nombre d'individus de découvrir l'apparence de leur visage ; le second, de nature anthropologique, concerne le changement de statut social du fabricant d'images qui, d'artisan anonyme et serviteur de l'Église qu'il était, se transforme en quelques années à peine en artiste courtisé par les puissants et qui estime finalement légitime le fait de se représenter soi-même en tant que « sujet » du tableau[2].
On peut donc l'analyser selon deux voies à la fois distinctes et complémentaires :
À la différence de tous les autres genres artistiques, l'autoportrait présente la particularité que celui qui réalise l'œuvre (le « fabricant »), celui qu'elle représente (le sujet) et celui qui en est à l'initiative (le commanditaire) ne sont qu'une seule et même personne. Avec l'apparition des réseaux sociaux et du selfie au début du XXIe siècle, un quatrième « membre » se greffe sur cette trinité : le diffuseur[3].
Plus que tout autre genre, donc, l'autoportrait informe le spectateur de la façon dont vie publique et vie privée interagissent au fil des époques, en même temps qu'il l'interroge sur son statut même et celui de la pratique artistique dans son ensemble. Il constitue par conséquent un matériau précieux non seulement pour les historiens de l'art mais également les psychologues et les sociologues.
Les arts plastiques ont cours depuis les temps les plus reculés mais ce n'est pourtant qu'à partir de la fin du XIVe siècle que l'on peut désigner l'autoportrait comme un genre artistique à proprement parler.
Deux raisons, principalement, expliquent le caractère tardif de cette éclosion :
Caractéristique de la culture occidentale[4], la pratique de l'autoportrait prolonge de peu celle du portrait — là encore en tant que genre — celui-ci étant défini comme la représentation d'un personnage ayant réellement existé (pratique qui était utilisée dans l'Antiquité mais qui avait été abandonnée pendant tout le Moyen Âge ; d'où le terme « Renaissance », associé au XVe siècle).
Enfin, le terme « autoportrait » (écrit « auto-portrait ») n'apparaît pour la première fois qu'en 1928 et concerne la littérature.
Au Moyen Âge, en effet, la société occidentale est entièrement façonnée par le christianisme depuis que celui-ci est devenu religion d'État tout à la fin de l'Empire romain, au IVe siècle, sous l'Empereur Constantin, après que ce dernier s'y est converti. Et pendant une dizaine de siècles, les images qui illustrent les psautiers, mais surtout — plus tard — les vitraux, les mosaïques, les fresques et les retables qui peuplent les églises et les cathédrales ont pour fonction première de raconter des histoires ; plus exactement de rapporter les histoires qui ponctuent le livre de référence par excellence : la Bible. Et malgré divers moments particulièrement critiques, notamment pendant la période de l'iconoclasme, aux VIIIe et IXe siècles, la fonction des images reste inchangée : transmettre le message d'un gros livre à des personnes illettrées. Toutes ces images sont donc des documents, au sens premier du terme (doceo signifie en latin enseigner). Et les artisans qui les réalisent n'ont d'autre préoccupation que de restituer fidèlement (fides signifie foi) le sens des récits bibliques, la question de la ressemblance avec les protagonistes de la Bible ne se posant pas puisque ceux-ci sont morts depuis longtemps. Les images, de façon générale, ont donc une valeur commémorative : toutes renvoient à un passé révolu mais dont chacun ressent le besoin de maintenir présent.
Or différents événements se produisent à la fin du Moyen Âge qui modifient profondément le rapport au temps : la notion de temps présent gagne les mentalités : « l'art » devient « moderne », au sens où le mot latin modernus se traduit par récent ou actuel. Ce processus est complexe et, précisément, s'étale dans le temps. On peut toutefois retenir deux événements marquants, consécutifs et aux effets convergents :
Bien qu'apparemment sans rapport, ces deux événements sont liés car la nouvelle manière de peindre, introduite par Giotto, va connaître un succès profond et durable auprès de la bourgeoisie : elle illustre en effet sa façon de penser. Car, pour pouvoir commercer librement, il importe d'être ouvert sur le monde, quitte à mettre de côté les préoccupations religieuses. Ainsi, lorsqu'il réalise les toutes premières peintures de paysage au XIVe siècle pour le gouvernement de la ville de Sienne, Ambrogio Lorenzetti se base « sur des valeurs civiles, laïques […] et non plus sur les seules valeurs religieuses et ecclésiales. Les médaillons en dessous célèbrent non point la théologie, mais les sciences nouvelles. Ainsi cet homme est non seulement le premier peintre de paysage, mais aussi le fondateur en peinture de la laïcité »[6].
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Ces différents changements s'opèrent dans le cadre d'un processus qualifié de sécularisation : les références à la transcendance (Dieu, l'âme, la religion...) passent peu à peu au second plan par rapport aux considérations matérielles[7].
Subrepticement, les fabricants d'images s'affranchissent de l'autorité ecclésiale, à commencer dans le cadre religieux lui-même, lorsque les architectes des cathédrales y insèrent leurs bustes, tel Peter Parler, vers 1380, dans le triforium de la cathédrale Saint Guy à Prague[8]. C'est également le cas, vers 1398-1399, du fresquiste siennois Cola Petruccioli lorsque, dans la basilique Saint Dominique à Pérouse, il se représente dans un quadrilobe, tenant à la main, ostensiblement, un godet de peinture et un pinceau : une façon de s'identifier clairement comme le « peintre des lieux » ou, tout simplement, « un peintre fier de son activité ».
Ils acquièrent une certaine indépendance intellectuelle et morale, affirment leurs personnalités, leur « moi », éprouvant le sentiment de ce qui les singularise, les différencie d'autrui, les rendent individus[9],[alpha 1]. Alors qu'ils n'étaient jusqu'alors que de simples artisans anonymes au service de l'Église, ils vont devenir des artistes au sens plein du terme, signant leurs œuvres de leurs noms puis, finalement, s'y représentant.
Un effet s'observe alors, [Quoi ?]d'ordre esthétique mais directement lié à la transformation de la société. Au fur et à mesure que la bourgeoisie naissante y prend une part croissante (à force de s'enrichir du commerce et de la banque) et qu'elle prend le relais de l'Église en matière de mécénat, les artistes qui entrent à son service au début du XVe siècle adoptent une esthétique réaliste, en phase directe avec le « monde sensible » et non plus avec celui des idées religieuses. Un siècle plus tôt l'Italien Giotto avait amorcé cette transition, mais il opérait alors de façon empirique ; les artistes du premier Quattrocento, eux, développent de nouvelles techniques durant la décennie 1420, afin d'augmenter le degré de réalisme : le système de la perspective linéaire en Toscane et la peinture à l'huile dans les Flandres.
Toutefois, la représentation de soi ne se fait pas sans transition : que ce soit en Toscane comme dans les Flandres, les peintres de la première moitié du XVe siècle ne développent pas immédiatement l'autoportrait autonome en tant que genre, c'est-à-dire constituant le sujet de l'œuvre à part entière, de façon exclusive, sous le modèle du portrait en buste : lorsqu'ils en viennent à représenter leur visage, c'est en effet d'abord sous la forme d'un détail s'inscrivant dans des tableaux ou des fresques de grand format et racontant des histoires. Cette insertion a la valeur d'une signature, exactement comme certains sculpteurs de fin du siècle précédent inséraient leur buste à un certain endroit de la cathédrale. Cette tradition se perpétuera du reste tout au fil du siècle (et on la retrouvera beaucoup plus tard, dans l'histoire du cinéma, à travers le caméo).
Il est souvent avancé que L'Homme au turban rouge du Flamand Van Eyck, en 1436, constitue le premier autoportrait indépendant (c'est-à-dire pas in assistenza)[10]. L'apparition du portrait indépendant en tant que genre à cette époque, puis dans les années 1480 (Filippino Lippi en Italie, Albrecht Dürer en Allemagne) constitue toutefois l'une des principales caractéristiques de cette mutation de la société qui gagne l'Europe occidentale et que l'on désignera plus tard sous le terme « humanisme ».
L'anthropologue David Le Breton analyse ce processus :
« C'est au XVe siècle que le portrait individuel devient de façon significative une des premières sources d'inspiration de la peinture, renversant en quelques décennies la tendance jusqu'alors bien établie de ne pas représenter la personne humaine sans le recours à une figuration religieuse. À l'essor du christianisme correspond celle de l'homme même. Le portrait n'est pas perçu comme un signe, un regard, mais comme une réalité qui donne prise sur la personne. Dans le haut Moyen Âge, seuls les hauts dignitaires de l'Église ou du Royaume laissent des portraits de leurs personnes (…). (Désormais), le portrait individuel, détaché de toute référence religieuse, prend son essor dans la peinture aussi bien à Florence ou à Venise qu'en Flandre ou en Allemagne. Le portrait devient un tableau à lui seul support d'une mémoire, une célébration personnelle sans autre justification. Le souci du portrait, et donc essentiellement du visage, prendra une importance grandissante au fil des siècles[11] »
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Le philosophe Bernard Legros analyse ce processus d'individuation :
« Bien entendu, des individus se singularisent en toute société humaine. Mais au sein des sociétés fondées sur le principe hiérarchique, dites aristocratiques, la singularisation de chaque individu est généralement occultée : chacun est tenu de se conformer à ce qu'il est, est enclin à se comporter selon des appartenances tenues pour naturelles et essentielles. (…) La singularisation démocratique, en revanche, n'est pas réservée à des êtres qui se distinguent de manière exceptionnelle en mal ou en bien. Elle suggère une fusion de l'universel et du singulier. L'homme moderne prend naissance quand la singularisation apparaît comme révélatrice de l'humain. »[12]
Les artistes acquérant ce nouveau savoir-faire, leurs personnalités ne peuvent être que d'autant plus transformées : pleinement « reconnus » socialement, car sollicités pour leur capacité technique à représenter le monde et autrui de façon réaliste, ils se sentent la légitimité de se représenter eux-mêmes. Ainsi va naître puis se généraliser la pratique de l'autoportrait, son originalité résidant dans le fait que le portraitiste et le portraituré sont une seule et même personne et que, quand bien même l'image peut prendre une apparence réaliste, elle n'en constitue pas moins pour l'artiste un exercice de confrontation à sa propre intériorité.
Du fait de l'élévation de leur statut social, certains artistes se représenteront bientôt non seulement en compagnie de leurs monarques mais devant eux, au premier plan. Ainsi Vasari, dans les années 1560, devant Cosme de Médicis, et plus encore Velasquez, un siècle plus tard dans Les Ménines, reléguant le roi et la reine d'Espagne tout au fond d'une pièce, minuscules et vaguement perceptibles dans un petit miroir.
La pratique de l'autoportrait évolue considérablement au fur et à mesure que la société se démocratise et que la figure de l'individu s'affirme :
La grande majorité des autoportraits sont réalisés sur le même modèle : cadrage en buste (visage, cou et épaules), comme le sera plus tard le modèle de la photographie d'identité ; détachement de la figure sur un fond neutre (monochrome ou décor épuré) ; positionnement de l'artiste de trois quarts, traduisant le partage entre le miroir (son regard) et sa toile (son corps), autrement dit entre lui-même et l'autre.
Toutefois, un certain nombre d'artistes adoptent très tôt des modalités singulières, se démarquant de ce stéréotype, soit dans le cadre d'une démarche introspective (c'est en particulier le cas de Rembrandt et Van Gogh), soit en vue d'aiguiser les qualités réflexives du spectateur et entamer une sorte de dialogue avec lui (par exemple chez Giorgio de Chirico, Dick Ket ou Felix Nussbaum) ; la ligne de démarcation entre ces deux types de postures étant souvent difficile à établir, un grand nombre d'artistes s'engageant en effet simultanément dans ces deux voies.
Comme pour le portrait, la typologie de l'autoportrait peut s'établir sur au moins deux types de polarités :
Cette double polarité s'opère toutefois de façon plus complexe que dans le portrait, dans la mesure où le modèle et le portraitiste ne font qu'une seule personne, présentant cependant de multiples « visages ». C'est pourquoi, partant des multiples choix possibles quant au sujet de l'œuvre, la typologie retenue ci-dessous pour aborder l'autoportrait est fondée sur la seconde polarité (mise en scène ou dévoilement du sujet/ mise en forme de l'œuvre) ; étant entendu que, pour mieux cerner l'œuvre au-delà de l'analyse rationnelle des paramètres, l'approche intuitive de l'œuvre par l'amateur est nécessaire[15].
La manière pour l'artiste d'aborder l'autoportrait — représentation d'une personne par elle-même — a beaucoup évolué au cours des siècles. À chaque époque correspond une approche de la question de la personne, du moi, et cette approche est déterminante dans la conception de l'œuvre. Pascal Bonafoux, historien de l'art, affirme ainsi que « L'autoportrait est le signe de la conscience que l'homme a de lui-même »[17].
Avec l'apparition de l'individu à partir de la Renaissance, l'autoportrait est une image de ce qui est vu par la société (le moi social) : le visage n'étant pas visible directement, c'est l'image dans le miroir qui sert de modèle. L'autoportrait montre alors l'apparence physique du peintre (avec ses émotions). Il y a croyance en l'identité de l'artiste et de son portrait peint[18].
Cependant, une représentation ne peut faire apparaître qu'une infime partie de ce qu'est l’artiste, à un moment donné seulement. Et, alors que Rimbaud écrit : « Je est un autre », le moi est remis en question par les intellectuels, par exemple à Vienne autour de 1900 : un moi destitué par Freud et qui a même été jugé « insauvable » par le cercle de Vienne. S'ensuivra une recherche éperdue de l'identité dans l'autoportrait : le XXe siècle « aura été habité par son impuissance à ressaisir l'identité du moi dans le portrait » : pour Jean Clair, critique et historien d'art, dans son livre « Autoportrait sans visage », l'autoportrait d’E. Mach, qu'il appelle « Autoportrait sans miroir » ou « Autoportrait du moi », symbolise la difficulté de la représentation du visage, et de la représentation en général, au XXe siècle[16]. « Ainsi surgissent les chairs violacées, moisies, mutilées de Bacon ou les figures sorties de la nuit et du brouillard de Zoran Muzic. » Un Zoran Music qui confie, par ailleurs : « Quand je peins un autoportrait, je ne le peins pas grâce à un miroir, mais il naît du centre. Je me connais depuis mon centre. Si je me mettais en face d'un miroir, je ne copierais que le masque de moi-même. »[19]
L'artiste étant son propre modèle, il peut prendre un soin particulier à se mettre en scène (pour se valoriser par exemple), il peut aussi se dévoiler.
La posture qui revient le plus souvent dans l'autoportrait est celle initiée par van Eyck en 1434 avec son portrait L'Homme au turban rouge (souvent considéré d'ailleurs comme un autoportrait) : représentation en buste (visage, cou, épaules), le corps montré de trois quarts (car l'artiste se tourne vers son œuvre) mais le regard (et parfois tout le visage) faisant face, (car le peintre s'observe dans un miroir et, par conséquent, donne l'impression que sa représentation regarde le spectateur). Toutefois, au fil du temps, l'artiste va adopter de nouvelles postures, plus singulières, pour exprimer des aspects plus subtils de sa personnalité.
Durant la première moitié du XVIIe siècle, alors que le thème de l'artiste dans son atelier est déjà éprouvé, on observe dans les Pays-Bas une certaine tendance à la décontraction : Judith Leyster, par exemple, se montre faisant volte-face, comme si elle interrompait son travail pour converser avec le spectateur. À la même époque, Artemisia Gentileschi apparait en revanche complètement absorbée, se détournant du spectateur, le corps entièrement tendu vers un tableau qu'elle est en train de réaliser. Au XVIIIe siècle, quand la pratique théâtrale est répandue, Joseph Ducreux se représente à de nombreuses reprises grimé, déguisé et affichant différentes gestuelles et mimiques, comme le ferait un acteur.
À la fin du siècle des Lumières apparaissent les premiers signes du romantisme et la figure de l'artiste en tant qu'homme entièrement absorbé par son inspiration. La théâtralisation atteint son sommet : l'anglais Füssli regarde fixement le spectateur tout en marquant sa différence avec lui du fait qu'il est couché sur sa table de travail (dessin réalisé vers 1777-1778 ; National Gallery, Londres). Louis Janmot, quant à lui, se montre debout, faisant directement face au spectateur et le toisant comme le ferait un opposant en duel. À l'inverse, quand, à la fin du XIXe siècle, se répandent les peintures naturalistes et que les artistes traitent du thème de la vie quotidienne, certains adoptent à nouveau des positions décontractées en vue d'établir avec le spectateur un certain climat d'intimité. C'est notamment le cas de James Tissot.
Au début du XXe siècle, alors que la montée des nationalismes annonce la Première Guerre mondiale et que le psychanalyste Sigmund Freud entend analyser les côtés obscurs de la personnalité, son compatriote Egon Schiele adopte des attitudes provocatrices, parfois ouvertement obscènes.
Autres œuvres remarquables :
À la fin du XVe siècle, Léonard de Vinci amorce avec sa série de dessins de Grotesques les premières recherches en physiognomonie, lesquelles se poursuivront jusqu'à l'époque du classicisme, notamment avec les travaux de Charles Le Brun[20],[21].
Dès le début du siècle suivant se répand le désir de traduire les « passions de l'âme » en peinture, notamment chez Giorgione (Double portrait, vers 1502-1510, Rome) et Lotto (Portrait de jeune homme à la lampe, vers 1506-08, Vienne) [22]. Toutefois, à cette époque les autoportraits typés sont encore assez rares, comme celui de Giorgione en David, tout en tension (v. 1509-1510, Brunswick) ou celui de Vinci, en vieux et sage patriarche (1512, Turin).
Ce n'est en effet qu'au XVIIe siècle que les artistes affichent des expressions marquées dans leurs autoportraits : inclinaison de la tête, mimiques, intensité du regard… Certains, dans le sillage de Le Brun et de l'Académie, jouent sur ces effets sans autre but que de prouver une certaine virtuosité. Mais d'autres s'en servent dans l'optique d'une démarche clairement introspective, le premier d'entre eux étant Rembrandt, auteur de près d'une centaine d'autoportraits peints, dessinés ou gravés[23].
On retrouve l'« autoportrait psychologique » durant les siècles qui suivent, les artistes y dégageant toute une gamme de sentiments, tantôt authentiques (comme Füssli[Lequel ?] ou Friedrich), voire très intimes (comme chez Egon Schiele), tantôt au contraire simulés (comme chez Courbet, friand de représentation théâtrale), voire forcés : l'éclat de rire qu'affiche Richard Gerstl dans son autoportrait de 1908 n'empêchera pas l'artiste de se suicider quelques mois plus tard.
La question de l'expressivité des visages passionne les artistes, notamment le sculpteur germano-autrichien Franz Xaver Messerschmidt, devenu célèbre pour ses soixante-neuf « têtes de caractère » réalisées à la fin du XVIIIe siècle (époque à laquelle Lavater publie ses thèses sur la physiognomonie) et parfois présentées comme des autoportraits[24]. Toutefois, malgré cet intérêt pour la physiognomonie qui ne faiblit pas au XIXe siècle (cf. les cinq portraits de fous réalisés par Géricault aux alentours de 1820), relativement peu d'artistes l'expérimentent sur eux-mêmes, à l'exception notable de Courbet, y compris à la fin du siècle malgré le succès des écrits du criminologue Cesare Lombroso) en matière de physiognomonie.
Il faut cependant souligner les visages hautement expressifs d'Egon Schiele au début du XXe siècle, puis ceux de Felix Nussbaum un peu plus tard, ainsi que l'ultime autoportrait de Picasso, Autoportrait face à la mort[25] peint en 1972, moins d'un an avant sa mort : le visage occupe la quasi intégralité du cadre, les yeux sont exorbités et la faible référence à l'apparence ne diminue en rien la force d'expressivité, tout au contraire[26].
Autres œuvres remarquables :
Les objets les plus souvent insérés dans les autoportraits sont les pinceaux et palettes, dans les mains des artistes. Mais d'autres objets apparaissent au fil du temps et leur présence ne se justifie pas alors de la même manière.
Au XVe siècle, ils ont essentiellement une valeur symbolique. Ainsi l'Autoportrait au chardon de Dürer, en 1493, fait référence à la couronne d'épines du Christ[27].
À partir du XVIIe siècle, les objets sont plus nombreux et variés. Ils ont alors plusieurs significations possibles. Ils peuvent renvoyer à un loisir de l'artiste (exemple : Artemisia Gentileschi se représentant en train de jouer du luth) mais également attester de l'importance qui leur est conférée à leur époque, plus matérialiste. Cela correspond au moment où la nature morte se répand en tant que genre. Et quand les vanités apparaissent dans les Pays-Bas, plusieurs peintres, tels David Bailly, se représentent au milieu de toute une quantité d'objets dans le but non dissimulé de démontrer leur virtuosité.
Au XVIIIe siècle, la présence d'un buste d'une célébrité confère à certains artistes une certaine solennité. Ainsi, quand Joshua Reynolds, premier président de la Royal Academy, utilisant la manière de Rembrandt et sur le modèle de son Aristote contemplant le buste d'Homère (1653), se représente vers 1780 en compagnie d'un buste de Michel-Ange.
Au XIXe siècle, la société rompt avec l'idéal aristocratique et se démocratise, mais la grande majorité des intellectuels et les artistes se considèrent comme les instigateurs de l'histoire, le romantisme étant la meilleure illustration de cette enflure de l'ego[réf. nécessaire]. Même si les scènes de la vie quotidienne sont l'objet d'un grand nombre d'œuvres durant la seconde moitié du siècle, les autoportraitistes restent assez focalisés sur la représentation de leurs personnes, à l'exclusion des décors et accessoires.
Il faut attendre le XXe siècle pour que les artistes soient plus nombreux à s'entourer d'objets du quotidien, comme s'ils se trouvaient là par hasard, ce qui confère alors à leurs autoportraits une impression de naturel et d'instantané. Ainsi, quand Zinaïda Serebriakova se représente en train de se coiffer, en 1909, et qu'elle montre tout son nécessaire de toilette au premier plan.
Il arrive toutefois que les objets prennent à nouveau une dimension symbolique ou métaphorique. Exemples : Lovis Corinth s'affichant en compagnie d'un squelette de laboratoire sur fond de paysage urbain, pour exprimer son sentiment quant à la place de la mort dans les sociétés « modernes » ; Georg Scholz devant une concession automobile, à l'époque où les véhicules à moteur ne cessent de peupler les paysages urbains ou encore Tamara de Lempicka paradant au volant de sa Bugatti.
Autres œuvres remarquables :
La norme en matière d'autoportrait est que l'artiste se représente seul sur son tableau, mais il arrive toutefois fréquemment qu'il se montre en compagnie. On observe alors plusieurs cas, le plus fréquent étant celui du cadre familial (présence du conjoint, d'un enfant, voire de toute la famille). Vient ensuite le cas de la présence d'un ami ou d'une personne servant habituellement de modèle au peintre… Celui-ci peut se montrer également au milieu d'un groupe plus ou moins nombreux.
C'est du reste ainsi qu'en Italie, au XVe siècle, l'autoportrait prend son essor (exemples : Benozzo Gozzoli, qui place son visage dans un groupe de cavaliers sur la fresque L'Adoration des mages, en 1459 ; Filippino Lippi, qui glisse le sien à l'extrême droite de sa grande fresque La Dispute avec Simon Le Magicien en 1481 ; ou encore, vingt ans plus tard Luca Signorelli, debout à l'extrême gauche et au premier plan de L'Apparition de l'Antéchrist). On les distingue des autres personnages au fait que leurs regards sont dirigés vers le spectateur.
À la même époque, dans les Flandres, Rogier van der Weyden puis Dirk Bouts, se représentent successivement en compagnie de la Vierge Marie, vus de plain-pied dans le rôle de saint Luc dessinant son portrait, leurs visages en revanche dirigés vers elle.
Autres œuvres remarquables :
Il arrive également parfois que des artistes se représentent « en compagnie d'eux-mêmes », c'est-à-dire deux ou plusieurs fois sur une même image.
Autres œuvres remarquables :
Faire son propre portrait, c'est exposer l'image de son corps au regard d'autrui. Dans la majorité des cas, la tenue vestimentaire choisie est neutre. On rencontre toutefois deux cas extrêmes :
- celui où l'artiste se représente nu ou très légèrement vêtu à différentes fins, notamment dans le but de faire partager son intimité, quitte à dévier alors vers un certain exhibitionnisme ;
- celui, au contraire, où les habits prennent plus d'importance que le visage, comme si l'artiste voulait mettre l'accent sur son statut social.
Ces deux voies ne sont pas antinomiques et certains artistes, tels Lovis Corinth ou Avigdor Arikha, se sont engagés dans l'une et l'autre.
Les motivations de l'artiste à se montrer nu sont multiples, à commencer chez Dürer, précurseur dans le genre. Durant les années 1500, dans un dessin resté inachevé, il se représente à mi-jambes le corps légèrement courbé et le regard fixé vers spectateur. Il met alors l'accent sur les effets de la lumière sur son anatomie, « sacrifiant l'imitation de la réalité à la volonté d'équilibrer les volumes, par exemple en rehaussant de blanc son épaule droite, la plus proche du spectateur, qu'il aurait dû plonger dans l'ombre[28] ». Vers 1522, âgé de 50 ans, c'est cette fois dans une visée expressionniste qu'il réalise son Autoportrait en homme de douleurs, s'identifiant au Christ tenant dans ses mains les instruments de son supplice.
Alors que le thème du nu est grandement éprouvé depuis les origines de l'art, sa pratique dans l'autoportrait est complètement délaissée après Dürer pendant quatre siècles : tout au plus, au début du XIXe siècle, le peintre nazaréen Victor Emil Janssen se représente-t-il une fois torse nu, à l'œuvre devant son chevalet, dans une visée intimiste. Mais il revient en force durant la première moitié du XXe siècle. Tout d'abord chez l'Allemande Paula Modersohn-Becker, durant son dernier séjour parisien, lorsqu'elle témoigne de son plaisir d'être enceinte, en 1906 (elle décèdera hélas l'année suivante, trois semaines après l'accouchement).
À la même époque, son compatriote Lovis Corinth se dévoile lui aussi torse nu. Son intérêt pour la chair traverse toute son œuvre[29] et, cinq ans plus tôt, dans son Autoportrait au verre de champagne avec son épouse, il a particulièrement révélé son caractère débonnaire. Dans l'Autoportrait au verre, il souligne le caractère imposant et charpenté de sa stature, le buste occupant près de la moitié de la surface du tableau.
Toujours à la même époque, les Autrichiens Richard Gerstl et Egon Schiele se peignent entièrement nus, parfois dans des postures provocantes, voire obscènes, pour exprimer leur rapport complexe à la sexualité et plus globalement à l'existence. Ils meurent respectivement à 25 et 28 ans, Gerstl se suicidant par pendaison devant un miroir, quelques mois après son autoportrait nu.
L'Allemande Anita Rée est elle aussi à l'origine de plusieurs autoportraits. D'origine juive et d'une sensibilité fragile, elle supporte très mal la montée du nazisme dans son pays. En 1929, sa nudité exprime son sentiment de fragilité et d'impuissance, un bras barre pudiquement sa poitrine tandis que l'autre, telle une béquille, soutient la tête, le regard traduit son effarement. Désespérée, l'artiste mettra fin à ses jours quatre ans plus tard, quand les nazis accèderont au pouvoir.
Plus tard au cours du siècle, deux peintres britanniques très influents, Stanley Spencer et Lucian Freud, se représentent nus, recourant alors l'un et l'autre à une facture très empâtée, pour mieux indiquer l'aspect physique, charnel, du corps. C'est au contraire un nu très pudique et distant que le péruvien Herman Braun-Vega fait de son couple[30]. Au premier plan le couple est habillé et derrière, posé sur un chevalet, se trouve le tableau en gestation du couple nu[31]. Par cette mise en abîme, le nu reste en quelque sorte virtuel, une « fiction picturale »[32].
Au début du siècle suivant, le britannique Jenny Saville joue sur les disproportions et opte pour des très grands formats afin d'exprimer sa propre obésité de façon totalement assumée et ainsi témoigner un regard critique sur les canons esthétiques. Dans un but analogue, la féministe israélienne Ora Ruven convoque l'histoire de l'art pour afficher une comparaison entre sa morphologie et celle de la Vénus de Botticelli.
Autres œuvres remarquables :
Certains artistes prennent un soin particulier, dans leurs autoportraits, à leur tenue vestimentaire au point que le spectateur peut considérer qu'ils leur accordent plus d'importance qu'à leurs visages.
Dès lors en effet qu'au fil du temps le statut de l'artiste s'élève en termes de respectabilité (Michel-Ange, premier président de l'Académie du dessin de Florence, en 1566 ; Charles Le Brun, premier directeur de l'Académie royale de peinture et de sculpture en 1648 ; Joshua Reynolds, premier président de la Royal Academy of Arts en 1768…), un grand nombre d'artistes utilisent l'autoportrait pour valoriser leur propre statut social. Pour ce faire, ils utilisent différents artifices de mise en scène (postures, décors…), la tenue vestimentaire en faisant partie.
Pendant les conflits armés, le port de l'uniforme témoigne de l'engagement des artistes et c'est alors le décor, la posture des corps, la facture (réaliste ou expressionniste)… qui indiquent si celui-ci est douloureusement subi (Otto Dix en 1914) ou au contraire fièrement assumé (William Orpen en 1917, Rex Whistler en 1940…).
Autres œuvres remarquables :
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Jusqu'à l'apparition des impressionnistes, à la fin du XIXe siècle (lorsqu'ils se déplacent en extérieur et vont peindre sur le motif), les œuvres se font en atelier. Mais durant les trois siècles qui précèdent, il arrive que des artistes usent d'un artifice pour donner "du naturel" à leurs portraits et autoportraits : disposer un paysage de campagne en arrière-plan.
Ces mises en scène sont d'autant plus construites que les artistes optent pour une esthétique résolument réaliste. Cette situation perdure jusqu'au Moi-même, portrait paysage du Douanier Rousseau, en 1890.
À l'inverse, lorsqu'à la fin de sa vie, en 1903, Camille Pissarro, spécialiste de la peinture de paysage, fait son autoportrait dans son domicile parisien, la fenêtre en arrière-plan laisse apparaître un décor urbain : les immeubles haussmanniens.
Autres œuvres remarquables :
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On associe généralement l'autoportrait à une entreprise d'autopromotion. Il est pourtant des situations, tout au long de l'histoire de l'art, où les artistes — pour des raisons diverses — ne tiennent pas spécialement à mettre leur personne en valeur, bien au contraire. Ils apparaissent alors sous la forme d'un petit personnage, au milieu ou au fond d'une pièce (Rembrandt, 1627) ; Rosa, v. 1835), d'une forme floue et imprécise (Boccioni, 1910), d'un personnage vu de dos (Longhi, v. 1745), d'une silhouette en ombre chinoise (Spilliaert, 1907), d'un visage se reflétant dans le miroir d'une pièce à la manière d'un photographe se prenant accidentellement en photo (Braun-Vega, La Celestina d'après Goya, 1987)[33] ou encore — à partir du XXe siècle — d'une représentation s'écartant radicalement des codes de la figuration réaliste (Gris, 1912 ; Seiwert, 1928). À partir de 1969, l'Allemand Georg Baselitz va même jusqu'à disposer ses personnages la tête en bas.
L'exemple le plus célèbre est un tableau dont on n'est du reste absolument pas certain qu'il s'agisse d'un autoportrait, l'artiste ne le précisant nulle part : L'Art de la peinture de Vermeer, vers 1666.
Autres œuvres remarquables :
Omar Calabrese estime que « l'art contemporain mettant en doute la valeur de la figuration et de la ressemblance, il n'est plus du tout concerné par la question de l'autoportrait […] : on en est arrivé progressivement à sa négation »[34]. Selon lui, cependant, certaines œuvres récentes peuvent être interprétées comme des équivalents de l'autoportrait. Le sémiologue avance alors l'idée que les raisons de ce retournement radical doivent être recherchées dans les origines même de la figuration réaliste, au XVe siècle, et dans son évolution durant les siècles suivants.
Quand en 1434, dans le portrait des Époux Arnolfini, Van Eyck laissait apparaître sa minuscule silhouette sur le miroir fixé au fond de la pièce, il témoignait sa présence avec une certaine humilité. Usant de leur maîtrise dans la peinture à l'huile, les Flamands ont par la suite dominé tout l'art européen dans la maîtrise du détail[35]. Mais le procédé qui était une marque de discrétion chez Van Eyck doit être désormais interprété comme un signe de vanité. Quand, très exactement deux siècles plus tard, en 1634, Pieter Claesz manifeste sa présence dans une sphère métallique parmi d'autres objets, également peints en trompe-l'œil, c'est essentiellement dans le but de faire la démonstration de sa maîtrise technique. Si bien que lorsque les vanités en tant que genre se généralisent ensuite, il est permis d'y voir des autoportraits virtuels. Ainsi, quand Anne Vallayer-Coster peint son tableau Les attributs des arts, en 1769, elle y insère le buste d'une femme dans lequel le philosophe Christophe Genin voit plus tard « un autoportrait voilé »[36].
Entretemps, au début du XVIe siècle à Rome, Michel-Ange a recouvert d'images le plafond et les murs de la chapelle Sixtine. Et à la différence des fresquistes italiens du siècle précédent, il n'y a pas inséré les traits de son visage sous la forme d'un caméo mais d'un cryptoportrait[37]. Recourant au procédé de l'anamorphose, et d'après ce qu'indiquent ses propres écrits, il a réalisé son autoportrait sous les traits de l'apôtre Barthélémy, dont la légende rapporte qu'il a été écorché vif. Si l'artiste procède ainsi, seule une approche biographique permet d'en comprendre la raison. Dans ses Lettres, il précise en effet qu'au personnage persécuteur il a donné les traits de l'écrivain Pierre L'Arétin parce que celui-ci s'étant permis de critiquer vivement son travail, il s'était senti « écorché vif »[38].
À partir de la fin du XVIIIe siècle, quand se multiplient les salons et que s'ouvrent les premiers musées, les artistes ne créent plus en fonction de leur seule authenticité mais également de leur renommée ou du désir de reconnaissance auprès d'un public toujours plus large. Il arrive alors qu'ils se citent eux-mêmes dans certaines œuvres en faisant référence à des œuvres passées. Ainsi, quand en 1868 Édouard Manet exécute le portrait de son ami écrivain Émile Zola, il insère, affiché sur un mur, une reproduction en noir et blanc de l'un de ses plus célèbres tableaux, l'Olympia, qu'il avait exposé cinq ans plus tôt au Salon, et qui avait alors provoqué un scandale retentissant. De la sorte, il crée un « autoportrait implicite »[39].
L'autoportrait ne se définit plus alors par la ressemblance à l'artiste ni même sa présence physique mais par l'interprétation de ses motivations par le spectateur, en fonction de ce que celui-ci sait de sa vie[40].
Prenant l'exemple de La Chambre de Van Gogh à Arles, dont il existe trois versions, Calabrese souligne le fait qu'avec l'émergence de l'art moderne, « le regardeur fait le tableau ». Du moins le regardeur averti, cultivé, qui sait en l'occurrence que Van Gogh a réalisé un grand nombre d'autoportraits en quatre ans et que, lorsqu'il représente sa chambre vide, lui-même (spectateur) peut interpréter le tableau comme un autoportrait par défaut. Calabrese assimile alors le procédé à une figure linguistique : l'idiolecte[41].
Il souligne également qu'un grand nombre d'artistes intitulent « autoportrait » des œuvres ne dénotant aucune ressemblance avec leurs visages, ni même la moindre référence au réel objectif, ceci dans le but de suggérer leur présence aux spectateurs sans avoir à la leur révéler (« re-présenter ») explicitement : Kasimir Malevitch, Man Ray, Joan Miro… puis, plus tard, Roy Lichtenstein ou Daniel Spoerri.
Autres exemples d'œuvres s'inscrivant dans cette démarche d'effacement :
Comme n'importe quel autre sujet en arts plastiques, un artiste peut réaliser son autoportrait en utilisant différents médiums et supports, en choisissant différents formats et en recourant à différents procédés (cadrage, composition, angle de vue…). Le choix de ces différents composants permet de déceler ses intentions mais également révéler des significations auxquelles il n'avait pas forcément pensé lors de la conception et la réalisation de l'œuvre.
Le dessin (crayon et fusain), la gravure et surtout la peinture (gouache, tempera, acrylique et huile) sont les médiums les plus souvent utilisés. La sculpture (pierre, marbre, bois, métal ou matériaux de synthèse) l'est beaucoup plus rarement. À partir du XIXe siècle, la photographie devient un nouveau médium mais, du fait de son caractère plus immédiat, instantané, elle est généralement située comme un genre à part, en regard des techniques obligeant les artistes à une certaine ascèse.
Le cadrage indique la place que prend le sujet entre les quatre bords de l'image et, par voie de conséquence, la façon dont il se considère au moment où il œuvre et dont il souhaite que le spectateur le considère : se mettre plus ou moins en valeur ou au contraire rester plus ou moins discret.
En matière de portrait et d'autoportrait, le cadrage est défini par la proportion qu'occupe le visage (partie essentielle du corps) dans le champ de l'image. Un peintre peut donc décider de se représenter en entier mais apparaissant comme un simple détail dans le tableau ou au contraire montrer son visage ou une partie de son visage en très gros plan. Entre ces deux extrêmes, il existe toute une variété de cadrages.
Autres œuvres remarquables :
Dans la majorité des cas, les artistes se représentent de sorte que le spectateur les perçoit comme s'ils étaient à côté d'eux (vue latérale). Mais il arrive qu'ils se montrent en contre-plongée (lorsque le miroir dans lequel ils s'observent est posé sur le sol) ou, au contraire — fait plus rare — en vue plongeante.
Autres œuvres remarquables :
Autres œuvres remarquables (grands formats) :
Autres œuvres remarquables :
Depuis le Traité de la Peinture d'Alberti, il est commun de considérer la peinture comme la métaphore d'une fenêtre ouverte sur le monde, du moins d'engager des réflexions sur le statut de l'image et sur les rapports entre le réel et ses représentations. Des artistes se plaisent alors non seulement à faire leurs autoportraits mais à représenter ceux-ci dans des tableaux (ou des fresques) de plus grandes tailles, principe des poupées russes. Ils opèrent ce procédé de diverses manières :
Du caméo au portrait autonome
Au tout début du XVIe siècle, en Italie, la pratique de l'autoportrait en caméo n'a pas totalement disparue et celle de l'autoportrait autonome n'a pas encore vraiment émergé.
Deux peintres, Pinturicchio et Pérugin, instaurent alors une catégorie intermédiaire : l'insertion d'un portrait autonome, représenté en trompe-l'œil, cadre compris, et inséré en périphérie immédiate de grandes fresques murales dont ils sont les auteurs et ayant par conséquent — comme les caméos — valeur de signatures.
En 1500, Pinturicchio peint une série de fresques dans la chapelle Baglioni de la Collegiata Santa Maria Maggiore, à Spello, en Ombrie. Sur la paroi de gauche est représentée une Annonciation. Dans l'angle droit figure en trompe-l'œil l'autoportrait du peintre surmontant un cartellino portant un texte, une signature complétée d'éléments décoratifs composant une vanité.
L'image dans l'image
Autres œuvres remarquables :
Le réel, le reflet et l'image
Autres œuvres remarquables :
Le miroir constitue l'instrument de référence par excellence en matière d'autoportrait. D'un point de vue pratique, il constitue pour l'artiste une source permanente d'interrogations. D'une part, en effet, il renvoie une image inversée du réel, ce qui pose un problème de latéralisation (l'artiste est ainsi conduit, par exemple, à représenter sa main gauche sur la partie droite du tableau) ; d'autre part, les premiers miroirs dont il dispose sont convexes, c'est-à-dire que l'image qu'ils renvoient est déformée (principe de l'anamorphose).
Les réponses apportées par l'artiste varient entre deux pôles : soit faire abstraction de ces données, soit les révéler au spectateur en représentant le miroir lui-même, voire — cas extrême — en se représentant soi-même en train de peindre, ainsi que le miroir que l'on utilise et le tableau en cours de réalisation. À cet égard, le tableau de Johannes Gumpp, peint en 1646, constitue un document de portée pédagogique : au spectateur de son temps, Gumpp indique comment on fait un autoportrait, sachant que se représenter de dos est forcément une abstraction ; au spectateur d'aujourd'hui, Gumpp indique que c'est à son époque, le XVIIe siècle, que ces questions ont véritablement été conscientisées.
Miroir convexe
La distance de l'artiste au miroir est déterminante : s'il en est éloigné, son autoportrait se réduira à l'indication d'une minuscule silhouette perdue au milieu d'un tableau, comme on le constate par exemple durant les années 1430 dans les tableaux des Flamands Van Eyck et Campin ; s'il en est rapproché, comme c'est le cas de l'autoportrait du jeune Parmesan, le résultat donne un gros plan, la déformation de l'espace apparaissant encore plus sur la périphérie de l'image. Le tableau du Parmesan est circulaire et son diamètre est de 24 cm… probablement la taille du miroir utilisé : le recours à l'échelle 1 lui permettant de réduire la difficulté.
Quand l'usage des miroirs se répandra, certains artistes continueront d'utiliser des miroirs convexes, leurs œuvres s'inscrivant alors au registre des curiosités (voir Cabinet de curiosités), la motivation de l'artiste se réduisant alors à prouver son niveau de virtuosité au spectateur.
Autres œuvres remarquables :
Miroir plat
Autres œuvres remarquables :
Autres œuvres remarquables :
La démocratisation de l'usage de la photographie, à la fin du XIXe siècle, a provoqué la naissance des avant-gardes : après l'impressionnisme, le fauvisme, le cubisme et l'expressionnisme (au début du XXe siècle) remettent en question la suprématie de la figuration réaliste, jugée alors trop mimétique et insuffisamment expressive de l'intériorité.
Autres œuvres remarquables :
L'autoportrait en tant que genre est apparu à la fin du XIVe siècle et il s'agit d'une spécificité de l'art occidental. La raison en est que la conception du monde dominante, dans cette région du globe, est à cette époque en pleine mutation. Pour en comprendre la raison, un bref retour en arrière est nécessaire.
Au IVe siècle, sous l'Empereur Constantin, le christianisme est devenu une religion d'État et son siège est à Rome. Pendant toute une dizaine de siècles, cette religion a imprimé sa marque dans l'ensemble de l'Europe de l'Ouest. Et comme les populations étaient en majorité illettrées, les dignitaires de l'Église ont utilisé les images pour diffuser le message biblique : les fresques et les vitraux n'ont pas été conçus pour décorer les églises et les cathédrales mais pour y servir de supports pédagogiques : ce sont littéralement des documents, au sens du mot latin doceo, enseigner.
À la fin du Moyen Âge, l'Église a progressivement cessé d'exercer le leadership en matière de diffusion de la pensée. D'une part le pouvoir temporel a pris de l'ascendant, d'autre part, compte tenu d'une forte poussée démographique, le commerce s'est développé de façon considérable et ceux qui s'y sont consacrés se sont non seulement enrichis, mais ils se sont servis d'une bonne partie de leurs richesses pour soutenir financièrement à la fois l'Église et les princes. Concentrés dans les villes (bourgs), les commerçants et les banquiers ont fini par se constituer en classe sociale extrêmement influente, la bourgeoisie. L'église elle-même s'est ouverte au monde matériel, au XIIIe siècle, sous l'impulsion de personnalités diverses, telles que François d'Assise ou Thomas d'Aquin et l'histoire des idées a pris un nouveau départ avec l'apparition des premiers intellectuels, tels que Dante Alighieri, capables d'élaborer des récits plus ou moins indépendamment des considérations religieuses. Cette vaste mutation est communément appelée humanisme.
Pour faire commerce, la bourgeoisie s'est référée non plus à des considérations d'ordre théologique mais a fait preuve de pragmatisme et de réalisme. C'est ainsi que les artisans qui réalisaient les images pour le compte de l'Église ont peu à peu créé un type d'expression : le « réalisme ». Au XIVe siècle, un nouveau langage pictural est né, en grande partie sous l'impulsion du Florentin Giotto, reposant sur le principe de l'imitation du monde réel et les moyens théoriques à mettre en œuvre pour rendre compte de sa tridimensionnalité sur un support-plan, par définition bidimensionnel : une observation attentive de la lumière sur les volumes et un certain sens (empirique) de la perspective.
Jusqu’à la fin du XIXe siècle et le développement de la photographie, ce réalisme constituera une norme quasiment indépassable, les « styles » ne changeant en définitive que superficiellement. Et l'art narratif, jusqu'alors d’inspiration exclusivement religieuse (représentation de scènes bibliques) prendra de plus en plus des accents profanes, devenant alors « peinture d’histoire », tandis que de nouveaux genres émergeront : le paysage, la nature morte et surtout, en premier lieu, le portrait. L'autoportrait fera son apparition dès la fin du XIVe siècle, quand les portraitistes se seront suffisamment élevés dans l'échelle sociale pour oser se représenter.
La plupart des historiens s'accordent à penser que l'autoportrait en tant que genre fait son éclosion dans la sculpture de la seconde moitié du XIVe siècle : « il est couramment admis, par exemple, que la figure encapuchonnée placée à l'extrême-droite du bas-relief des Funérailles de la Vierge, sur le tabernacle d'Orsanmichele à Florence, vers 1359, est un autoportrait d'Andrea di Cione Arcangelo, dit l'Orcagna. »[42]
Le procédé consiste à insérer l'image de son visage parmi d'autres, dans des œuvres racontant des épisodes de la Bible[43].
Dans les années 1370, le sculpteur et architecte souabe Peter Parler place son propre buste dans le triforium de la cathédrale de Prague, parmi les vingt-quatre bustes des bienfaiteurs associés à la construction de l'édifice.
Au début du XVe siècle, tant en Italie que dans les Flandres, les peintres glissent leurs visages dans des œuvres les mettant en présence d'un ou d'autres personnages, sans que cela soit totalement attesté par eux-mêmes.
Un des premiers artistes à se mettre en scène dans l'une de ses œuvres est Benozzo Gozzoli, s'avançant parmi la foule, coiffé d'un bonnet sur lequel son nom est inscrit, dans la fresque de l'Adoration des mages (Chapelle des mages, 1459, à Florence).
Le procédé est couramment repris ensuite. C'est ainsi que Piero della Francesca se représente en soldat endormi dans sa Résurrection (vers 1463-1465, Sansepolcro) et Sandro Botticelli, se tourne vers le spectateur, dans une autre Adoration des mages en 1475.
Fra Filippo Lippi apparaît dans le cycle de fresques des Scènes de la vie de la Vierge (cathédrale de Spolète, entre 1467 et 1469), ainsi que son fils Filippino Lippi dans La Dispute avec Simon le magicien de la chapelle Brancacci de Santa Maria del Carmine (1471-1472), à l'achèvement de laquelle il participe.
De même enfin Domenico Ghirlandaio insère son visage parmi d'autres dans son Adoration des mages, à la fin des années 1880.
L'Homme au turban rouge de Jan Van Eyck, s'il est bien un autoportrait, serait le premier autoportrait autonome de l'histoire.
À la fin du XVe siècle, l'Allemand Albrecht Dürer érige l'autoportrait au statut de genre à part entière. Il est en effet le premier artiste connu pour en avoir peint plusieurs, les avoir datés et signés. Ce faisant, il adopte un cadrage qui deviendra un standard : la représentation en buste.
Il se dessine dès l'âge de treize ans en 1484, puis, durant la décennie suivante, en 1493, 1498 et 1500, il réalise trois grands autoportraits. Le dernier (exposé à l'Alte Pinakothek de Munich) est remarquable car le peintre s'y montre de face, et non plus de trois quarts, un procédé auquel peu d'autres artistes ont recouru. À chaque fois, Dürer inscrit son monogramme de façon soigneusement calligraphiée.
Au début du siècle suivant, en 1503 exactement, il devient le premier artiste à se représenter nu. Et plus tard, en 1522 et 1523, soit cinq ans avant sa mort, il entreprend une nouvelle audace, n'hésitant pas à se montrer à travers le personnage du Christ.
En 1517 s'amorce en Allemagne un événement politico-religieux qui va considérablement modifier les rapports sociaux et notamment la perception des individus par eux-mêmes : la Réforme protestante. Se démarquant radicalement de la papauté et d'un grand nombre de rites (cultes des saints et de la Vierge) et profitant de l'essor de l'imprimerie, Martin Luther traduit la Bible en allemand et développe une théologie qui vise à inscrire l'individu en lien direct avec le divin et par conséquent lui confère une autonomie et une responsabilité inédite. L'art du portrait et celui de l'autoportrait vont s'en ressentir : sous l'influence de l'école flamande et dans le sillage de Dürer, les artistes expriment les traits de leurs visages de façon beaucoup plus réaliste que par le passé.
Le Caravage
Le Caravage ne laisse aucun autoportrait à proprement parler (représentation en buste) mais bon nombre d'historiens de l'art estiment qu'il se prend pour modèle dans plusieurs de ses tableaux, formulant différentes hypothèses [44].
Ainsi, il est assimilé au Jeune Bacchus malade, en 1593, soir au début de sa carrière, de même probablement que dans le groupe des Musiciens (au second plan)[44]. Puis il apparaît dans d'autres œuvres, jouant un rôle de spectateur comme dans Le Martyre de saint Matthieu (vers 1599-1600) ou encore L'Arrestation du Christ, en 1602 [44].
L'insertion du visage du Caravage dans ses tableaux prend une tournure dramatique à partir de 1606, après que l'artiste se soit rendu coupable d'un meurtre. Il semble en effet avoir donné ses traits à la tête du géant Goliath, brandie comme trophée par David dans un tableau réalisé par la suite, s'identifiant ainsi de manière dramatique au personnage violent décrit dans la Bible[44].
Dans la mesure où les peintres sont courtisés par les princes et les rois, ils ne dédaignent pas de se représenter eux-mêmes. Ainsi, l'autoportrait devient une pratique courante. Toutefois, en raison même de leur obédience au pouvoir temporel, une majorité d'entre eux ne révolutionne pas le genre, l'enfermant au contraire dans un modèle convenu, stéréotypé, décalque du portrait d'apparat de ces mêmes princes et rois.
Très rares, finalement, sont les artistes se démarquant de la norme. Rembrandt, aux Pays-Bas, est unanimement reconnu comme le premier d'entre eux.
Une académie est une institution d'origine privée ou publique (nationale) dont la vocation est de dispenser un enseignement. Les premières académies d'art apparaissent en Italie durant la seconde moitié du XVIe siècle sur le modèle de l'Académie de dessin, fondée à Florence en 1563 par Cosme de Médicis sous l'initiative de Vasari. En rupture avec la tradition médiévale des corporations, les académies visent la technicisation de l'acte pictural, celui-ci devenant une spécialité permettant de « faire sensation »[45].
Ce mouvement gagne la France en 1648, sous le règne de Louis XIV, qui n'a alors que 10 ans : placée sous un contrôle très règlementé et dirigée par Charles Le Brun, l'Académie Royale de peinture et de sculpture joue un important rôle de propagande de l'État, les artistes étant contraints de se plier à ses exigences. Non seulement en France mais dans le reste de l'Europe les peintres de cour reprennent alors sensiblement les mêmes codes esthétiques puis les enseignent aux générations suivantes.
Du fait de leur statut officiel, ils multiplient les autoportraits mais en même temps ne s'autorisant aucun véritable écart de style jusqu'au début du XVIIIe siècle, avec la mort de Louis XIV en 1715 marquant en France la fin de ce que l'on appelle le Grand siècle. Ainsi qualifie t-on cette norme d'académisme.
Face à l'apparente uniformité de style qui caractérise l'époque, les historiens et critiques d'art se sont efforcés de dégager des types, ou tendances. C'est ainsi qu'en 1915, dans ses Principes fondamentaux de l'histoire de l'art, le Suisse Heinrich Wölfflin a développé une théorie qui a ensuite servi de référence à plusieurs générations d'historiens : l'opposition baroque-classique. Si, selon lui, le baroque est marqué par la volonté d'exprimer une certaine subjectivité par le biais d'une gestuelle franche et assumée, le classicisme (apparu plus tard) se caractérise par un souci d'objectivité et le désir d'organiser le tableau selon des règles de composition rationnelles. Le premier serait plus pictural quand le second serait en revanche plus gouverné par le dessin.
Les artistes les plus régulièrement cités comme les principaux représentants de ces deux courants sont le Hollandais Pierre Paul Rubens puis l'Italien Luca Giordano pour le baroque, et les Français Nicolas Poussin et Philippe de Champaigne pour le classicisme. Toutefois, la distinction baroque-classicisme apparait avec une moindre évidence dans leurs autoportraits que dans leurs autres œuvres respectives, notamment les tableaux de grand format.
Le plus marquant des autoportraitistes est sans conteste Rembrandt, qui a consacré près d'une centaine d'œuvres, dessins, gravures ou toiles, à l'image de soi. L'autoportrait apparaît chez lui comme une forme de journal intime, fondant pour la peinture ce que Philippe Lejeune a nommé « le pacte autobiographique ». Son premier autoportrait connu date de 1627, en jeune homme ébouriffé ; son dernier de 1669, quelques semaines avant sa mort. Au fil du temps, nous le voyons vieillir, et se montrer sous des déguisements divers, depuis le jeune homme à l'air timide qui se peint à contre-jour alors qu'il vient d’avoir vingt ans, jusqu'au vieil homme fatigué, ridé, au nez bourgeonnant de 1669.
L'Art de la peinture de Vermeer (1666) constitue peut-être le premier autoportrait de dos.
En Espagne, Velasquez bouleverse tous les codes avec ses Ménines (1656-1657).
Le triple autoportrait d'un peintre peu connu, l'Autrichien Johannes Gumpp constitue en 1646 un exercice de style sans comparaison pour l'époque[46].
Johannes Gumpp
Johannes Gumpp n'est généralement pas reconnu comme un artiste de grande renommée mais il est toutefois l'auteur en 1646 d'un tableau qui constitue une curiosité puisqu'il s'y représente simultanément à trois reprises :
- vu de dos (au centre), en train de peindre ;
- tel qu'il se perçoit dans un miroir (à gauche) ;
- tel qu'il se perçoit dans un tableau qu'il est en train de réaliser (à droite).
Dès la mort de Louis XIV et plus encore durant la seconde moitié du siècle, un certain nombre d'intellectuels européens manifestent leur lassitude face aux pratiques de vie entretenues par la monarchie absolue, qu'ils jugent conventionnelles et sclérosantes : ils aspirent à une émancipation des individus, tant au plan psychologique et social que politique (démocratie) : le mouvement des Lumières est en marche, porté par une petite partie de l'aristocratie et surtout la bourgeoisie.
Sur le plan artistique, cette mutation se manifeste par un rejet catégorique de l'art officiel, tel que propagé par les académies royales, et l'émergence d'un nouveau lieu d'échanges, le salon, entièrement porté par de nouvelles valeurs, en premier lieu le bonheur et la liberté[47]. C'est ainsi que, dans leurs autoportraits, les artistes aiment se représenter sans fard, dans des postures témoignant à la fois une certaine décontraction et la fierté de prendre de l'ascendant dans la société. En France, les sourires malicieux affichés par Quentin de La Tour sont particulièrement représentatifs de cette évolution.
L'invention de la photographie a des répercussions majeures dans la production d'images. À ses débuts, elle reprend les codes esthétiques éprouvées par les peintres pendant quatre siècles.
Mais très rapidement, la photographie exerce une influence décisive sur les artistes, à commencer par les impressionnistes, qui renouvellent leur esthétique en abandonnant l'atelier pour le motif, s'engageant dans une quête d'instantanéité et d'authenticité qui va façonner l'ensemble de ce que l'on appellera plus tard l'art moderne.
Installé à Paris puis dans le sud de la France, Vincent van Gogh se représente trente-sept fois de 1886 à 1893.
La crise de la représentation mimétique
Autre figure importante dans l'histoire de l'autoportrait en peinture : Felix Nussbaum (1904-1944). Pour le peintre juif allemand du début du siècle, qui a vécu l'enfer du nazisme et des persécutions contre les juifs, l'autoportrait constitue un moyen privilégié pour enregistrer les effets de son expérience : au fil des autoportraits, de beau jeune homme qu'il était, son visage se creuse, se marque par la souffrance, jusqu'à devenir la face émaciée où brille un regard dur des dernières années. La portée comparative de cette série d'autoportraits est renforcée par le choix d'une pose toujours identique, qui met en valeur son regard, regard de l'artiste sur lui-même comme regard vers le spectateur pour le prendre à témoin[48].
À la suite d’un accident, Frida Kahlo doit passer de nombreuses années de sa vie alitée. On lui doit de nombreux autoportraits en buste, mais aussi des représentations cauchemardesques dont beaucoup symbolisent les souffrances physiques qu'elle a vécues.
Après la Seconde Guerre mondiale, les arts plastiques amorcent une nouvelle phase de leur histoire : les beaux arts (dessin, peinture, gravure, sculpture...) n'en constituent plus en effet qu'une partie et ce que l'on appelle communément l'art contemporain s'ouvre à de nouvelles pratiques (notamment la photographie, l'installation puis, plus tard, la vidéo).
L'une des plus grandes figures de la première moitié du siècle, Pablo Picasso, n'en continue pas moins de renouveler le genre autoportrait : peint en 1972, soit un an avant son décès, son Autoportrait face à la mort (réalisé à la mine de plomb et au crayon sur papier et aujourd'hui exposé à Tokyo) frappe par son expressivité : la tête occupe toute la surface du support, elle est démesurément grande par rapport aux épaules qui la soutiennent ; les traits sont durs, secs et anguleux. Le visage est creusé, presque squelettique. Le nez et les yeux asymétriques (pupille dilatée seulement du côté gauche) sont eux également exagérément grands.
Triple Self-Portrait) est une illustration de couverture de magazine de l'Américain Norman Rockwell, peinte à l'huile sur toile pour le numéro du Saturday Evening Post du , à l'occasion de la parution de son autobiographie dont le magazine publiait les premières pages[49] L'artiste utilise ici une mise en abyme, qui consiste à incruster dans une image cette image elle-même. Cette œuvre est comparée au tableau de Johannes Gumpp (1646), autre exemple notable de triple autoportrait[50]. À droite du tableau, des reproductions de tableaux anciens sont punaisées : il s'agit des autoportraits de Dürer, Picasso, Rembrandt, et Van Gogh.
En ce qui concerne les troubles neurologiques et les maladies en lien avec la conscience, la médecine et les connaissances médicales du XXe siècle n’étaient définitivement pas les plus élaborées, et c’est en partie pour combler ce manque d’informations que William Utermohlen a été interpellé. Atteint de la démence, William Utermohlen, artiste peintre, était une personne idéale pour illustrer ce que représentaient des maladies neurologiques telles que la démence, puisque l’illustration de celles-ci allait parfaitement démontrer l’étendue des dégâts au fil du temps, ainsi que la dégénérescence constante éprouvée par les personnes touchées. Ses autoportraits ont influencé la neurologie de l’époque et ont facilité la compréhension de maladies si terribles.
De nombreux artistes-peintres se sont auto-portraituré à maintes reprises. Citons :
Certains artistes manifestent le souci d'afficher une certaine continuité dans le style, à travers le temps. C'est notamment le cas de Rembrandt, Van Gogh, de Chirico, Ket (ci-dessous) ou Bacon...
… d'autres, au contraire, pratiquent la rupture des codes esthétiques, dans le but explicite d'exprimer des ruptures dans leur expérience vécue. Ainsi par exemple Bonnard (ci-dessous), Picasso ou Dix.
On considère que l'architecte Peter Parler est à la fin du XIVe siècle la plus ancienne personne connue à s'être représentée en sculpture : vers 1380 dans le triforium de la cathédrale Saint-Guy de Prague.
L'autoportrait n'est guère traité sur le mode de la sculpture. Quelques artistes modernes et contemporains s'y essaient toutefois, tels Man Ray, en 1933[51], et plus récemment l'Australien Ron Mueck, sur le registre hyperréaliste[52].
Autres œuvres remarquables :
La toute première photographie, de Nicéphore Niepce, date de 1826. En 1839, Louis Daguerre perfectionne et homologue la technique et cette même année, Robert Cornelius réalise le premier autoportrait photographique.
L'autoportrait photographique est réalisé soit en photographiant son image se reflétant sur un miroir, soit en se prenant en photo à l'aide d'un retardateur ou d'un déclencheur à distance.
Il constitue un genre à part entière, certains artistes s'y sont véritablement consacrés, notamment Man Ray.
Le développement de l'industrie numérique et le phénomène de la montée en puissance de l'individualisation en société ont contribué à l'essor de la pratique du selfie.
La philosophe et critique d'art Marion Zilio pose à ce sujet un certain nombre de questions :
- Le selfie (photographie et vidéo) relève-t-il de l'autoportrait en tant que genre artistique ?
- Si oui, comment alors (re) définir l'art ?
- Si l'autoportrait a témoigné d'un processus d'émancipation de l'individu, le selfie n'est-il pas la marque d'une aliénation dès lors que, diffusé sur les médias sociaux, son auteur n'en est plus propriétaire ?
- L'autoportrait et le selfie révèlent-ils au fond la personnalité ou bien au contraire la masquent-ils ?
- Doit-on finalement parler d'individualisme ou de narcissisme[53] ?
L'autoportrait écrit se résume en une description de soi ou autodescription. Pour exemple, l'autoportrait de François VI, duc de La Rochefoucauld, extrait du Recueil des portraits et éloges de 1659 :
« Je suis d'une taille médiocre, libre et bien proportionnée. J'ai le teint brun, mais assez uni; le front élevé, et d'une raisonnable grandeur; les yeux noirs, petits et enfoncés; et les sourcils noirs et épais, mais bien tournés. Je serois fort empêché de dire de quelle sorte j’ai le nez fait; car il n'est ni camus, ni aquilin, ni gros, ni pointu, au moins à ce que je crois: tout ce que je sais, c’est qu’il est plutôt grand que petit, et qu'il descend un peu trop bas. J’ai la bouche grande, et les lèvres assez rouges d’ordinaire, et ni bien ni mal taillées. J’ai les dents blanches et passablement bien rangées. On m'a dit autrefois que j'avois un peu trop de menton: je viens de me regarder dans le miroir pour savoir ce qui en est; et je ne sais pas trop bien qu'en juger. Pour le tour du visage, je l'ai ou carré ou ovale; lequel des deux, il me seroit difficile de le dire. J'ai les cheveux noirs, naturellement frisés, et avec cela assez épais et assez longs pour pouvoir prétendre en belle tête. »
Les manifestations sur le thème de l'autoportrait sont relativement récentes. Trois grandes expositions lui ont été jusqu'à présent consacrées :
Expositions de moins grande ampleur :
En préparation :
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