Le Verfügbar aux Enfers
De Wikipedia, l'encyclopédie encyclopedia
Le Verfügbar aux Enfers est une opérette-revue écrite clandestinement au camp de concentration de Ravensbrück par la résistante et ethnologue française Germaine Tillion au cours de l'hiver 1944-1945[1]. Le mot allemand « verfügbar » désigne ceux et celles qui, non affectés à un commando de travail, étaient « disponibles » pour les pires corvées du camp, ce qui était le cas de Tillion[2]. Cachée dans une caisse pendant plusieurs jours, elle écrit Le Verfügbar aux Enfers avec l'aide de ses complices qui lui fournissent papier, crayon et participent à la création. Le titre est inspiré d’Orphée aux Enfers, l'opéra-bouffe de Jacques Offenbach, lui-même parodie d’Orphée et Eurydice de Gluck. Le Verfügbar aux Enfers n'a aucune partition : il s'agit d'une œuvre entièrement basée sur la parodie, c'est-à-dire l'ajout de nouvelles paroles à des mélodies existantes. Tillion n'hésite pas à détourner des airs célèbres en faisant appel à la culture musicale de ses codétenues, d'où une variété de sources : chansons scoutes, comiques ou grivoises, répertoire traditionnel, variété, airs de publicités, un extrait de la Danse macabre de Camille Saint-Saëns, la Chanson triste d'Henri Duparc, ou encore extraits d'opérettes et d'airs d'opéras[3]. Si Germaine Tillion écrit la majeure partie du texte, elle sollicite la participation de ses codétenues pour trouver certains vers, tandis que d'autres lui suggèrent des chansons à utiliser pour les passages musicaux. Elle témoigne en 1976 : « J'ai écrit une revue en forme d'opérette appelée Le Verfügbar aux Enfers. Les thèmes en étaient "un naturaliste décrivant le Verfügbar" et "les ruses du Verfügbar pour ne pas de faire piéger par le Betrieb [atelier]" ; quelques chansons furent des œuvres collectives, dont chacune des débardeuses présentes devait trouver un vers[4]. » Il s'agit donc d'un travail commun de "remémoration[5]". Le manuscrit original se trouve aujourd'hui au Musée de la Résistance et de la Déportation de Besançon.
L'œuvre musicale plonge le spectateur de manière inattendue dans l’univers apparemment joyeux d’une opérette, sorte de revue conférence pleine d’humour noir menée par un "naturaliste". Celui-ci décrit la genèse et la vie du Verfügbar, "produit de la conjugaison d'un gestapiste mâle avec une résistante femelle [...], apparenté aux gastéropodes (de gaster : estomac ; et de podos : pied), car il a l'estomac dans les talons[6]." Face à lui, le choeur des déportées commente par des interventions intempestives et ironiques la réalité de leur situation désespérée. Les trois actes de l'œuvre suivent la dégradation des conditions des détenues. L’acte I se déroule au printemps 1944, tandis que l’acte III est situé à l’hiver 1944-1945. L’humour omniprésent du premier acte cède progressivement la place au découragement chez les déportées, le naturaliste disparaît et la trame dramatique semble se dissoudre[5]. L'œuvre semble ainsi inachevée, mais peut-être a-t-elle été pensée pour rester ouverte[5].
A contrario, les didascalies de la pièce présentent des détenues dont l’apparence physique est de plus en plus soignée : « en costume Schmuckstück [terme SS désigant les détenues en état de délabrement physique avancé] » évoluant « dans un lieu quelconque, de préférence disgracieux et plein de courants d’air » , elles sont « encore misérables, mais gentiment arrangées » à l'acte II puis « somptueusement vêtu[es] » au milieu d’« un tas d’objets hétéroclites[6] » du Bekleidung, endroit où étaient stockés les vêtements des déportées, à l'acte III, alors que les espoirs de libération s'amenuisent[5].