Alors que Touchez pas au grisbi (1954) est une adaptation fidèle du roman noir écrit en argot par Simonin, Le cave se rebiffe, tout comme Les Tontons flingueurs, est traité sous l'angle d'une comédie dialoguée par Michel Audiard. Par ailleurs, ces trois films sont des adaptations indépendantes et ne présentent pas le caractère de trilogie des romans.
Charles Lepicard (Bernard Blier), un tenancier de maison close ruiné par une nouvelle législation, Lucas Malvoisin (Antoine Balpêtré), un notaire blanchisseur d'argent, et Éric Masson (Franck Villard), un jeune truand prétentieux, qui a contracté un prêt auprès des deux premiers (qu'il ne peut rembourser), décident de se lancer dans la «fausse mornifle» (ou «faux talbin»): la fausse monnaie. Éric, le «grand con», pense qu'il n'y a rien de plus facile, car il est l'amant de la femme d'un graveur hors pair, Robert Mideau (Maurice Biraud). C'est un «cave», c'est-à-dire, dans le langage des truands, un être ordinaire, crédule et ignorant des pratiques et des codes du Milieu.
Les trois associés se rendent compte rapidement qu'ils ne connaissent rien au métier. Ils prennent alors la décision de faire appel à un expert: Ferdinand Maréchal (Jean Gabin), alias «le Dabe», qui s'est retiré au Venezuela. Charles s'envole pour le convaincre de se joindre à l'affaire. Le Dabe, après avoir hésité, accepte de s'occuper de l'affaire et revient à Paris, où il n'a pas mis les pieds depuis quinze ans, même si la police ne l'a pas oublié. Mais «le Dabe» ne tarde pas à s'en débarrasser.
Dès son arrivée, le Dabe prend l'affaire en main, avec une rigueur toute professionnelle et ne négligeant aucun détail. Il impose aussi son autorité et ses conditions financières, ce qui déplaît à ses trois associés. De plus, il a bien de la peine à supporter leur bêtise, leur maladresse et leur vanité. Inversement, il va apprécier de plus en plus Robert Mideau, avec lequel il se lie d'amitié et le met dans la confidence. Celui-ci ne se montrera pas aussi «cave» que prévu. Les trois associés tentent en vain de le rouler, surtout lors de la commande de papier passée par «le Dabe» auprès de sa vieille amie Pauline.
Alors que tout est prêt à être lancé, «le Dabe» retarde l'opération d'une journée pour éviter d'éveiller les soupçons, le lendemain étant le dimanche. Le jour du seigneur étant arrivé, Charles reçoit la visite de la brigade des moeurs qui le soupçonne (à tort) d'avoir rouvert la maison close. Cela oblige «le Dabe» à se loger ailleurs. Le lendemain, Robert lance l'impression. En fin de journée, «le Dabe» et les trois associés viennent chercher la «fausse mornifle» fraîchement imprimée. Mais ils découvrent que Robert est parti avec la fausse monnaie… non sans avoir largué sa femme. Remonté par cette entourloupe, «le Dabe» quitte ses associés (ruinés) en toute hâte et repart en Amérique du Sud. Il est accompagné par son ami Robert le «cave» (dont il était complice); désormais riches, ils ont fièrement réussi cette opération.
À la fin du film, les «auteurs» du film (Albert Simonin, Gilles Grangier et Michel Audiard) informent le spectateur que tous les protagonistes de cette histoire sont arrêtés la semaine suivante et condamnés à de la prison. La note se termine par une citation (faussement) attribuée à Jean de La Fontaine: «Bien mal acquis ne profite jamais».
Franstudio (studios de Saint-Maurice) - scènes d'intérieur du lupanar. L'adresse, 14 rue Verdoux, censée être celle de l'ancien bobinard occupé par Charles Lepicard (Bernard Blier), est purement imaginaire, cette voie n'existant pas à Paris. Lorsque Bernard Blier fait visiter ses «17 chambres d'amis», celles-ci font par leur extravagances directement référence à celles du Chabanais: la chambre des glaces, le palais oriental, la baignoire à champagne en cuivre rouge. L'intéressé regrette d'ailleurs le bon vieux temps où il tenait l'établissement de la rue du Chanabais.
En régions:
la scène de la rencontre entre Jean Gabin et Bernard Blier, censée se dérouler en Amérique du Sud[12], fut en réalité tournée à l'hippodrome d'Hyères (Var) et sur la route désertique de l'Ayguade-Ceinturon vers le port de Hyères, Gabin n'ayant aucune envie de se déplacer à l'étranger;
les autres scènes hippiques furent tournées à Vincennes et en Normandie. Habitant à Deauville, il fut plus que ravi de cette décision[13].
«Ça, c'est du BSA extra piste[14]» dit Jean Gabin dans le film. Gabin et Audiard étaient des habitués du Vélodrome d'Hiver, avant 1939, et avaient connu cette grande publicité qui ornait la piste, vantant les mérites des roulements de la Birmingham Small Arms C°. Pour eux, c'était le summum dans l'excellence d'un produit.
À la fin du générique, apparaît un proverbe biblique faussement attribué à Jean de La Fontaine («Bien mal acquit (sic) ne profite jamais»), ainsi qu'un très court texte ironique qui tient à nous expliquer que tout ce beau monde a été «naturellement» arrêté par la police[15].
Dans le film, le «Cave» (Robert Mideau) est invité chez Lepicard où le «Dabe» (Ferdinand Maréchal), pour tester ce graveur, a une discussion avec lui sur quelques-uns de ses prédécesseurs du XVIIIesiècle. Sont cités alors Nicolas de Larmessin, Moreau le Jeune et Louis Binet[17].
À la fin du film, Ferdinand Maréchal et Robert Mideau s'envolent à bord du premier Boeing 707 d'Air France, baptisé «Château de Versailles»[18] et immatriculé F-BHSA. Le , deux mois avant la sortie du film, le même appareil rate son décollage et sort de piste à Hambourg faisant dix blessés graves[19].
Le scénario du film est tiré du roman éponyme d'Albert Simonin. Il est l'adaptation du deuxième volet de la trilogie Max le Menteur, qui s'insère entre Touchez pas au grisbi et Grisbi or not grisbi adapté à l'écran sous le titre Les Tontons flingueurs. Michel Audiard déclara cependant qu'il ne voulait pas faire la suite de Touchez pas au grisbi! et n'adapte que la 114e page du roman de Simonin[20].
Le personnage de Max le Menteur disparaît dans l'adaptation cinématographique de l'œuvre de Simonin, mais la trame de cette histoire de faux-monnayeurs, et les personnages centraux du «dabe» et du «cave» restent identiques.
Les gestes du personnage du cave, Robert Mideau, interprété par Maurice Biraud sont doublés par Pierre Forget, graveur et professeur de gravure taille douce à l'école Estienne. Ce sont également ses mains que l'on peut voir graver tout au long du générique d'ouverture du film.
Le film fut un succès public lors de sa sortie en salles (plus de 2,8 millions d'entrées[6] en France), même s'il n'a pas remporté l'adhésion de certains critiques[21]. Il est resté en tête du box-office parisien durant les quatre semaines de sa sortie en salles avec plus de 265 000 entrées cumulées à cette période[22].
Postérité
Pour le magazine Télé Loisirs, Le cave se rebiffe est «l'un des meilleurs dialogues signés par Michel Audiard, au service de comédiens qui étaient de vieux complices. La bonne humeur qui a régné lors du tournage de ce film est très rapidement partagée par les spectateurs[23].»
Colorisé en 1995[24], le film est diffusé sur Canal+ en 1996 et figure sur l'édition DVD d'EuropaCorp en 2009, qui permet de visionner le film en noir et blanc ou en colorisé[25].
La cave se rebiffe sort en DVD/Blu-ray chez Gaumont le , avec en supplément Retour sur le cave (21') et un documentaire inédit avec Jean-Jacques Jelot-Blanc et Jean-Pierre Bleys.
Thomas Morales, «Le cave se rebiffe à Pantruche» [«à Paris»], sur Causeur. Surtout si vous n'êtes pas d'accord, (consulté le ) : «dans le livre, Simonin donne de très nombreuses indications sur les caractères mais aussi sur ce fameux claque tenu par le couple Bernard Blier et Ginette Leclerc»
Isabelle Blondel, Olivier Delacroix, Alice Develex, Nicolas d'Estienne d'Orves, Bertrand Guyard, Colette Monsat, Marie-Noëlle Tranchant et Florence Virerron, «Si le Paname d'Audiard m'était conté», Le Figaroscope, semaine du 10 au 16 mai 2017, pages 8-10.
«Le Tour de Rance Vintage de Gilles Degaraby», sur Ouest-France, (consulté le ) : «"Ça, c'est du BSA extra-piste. Ça hérisse le poil, tellement c'est beau!" Le dialogue dit par Jean Gabin dans «Le Cave se rebiffe», dialogué par Michel Audiard, donne le ton pour cette première édition du Tour de Rance Vintage.»
«Le cave se rebiffe: Un bijou!», sur Le cinéma d'Impétueux, (consulté le ) : «Le scénario est certes habile, ingénieux, drôle, délicieusement immoral, malgré le vertueux carton final qui précise que "naturellement, les protagonistes du mauvais coup ont été rapidement arrêtés et condamnés", clin d'œil majuscule qui n’abuse personne.»
Claude Jaëcklé Plunian, «Binet sur écran», sur Société Rétif de la Bretonne, (consulté le ) : «Binet, l'illustrateur favori de Rétif de la Bretonne, fait l'objet d'une petite séquence culturelle qui se détache avec bonheur dans le film de Gilles Grangier, Le Cave se rebiffe (1961).»
Franck Lhomeau (édition, présentation et annotations), Michel Audiard et Albert Simonin: Le Cave se rebiffe, Mélodie en sous-sol, Les Tontons flingueurs, t.2, institut Lumière / Actes Sud, , 896p. (ISBN9782330156565), scénario et histoire de la production.