La croissance économique mondiale des années 1850, la plus forte de tout le XIXesiècle, a entraîné un bouleversement industriel, à l'échelle de la planète. En France, elle correspond à la première partie du règne de Napoléon III, appelé aussi Second Empire (1852–1870). Entre 1853 et 1869, la production industrielle française progresse de 50%, l'activité du bâtiment double et les exportations sont multipliées par 2,6 grâce à la forte croissance dans les autres pays[1].
L'Allemagne, restée jusque-là relativement à l'écart de l'expansion européenne, en prend la tête après 1850, grâce aux commandes militaires et ferroviaires, et au boom des mines du charbon et de la sidérurgie, dans la région industrielle de la Ruhr.
Les voies de chemin de fer allemandes sont multipliées par 18 en dix ans, passant de 600 km de lignes en 1850 à 11 000 km en 1860, puis 20 000 km en 1870. Cette croissance économique est précédée d'une croissance démographique: les Allemands sont 30 millions en 1840 et 38 millions en 1850, soit 28% de plus en dix ans. Dans la deuxième partie du siècle, la population allemande augmente encore de 40% pour atteindre 50 millions d'habitants[2] Une monnaie de compte commune à tous les États allemands, le thaler d'union est créé en 1857 sur le modèle du thaler prussien.
La conquête de l'Ouest
Aux États-Unis, la population augmente de plus d'un tiers, passant de 23 millions à 31 millions d'habitants, souvent arrivés par le port de New York qui s'agrandit dans les années 1850-1860. En 1850, les États-Unis avaient quatorze mille kilomètres de voies ferrées, le plus vaste réseau du monde, qui fut complété dans les dix années suivantes par trente mille nouveaux kilomètres de rail, soit un triplement en dix ans. L'ensemble de la sidérurgie mondiale voit ses commandes s'envoler, en volumes et en prix de vente moyen.
Le taux de croissance de quelques villes canadiennes connaît aussi une hausse très marquée dans les années 1850, avant de revenir vers une stabilisation jusqu'en 1870, tandis qu'une partie de leurs habitants émigre vers les villes de l'Ouest du Canada. Au cours de ces années 1850, un millier d’esclaves du sud des États-Unis prend la fuite chaque année en direction du Nord, du Canada ou du Mexique.
L'accélération de la croissance en France
En France, l'économiste Myriam Levy-Leboyer a calculé une croissance annuelle du produit industriel de 2,2% dans les années 1850, contre 1,6% seulement dans la décennie 1860, ou 1,5% et 2,2% respectivement pour les décennies 1820 et 1830. Selon elle, le pic de croissance des années 1850 couronne un mouvement débuté vers 1840. La puissance totale des machines à vapeur utilisées dans l'industrie double entre 1842 et 1852, de 37 000 à 71 000 chevaux-vapeur, puis fait plus que doubler dans les huit années suivantes pour atteindre 166 000 chevaux-vapeur[3], les principaux constructeurs étant installés à Paris et en Alsace. Dans le textile, l'investissement de productivité permet d'augmenter de moitié la consommation annuelle de coton brut par broche installée[4].
Après le coton au début du siècle, le rail, l'acier et le charbon prennent leur essor, mais la croissance est irriguée par de nouveaux réseaux de circulation de l'argent et de l'information, plus puissants et plus rapides.
La masse monétaire dopée par le cumul de trois ruées vers l'or
La croissance profite aussi de l'afflux de métaux précieux grâce à trois ruées vers l'or en 4 ans, la première en Russie, qui culmine en 1847, puis la ruée vers l'or en Californie de 1848 et ensuite celle qui se produit en 1851, en Australie, la ruée vers l'or au Victoria. L'afflux d'or qui en découle permet une relance de la création monétaire, avec pour résultat d'injecter de la masse monétaire dans les circuits bancaires à une époque où les banques centrales n'étaient pas toutes parfaitement opérationnelles.
En France, la création monétaire est intense, la masse monétaire passant de 3,9 millions de francs or en 1845 à 8,6 millions de francs en 1870[6]. Le bâtiment est le premier à profiter de cette création monétaire: son activité double entre 1853 et 1869, alors que la production industrielle augmente deux fois moins vite, progressant de 50%[1], même si c'est sa plus forte progression du siècle.
Les effets de la première révolution de l'information
Cette croissance se manifeste non seulement par le développement du chemin de fer mais aussi par une révolution de l’information : à partir de 1850, l’imprimé connaît un véritable essor sous toutes ses formes : livres, presse, etc. La diffusion de l’information dans la population est illustrée par un tableau d’Édouard Manet, Sur la plage, de 1873, où l’on peut voir une femme en train de lire un livre.
Cette révolution de l'information précède l'accélération de la croissance à partir de la fin de la décennie précédente. Dès 1845, la rotative est conçue par l’Américain Richard Hoe sous forme de rouleaux cylindriques, permettant d'imprimer des dizaines de milliers de quotidiens en une nuit. Elle commence à se diffuser à la fin des années 1840.
La France a besoin d'importer pour la construction des chemins de fer, mais aussi pour des bateaux pour la guerre de Crimée: les importations d'Angleterre doublent entre 1854 et 1856, et elles quadruplent entre 1852 et 1857.
Le charbon
À partir des années 1850, la production charbonnière mondiale augmente de moitié tous les dix ans[7]. En 1860, l'Europe extrait 100 millions de tonnes de charbon contre 40 millions vingt ans plus tôt et 15 millions aux États-Unis. Près des deux-tiers de ces 100 millions de tonnes de charbon sont produites en Angleterre[7]. La France n'en produit que 13 millions, dix ans après, en 1870[8], malgré le succès de nouvelles mines dans la partie occidentale du bassin minier du Pas de Calais. Entre 1859 et 1875, la production de la Compagnie de Courrières, fondée en 1848, est sextuplée et le cours de son action multiplié par 55. Celle de la Compagnie de Lens, autre «affaire familiale», est multipliée par 22 sur la même période, pour une production décuplée. Mais elles ne pèsent, à elles deux, que 9% du charbon français, loin derrière la Compagnie d'Anzin, leader mondial avec 2 380 000 tonnes en 1880, soit deux-tiers du bassin nordiste.
L'explosion de l'industrie du rail
La Railway mania se traduit par un triplement du nombre de kilomètres de rail sur la décennie 1850 aux États-Unis, le pays qui était déjà le plus équipé. Elle avait déjà entraîné la création de centaines de compagnies en Europe, 248 pour la seule année 1845 en Angleterre, après 37 en 1844 et 24 en 1843, qui avait tissé un réseau très serré mais encore incomplet car le mouvement avait été brutalement stoppé par le krach de 1847, suivi de centaines de faillites. Une fois les liquidations, mise sous sequestre et fusions de sociétés opérées, la croissance peut reprendre à partir de 1851, avec un en « effet de terminaison »: des dizaines de lignes doivent être prolongées pour être reliées au réseau ferroviaire global, qui s'agrandit alors très rapidement, permettant de rentabiliser très vite l'achat de nouvelles locomotives et wagons. Ce mouvement est particulièrement fort dans les pays en retard, comme la France et l'Allemagne.
L’enthousiasme ferroviaire de l'Allemagne fait que le pays compte vers 1870 près de vingt mille kilomètres de voies[9]. La France réduit une partie son retard sur sa rivale d'outre-Manche pour atteindre 15 600 km[10] de voies ferrées en 1870, contre 24 900 pour l'Angleterre[11].
Le convertisseur Bessemer dope la production d'acier
En France, l'entreprise Safia subit elle aussi une forte croissance à partir du même procédé. Elle emploie 980 ouvriers en 1855 et 3 600 en 1887.
La production métallurgique mondiale, confrontée à la forte croissance des commandes ferroviaires et pour la construction urbaine, fut multipliée par cinq des années 1840 aux années 1850[14]. Cette expansion mondiale fut stoppée temporairement par la panique de 1857, qui causa une récession soudaine de l'économie des États-Unis et démarra par une perte de confiance dans une banque de l'Ohio.
Histoire économique et sociale du monde (tome 2): De l'origine de l'Humanité au XXesiècle - Évolution des activités économiques et financières, par Paul Massé, éditions L'Harmattan, 2011, page 126