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Grigori Raspoutine

mystique et guérisseur russe De Wikipédia, l'encyclopédie libre

Grigori Raspoutine
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Grigori Raspoutine (en russe : Григорий Ефимович Распутин, parfois désigné à partir de 1907 comme Raspoutine-Novy ; né le à Pokrovskoïe, mort assassiné le à Pétrograd) est un paysan russe devenu pèlerin itinérant, mystique populaire et guérisseur par la prière, dont la notoriété est liée à sa proximité avec la cour du dernier empereur de Russie, Nicolas II.

Faits en bref Naissance, Décès ...

Originaire des confins de la Sibérie, Raspoutine se présentait comme un "strannik" animé par une religiosité populaire c’est-à-dire un pèlerin errant animé par une religiosité populaire, sans être moine ni membre reconnu du clergé de l’Église orthodoxe russe. Bien qu’il ait parfois été qualifié de starets par ses contemporains, aucun témoignage ecclésiastique ne confirme une telle reconnaissance spirituelle au sens canonique du terme. Son autorité reposait essentiellement sur son charisme personnel, sa capacité à rassurer ses interlocuteurs et la réputation de guérisseur qui l’entourait.

À partir de 1907, Raspoutine fut introduit auprès de l’impératrice Alexandra Feodorovna, convaincue qu’il pouvait soulager les souffrances de son fils, le tsarévitch Alexis, atteint d’hémophilie. Cette proximité fit de lui une figure influente à la cour impériale, en particulier durant la Première Guerre mondiale, lorsque Nicolas II assuma personnellement le commandement de l’armée. La perception d’une influence excessive de Raspoutine sur l’impératrice contribua à alimenter les critiques dirigées contre le régime et à fragiliser l’image publique de la dynastie des Romanov.

La vie et le rôle de Raspoutine sont toutefois entourés de nombreuses zones d’ombre. Sa biographie repose en grande partie sur des témoignages partiaux, des mémoires tardifs, des rumeurs contemporaines et une abondante littérature polémique. De nombreux historiens ont souligné que peu de figures de l’histoire russe moderne ont fait l’objet d’une telle accumulation de récits contradictoires et peu fiables, ce qui impose une lecture critique constante des sources disponibles[1] [2] [3].

Raspoutine fut assassiné en décembre 1916 à la suite d’un complot fomenté par des membres de l’aristocratie monarchiste, convaincus que son élimination permettrait de sauver le régime tsariste. Après sa mort, sa figure fut durablement mythifiée, tant dans la littérature hostile que dans certaines représentations ultérieures, tandis que son image en Russie connut, au fil du temps, des réévaluations plus nuancées.

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Biographie

Résumé
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Pokrovskoïe, village situé sur la rive de la Toura (rivière), avec à l’arrière-plan l’église édifiée à l’initiative de Raspoutine. Photographie de 1912 par Sergueï Prokoudine-Gorski.

Origines et milieu sibérien

Grigori Raspoutine naquit dans le village de Pokrovskoïe, dans le gouvernement de Tobolsk, en Sibérie occidentale, au sein d’une famille de paysans relativement aisés. Son père, Iefim Iakovlevitch Raspoutine, exerçait également la fonction de conducteur de relais de poste (*yamshchik*), ce qui assurait à la famille une situation matérielle plus stable que celle de nombreux foyers ruraux de la région.

Les registres paroissiaux mentionnent la naissance de Grigori en janvier 1869 et son baptême le lendemain, sous le prénom de Grigori, en référence à Grégoire de Nysse. Son enfance se déroula dans un environnement rural marqué par l’isolement, la rudesse des conditions de vie et un faible niveau d’instruction ; il ne fréquenta pas l’école, inexistante dans son village, situation alors courante dans de larges régions de la Sibérie.

Les sources disponibles sur les premières décennies de la vie de Raspoutine sont fragmentaires et souvent tardives. Elles décrivent un jeune homme marginal au sein de la communauté villageoise, dont le comportement fut parfois jugé indiscipliné. Un bref épisode de détention est mentionné dans les archives locales, sans qu’il permette de conclure à une activité criminelle durable.

En février 1887, Raspoutine épousa Praskovia Fiodorovna Doubrovina, avec laquelle il eut plusieurs enfants. À la fin des années 1880, il quitta temporairement son foyer et séjourna plusieurs mois au monastère de Verkhotourie, important centre religieux régional. Les motivations exactes de ce départ demeurent incertaines, les témoignages évoquant tantôt une crise personnelle, tantôt l’attrait exercé par le milieu monastique et les figures spirituelles locales.

À son retour à Pokrovskoïe, Raspoutine adopta un mode de vie plus ascétique, renonçant notamment à l’alcool, au tabac et à la viande. Cette transformation marqua le début d’une religiosité intense et personnelle, fondée sur la prière, le jeûne et la pénitence, et constitua une étape déterminante dans son évolution vers la vie de pèlerin itinérant.

Premiers pèlerinages et réseaux religieux

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Monastère de Verkhotourié, où Raspoutine séjournera trois mois.
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Kyiv, circa 1900

À la fin des années 1890 et au début des années 1900, Raspoutine s’orienta progressivement vers une vie de religiosité itinérante. Selon ses propres déclarations et des témoignages ultérieurs, cette période marque son éloignement durable de la vie paysanne et le début de déplacements réguliers vers des centres religieux importants de l’Empire russe.

Il séjourna à plusieurs reprises à Kazan, important centre religieux et universitaire, où il entra en contact avec des milieux ecclésiastiques et cultivés. Ces séjours, dont la chronologie précise demeure incertaine, contribuèrent à sa visibilité dans des cercles dépassant le cadre local sibérien.

Raspoutine déclara également avoir visité à plusieurs reprises le monastère des Grottes de Kiev, l’un des hauts lieux spirituels de la tradition de la Rus’ et de l’Église orthodoxe. La fréquentation de ce centre monastique majeur témoigne de son insertion progressive dans un espace religieux d’envergure impériale.

Ces déplacements s’inscrivent dans un contexte de mobilité accrue à l’intérieur de l’Empire russe au tournant du XXᵉ siècle, lié au développement des réseaux de circulation, sans qu’il soit possible de préciser les modalités exactes de ses voyages.

À Kazan comme à Kiev, des témoignages contemporains soulignent la clarté et le caractère accessible de ses commentaires des Écritures, qui attirèrent l’attention de membres du clergé, sans qu’il soit possible d’en mesurer précisément la portée ou l’influence réelle.

Période d'errance

En 1894, alors qu'il travaille dans les champs, il aurait eu la vision d'une Vierge lumineuse. Makari, un moine ascète à qui il en parle et qu'il considère comme son père spirituel, lui conseille d'abandonner son métier de fermier, de se plonger davantage dans la religion et de se rendre au mont Athos, en Grèce. Il effectue à pied les plus de 3 000 km en quelque dix mois, mais il est déçu par les moines du mont Athos. Sur la route du retour, il fait halte dans de nombreux monastères et c'est plus de deux ans après son départ qu'il retrouve sa femme et son jeune fils Dimitri, né en 1895[réf. nécessaire].

Raspoutine continue à vivre des périodes de mysticisme et d'ermite, parcourant la Sibérie occidentale et survivant grâce à la prédication, la charité et l'aumône, frappant aux portes des monastères et acquérant au fur et à mesure de ses pérégrinations une réputation de sage et de guérisseur. Il effectue de nombreux pèlerinages, particulièrement à Kazan et à Kiev : les gens commencent à venir de toute la région pour écouter ses prêches. Le clergé orthodoxe s'inquiète de son succès, mais ne peut rien lui reprocher. De plus en plus de fidèles viennent à ses réunions, amenant des malades sur lesquels il exerce ses talents de guérisseur. Sa réputation s'étend mais, en même temps, il continue une vie de débauché, de buveur, de bagarreur, de séducteur et même de voleur[réf. nécessaire].

On sait grâce à un recensement de 1897, qu'il vivait chez ses parents, était marié et père de famille. À cette époque, il a fait plusieurs allers-retours à pied entre son village natal et le monastère de Verkhotourié, réputé dans la région pour son rayonnement spirituel. Il y a fait, semble-t-il, plusieurs séjours[4].

Durant toutes ces années, il entre en contact avec les multiples sectes qui fleurissent sur le terreau de la religion orthodoxe. Il est notamment chargé d'accompagner un jeune moine au monastère de Verkhotourié. Ce cloître est en réalité tenu par la secte des khlysts qui mêlent, par la danse, la flagellation (d'où leur nom de « flagellants ») et l'extase, l'érotisme et la religion[5][source insuffisante], ce qui lui convient parfaitement[réf. nécessaire]. Il aurait étudié les pratiques de cette secte, mais sans jamais y avoir été initié, y perfectionnant son don pour l'hypnose et la magie[6][source insuffisante].

Son mysticisme devient doctrinaire et le conduit à l'élaboration d'obscures théories sur la régénération par le péché. Son plus célèbre précepte est « Pour se rapprocher de Dieu, il faut beaucoup pécher »[7] et les excès en tous genres.

Il semble certain qu'il ait acquis dans sa région une réputation de père spirituel, qui lui vaut le surnom de starets, montrant qu'il était reconnu comme un référent religieux[4].

C'est à cette époque qu'il entre en conflit avec l'Église orthodoxe officielle. Raspoutine a été soupçonné d'appartenir à la secte des flagellants. Ses membres qui se réunissaient pour prier étaient accusés de se livrer, au cours de ces réunions, à des séances collectives de flagellation, puis de copulation, supposées les conduire à la résurrection mystique. Une enquête religieuse est menée dans les années 1890 sans aboutir à la condamnation de Raspoutine en tant que membre de cette secte. Une seconde, déclenchée quelques années plus tard, n'apportera pas d'autres éléments probants, même si des suspicions persistent[4].

Arrivée à Saint-Pétersbourg

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La grande-duchesse Militza de Monténégro.
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l'archimandrite Théophane de Poltava

Les sources ne permettent pas d’établir avec certitude l’année exacte de la première arrivée de Raspoutine à Saint-Pétersbourg. Il est toutefois attesté qu’il s’y rendit à plusieurs reprises entre 1904 et 1905, à l’issue de ses déplacements religieux antérieurs, et qu’il y entra progressivement en contact avec des milieux ecclésiastiques de la capitale.

Au cours de ces premiers séjours, Raspoutine fut introduit auprès de personnalités religieuses influentes, parmi lesquelles figurent Jean de Cronstadt et Sergius Stragorodski, alors recteur de l’Académie théologique de Saint-Pétersbourg. Par l’intermédiaire de ces réseaux, il acquit une réputation de religieux charismatique, sans pour autant occuper une position institutionnelle au sein de l’Église orthodoxe.

Un rôle décisif dans son accès aux cercles proches de la cour impériale fut joué par les grandes-duchesses Militza de Monténégro et Anastasia de Monténégro, connues pour leur intérêt marqué pour les questions spirituelles et religieuses. C’est par leur intermédiaire que Raspoutine fut présenté à la famille impériale à l’automne 1905. Le , le tsar Nicolas II note dans son journal la rencontre avec « un homme de Dieu, Grigori, du gouvernement de Tobolsk ».

Cette première présentation ne se traduisit toutefois pas immédiatement par une influence durable à la cour. Raspoutine retourna à plusieurs reprises dans son village sibérien et poursuivit une existence partagée entre déplacements religieux et vie familiale.

En , Raspoutine fut de nouveau reçu par la famille impériale, à laquelle il offrit une icône. À la demande du tsar, il rendit également visite au président du Conseil Piotr Stolypine, dans un contexte marqué par un attentat récent ayant grièvement blessé deux des enfants de ce dernier. Raspoutine fut alors invité à prier, sans que cet épisode n’entraîne encore une modification substantielle de sa position.

À la fin de l’année 1906, Raspoutine sollicita officiellement l’autorisation d’ajouter le surnom « Novyï » (« Nouveau ») à son patronyme, démarche administrative attestée par plusieurs sources contemporaines.

Le tournant décisif survint le , lorsque Raspoutine fut invité au palais Alexandre de Tsarskoïe Selo afin de prier auprès du tsarévitch Alexis, alors victime d’une crise hémorragique. L’intervention de Raspoutine, perçue comme apaisante par les parents de l’enfant, marqua le début d’une relation de confiance durable avec l’impératrice Alexandra Feodorovna, qui le considéra dès lors comme un protecteur providentiel de son fils.

Raspoutine et la famille impériale (1904–1912)

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Raspoutine, le major-général Mikhaïl Poutiatine et le colonel Dmitri Loman. Photo de Karl Bulla, vers 1907-1908.
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Raspoutine, entouré de la tsarine Alexandra Feodorovna (à droite), ses cinq enfants et une gouvernante. 1908.
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Rasputin-Germogen-Iliodor
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Raspoutine vers juillet 1914, probablement après la tentative d'assassinat perpétrée par Khionia Gousseva.

Introduction à la cour impériale (1905)

À partir de 1905, Grigori Raspoutine apparaît dans l’entourage immédiat de la famille impériale russe, dans un contexte de crise politique et morale profonde marqué par la Révolution russe de 1905. Par l’intermédiaire de la grande-duchesse Militza de Monténégro et de sa sœur Anastasia, il est présenté au tsar Nicolas II et à l’impératrice Alexandra Fiodorovna au palais Alexandre à l’automne 1905. Il s’y distingue par une religiosité populaire, un langage simple et imagé, et une assurance inhabituelle pour un paysan sibérien, contrastant avec les codes de la cour.

Dès ses premières apparitions, Raspoutine suscite des réactions contrastées : fascination chez certains, malaise et scepticisme chez d’autres. Sa figure s’inscrit dans une tradition russe ancienne qui associe spiritualité, ascèse populaire et charisme individuel, mais il n’est reconnu ni comme moine ni comme membre officiel du clergé orthodoxe.

Le tsarévitch Alexis et les premières « guérisons » (1905–1907)

Le rapprochement décisif entre Raspoutine et la famille impériale est lié à l’état de santé du tsarévitch Alexis, atteint d’hémophilie, affection héréditaire alors connue mais très mal comprise sur le plan médical. Les traitements disponibles au début du XXᵉ siècle sont empiriques, parfois contre-productifs, et les médecins se trouvent souvent démunis face aux crises hémorragiques.

Lors de plusieurs épisodes survenus entre 1905 et 1907, Raspoutine est appelé auprès de l’enfant. Son intervention se limite à la prière, à une attitude apaisante et à des exhortations au calme. À plusieurs reprises, l’état d’Alexis s’améliore dans les jours qui suivent. Ces améliorations, interprétées par l’impératrice comme des guérisons providentielles, peuvent également s’expliquer par l’arrêt de traitements agressifs et par la réduction du stress, facteur aggravant reconnu dans les crises hémophiliques.

Pour Alexandra Fiodorovna, profondément anxieuse pour la vie de son fils, ces épisodes établissent Raspoutine comme un intercesseur indispensable, capable là où la médecine échoue.

Ascendant croissant et cercle de fidèles

À partir de 1907, Raspoutine devient un familier de Tsarskoïe Selo. Son influence repose moins sur un pouvoir institutionnel que sur une relation personnelle avec l’impératrice, qui voit en lui un protecteur spirituel de son fils et, par extension, de la dynastie.

Invité dans des cercles aristocratiques et mondains, il déroute par son comportement : absence de manières, provocation implicite, mélange de familiarité et de distance. Certains témoignages contemporains évoquent des attitudes volontairement dérangeantes, contribuant à l’image ambiguë qu’il renvoie à l’aristocratie : à la fois paysan fruste et figure charismatique, inspirant admiration ou répulsion.

Cette ambiguïté alimente rapidement rumeurs et soupçons, notamment autour de ses relations avec des femmes issues de la haute société, sans qu’il soit possible de distinguer clairement faits établis, exagérations et calomnies.

Montée des accusations et premières enquêtes (1909–1911)

À partir de 1909, Raspoutine devient une figure centrale de la polémique publique. Une partie de la presse, en particulier à Moscou et à Saint-Pétersbourg, l’accuse d’immoralité, d’imposture religieuse et d’exercer une influence occulte sur l’impératrice. Ces attaques s’inscrivent dans un climat de défiance généralisée envers la cour, perçue comme coupée du pays réel.

Dans les milieux politiques et ecclésiastiques, Raspoutine est de plus en plus considéré comme un facteur de désordre. Des accusations récurrentes l’associent à la secte des khlysty, mouvement mystique interdit, connu principalement à travers des rapports de police et des dénonciations de prêtres locaux. Aucune enquête officielle ne parvient toutefois à établir une appartenance formelle de Raspoutine à cette secte.

En 1911, face à la multiplication des scandales et à la pression de l’opinion, le président du Conseil Piotr Stolypine ordonne une enquête administrative sur le comportement de Raspoutine. Celle-ci ne débouche sur aucune condamnation, mais marque un tournant : Raspoutine devient politiquement embarrassant, surveillé par les autorités et isolé en dehors du cercle restreint de ses partisans.

Éloignement temporaire et tensions politiques (1911)

Dans ce contexte, Raspoutine s’éloigne temporairement de la capitale en 1911. Cet éloignement, parfois interprété comme une mise à l’écart tacite plutôt que comme un pèlerinage pleinement documenté, ne met pas fin aux polémiques. Son conflit avec Stolypine s’aggrave, les deux hommes incarnant des visions opposées de l’ordre et de la réforme dans l’Empire russe.

L’assassinat de Stolypine à Kiev en septembre 1911, par un agent aux affiliations troubles, donnera lieu à de nombreuses spéculations ultérieures. Aucune implication directe de Raspoutine n’a toutefois jamais été démontrée.

Nouvelle vague de scandales et tentative de marginalisation (1912)

Au début de 1912, Raspoutine est l’un des hommes les plus controversés de l’Empire. Les accusations de « débauche mystique », d’abus d’influence et de corruption morale se multiplient. Le gouvernement tente de limiter son impact par des mesures indirectes, notamment en restreignant la presse et en encourageant son éloignement volontaire de Saint-Pétersbourg.

Malgré ces efforts, son lien personnel avec l’impératrice demeure intact. Aux yeux de nombreux contemporains, Raspoutine incarne désormais à la fois une religiosité populaire authentique et une menace symbolique pour la crédibilité du régime.

La crise de Spala et l’apogée de son influence (1912–1913)

À l’automne 1912, lors d’un séjour de la famille impériale à Spala, le tsarévitch Alexis, alors âgé de huit ans, est victime d’une hémorragie interne gravissime, consécutive à une chute survenue lors de l’embarquement dans une embarcation. Les médecins, conscients de la fragilité extrême de l’enfant mais dépourvus de moyens thérapeutiques efficaces, redoutent une issue fatale. Des bulletins médicaux sont publiés, sans révéler la nature exacte de la maladie, encore mal comprise à l’époque.

Raspoutine, alors à Pokrovskoïe, à plus de 2 500 kilomètres de distance, est contacté par télégramme. Sa réponse, exhortant à ne pas « tourmenter » l’enfant par des traitements excessifs et à privilégier le calme, coïncide avec une amélioration progressive de l’état du tsarévitch. Les sources divergent quant à la chronologie précise de cet échange, ce qui a nourri ultérieurement débats et controverses sur la portée réelle de son intervention.

Pour l’impératrice Alexandra Fiodorovna, cet épisode constitue une confirmation décisive du rôle protecteur et salvateur qu’elle attribue à Raspoutine. À partir de ce moment, sa position auprès d’elle devient pratiquement inexpugnable.

Entre 1912 et 1913, ni les enquêtes, ni l’hostilité de la presse, ni les condamnations ecclésiastiques, ni les débats à la Douma d'État ne parviennent à entamer cette confiance. Les jugements portés sur Raspoutine restent profondément divisés, reflétant moins des faits unanimement établis que les fractures politiques, sociales et idéologiques d’un Empire en crise.

Grande Guerre

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Raspoutine avec son père et ses « admiratrices », en 1914, photo par Karl Bulla

Derrière le démembrement de l'Empire ottoman et la question des Balkans se mettent en place les conditions d'une guerre générale. Raspoutine et ses alliés de la paix cherchent, sans succès, à freiner la marche de la Russie vers la guerre. Le service du renseignement britannique estime qu'il est en effet en lien avec le banquier Serge Rubinstein et ses réseaux allemands[8]. Le 29 juin, Raspoutine est poignardé par une mendiante, Khionia Gousseva, une ancienne prostituée, au sortir de l'église de son village sibérien. L'enquête démontre que l'ordre est venu du moine Iliodore (en) (de son vrai nom Sergueï Mikhaïlovitch Troufanov) qui lui reproche ses croyances khlyst.

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Nuit de Pâques 1917 à l’appartement de Raspoutine, en compagnie de Lili Dehn et de sa fille Maria Raspoutine, photo par Karl Bulla.

Après cet attentat et son rétablissement, l'importance de Raspoutine devient primordiale et son influence s'exerce dans tous les domaines : il intervient dans les carrières des généraux, dans celle des métropolites et même dans la nomination des ministres, mais la peur l'a envahi. Il se met à boire encore plus d'alcool, à participer à encore plus de soirées de débauche et d'orgies dans les cabarets tsiganes. Il n'est plus le « starets » ascétique que tout le monde respectait. Cependant, malgré son caractère débauché et son aspect de moins en moins engageant, ses conquêtes féminines sont de plus en plus nombreuses dans la haute société.

Le , la guerre est déclarée officiellement entre la Russie et l'Allemagne. Le patriotisme russe s'exalte – surtout en raison des premiers succès militaires – et Raspoutine voit sa faveur décliner. Rapidement cependant, la situation militaire se détériore : hiver rigoureux, manque d'armement, d'approvisionnement, commandement indécis, prises de risque inconsidérées par le généralissime Nicolas Nicolaïévitch. Après la Grande Retraite de 1915, Nicolas II, malgré l'avis défavorable de ses ministres, décide de prendre le commandement des armées et s'installe sur le front, laissant la régence à son épouse et à son conseiller privé Raspoutine.

La correspondance de l'impératrice qui est effectivement sous l'emprise de Raspoutine révèle que sous l'influence de son « ami Grigori », elle conseille son époux dans tous les domaines, y compris militaires. C'est dans ce contexte que des rumeurs commencent à se développer, prétendant que Raspoutine est un espion allemand, favorable à la paix[4].

Ce dernier se fait alors de plus en plus d'ennemis, en particulier chez les politiques, les militaires et dans le clergé orthodoxe qui, au début, l'a pourtant bien accueilli, mais que son inconduite révolte. Les pires calomnies se répandent en même temps que la guerre tourne au désastre. En 1916, à la Douma, la tsarine, qui est d'origine allemande, et Raspoutine sont ouvertement accusés de faire le jeu de l'ennemi.

Assassinat

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Raspoutine vers 1916.

L'historien Edvard Radzinsky a pu donner les détails de cet assassinat grâce aux archives de la Commission extraordinaire de 1917 et au dossier secret de la police russe[9].

La famille Ioussoupov, inquiète de l'influence de Raspoutine sur la famille impériale, choquée par sa réputation scandaleuse, ses débauches, dans lesquelles des noms de femmes de la haute noblesse sont mêlés, s'oppose de plus en plus ouvertement au « starets ». De plus, en pleine guerre mondiale, le bruit court qu'il espionne au profit de l'Allemagne. Plusieurs complots se trament contre lui.

Une conjuration aboutit à son assassinat dans la nuit du 16 au alors qu'il est l'invité du prince Félix Ioussoupov, époux de la grande-duchesse Irina, nièce du tsar. Ce dernier, héritier de la famille la plus riche de Russie, allait très souvent voir Raspoutine. Pour Alexandre Jevakhoff, auteur d'une biographie de Raspoutine, « il est certain qu’ils s’appréciaient »[4]. Parmi les principaux conjurés se trouvent le grand-duc Dimitri Pavlovitch, cousin de Nicolas II et amant du prince[10], le député d'extrême droite Vladimir Pourichkevitch, l'officier Soukhotine, le docteur Stanislas Lazovert ainsi que l'agent secret britannique Oswald Rayner. En 1927, Ioussoupov, chez qui a été commis l'assassinat, donne en public un récit détaillé mais quelque peu surréaliste[11].

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Bolshoi Petrovsky pont, 2007

Le cadavre est retrouvé le au petit matin. Recouvert d'une épaisse couche de glace, il est remonté à la surface de la Neva au niveau du pont Petrovsky. L'album photos de la police, exposé au Musée d'histoire politique de la Russie à Saint-Pétersbourg, montre un Raspoutine au visage profondément tuméfié, qui a subi un passage à tabac d'une rare violence[12]. Il a reçu trois balles dans le corps ; une au niveau du front, une autre au niveau de la poitrine et une autre encore au niveau du dos, toutes tirées par des revolvers de calibre différent.

Une première version, controversée, indique que l'autopsie, faite à l'Académie militaire par le professeur Kossorotov le jour même de la découverte du corps, révèle que Raspoutine n'est mort ni du poison[13], ni des balles, ni des coups assénés mais de noyade, en raison d'une supposée présence d'eau dans les poumons qui prouverait qu'il respirait encore au moment où on le jeta dans la petite Neva.

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Photographie du cadavre de Raspoutine montrant la trace de la balle tirée à bout touchant dans le front.

Une seconde version, qui est aujourd'hui la version retenue, indique que le « starets » n'a pas été empoisonné, puisque aucune trace de poison n'a été retrouvé ni dans son corps ni dans ses fluides, mais que la cause de sa mort serait la balle dans la tête, tirée à bout touchant pour porter à Raspoutine le coup de grâce, tandis que les deux autres balles, sans doute tirées en premier dans un moment de confusion générale, n'étaient pas mortelles. Aucune trace d'eau ne semble présent dans les poumons de Raspoutine et le docteur Lazovert avouera effectivement plus tard au prince Félix Ioussoupov et à Dimitri Pavlovitch qu'il ne leur a jamais réellement fourni du cyanure mais un simple produit inoffensif.

Le célèbre récit horrifique de la nuit du 16 au , donnant à Raspoutine une aura de diable, n'est certainement que pure invention pour permettre à Ioussoupov, qui avait perdu sa fortune après la révolution bolchévique, de mieux vendre ses mémoires, ainsi que pour faire penser au grand public que la difficulté de la mise à mort de Raspoutine est expliquée par sa force naturelle et non par l'amateurisme de ses assassins.

Réactions et suites immédiates

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Le prince Félix Ioussoupov en 1914.
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Puriskevich

L’impératrice Alexandra est profondemment bouleversée par la mort de celui qu'elle considérait comme le seul homme pouvant sauver son fils. Pour Nicolas II, la participation au crime de l’un de ses cousins germains, Dimitri Pavlovitch, dont il était très proche, constituait un scandale familial, qui menaçait le régime autocratique et mettait en danger la dynastie. Le reste de la famille Romanov lui a alors envoyé une lettre pour lui demander de gracier le grand-duc, mettant en avant le fait que l'assassinat de Raspoutine était une œuvre de salubrité publique, ce qui le scandalisa. Néanmoins, Dimitri ne reçut qu'une sanction assez légère, étant simplement contraint de rejoindre l’armée russe sur le front perse[4].

Plusieurs personnes ayant eu vent de la nouvelle de la mort de Raspoutine viennent puiser l'eau où celui-ci a été trouvé mort, dans l'espoir d'y recueillir un peu de son pouvoir mystérieux[14]. À la demande de l'impératrice, Raspoutine est inhumé le 22 décembre 1916 ( dans le calendrier grégorien) dans une chapelle en construction, près du palais de Tsarskoïe Selo. Un monument commémoratif y fut élevé dans les années 1990.

Au soir du , sur ordre du nouveau Gouvernement révolutionnaire provisoire, on exhume le corps de Raspoutine. Pour le faire disparaître, on le ramène avec son cercueil à Saint-Pétersbourg et il est incinéré dans une chaudière de l'institut polytechnique, puis ses cendres sont dispersées dans les forêts environnantes. Mais, selon la légende, seul le cercueil aurait brûlé, le corps de Raspoutine restant intact sous les flammes.

Lords de la première révolution de février 1917, le gouvernement provisoire crée une commission d'enquête dont l'une de ses missions est de rechercher si Raspoutine avait été un agent allemand, s'il s'était enrichi ou encore s'il avait eu des relations coupables avec la famille impériale. Après plusieurs enquêtes et contre-enquêtes, la commission concluera qu'il n'y avait rien eu de répréhensible sur ce dernier point[4].

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Légende

Résumé
Contexte

Dès 1917, l'image de Raspoutine est largement utilisée par la propagande bolchévique pour symboliser la déchéance morale de l'ancien régime. Elle a été reprise, déformée, amplifiée, par la littérature dès 1917, puis, à partir de 1928, par le cinéma et la télévision, qui en ont fait une exploitation à la limite du fantastique et de l'érotisme.

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Caricature de N. Ivanov montrant le couple impérial sous la coupe d'un Raspoutine diabolisé. Vers 1916.

Des journalistes et hommes politiques hostiles à la Maison Romanov ont fait courir la rumeur que Raspoutine avait été l'amant de la tsarine[6]. L'historien Edvard Radzinsky, d'après le dossier secret de police russe acquis chez Sotheby's, relativise l'érotomanie et la débauche sexuelle de Raspoutine : la défloration de nonnes ou le viol de dames de la haute aristocratie seraient là aussi essentiellement des rumeurs colportées par des personnes inquiètes de son influence sur la Cour ou hostiles au régime monarchique[15],[16].

Au cours des années, Raspoutine, largement « diabolisé », est finalement devenu un mythe, servant de prétexte à beaucoup de dirigeants politiques russes et européens pour s'exonérer de leurs propres responsabilités dans les événements tragiques survenus en Russie.

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Dans les arts et la culture populaire

Le personnage de Grigori Raspoutine et les mystères qui l'entourent n'ont cessé d'intriguer et continuent jusqu'à aujourd'hui à stimuler l'imaginaire créatif. Bon nombre d'œuvres le mettent en scène qui, tantôt tentent de s'approcher de la réalité historique, tantôt  le plus souvent  s'en écartent allègrement. Alors que le personnage est complexe, c'est l'aspect « débauché », « manipulateur », « symbole de la chute d'un Empire », qui est presque toujours mis en évidence et exploité.

Documentaires

  • 2009 : Dossiers secrets Saison 1 épisode 5 Raspoutine.
  • 2011 : L'Ombre d'un doute épisode Les secrets de la mort de Raspoutine.
  • 2016 : Raspoutine : Meurtre à Saint-Pétersbourg d'Eva Gerberding, 52 min, ZDF[17].

Notes et références

Annexes

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