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Polis
cité-État dans la Grèce antique De Wikipédia, l'encyclopédie libre
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En Grèce antique, la polis (en grec ancien πόλις / pólis, « cité » ; dans l'étymologie latine civitas) est une cité-État, c’est-à-dire une communauté de citoyens libres et autonomes[Note 1], le corps social lui-même, l'expression de la conscience collective des Grecs[1]. Dans la pensée grecque antique, la cité représente avant tout une structure humaine et sociale, et non une organisation administrative : il n’y a pas d’État indépendamment d’une communauté humaine concrète[2]. C’est la raison pour laquelle les cités sont désignées, dans la langue grecque, par le nom de leur peuple : la cité d'Athènes n'existe pas en tant que telle, on parle de la « cité des Athéniens », tout comme Sparte est la cité des Lacédémoniens.

La notion de polis peut ainsi recouvrir trois réalités superposables et peut apparaître comme :
- une donnée sociale, comprise comme une communauté d'ayants droit, libres et autonomes, fortement structurée : le corps des citoyens. La polis est alors comprise comme une entité politique et même comme le cadre de l'émergence du politique ;
- une donnée spatiale, un site qui noue de manière insécable une ville à son territoire et un écosystème. La polis est alors comprise comme une entité physique ;
- un État souverain, doté de pouvoirs régaliens, qui joue un rôle sur la scène internationale[3],[4].
Il existe au moins 750 cités situés sur la rive nord de la mer Méditerranée et de la mer Noire, divisées entre :
- Les anciennes cités concentrées sur le Péloponnèse et l'Asie Mineure ;
- Les colonies fondées à partir du VIIIe siècle av. J.-C. par des marchands et des marins grecs.
Durant l'époque hellénistique de nombreuses fondations sont réalisées en Asie, jusqu'en Asie centrale. L'époque romaine voit également la fondation de nouvelles cités grecques. Le modèle civique vu en effet très dynamique jusqu'à l'Antiquité tardive.
La cité est donc un élément cardinal de la civilisation grecque antique et occupe une grande place dans les mentalités et les réflexions. Selon la formule d’Aristote dans le Politique, la cité est une communauté (κοινωνία / koinônía) « d'animaux politiques » réunis par le choix (προαίρεσις / proaírésis) non pas seulement de vivre ensemble mais de « bien vivre », εὖ ζῆν / eû zēn, en vue d’une vie parfaite et autarcique[5]. Cette vie commune et parfaite est assurée d’abord et surtout par « la vertu de justice, vertu politique par excellence »[6], (ἥ δικαιοσύνη πολιτικόν / hế dikaiosúnê politikón), et consolidée par la référence à un même passé mythique, à des héros communs, à des rites et des lois intégrées et partagées.
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La formation de la cité grecque
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Le processus de formation des cités grecques, qui a lieu durant la première partie de l'époque archaïque (VIIIe – VIIe siècle av. J.-C.), reste mal connu car mal documenté, ses modalités sont très débattues. Cette forme politique est surtout connue par ses formes abouties, réunissant ses traits caractéristiques, à compter du VIe siècle. Au sens large, cette évolution est couramment envisagée comme une (re)formation de l’État en Grèce, entendu comme un État archaïque ou « primitif » (donc différent d'un État moderne)[7] D'autres approches existent, mettant notamment en avant le fait que la cité soit prioritairement définie comme une communauté d'individus, les citoyens, se réunissant autour de valeurs communes, le développement d'une administration étant un phénomène plus tardif (sous les tyrannies et à l'époque classique)[8].
Il est difficile de s'accorder sur le moment où serait franchi le seuil permettant de considérer qu'on est bien en présence d'une entité étatique avec des aspects urbains, le processus étant graduel, suivant des rythmes différents selon les lieux et accouchant sur des formes politiques relativement diverses[9]. Les colonies grecques fondées à cette période ne sont pas à proprement parler des « exportations » du modèle de la polis, puisque celui-ci n'a pas achevé de se constituer au moment des premières fondations. Au contraire, elles participent au phénomène de formation de la cité, qui s'enrichit conjointement des réflexions et expériences des Grecs de Grèce et des Grecs de ces nouveaux mondes[10],[11]. Il ne faut pas non plus forcément chercher à faire coïncider le phénomène d'urbanisation avec celui de formation des États en Grèce, vu que les cités-États grecques n'ont pas systématiquement un centre urbain, a fortiori durant l'époque archaïque[12].
Cela étant dit, en l'état actuel des choses le constat du développement de la cité-État repose sur un faisceau d'indices, qui consiste avant tout en l'identification de traits urbains sur des sites archéologiques, faute de mieux. Ils sont surtout perceptibles à partir du VIIIe siècle, et poursuivant leur formation sur le suivant[13],[14] :
- il y a à long terme un processus d'urbanisation du monde grec, les agglomérations connaissent une croissance, mais d'une manière générale il reste très difficile d'estimer la population ou ne serait-ce que l'extension d'un site de cette période et le peuplement d'un territoire[15],[16] ;
- les agglomérations se dotent progressivement de constructions publiques révélant une organisation collective de plus en plus poussée (murailles, temples, agoras), une forme d'organisation planifiée se repérant même dans la fondation coloniale Mégara Hyblaea[17],[18] ;
- plus largement les aspects « urbains » des sites, reflétant la constitution d'une entité politique, sont de plus en plus prononcés au fil du temps, qu'ils soient sociaux (stratification sociale), économiques (développement des échanges, de l'artisanat, de la spécialisation des métiers), culturels (développement de l'écriture, notamment pour des usages publics) ou religieux (développement des sanctuaires civiques, symbolisant la communauté et servant parfois à marquer son emprise sur son territoire, notamment sur ses marges), même s'ils ne sont vraiment réunis que plus tardivement[19],[20] ;
- des aspects annonciateurs de l'organisation civique pourraient se repérer chez Homère (assemblées, notions de « peuple » laos et demos)[21] ;
- les premiers textes législatifs émis par des institutions civiques apparaissent dans le courant du VIIe siècle, le plus ancien texte de loi connu provenant de Dréros en Crète, daté d'environ 650, mentionnant des magistrats (les cosmes), alors que les traditions postérieures préservent le souvenir de législateurs semi-légendaires dans plusieurs cités (Zaleucos de Locres, Dracon d'Athènes, Lycurgue de Sparte, Charondas de Catane)[22] ;
- d'autres éléments potentiellement révélateurs de l'émergence d'une idéologie citoyenne ont pu être scrutés, comme la guerre (avec l'apparition des « citoyens-soldats », les hoplites) et les pratiques funéraires (des possibles droits à une sépulture plus ou moins larges ou des lois somptuaires révéleraient l'existence de droits politiques restreints à une élite ou au contraire élargis à un groupe plus important)[23],[24].
Quant aux explications du phénomène, elles sont également indéterminées, une fois mises en avant les évolutions générales de la période (développement démographique et économique, expansion hors de Grèce). Il est peu probable que les cités-États grecques se développent en s'inspirant d'un modèle extérieur (alors que la Phénicie est également un pays de cités-États)[25], et le cas grec diverge des autres exemples bien identifiés de formation de l’État (comme la Mésopotamie) par le fait que l'urbanisation et la différenciation sociale y restent moins affirmées, ce qui rend difficile l'application de modèles explicatifs venus d'ailleurs[26]. Les élites grecques jouent le rôle principal dans les scénarios proposés. Les liens et continuités entre les aristoi des cités archaïques et les basileis de la période antérieure sont discutés (le second titre disparaissant quasiment partout, sauf à Sparte)[27],[28]. Certains postulent qu'une nouvelle élite remplace l'ancienne, notamment des hommes venus de la couche moyenne de la paysannerie, donc une mobilité sociale, là où d'autres à l'inverse estiment que l'ancienne élite se réforme de l'intérieur pour préserver sa position[29],[30]. La place de la guerre peut être mise en avant, notamment parce qu'elle occupe une place importante chez Homère et semble être un phénomène récurrent dès la haute époque archaïque, également parce que la supposée « révolution hoplitique » intervient souvent dans les scénarios visant à expliquer les évolutions sociales dans les premières cités[31],[32].
Par exemple, pour P. Rose, il pourrait y avoir eu mise en place d'une nouvelle élite à base terrienne avec une conscience de classe, organisant un partage du pouvoir en son sein par le biais des magistratures annuelles et en liant citoyenneté et propriété du sol[29]. Pour I. Morris, la croissance de la population joue un rôle déclencheur en rompant les équilibres passés. La spécificité de la Grèce réside selon lui dans une solution politique reposant sur l'« égalitarisme masculin » et une solidarité collective face aux potentiels monarques, là où les autres régions du monde méditerranéen voient au contraire un renforcement du pouvoir des souverains. Cette originalité serait le résultat des conflits et de négociations au sein de l'élite et entre l'élite et le reste des hommes libres, conduisant à de nouvelles solutions pour que le groupe dominant préserve le pouvoir. Cela aboutit, sous des formes diverses, à des régimes dirigés par des conseils aristocratiques élisant des magistrats annuels et à un élargissement du groupe impliqué dans la prise de décision politique[33].
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Organisation des cités
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Lois et institutions
« Que le dieu soit favorable (?). La cité en a décidé ainsi : quand quelqu’un aura été cosme, de dix ans le même ne sera plus cosme ; s’il venait à être cosme, dans tous les cas où il prononcerait un jugement, lui-même devra l’amende au double et il ne pourra plus exercer de magistrature aussi longtemps qu’il vivra et ce qu’il aura fait comme cosme sera nul. Jureurs : le cosme, les damioi et les vingt de la cité. »
Loi limitant la durée d'exercice d'une magistrature, inscription de Dréros (Crète), v. (plus ancienne loi grecque connue par une inscription)[34].

Le processus de formation des cités grecques s'accompagne du développement de lois (nomoi), couchées par écrit à partir du VIIe siècle av. J.-C. Souvent, elles sont attribuées postérieurement à des figures enveloppées d'une aura légendaire, tels Zaleucos à Locres Épizéphyrienne, Dracon et Solon à Athènes et Lycurgue à Sparte. Elles sont présentées comme l'expression de la volonté collective du corps citoyen, ce qui leur confère leur légitimité, et leur inscription sur pierre (elles sont souvent connues par ce biais, par exemple le « code de Gortyne »), métal ou bois les rend obligatoires. Elles concernent potentiellement tous les domaines de la vie privée et publique. En pratique la décision des lois prend différentes modalités : par l'assemblée de citoyens, par les personnes exerçant de façon collégiale la magistrature de juge. Ceux-ci siègent dans un tribunal civique, rendent leur verdict après des débats qui ont donné lieu à Athènes à l'apparition de personnes spécialisées dans la rédaction de plaidoyers, les logographes[35].

Les lois régissent suivant des modalités diverses le fonctionnement des institutions civiques permettant au citoyens de se répartir la gestion des affaires de la cité. Elles ont des prérogatives diverses suivant la cité, dès l'époque classique au moins un socle commun se retrouve d'une cité à l'autre, quel que soit son système politique :
- une assemblée de citoyens qui intervient généralement en dernier lieu dans la prise de décision (sur les lois, la guerre, et toute décision de premier ordre, notamment judiciaire) ;
- un conseil plus restreint préparant les lois (probouleusis ; cette institution est peut-être absente des cités où le corps de citoyens est très restreint) ;
- un conseil des Anciens, qui peut avoir des fonctions législatives et judiciaires ;
- des magistrats civils et militaires (les deux étant souvent confondus), généralement désignés pour un an, qui se chargent de la gestion de la cité, et de la conduite de ses armées, tels que les archontes qui exercent des fonctions de direction, l'agoranome chargé de la supervision de l'agora, le stratège et le polémarque pour les affaires militaires, etc. Sparte est la seule cité connue à avoir conservé des rois, avec une fonction qui n'est pas à proprement parler monarchique, alors que la tyrannie, courante à l'époque archaïque, a quasiment disparu dans la Grèce classique où le terme a pris une connotation négative (à la différence de ce qui se passe à la même époque en Grande Grèce)[36],[37].
Pour leur fonctionnement, les cités ne développent pas de bureaucratie. Elles impliquent autant que faire se peut leurs citoyens dans la direction de ses affaires et la prise de décision. Le système athénien est de loin le mieux connu pour l'époque classique : les tâches administratives comme celles, financières, des poletai, sont réparties entre des citoyens, par groupes de dix exerçant une charge pendant un an, sous la supervision du conseil (la Boulè). On se soucie plus de leur probité que de leurs compétences[38].
La fiscalité prend des formes variées : il existe des taxes sur les transactions, un impôt de répartition exceptionnel (eisphora). Leur prélèvement est affermé. Les plus riches sont spécifiquement mis à contribution par le biais des liturgies, servant à financer le fonctionnement des gymnases, des pièces de théâtre, des banquets, des navires de guerre, etc. Tout cela ne suffit pas à financer les importantes dépenses militaires de la cité, qui recourt durant sa période impérialiste à un tribut prélevé sur ses alliés[39],[40].
Organisation sociale
« Le citoyen est nécessairement différent suivant chaque politéia (ici : « constitution »). C'est pourquoi le citoyen dont nous avons parlé existe surtout dans une démocratie ; dans certaines cités, il n'y a pas de peuple [de peuple délibérant] ni de cession régulière de l'Assemblée, mais seulement des réunions sur convocations, et les procès sont répartis entre certains juges ; […]. La nature du citoyen ressort ainsi clairement de ces précisions ; quiconque a la possibilité de participer au pouvoir délibératif et judiciaire, nous disons qu'il est citoyen de cette cité, et nous appelons cité la collectivité des citoyens ayant la jouissance de ce droit, et en nombre suffisant pour assurer à la cité, si l'on peut dire, une pleine indépendance. »
La cité grecque se définit avant tout comme une communauté humaine : c'est sa communauté citoyenne qui est la condition fondamentale pour son existence, plus que le territoire sur lequel elle exerce sa souveraineté, ce qui fait la spécificité du modèle de la cité grecque. A. Duplouy parles pour les cités archaïques d'une « citoyenneté comportementale », « des comportements, collectifs ou individuels, propres aux citoyens entraînaient en effet une reconnaissance communautaire, voire permettaient d’intégrer le corps civique[42]. »
Dans les discours officiels, la cité est désignée par ses habitants, ou plutôt le corps de ses citoyens (politai), donc des « Athéniens », « Spartiates », « Milésiens », etc. Ce sont ceux qui prennent effectivement part au processus de décision politique, qui y accèdent suivant des principes variés, mais sont dans tous les cas des hommes adultes, ce qui revient à exclure du groupe une grande partie de la population qui vit dans la cité. Les critères de citoyenneté sont inconnus pour l'époque archaïque, faute de sources. À l'époque classique ils varient selon les cités. Ils sont déterminés par des lois formant une « constitution » (politeia). Ces lois leur offrent aussi accès aux magistratures suivant des modalités là encore très variables, tous les citoyens n'ayant pas les mêmes capacités politiques (notamment au regard de leur âge). C'est suivant ces critères que sont distingués les deux principaux régimes politiques : les oligarchies où le processus de décision est contrôlé par une élite ; les démocraties qui intègrent la plupart des hommes adultes des familles originaires de la cité, dont Athènes représente l'aspect le plus « radical ». La majeure partie des régimes semble avoir un profil « modéré », avec une large base citoyenne. Les non-citoyens, la majorité de la population, qui n'ont pas accès au processus de décision politique sont donc les femmes et enfants des citoyens, les hommes libres non-citoyens et leur famille, groupe qui comprend des natifs de la cité et des étrangers, et enfin les populations de statut servile[43],[44],[45].
Une cité dispose d'un chef-lieu, en général une ville (mais pas toujours), où siègent ses institutions qui sont en gros similaires d'une cité à l'autre, avec une assemblée, un conseil, des tribunaux, et des magistrats désignés selon des modalités diverses. À compter du VIIe siècle av. J.-C. des lois écrites régissent l'organisation des cités. La population de la cité (au-delà des citoyens) manifeste sa cohésion et son identité par des cultes civiques, notamment ceux de la divinité tutélaire de la cité (la divinité « poliade ») et des héros et héroïnes locaux, dont les sanctuaires participent à la structuration de son territoire et les principales festivités réunissent le groupe autour de processions et de banquets collectifs. Elle est plus largement soudée par un ensemble de coutumes ancestrales. En fin de compte, les foyers, les groupes de parenté, l'économie comme la religion et la culture sont subordonnés à la cité, qui les oriente dans un sens « politique ». La cité s'impose comme la référence principale d'un individu grec antique, au-delà des autres références (parentés, ethnè), et l'implication du corps des citoyens dans la prise de décision politique entraîne de nombreux débats et réflexions, l'émergence d'une culture politique qui affecte tous les aspects de la vie de la cité[43],[44],[45].
Selon P. Cartledge : « La cité antique était une communauté politique relativement dépourvue d'État, sans les distinctions ou oppositions marquées, si familières aujourd'hui, entre l'État et le reste de la communauté citoyenne, et entre le public et le privé. Elle était par conséquent dépourvue de toute « société civile » intermédiaire entre l'individu, en tant que tel ou en tant que membre d'une unité familiale, et l'État. La politique dans une cité grecque était, en d'autres termes, une affaire sociale, et non quelque chose qu'il fallait laisser aux seuls politiciens ; inversement, la société était également politique. Le terme grec politeia pouvait donc signifier à la fois constitution politique au sens strict et, plus largement, société[46]. » Ou encore, selon P. Brulé: « on peut soutenir que si l'on cherche bien on trouve en Grèce de la politique partout. De sorte que ce n'est pas trahir cette culture que de la définir comme celle où le champ du politique domine tous les autres[47]. »
Écrivant au moment où le processus est achevé et consolidé, Aristote a ainsi pu définir l'homme grec comme un « animal politique », qui ne peut s'épanouir que dans une polis[48].
Organisation spatiale

La cité-État grecque telle qu'elle se constitue à l'époque archaïque prend généralement corps autour d'un chef-lieu, noyau urbain (quoique le processus d'urbanisation soit lent en Grèce continentale et rarement achevé avant le VIe siècle) et cœur de l'activité politique, qui peut être désigné par le terme polis, ou bien par celui d’asty. Ce dernier mot s'oppose à celui de khôra, espace au-delà des murailles, non urbanisé[49],[50].
Avec le temps, les cités grecques se dotent des caractéristiques physiques qui sont amenés à perdurer au cours de leur très longue histoire. Un certain nombre de sites urbains semblent formés non pas par la croissance d'un village, mais par synoecisme, c'est-à-dire par la constitution d'un nouveau lieu d'habitat par la réunion de populations occupant plusieurs sites voisins, qui sont alors abandonnés. Le processus est visible dès la fin du VIIIe siècle dans les Cyclades (Andros, Paros). Aux alentours de 600, à la lumière des découvertes effectuées sur des fondations coloniales telles que Mégara Hyblaea, Métaponte et Thasos, dans de plus en plus de cités on est en présence selon R. Osborne d'un « espace civique planifié et différencié, (de) sanctuaires des dieux progressivement monumentalisés, et (d'un) marquage matériel clair des statuts familiaux »[51].
Autre élément majeur des communautés, les nécropoles, de plus en plus regroupées à l'écart des espaces résidentiels à partir du VIIe siècle. Ce sont des lieux importants pour l'affirmation des identités familiales, et aussi des statuts sociaux, puisqu'il existe des distinctions par la localisation ou l'aspect de la tombe (ce qui renforce sa visibilité : tertre, stèle, statue ou autre marqueur, dédicace), voire des droits à sépulture liés aux capacités politiques et des lois somptuaires pour limiter les étalages de luxe sur les lieux d’inhumation[52],[53],[54].
Les sanctuaires sont les espaces qui se distinguent le plus rapidement dans les territoires civiques. Les temples grecs se dotent à l'époque archaïque de leurs aspects caractéristiques. Ils deviennent des éléments marquants des paysages des cités, qui y investissent des ressources considérables[55]. Les sanctuaires majeurs ne sont pas forcément situés en ville : plusieurs cas de sanctuaires extra-urbains situés aux marges de la cité sont identifiés, comme celui de l'isthme de Corinthe ; ces sanctuaires « des confins » serviraient à marquer le fait que ces espaces marginaux sont placés sous le contrôle de la cité qui les y a érigés[56].
Les éléments caractéristiques des villes grecques se constituent durant les époques archaïque et classique et sont surtout réunis dans les cités hellénistiques, et par la suite celles d'époque romaine. La ville donne un cadre autour duquel s'organise une communauté civique, et par lequel elle peut affirmer son identité, avec son agencement spatial et ses édifices publics, notamment autour de l'agora qui est le cœur de la vie civique. Le plan des villes a une base orthonormée, le « plan hippodamien ». Elles sont souvent dotées de murailles, y compris les plus petites, répondant à une volonté de défense mais aussi d'ostentation, qui se marque en particulier au niveau des portes monumentales. Certains sites sont dominés par une acropole. Toute cité grecque hellénistique qui se respecte se doit de posséder un ensemble distinctif de bâtiments administratifs (salle de conseil, tribunal), un gymnase, un théâtre, une agora et ses monuments (temple, autels, portiques), un stade[57],[58],[59].
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Régimes et rivalités politiques
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La vie politique, et plus précisément le processus de prise de décision, surtout connu par les exemples athénien et spartiate pour les époques archaïque et classique, se déroulent suivant un processus ritualisé, placé sous les auspices divins, suivant une procédure fixée. Une fois la décision prise, elle doit s'appliquer aux citoyens. La discussion occupe une place centrale, afin de débattre et de parvenir à une prise de décision, lors d'assemblées auxquels tous les citoyens peuvent en principe participer. En pratique les chefs politiques qui s'y expriment sont généralement issus du milieu des familles de l'élite (comme les Alcméonides d'Athènes : Clisthène, Périclès, Alcibiade), mais à Athènes émerge le phénomène des « démagogues », d'extraction moins élevée, accusés de flatter le peuple pour assurer leur ascension politique. Avec le développement de la rhétorique, les discours politiques athéniens, surtout connus pour le IVe siècle av. J.-C., sont très savamment construits. Il n'y a pas de partis politiques à proprement parler, même s'il existe des formes de factions. Des phases de dissensions (stasis), ayant souvent pour origine des tensions sociales (accès à la terre, inégalités de richesse), brisent le consensus afin de changer l'ordre des choses. Elles peuvent dégénérer en conflits internes, et en changements de régimes politiques. Elles sont vues comme une forme de maladie de la communauté civique, devant laquelle les institutions sont impuissantes[60]. Ce bouillonnement politique s'accompagne rapidement d'un effort de théorisation débouchant sur l'émergence d'une science politique, visible avant tout dans les travaux de philosophes d'Athènes. Platon réfléchit à une cité « idéale », de même qu'Aristote, qui en plus se penche sur les différentes formes d'organisation politique (y compris la monarchie perse, vue comme « despotique »)[61].
Parmi les régimes politiques se développant durant les époques archaïque et classique, et qui sont décrits et théorisés par les historiens et penseurs antiques, trois se détachent par leur importance historique :
- l'oligarchie, mot composé d’oligos, « peu » et archein, « commander », donc une organisation dans laquelle un petit nombre de citoyens dispose du pouvoir, avec des magistratures aux attributions importantes exercées sur une durée longue, créant une fracture entre les citoyens actifs dans la vie politique et ceux qui ne le sont pas ; Sparte présente par bien des aspects un profil oligarchique (une de ses originalités étant sa double monarchie), mais le système est d'une manière générale le régime le plus courant du monde grec archaïque et classique, et dispose de partisans à Athènes qui parviennent à plusieurs reprises à prendre le pouvoir[62],[63].
- la démocratie, de démos « peuple » et kratein « décider » ou kratos « pouvoir », système surtout associé à l'époque classique à Athènes (c'est là où il est le mieux connu même si la cité n'en a pas le monopole), dans lequel la souveraineté appartient au peuple, à comprendre comme un groupe important de citoyens, qui peut participer à la vie politique, et où on prend soin de limiter la durée et le pouvoir des fonctions (Athènes ayant la particularité de séparer fonctions civiles et militaires)[64],[65],[66].
- la tyrannie, où le pouvoir est exercé par une seule personne, le tyran (tyrannos ; mot probablement d'origine anatolienne) ; le terme a actuellement une connotation négative, mais ce n'est pas forcément le cas dans l'Antiquité, et son pouvoir peut s'appuyer sur le peuple contre les aristocrates. Ce n'est donc pas un système politique structuré à la différence des précédents. La tyrannie est connue en Grèce à l'époque archaïque (Athènes, Corinthe, Samos, etc.), mais rencontre surtout le succès en Grande Grèce durant l'époque classique (Syracuse)[67],[68].
Le dynamisme de la vie politique des cités grecques implique des évolutions dans ces systèmes de gouvernement, les régimes ayant des durées variables, étant notamment affectés par les conflits militaires qui provoquent de fortes tensions internes, dans lesquelles les puissances rivales ne manquent pas de s'impliquer. Athènes expérimente ainsi la tyrannie, avant une évolution vers un régime démocratique, pensé comme une façon d'éviter le retour de ce régime (ce qu'indique notamment la procédure d'ostracisme, qui exile ceux soupçonnés de briguer le pouvoir pour eux-mêmes), mais l'opposition oligarchique y reste forte et triomphe à plusieurs reprises. Le régime démocratique y est très débattu : ses partisans le voient comme un gouvernement par la loi, reposant sur les principes de liberté (ce qui comprend la liberté de parole) et d'égalité (devant la loi et dans l'accès à la vie politique), alors que pour ses opposants (partisans d'un régime oligarchique, philosophes) c'est le gouvernement des gens du commun, voire des pauvres citadins, contre les paysans et grands propriétaires, et la liberté une illusion qui détourne les individus du véritable sens de l'existence par l'expression d'une pluralité d'opinions[69]. Syracuse connaît aussi ces trois types de régimes, une vie politique intérieure manifestement mouvementée, mais bien moins documentée[70].
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Relations entre cités
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Pour ce qui concerne les relations entre cités (et plus largement entre États), dans le vocabulaire des affaires extérieures la notion de « liberté » (eleutheria) indique qu'une cité ne subit pas de contrainte extérieure, tandis que celle d'« autonomie » (autonomia) renvoie au fait qu'une cité est passée sous la coupe d'une puissance dominante mais conserve une indépendance plus ou moins limitée et peut s'auto-administrer[71].
Il existe des alliances militaires (symmachies) de durée limitée ou indéfinie. Les secondes sont désignées comme des « ligues » ou « confédérations » dans la littérature moderne (comme la ligue béotienne), car elles peuvent aboutir à l'unification de la politique extérieure des membres[72]. Les amphictyonies, groupements d’États servant pour l'administration de lieux de cultes majeurs (Delphes avant tout) jouent également un rôle politique[73].
Ces groupements sont placés à l'époque classique sous l'égide d'une puissance dominante : Sparte pour la ligue du Péloponnèse, Athènes pour la ligue de Délos, Thèbes pour la confédération béotienne, le royaume de Macédoine pour l'amphictyonie de Delphes et la ligue de Corinthe. L'époque classique est en effet marquée par des tentatives d'imposer une hégémonie de la part d'une de ces grandes puissances, quand bien même elles promettent liberté et autonomie, ce qu'on désigne généralement comme un « impérialisme » (ou « empire athénien » pour la ligue de Délos), sans pour autant que cela n'accouche sur la constitution d'un État territorial[74]. Les États fédéraux ou ligues (koinon, « commun ») connaissent également une période faste avant la mise en place de la domination romaine (ligue étolienne, ligue achéenne)[75],[76].
Des cités concluent aussi des accords renforçant les liens juridiques et institutionnels avec d'autres cités, allant jusqu'à la constitution d'une nouvelle entité politique. Le synoecisme permet à plusieurs localités de s'unir politiquement dans une même cité, parfois en réunissant les habitants de plusieurs villages dans une nouvelle ville qui sert de centre à la cité (à l'exemple de Mantinée v. 470 et Mégalopolis v. 370)[77]. L'époque hellénistique voit le développement des modalités de réunion, qui se font à des degrés divers : deux cités peuvent s'accorder pour que les citoyens de l'une puissent jouir d'une droit de cité dans l'autre, un échange de droits tout en préservant leur indépendance, voire s'associer pour ne faire plus qu'une, donc fusionnant souvent au profit d'une plus puissante (isopolitie, sympolitie)[78].
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Évolution de la cité grecque
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À l'époque hellénistique
Durant l'époque hellénistique, les cités grecques sont certes pour la plupart dominées par des royaumes (certaines restent indépendantes, comme Rhodes, Sparte, aussi Athènes par périodes) mais elles préservent leurs institutions et la gestion de leurs affaires internes. Elles restent la forme courante d'organisation des communautés grecques, et ce de plus en plus puisque de nombreuses fondations ont lieu durant cette période, à l'initiative des rois, assurant la diffusion du modèle. Dans les pays conquis par les royaumes hellénistiques en Asie et (dans une moindre mesure) en Égypte, cela se traduit par la constitution d'enclaves grecques dominant un arrière-pays autochtone. La citoyenneté et l'éducation intellectuelle et physique qui l'accompagne sont alors fondamentales dans l'identité grecque : la polis est aussi un modèle culturel[79].
Les rois continuent régulièrement de promettre aux cités liberté et autonomie, mais elles doivent désormais composer et négocier avec eux (et leur versent souvent un tribut) et n'ont généralement pas d'armée (ce qui ne les empêche pas de conduire des affaires diplomatiques avec d'autres cités). Elles ont pour la plupart adopté des institutions de type démocratique. Leur financement repose de plus en plus sur les contributions de leurs riches citoyens, qui deviennent des bienfaiteurs réguliers finançant toutes sortes de constructions et prestations (financement de spectacles, d'écoles, distributions alimentaires). C'est le phénomène qui a été désigné comme l'« évergétisme » (néologisme dérivé du grec eu ergein, « bien agir »). Les rois hellénistiques sont au départ d'importants bienfaiteurs, mais quand leur pouvoir s'affaiblit ils laissent la place aux élites locales[80],[81].
À l'époque romaine
Après leur avoir à son tour promis la liberté, le pouvoir romain place les cités grecques sous le contrôle de gouverneurs provinciaux, mais elles demeurent la structure de base de l'organisation politique de la moitié orientale de l'Empire romain, l'hellénisme trouvant là un vecteur d'épanouissement dans le monde « gréco-romain »[82]. Des colonies romaines sont fondées dans le monde grec (au sens large la partie orientale de l'Empire), parfois dans des cités grecques[83]. Du point de vue juridique la domination romaine s'accompagne de l'octroi progressif de la citoyenneté romaine aux habitants du monde grec, et elle se surimpose à la citoyenneté grecque d'origine. Elle est généralisée par l'édit de Caracalla en 212[84].
Le gouvernement des cités évolue vers l'oligarchie, favorisée par les conquérants. Les conseils des cités ne sont plus renouvelés, ils sont accaparés par les citoyens les plus riches, qui exercent également la plupart des magistratures importantes, d'autant plus qu'il faut que leur détenteur les finance en bonne partie sur ses propres deniers. L'évergétisme prend alors une place plus importante que par le passé, devenant un mode de financement normal de la cité, avec de plus en plus un caractère contraignant pour le bienfaiteur. Beaucoup cherchent d'ailleurs à se dégager de cette charge, par une autorisation impériale[85].
La fin des institutions civiques
Durant l'Antiquité tardive, les cités grecques restent prospères, et poursuivent leur existence au moins jusqu'au VIe siècle. L'évergétisme est progressivement remplacé par une obligation pour les détenteurs de charges civiques de financer la cité, et les institutions charitables chrétiennes (hôpitaux, hospices), qui ne réservent plus leurs services aux seuls citoyens mais les ouvrent en principe à tous, en priorité aux pauvres. L'élite locale foncière conserve le pouvoir, elle peut participer au financement des églises et organisations caritatives. Les institutions ecclésiastiques, en particulier les évêques (choisis après élection par des clercs et des laïcs), prennent un rôle croissant dans la vie locale. Cela est renforcé quand les institutions civiques disparaissent avec la crise urbaine des VIe – VIIe siècles, le système provincial impérial prenant le relais pour la direction des affaires locales[86]. Les institutions civiques sont formellement abolies par Léon VI le Sage (886-912) mais certains de leurs éléments sont préservés dans l'administration des villes byzantines[87].
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À l'ère moderne
Résumé
Contexte

Selon les études de Hannah Arendt, la polis prend des dimensions plus abstraites, elle n’est plus un lieu particulier datant de la Grèce Antique. Elle est plutôt « l’espace de l’apparence par excellence, c’est-à-dire le lieu dans lequel les acteurs se rendent saisissables les uns aux autres, se rencontrent et interagissent »[88]. Donc, la polis se manifeste en fonction des interactions entre différents acteurs. Elle ne se constitue plus d’un espace matériel précis, sans barrière ni territoire. Ce lieu immatériel dominé par l’apparence est en fait la définition de la réalité par les différents acteurs. C’est-à-dire, pour reprendre son livre de la Condition de l'homme moderne (1961), toute chose qui est présenté par un acteur dans ce lieu d’apparence est maintenant réel dans la vie des autres. En conclusion, « être privé ou exclu d’une participation à la polis, ce qui revient tout bonnement, dans la perspective d’Arendt, à une privation de réalité, puisque le sens de la réalité du monde est seulement garanti par la présence d’autrui et par l’apparence publique »[88]. Dans un contexte plus moderne, Olivier Voirol (2005) voit la polis dans les nouveaux moyens de communication, ce qui la révolutionne et change certaines de ses conditions. Il mentionne qu’à l’époque de Arendt, la polis était limitée temporellement et spatialement. Pour interagir avec les acteurs, il était nécessaire de se trouver dans le même lieu au même moment. Cependant, grâce aux nouvelles technologies de communication, ces limites n’existent plus : il est possible d’être dans l’univers de la polis et participer aux interactions à l’autre bout du globe dans un autre fuseau horaire.
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Notes et références
Bibliographie
Voir aussi
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