Top Qs
Chronologie
Chat
Contexte

Sparte

ancienne ville grecque du Péloponnèse De Wikipédia, l'encyclopédie libre

Spartemap
Remove ads

Sparte (en grec ancien Σπάρτη / Spártê, peut-être « (terre) semée »[1], grec moderne Σπάρτη / Spárti, en dorien Σπάρτα / Spárta) ou Lacédémone (Λακεδαίμων / Lakedaímôn) est une ancienne cité grecque du Péloponnèse dont le nom a été transmis à la ville moderne construite au même emplacement. Située sur l'Eurotas, dans la plaine de Laconie, entre le Taygète et le Parnon, Sparte est l'une des cités les plus puissantes de la Grèce antique avec Athènes, Corinthe et Thèbes.

Faits en bref Localisation, Pays ...
Thumb
Sparte

Déjà mentionnée dans l’Iliade, elle devient au VIIe siècle av. J.-C. la puissance dominante de sa région, établissant sa domination sur la Laconie puis la Messénie et dominant alors la partie sud du Péloponnèse. Elle est choisie pour prendre la tête des forces grecques lors de la seconde guerre médique (480/479) où ses soldats s'illustrent faces aux Perses aux batailles des Thermopyles et de Platées. Au Ve siècle av. J.-C., son hégémonie sur le monde grec est contesté par Athènes. La rivalité entre les deux cités déclenche un conflit majeur opposant deux coalitions de cités menées par les deux grands cités, la guerre du Péloponnèse (431-404), dont elle sort vainqueur avec l'appui perse. Elle perd néanmoins sont hégémonie après la défaite de Leuctres en 371 av. J.-C. contre les Thébains menés par Épaminondas.

Sparte se distingue des autres cités par un modèle socio-politique où une minorité des citoyens se consacre à plein temps aux activités politiques et militaires, tandis que l'activité économique est assurée par les Périèques, population libre mais non citoyenne, et surtout par les Hilotes, population de statut servile soumise à une domination brutale. L'armée spartiate est renommée comme la plus puissante du monde grec jusqu'à ses défaites contre les Thébains et les Macédoniens au IVe siècle av. J.-C..

Sparte a été un objet de réflexion voire de fascination pour plusieurs auteurs grecs majeurs (Thucydide, Xénophon, Platon, Aristote, Plutarque, etc.), qui l'on tantôt perçue de manière positive, tantôt négative. Cette cité ayant principalement été décrite par des auteurs extérieurs, elle est donc surtout connue de manière indirecte et beaucoup de ses traits caractéristiques sont discutés voire controversés. Elle a donné l'image d'une cité austère et égalitariste, dans laquelle les citoyens sont sélectionnés dès la naissance par des pratiques eugénistes puis formés durant un cycle éducatif exigeant, et soumis à des règles visant à imposer une vie collective (notamment des banquets) et à limiter les étalages de richesses et les inégalités. Mais les études récentes ont tempéré les spécificités spartiates, la cité présentant des traits aristocratiques communs aux cités grecques, avec une élite riche dominant le groupe des citoyens.

Après la perte de son hégémonie politique, Sparte tente sans succès de se rétablir durant la première partie de l'époque hellénistique, avant de passer sous domination romaine après 146 av. J.-C. La cité se normalise progressivement, perdant ses spécificités, même si elle préserve une identité propre reposant sur la mise en valeur de son passé prestigieux et de ses traditions, certes souvent mythifiés.

Après sa disparition son souvenir est préservé par la copie des écrits antiques à son sujet, et elle redevient un objet de fascination à partir de la Renaissance. Elle a pu servir de modèle idéalisé à plusieurs reprises, notamment durant la Révolution française où son égalitarisme est mis en avant, et dans l'Allemagne nazie qui valorise plutôt ses aspects eugénistes et élitistes ainsi que le sens du sacrifice de ses citoyens, vus comme des membres de la race supérieure. Les études historiques ont permis de mieux approcher les réalités de la cité, en allant au-delà des fantasmes qu'elle a suscités, alors que de nouvelles idéalisations se sont développées dans la culture populaire.

Remove ads

Cadre géographique

Résumé
Contexte
Thumb
Carte du territoire de la Cité-État de Sparte dans la plaine de Laconie.

Le site de Sparte est situé au centre de la région appelée Laconie, qui occupe la partie sud-est du Péloponnèse. Il est situé dans la plaine du fleuve Eurotas, le principal cours d'eau de la région, sur sa rive droite, à environ 50 kilomètres de son débouché sur la mer (au sud)[2].

La Laconie correspond au sens strict au territoire délimité à l'ouest par le massif du Taygète (qui culmine à 2 407 mètres), au sud et à l'est par la mer Méditerranée. Elle est délimitée par l'Arcadie au nord, et la Messénie à l'ouest. C'est une région montagneuse qui comprend, en plus du Taygète, le massif du Parnon (qui culmine à 1 935 mètres) dans sa partie nord. Entre les deux se trouve la plaine de l'Eurotas, qui coule dans un sens nord-sud et se jette dans le golfe de Laconie, qui est également bordé par les plaines littorales d'Hélos et de Molaoi. Deux péninsules délimitent la région au sud, celle du Magne à l'ouest (terminée par le cap Ténare) et celle d'Épidaure Limira à l'est (terminée par le cap Malée). La région comprend quelques ressources naturelles : des mines de fer, de cuivre, d'argent et de plomb au sud, des carrières de marbre dans la péninsule du Magne, et de roches basaltiques (Lapis Lacedaemonius) près de Croceae[3],[4].

Remove ads

Les sources et leur interprétation

Résumé
Contexte

L'histoire de Sparte est principalement reconstituée à partir de sources littéraires antiques. Seules une minorité sont le fait d'auteurs spartiates, les poètes Tyrtée et Alcman. La majorité provient d'auteurs extérieurs à cette cité. Il s'agit en premier lieu de travaux d'historiens : Hérodote, Thucydide, Xénophon, Polybe. Les philosophes Platon et Aristote évoquent également Sparte dans certaines de leurs œuvres, de même que des auteurs de théâtre (Euripide, Aristophane) et des orateurs attiques (Isocrate). Ces auteurs sont contemporains de l'époque de la puissance spartiate. D'autres en revanche ont écrit à l'époque romaine impériale, avant tout Plutarque et Pausanias, qui fournissent des informations abondantes (surtout le premier), mais comme elles sont tardives leur validité pour décrire l'époque de l'apogée politique et militaire de Sparte est discutée[5],[6],[7],[8].

Plus généralement, la plupart des auteurs ayant écrit sur Sparte, parmi lesquels se trouvent beaucoup d'Athéniens dont la patrie a été en conflit avec elle, se positionne pour ou contre celle-ci. Ils en donnent donc une vision biaisée et idéalisée. C'est ce qui a été caractérisé par l'helléniste François Ollier comme un « mirage » spartiate, qui donne l'image d'une cité à part avec diverses particularités, comme l'austérité proverbiale et la retenue de ses citoyens (qui ont donné les adjectifs « spartiate » et « laconique »), son éducation collective très exigeante, son organisation et son état d'esprit militariste, la grande latitude qui y est laissée aux femmes par rapport aux usages des autres Grecs, etc. Les descriptions venues de l'extérieur en ont donné une image qui peut être positive, mettant en avant son bon ordre (eunomie), ou négative et insistant sur ses faiblesses. Cela se fait souvent en opposition avec les défauts et les vertus supposés d'Athènes, où elle a été perçue non seulement comme une rivale mais aussi comme un contre-modèle[9],[10],[7],[8].

Cette image est aussi sans doute en partie influencée par l'image que les Spartiates ont cherché à donner d'eux-mêmes aux autres Grecs, reposant souvent vis-à-vis de l'extérieur sur une pratique du secret et de la mystification qui laissait une grande part à l'imagination, peut-être une forme de « propagande » visant à les faire percevoir comme une cité imbattable militairement et moralement supérieure, destinée à diriger les autres Grecs[11],[12]. Les historiens modernes l'ont progressivement remise en question en cherchant à voir au-delà du « mirage ». Les débats actuels portent notamment sur la question de savoir si Sparte était une cité grecque atypique ou non, certains historiens comme S. Hodkinson insistant plutôt sur ses aspects « normaux » qui n'en feraient pas une cité fondamentalement différente des autres cités grecques, en dépit de quelques aspects atypiques comme son système éducatif et la place des banquets collectifs[13],[14].

L'archéologie a aussi fourni d'importantes informations sur Sparte et son territoire. Le site de Sparte et ses environs ont été fouillés à partir de 1904 par l’École britannique d'archéologie d'Athènes, à laquelle se sont par la suite jointes des équipes de fouilles grecques[15]. Les monuments dégagés datent surtout de l'époque romaine et sont dans l'ensemble peu impressionnants, mais de grandes quantités d'objets ont été trouvés, notamment dans le sanctuaire d'Orthia. Des prospections dans des parties de la Laconie et les fouilles de plusieurs sites ont permis d'améliorer les connaissances sur l'histoire de l'arrière-pays spartiate[16].

Thumb
Plan de la Sparte antique.
A. Acropole B. Agora C. Pitana D. Mesoa E. Limnai F. Kynosura
1. Temple d'Athéna Chalkioikos 2. Sanctuaire d'Orthia 3. Théâtre romain 4. Skias 5. Stoa perse 6. Stoa romaine 7. Tombe de Léonidas 8. Héroôn 9. Pont 10. Muraille hellénistique 11. Basilique byzantine de Saint Nikon 12. Ménélaion.
Remove ads

Histoire

Résumé
Contexte

Antécédents et origines (XIIe – VIIIe siècles av. J.-C.)

Les archéologues ont mis au jour 21 sites mycéniens habités en Laconie, dont des édifices palatiaux à Ayios Vasilios et au Ménélaion. Ils sont désertés au moins après 1200, lorsque la civilisation mycénienne s'effondre, après quoi la région est fortement dépeuplée. Après une période d'anarchie et de disruption, les signes de reprise sont visibles au Xe siècle av. J.-C., période pour laquelle on trouve des traces d'occupation à Sparte et Amyclées, qui deviennent notamment des lieux de culte importants, dans les futures cités périèques ainsi que divers sites ruraux. Au VIIIe siècle av. J.-C. les signes de reprise sont plus marqués, surtout sur les sites cultuels où les offrandes se font plus nombreuses et raffinées[17].

Sparte apparaît déjà chez Homère (seconde moitié du VIIIe siècle av. J.-C.) : Ménélas, époux de la belle Hélène, règne sur « Lacédémone aux profondes vallées » (Iliade, II, 581). La transition entre cette ancienne ville et la Sparte dorienne s'explique pour les Anciens par le « retour des Héraclides » : Hyllos, fils d'Héraclès, doit fuir le Péloponnèse à la suite des persécutions d'Eurysthée. Après plusieurs tentatives avortées, Téménos reconquiert la terre de son arrière-grand-père. Il prend pour lui la souveraineté d'Argos et donne à ses frères les royaumes voisins : Cresphontès reçoit la Messénie et Aristodème (ou ses fils) la Laconie. Le mythe du retour des Héraclides a été interprété comme la version mythique d'une invasion des Doriens, un peuple venu du Nord et parlant le grec. D'après les travaux récents, l'arrivée de migrants pourrait expliquer l'apparition d'une céramique de type proto-géométrique[18], il semble qu'il n'y ait pas eu d'invasion mais une longue assimilation[19]. Mais l'historicité de ces légendes reste discutée, et le début de l'affirmation de Sparte se fait dans des conditions obscures[20],[1].

Expansion et consolidation (VIIIe – VIe siècles av. J.-C.)

Thumb
Dinos laconien du Peintre des Cavaliers,
560-540 av. J.-C., musée du Louvre.

La cité de Sparte se forme par synœcisme de quatre villages, sans doute dans le courant du VIIIe siècle av. J.-C., avant l'incorporation d'une cinquième communauté, Amyclées, là encore dans des conditions obscures. Elle établit son contrôle sur la vallée de l'Eurotas, et la partie sud-est du Péloponnèse, qui devient connue sous le nom de Laconie. L'organisation des groupes dominés entre les Hilotes, des sortes de serfs, et les Périèques, restant libres mais dominés politiquement, semble dater de cette période[20],[21],[1].

L'étape suivante de l'expansion spartiate est la conquête de la Messénie. Sa datation reste discutée. Un premier conflit surviendrait avant 700 av. J.-C. ou peu après, et durerait une vingtaine d'années, permettant à Sparte de contrôler la région. Un second conflit, décrit par le poète Tyrtée, surviendrait après une défaite face à Argos (Hysiae, en 669 ?) engendrant une révolte, et permettrait la consolidation de l'emprise spartiate sur la région, dans le courant du VIIe siècle av. J.-C. Comme en Laconie, une partie de la population dominée devient des Hilotes, alors qu'une autre forme des cités périèques. Sparte devient alors maîtresse du sud du Péloponnèse, et de riches terroirs[20],[21],[1]. Après cela, Sparte entre en conflits avec ses voisins sur nord du Péloponnèse, souvent avec succès (notamment contre Argos vers 545), parfois en essuyant des échecs (contre Tégée). Elle abandonne la logique de conquête, ses frontières nord étant fixées vers 540, puis établit des alliances à son profit (la « ligue du Péloponnèse »). Elle a des relations avec des régions plus lointaines, qui peuvent être pacifiques (avec Crésus de Lydie v. 550) ou conflictuelles (avec Polycrate de Samos v. 525)[20],[1].

Sparte est donc une des principales puissances et forces motrices du monde grec de l'époque archaïque. En plus de sa puissance militaire, elle exerce une influence culturelle et artistique qui se retrouve dans la diffusion des vases et des bronzes produits en Laconie, la richesse des offrandes vouées au sanctuaire d'Orthia, la réputation des poètes lyriques qui y sont actifs, dont certains sont d'origine étrangère (Tyrtée, Alcman, Terpandre de Lesbos), des succès aux concours sportifs d'Olympie. Des Spartiates participent au mouvement de colonisation grecque, notamment la fondation de Théra sur Santorin, et celle de Tarente en Grande Grèce[22],[1].

Cette expansion, et la nécessité de contrôler une imposante population servile, s'accompagnent d'une consolidation politique, que la tradition spartiate postérieure à attribué à une figure semi-légendaire, Lycurgue. Les historiens envisagent actuellement un ensemble de réformes, certes cohérent, mais étalé dans le temps, entre le VIIe siècle av. J.-C. et le début du Ve siècle av. J.-C. (certains plaçant les changements essentiels au VIe siècle av. J.-C., vu comme une « révolution » à la suite de M. Finley[23]). Cela remodèle la société spartiate suivant plusieurs axes. Du point de vue économique, les citoyens ne pratiquent plus d'activités productives et commerciales, qui sont confiées aux Hilotes, sur lequel le contrôle se durcit, et aux Périèques. Des lois somptuaires et un idéal plus austère se mettent en place, ce qui se traduit notamment par le déclin des arts laconiens. Une vie collective reposant sur une éducation citoyenne publique et des banquets communs est établie, avec notamment une finalité militaire. Le système politique original qui émerge, peut-être dès 700, mêle différentes autorités : deux rois, des « surveillants », les éphores, un conseil d'Anciens, les gérontes, une assemblée citoyenne[24],[25].

Une puissance hégémonique (fin VIe – début IVe siècle av. J.-C.)

« À cette journée, les Spartiates vengèrent sur (le général perse) Mardonios la mort de Léonidas, comme l'avait prédit l’oracle (de Delphes) ; et Pausanias, fils de Cléombrote et petit-fils d'Anaxandrides, y remporta la plus belle victoire dont nous ayons connaissance. Nous avons parlé des ancêtres de ce prince en faisant mention de ceux de Léonidas, ce sont les mêmes pour l'un et pour l’autre. Mardonios fut tué par Aeimnestos, citoyen distingué de Sparte, qui, quelque temps après la guerre contre les Perses, périt avec trois cents hommes qu'il commandait, en se battant à Stényclare contre tous les Messéniens. Battus et mis en fuite à Platées par les Lacédémoniens, les Perses se sauvèrent en désordre, dans leur camp, et, en dedans du mur de bois qu’ils avaient construit sur le territoire de Thèbes. »

La débâcle des Perses à Platées, face aux Grecs conduits par Sparte, selon Hérodote (IX, 44-45)[26].

Dans les dernières décennies du VIe siècle av. J.-C., Sparte est la principale force militaire du monde grec, ce qui reflète la réussite des réformes entreprises, et explique son importance centrale dans l'histoire politique et militaire de l'époque classique. Elle a constitué un système d'alliance englobant la majeure partie du Péloponnèse (mais pas sa rivale Argos), que les historiens surnomment « ligue du Péloponnèse », dont elle prend la direction. Le roi Cléomène (520-490) mène une politique extérieure ambitieuse, chassant les tyrans d'Athènes (mais il échoue à y installer une oligarchie à sa solde) et infligeant une cinglante défaite à Argos en 494. Il refuse néanmoins de participer à la révolte des cités ioniennes contre l'empire perse. Sparte ne participe pas à la première guerre médique, ses troupes étant retenues sur son territoire pour des raisons religieuses, mais elle est choisie en 481-480 pour diriger la coalition des cités grecques qui s'oppose à la Perse lors de la seconde guerre médique. 300 de ses soldats conduits par le roi Léonidas sont tués au Thermopyles alors qu'ils ralentissent l'avancée des Perses. La flotte dirigée par Athènes remporte la première victoire à Salamine, puis Sparte dirige les troupes terrestres à Platées (479), nouvelle déroute pour les Perses, qui scelle leur échec en Grèce continentale[27],[28].

Thumb
Les systèmes d'alliance en 431 av. J.-C.. La ligue du Péloponnèse est figurée en rose.


Les années suivantes sont moins fastes pour la puissances spartiate. Le général Pausanias et le roi Léolychidas II mènent la lutte contre les alliés des Perses en Grèce du nord et en Asie mineure, mais tombent en disgrâce. Athènes, qui a développé sa flotte, prend la direction de la lutte contre les Perses avec son système d'alliance (la « ligue de Délos ») qui devient vite un instrument au service de sa puissance. Des conflits avec les Arcadiens puis un important tremblement de terre en 465 suivi d'une révolte des Hilotes de Messénie retiennent les troupes spartiates dans le Péloponnèse, laissant le champ libre à Athènes pour tenter de bousculer l'hégémonie spartiate. Une première série de conflits entre les deux puissances prend place durant la période 460-446, avant le déclenchement de la guerre du Péloponnèse (431-404) qui oppose les deux puissances et leurs alliés. Sparte a l'avantage sur terre, Athènes sur mer, et la première partie du conflit est une impasse, marquée par d'importantes pertes pour les deux camps. Sparte s'allie finalement aux Perses, qui lui fournissent des moyens financiers lui permettant de constituer une flotte, qui est dirigée par le général Lysandre. La flotte athénienne est vaincue à Aigos Potamos (405), permettant à Sparte de sortir victorieuse du conflit. Elle prend néanmoins la décision, critiquée par ses alliés, de ne pas détruire Athènes[28].

L'impérialisme spartiate s'affirme dans les années suivantes, en particulier sous l'impulsion du roi Agésilas II, dans plusieurs parties du monde grec (Grèce centrale, du nord, Asie mineure, aussi Égypte). Cela retourne contre Sparte certains de ses alliés historiques (Corinthe, Thèbes) appuyés par ses ennemis historiques (Argos, Athènes) et les Perses, lors de la guerre de Corinthe (395-386). La paix du roi de 386 consolide la position de Sparte tout en la contraignant à surtout se concentrer sur le domaine terrestre. Elle intervient principalement en Grèce centrale, pour tenter de contrôler Thèbes, qui lui est résolument hostile[29],[27],[28].

Le déclin (371-331 av. J.-C.)

Thumb
Les pertes territoriales de Sparte en 338 av. J.-C.

De manière inattendue, Sparte subit une lourde défaite à Leuctres en 371 face aux troupes thébaines conduites par Épaminondas, qui tuent un grand nombre de ses citoyens. Dans la foulée, elle perd la domination de la Messénie, et voit se constituer à ses portes des cités fortifiées (Ithôme en Messénie, Mégalopolis en Arcadie), alors que la ligue du Péloponnèse est dissoute (366). Elle repousse néanmoins l'invasion thébaine en Laconie. Le déclin de sa puissance militaire se confirme en 362 lors de la bataille de Mantinée, où Thèbes perd néanmoins son général Épaminondas et sa capacité militaire[30],[27],[28].

Le déclin de Sparte est en grande partie lié à des difficultés internes, et la forte réduction du nombre de ses citoyens, en raison des morts au combat mais aussi de l'appauvrissement de certains d'entre eux, qui ne sont plus en mesure de tenir leur rang de citoyen. Refusant d'élargir son corps citoyen, elle perd sa capacité d'action et se trouve reléguée au rang de puissance secondaire, même si elle continue à participer à des conflits extérieurs, notamment en Grande Grèce, son roi Archidamos III trouvant la mort à Tarente. Elle ne participe pas à la lutte des cités grecques contre Philippe II de Macédoine, qui voit ce dernier triompher en 338, et refuse d'intégrer le système d'alliance dirigé par celui-ci (la ligue de Corinthe). Elle prend néanmoins la tête d'une coalition de cités opposée aux Macédoniens en 331, sans succès. La cité doit livrer des otages et tombe définitivement au rang de puissance mineure. Son territoire continue de se réduire au profit de ses voisines Argos, Mégalopolis et Messène, qui récupèrent une partie de ses cités périèques, affaiblissant encore plus ses capacités militaires[31],[32],[28].

Les échecs de rétablissement (fin IVe IIe siècle av. J.-C.)

Sparte ne joue qu'un rôle insignifiant dans la guerre des Diadoques mais, en 315, doit pour la première fois se doter d'une fortification, une simple palissade, reconnaissant que la supériorité de ses hoplites ne suffit plus à la défendre[33]. Sous le roi Aréus (301-264), les traditions ancestrales sont affaiblies, le système éducatif déclinant, tandis que la monarchie prend des aspects plus hellénistiques. Sparte n'a cependant pas perdu ses ambitions militaires. Elle mène avec succès la lutte contre Pyrrhos d’Épire (272), mais son échec lors de la guerre de Chrémonidès contre la Macédoine lui vaut de nouvelles pertes territoriales (Cythère, la côte est de Laconie)[34],[35].

Thumb
Tétradrachme en argent de Cléomène III, représenté au droit. Au revers, la statue d'Artémis Orthia armée d'une lance et d'un arc, avec les lettres ΛΑ(ΚΩΝΩΝ), de Laconie.

Des tentatives de redressement plus ambitieuses encore sont entreprises sous les règnes d'Agis IV (244-241) et de Cléomène III (235-222), qui se présentent comme un retour aux usages idéalisés du temps de Lycurgue. Le premier est cependant mis à mort à l'instigation des éphores. Le second prend des mesures plus radicales : le système politique est réformé après des luttes internes sanglantes qui se soldent par la mise à mort de la plupart des éphores, Le corps citoyen est augmenté par l'incorporation de Périèques et d'étrangers, l'éducation publique rétablie. Mais il échoue dans son entreprise militaire visant à rétablir la domination spartiate sur le Péloponnèse. Le roi macédonien Antigone Doson le défait à Sellasie (222) et le contraint à l'exil, puis rétablit la constitution antérieure[36],[35],[37].

Les trouble se poursuivent dans les années suivantes, durant lesquelles le caractère dual de la monarchie spartiate est aboli, au profit d'une seule branche. Nabis (207-192) reprend le programme de Cléomène III en le poussant encore plus loin (il aurait forcé des femmes spartiates à s'unir à des Hilotes). Mais il se heurte à la nouvelle puissance forte du Péloponnèse, la ligue achéenne, et à la République romaine, qui étend progressivement son influence dans le monde grec. Son assassinat en 195 marque la fin de la royauté à Sparte. La cité est intégrée dans la confédération achéenne et perd son indépendance. Elle en sort en 147/6 sur autorisation de Rome, qui lui octroie le statut privilégié de cité libre. Elle se dote alors des caractéristiques typiques des cités grecques de l'époque : les spécificités spartiates ont pris fin[36].

Remove ads

Organisation politique et groupes sociaux

Résumé
Contexte

Le territoire

Thumb
L'Eurotas, principal fleuve de Laconie.

L'État spartiate (ou lacédémonien) s'étend au Ve siècle av. J.-C., selon Thucydide (I, 10, 2), sur les deux cinquièmes du Péloponnèse, soit près de 8 500 km2, ce qui en fait le plus vaste territoire contrôlé par une cité grecque, le double du second (Syracuse) et le triple de son rival athénien[38],[39].

Le cœur de la cité spartiate est le site de Sparte. Ce n'est pas un site urbain à proprement parler, mais plutôt un groupement de quatre villages : à l'est Limnai sur les rives marécageuses de l'Eurotas, au sud Kynosoura, au centre Mesoa et au nord-ouest Pitana, qui ne sont pas pleinement réunis par un synœcisme à l'époque classique. Si on se fie aux trouvailles archéologiques, le centre politique se trouve sur le site de Limnai, qui comprend les principaux sanctuaires, et l'acropole qui le domine. L'agora, qui était le point focal de la vie civique, n'a pas été localisée mais devait se trouver à proximité[40]. Le site ne se dote d'une muraille que tardivement, au IIIe siècle av. J.-C., succédant peut-être à un dispositif plus rudimentaire constitué d'une palissade et d'un fossé. Ses limites ne sont pas précisément connues, mais elles devaient englober environ 300 hectares[41]. Un cinquième village, Amyclées, distant de quelques kilomètres et situé plus au sud, vient s'y ajouter à une époque inconnue[42],[43].

L’arrière-pays immédiat de Sparte est couvert à l'époque classique de hameaux et de fermes isolées, situation qui résulte d'une expansion de l'agriculture et de l'habitat qui a eu lieu au VIe siècle av. J.-C. Ils servent sans doute de centres des domaines exploités par des Hilotes[44]. Les cités périèques de Laconie, situées dans la périphérie, semblent plutôt être des petits sites de 3 à 8 hectares, mais les sites plus importants comme Gythéion, le principal port de Sparte situé sur le golfe de Laconie, devaient être plus vastes[45]. Un réseau de routes permet d'assurer les communications entre les différents lieux d'habitat et vers les régions voisines, et en particulier la circulation des troupes. Des sections de routes d'époque classique ont été identifiées jusque dans les régions montagneuses, ainsi que des ponts[46]. Certains sites élevés semblent avoir été fortifiés, notamment sur les côtes, plus vulnérables aux attaques extérieures[47].

La Messénie, conquise à la suite d'une série de guerres, couvre la partie sud-ouest du Péloponnèse. En son centre se trouve la vallée de Messénie à proprement parler, baignée par le Pamissos, qui se jette dans le golfe de Messénie. On distingue la plaine du Stenyclaros au nord de la crête de Scala et la plaine côtière appelée Macaria, « la Bienheureuse », au sud, particulièrement fertile. La Messénie occidentale, autour de Pylos, comprend une plaine côtière peuplée[48],[49]. L'habitat est ici plutôt constitué de villages, regroupement qui est peut-être lié à une volonté d'assurer un meilleur contrôle des Hilotes messéniens[50].

Sparte domine également l'île de Cythère (au moins après le milieu du VIe siècle av. J.-C.), située au sud-est du Péloponnèse, qui est une communauté périèque, où elle installe une garnison et un gouverneur (le « juge de Cythère », kytherodikes)[51].

Les citoyens

Thumb
Buste d'un hoplite casqué, dit « Léonidas », début du Ve siècle av. J.-C., Musée archéologique de Sparte.

Comme dans les autres cités grecques, la vie politique de Sparte est dirigée par un corps de citoyens qui sont des hommes adultes. Seuls jouissent de droits politiques les Spartiates à proprement parler, aussi appelés ἄστοι / astoi citadins ») — terme plus aristocratique que l'habituel πολίτης / polítês[52] — ou encore (chez Xénophon essentiellement) Ὅμοιοι / Hómoioi[53],[54] c'est-à-dire « les Pairs », « les Semblables »[55]. Le terme Homoioi témoigne, selon Thucydide, du fait qu'à Sparte « s'est instaurée la plus grande égalité dans les genres de vie entre les possédants et le grand nombre » (I, 6, 4).

Pour être un citoyen spartiate, quatre conditions doivent être réunies[56] :

  • être né d'un citoyen spartiate et de la fille d'un citoyen spartiate (les bâtards sont distingués des citoyens à part entière) ;
  • avoir reçu et réussi l'éducation spartiate ;
  • participer aux repas collectifs (syssities) ;
  • posséder un domaine (kleros) permettant de payer son écot à ces repas.

La citoyenneté spartiate se gagne, car elle n'est donc pas un droit qui s'obtient seulement par la naissance[57]. La formation collective, publique et obligatoire orientée vers la formation physique et morale est une spécificité spartiate. Elle débute à 7 ans et s'achève à 30 ans, est marquée par différentes épreuves de passage qui permettent de distinguer les plus capables, les irènes de plus de 20 ans qui encadrent les groupes de citoyens en devenir, puis les hippeis qui deviennent l'élite de l'armée. Une fois la formation achevée, on devient citoyen de plein droit, peut coucher dans sa maison et faire son marché. La participation aux banquets collectifs commence à 20 ans et implique d'être en mesure de payer sa participation, grâce au revenu du domaine qui lui a été attribué[58]. Ces pratiques correspondent aux usages courants dans le monde grec en matière d'éducation et de banquets des élites citoyennes, mais leur caractère systématique et leur lien direct à la citoyenneté sont des spécificités spartiates[59]. Quoi qu'il en soit, cette situation est au moins en place au début du Ve siècle av. J.-C. et fait des citoyens spartiates une sorte d'« aristocratie » au sein de leur cité[60].

Les citoyens spartiates ne pratiquent pas d'activités agricoles et commerciales, activités laissées aux Hilotes et aux Périèques, et se concentrent en priorité sur la guerre, la chasse et les activités de la cité[61]. Ils sont en quelque sorte des « citoyens professionnels » (J. Ducat)[62]. En dépit de l'idéal égalitaire de la société, il y a des fortes différences de richesse et d'influence entre les citoyens[63], bien qu'elles soient atténuées par des usages limitant l'étalage des richesses et l'apport de suppléments aux banquets collectifs par les plus riches[64].

Les citoyens peuvent être déchus d'une partie de leurs droits s'ils ne sont plus en mesure de payer leur participation aux banquets, ou s'ils ont fui au combat. Ils deviennent alors des citoyens de seconde zone, classés comme « inférieurs » (hypomeiones)[59]. En revanche il y a très peu de contreparties à ces mécanismes d'exclusion, les moyens d'intégration de non-citoyens dans le corps citoyen semblant avoir été quasiment inexistants[31].

Institutions et vie politique

Le système politique spartiate est, dans les grandes lignes, sans doute en place dès le VIIe siècle av. J.-C. Comme dans les autres cités grecques, il associe des magistrats (dont deux rois), un conseil et une assemblée.

Les deux rois (dyarchie) détiennent leur fonction pour la vie, et à titre héréditaire, puisqu'ils appartiennent à une des deux familles royales, les Agiades et les Eurypontides, qui revendiquent être les descendants de deux frères jumeaux, fils d'Héraclès. Les rois ont principalement des fonctions religieuses, puisqu'ils sont prêtres de Zeus, et militaires, puisqu'ils dirigent les troupes au combat, même si après 506 av. J.-C. ils n'ont plus le droit de la déclarer (cette décision revenant à l'assemblée). Ils sont des figures prestigieuses, disposent d'un domaine foncier important, mais leur pouvoir est contenu par les autres institutions[65],[66],[67].

Les principaux magistrats de la cité sont les éphores, les surveillants, formant un collège de cinq citoyens âgés d'au moins de trente ans, élus pour une période d'un an, non renouvelable. Comme leur nom l'indique, ils sont chargés de la surveillance générale de la cité, donc des affaires les plus importantes : organisation des assemblées, des mobilisations des troupes, fonctions de police et de justice, de réception des ambassades. Un d'entre eux donne son nom à l'année (éponyme). Ils servent aussi à contrôler le pouvoir des rois, notamment lors des campagnes militaires[59],[68].

Le conseil de la cité est la Gérousie, qui est constituée de 28 anciens, les gérontes, âgés d'au moins 60 ans, issus des familles les plus riches et élus à vie, auxquels les deux rois sont associés. Cette institution semble surtout avoir des fonctions judiciaires, et pourrait également avoir participé à la préparation des assemblées, au moins aux époques anciennes[59],[69]. Les citoyens âgés semblent d'une manière général avoir joui d'une grande importance et les plus jeunes se doivent de les respecter, ce qui confère des aspects gérontocratiques au système spartiate[70].

L'assemblée (ekklesia) est constituée des citoyens de plein exercice, donc d'au moins 30 ans. La présidence est assurée par les éphores, la Gérousie a aussi joué un rôle important, au moins aux époques anciennes. Le vote se faisait par acclamation. L'étendue de ses pouvoirs est débattue : pour certains c'est une institution clé dans la prise de décision, d'autres y voient une simple chambre d'enregistrement des décisions prises par le conseil et les magistrats. Les entrées en guerre devaient passer par son approbation[71],[69].

D'autres magistrats jouent un rôle important dans la vie de la cité, comme le pédonome qui supervise l'éducation des enfants de citoyens, et des chefs militaires comme le polémarque et le navarque.

La nature exacte du régime spartiate est débattue. On y a vu un régime mixte, mêlant des éléments démocratiques et oligarchiques[72]. Il faut également prendre en considération le fait que les citoyens spartiates dirigent un vaste ensemble politique comprenant aussi les cités périèques, qui sont soumises à leurs décisions, renforçant l'aspect oligarchique de leur domination[73].

Tout le corps citoyen était impliqué dans le fonctionnement des institutions et des affaires communes, ce qui a pu donner l'impression d'une omniprésence du pouvoir spartiate et d'une grande emprise sur la société, ce qui est manifestement exagéré. Aucune institution ne prévalait et le pouvoir était éclaté entre plusieurs institutions et plusieurs personnes et des groupes fluctuants, les magistrats devaient rendre des comptes, tout cela créant un contexte de compétition féroce pour le pouvoir. Des partenariats et groupes peuvent s'organiser sous l'égide d'un patron, issu des familles les plus riches et éminentes (en particulier les familles royales), qui y gagne une certaine influence politique, reposant sur un cercle de clients. Cela a pu donner à la Sparte classique des aspects ploutocratiques[74].

Organisation militaire

Thumb
Hoplite, détail du cratère de Vix d'inspiration laconienne, vers 510 av. J.-C.

Comme les autres cités grecques, Sparte accorde une prépondérance marquée au fantassin lourd, l'hoplite, au détriment des archers et des autres troupes légères, ainsi que de la cavalerie. Elle se distingue cependant en ce que tous les citoyens en âge de porter les armes (20 à 60 ans) doivent servir comme hoplites, et non, comme c'est le cas ailleurs, la fraction qui en a les moyens, donc la plus riche (peut-être au mieux 1/3 du corps citoyen). Sparte peut ainsi mobiliser à son apogée 8 000 voire 9 000 hoplites, là où les autres ne sont en général en mesure d'en lever moins d'un millier. À cela s'ajoute le fait qu'ils sont mieux formés militairement, en ayant accompli le cycle d'éducation publique, très orienté vers la préparation militaire, de sorte qu'un citoyen spartiate est toujours prêt au combat[75].

Les rangs de l'armée spartiate sont aussi considérablement grossis par ceux de ses nombreux vassaux et alliés, ce qui n'est pas le moindre de ses atouts. Les Périèques (habitants du pourtour de Sparte) combattent également comme hoplites, et même des Hilotes : les 700 Hilotes commandés par Brasidas en Chalcidique, pendant la guerre du Péloponnèse, en sont récompensés par un affranchissement(Thucydide, IV, 80, 2 et V, 34, 1). Par la suite, Sparte crée des unités de Néodamodes, des Hilotes portant l'armure lourde, employés en renfort et en garnison.

Au surplus, l'armée de Sparte dispose d'une organisation très hiérarchisée, plus poussée que dans les autres armées hoplitiques, dont les principaux commandants sont les rois, suivis du polémarque[76]. Sur le champ de bataille, les hoplites sont groupés par sections, les énomoties, qui comptent normalement un représentant de chaque classe mobilisée — 35 avant la bataille de Leuctres, 40 après (Xénophon, Helléniques, VI, 4, 17). Elles se déploient par ordre d'âge croissant, les jeunes se trouvant donc au premier rang. Au Ve siècle av. J.-C., l'armée est groupée par sections (énomoties), puis par compagnies (pentécosties), bataillons (loches) et régiment (mores), chaque unité étant commandée par un officier. L'ensemble forme la phalange qui se bat en une seule ligne profonde de huit à douze hommes, renommée dans toute la Grèce pour sa puissance et sa discipline. Cette discipline, inculquée au cours de l'éducation citoyenne, se nourrit de l'importance particulière accordée à la « belle mort », c'est-à-dire la mort au combat, avec des blessures par-devant. Le citoyen mort à la guerre a droit à une stèle inscrite à son nom, alors que les autres doivent se contenter de tombes anonymes (Plutarque, Vie de Lycurgue, 27, 3.). Inversement, ceux qui survivent sont suspects ; la mise au ban du corps social attend les lâches, les tresantes. Cette idéologie héroïque n'est pas sans motivations pratiques : l'efficacité de la phalange repose sur sa cohésion. Rester ferme à son poste est donc un devoir civique, mais aussi un gage de survie.

Sparte est donc sans conteste la première puissance militaire de la Grèce de l'époque classique, appuyée sur une armée terrestre qui enchaîne les victoires, jusqu'à sa défaite à Leuctres en 371. Elle apparaît aux autres cités grecques comme une spécialiste du combat : décrivant la cérémonie des ordres donnés le matin par le roi à ses troupes, Xénophon note : « si vous assistiez à cette scène, vous penseriez que tous les autres peuples ne sont, en fait de guerre, que des improvisateurs, et que les Lacédémoniens seuls sont vraiment des artistes en art militaire » (Xénophon, Constitution des Lacédémoniens, XIII, 5). Ses critiques lui reprochent même de n'être que cela : pour Platon, l'organisation politique de Sparte est « celle d'une armée en campagne plutôt que de gens vivant dans des villes » (Platon, Lois, II, 666e.). Il en a résulté l'image d'une cité militariste, organisée comme un camp militaire. Les historiens préfèrent aujourd'hui relativiser cette image. En effet, comme dans toutes les cités grecques, l'armée spartiate n'est pas un élément distinct du corps social ; la discipline de la phalange est d'inspiration civique, et non l'inverse[77].

Les femmes

Thumb
Figurine en bronze d'une jeune fille ou ménade en mouvement (danse ?), découverte à Prizren (Serbie), atelier laconien, v. 520-500 av. J.-C. British Museum.

Sparte prévoit une éducation pour les filles consistant principalement en un entraînement sportif, et la physiologie musculeuse des femmes spartiates entraîne la moquerie des Athéniennes dans Aristophane (Lysistrata 79-82). Ceci peut être dans le but ultime de produire des mères fortes et saines, aptes à engendrer des enfants vigoureux. Elle comprend également un apprentissage de la musique et de la danse, indispensables pour les fêtes religieuses[78]. En plus de leur avoir fourni une éducation publique, Sparte a un modèle familial qui semble avoir laissé plus de marge de manœuvre aux femmes que celui des autres cités grecques, notamment Athènes, ce qui explique en retour la mauvaise réputation dont les auteurs athéniens les ont affublées. Elles ont droit à une part d'héritage, se marient relativement tard, de préférence avec un époux de leur génération (et non plus âgé), qui en plus de cela est souvent absent du foyer car il ne peut coucher chez lui avant ses 30 ans et doit participer aux banquets publics[79],[80].

« Une femme, ayant su que son fils était tombé au cours d'un affrontement, dit : “Que soient pleurés les lâches ; moi, enfant, c'est sans larmes que je t'ensevelis, toi, mon fils et celui de Lacédémone.” »

Une mère idéale spartiate, selon les Apophtegmes des Lacédémoniens de Plutarque[81].

Devenue mère, la femme spartiate est censée se conformer à un modèle héroïque dont les Apophtegmes des Lacédémoniens de Plutarque donnent de bons exemples, par des anecdotes édifiantes concernant les relations entre mères et fils. Dans ce recueil, on voit des Lacédémoniennes exhorter leurs enfants au courage, se réjouir de la mort glorieuse de leurs fils au combat et inversement s'indigner de les voir revenir en vie alors que les autres sont morts. Dans l'un des aphorismes les plus célèbres (16), une mère dit à son fils de revenir avec son bouclier ou sur son bouclier, c'est-à-dire vainqueur ou mort. Cette source est certes tardive et empreinte des clichés circulant à propos de la cité laconienne, mais il semblerait que les mères spartiates aient, dans le prolongement de leur rôle de génitrice de bons citoyens, joué un rôle-clé dans la pédagogie, en participant à inculquer à leurs fils les valeurs de la cité, à les pousser à accomplir leurs devoirs civiques, jusqu'au sacrifice au combat. Elles seraient peut-être plus largement des gardiennes d'une forme de sagesse familiale, ce qui renvoie aussi à leur rôle de maîtresses de maison[82].

Xénophon et surtout Aristote ont laissé une image plus négative des femmes de Sparte : selon le premier, lorsque Thèbes envahit Sparte après la bataille de Leuctres, les femmes s'enfuient (Helléniques, VI, 5, 28) ; selon le second elles causent plus de désordres dans la ville que les ennemis (Politique, II, 9, 1269 b 34-39). Aristote, qui apprécie peu les mœurs spartiates et considère leurs femmes comme licencieuses, considère d'ailleurs que le trop grand pouvoir et la trop grande liberté accordées aux femmes spartiates seraient des causes de l'affaiblissement de la cité[83]. Ces descriptions biaisées reposent sans doute en bonne partie sur des incompréhensions[84]. Il est probablement exagéré de considérer, sous l'influence de ces écrits, que Sparte serait une « gynécocratie » où les femmes exerceraient le pouvoir, car leur capacité à agir rencontre des limites et qu'elles restent subordonnées aux hommes ; mieux vaudrait parler « d’une réelle considération publique pour les femmes » (J. Christien et F. Ruzé)[85].

Les non-citoyens

L’État lacédémonien est constitué de plusieurs groupes subordonnés aux citoyens spartiates, qui sont dans des situations de domination plus ou moins marquées.

Les Hilotes sont une population servile qui travaille pour les citoyens spartiates, ceux-ci ne devant pas accomplir de labeur. La tradition en fait les descendants de populations vaincues et asservies par les Spartiates, d'abord en Laconie, puis en Messénie. En tout cas ils sont d'origine grecque et non barbare, à la différence des esclaves athéniens. Ils ne peuvent pas non plus être vendus, et ne sont donc pas des marchandises, là encore à la différence des esclaves. Ils sont pour la plupart des paysans, rattachés à un lopin de terre, le kleros, qu'ils cultivent pour le compte d'un citoyen auquel ils versent une part de la récolte, qui assure la subsistance de sa famille et aussi sa contribution aux banquets collectifs. Les Hilotes sont donc un élément essentiel du système spartiate. Les textes antiques rapportent le mépris et l'état de terreur auxquels les Spartiates les soumettent (y compris par la violence), afin d'assurer leur soumission. Les Spartiates les ont perçus comme une menace potentielle, notamment parce qu'ils sont bien plus nombreux qu'eux (entre 120 000 et 190 000 selon les estimations) et se sont révoltés à plusieurs reprises. Mais ils les mobilisent aussi pour leurs campagnes militaires, et certains ont été affranchis grâce à cela[86],[87].

Les Périèques (les « habitants du pourtour ») sont libres mais appartiennent néanmoins à l'État lacédémonien. Il s'agit là aussi de populations dont les ancêtres ont été soumis lors des conquêtes de la Laconie et de la Messénie, mais laissés libres. Ils vivent dans des cités qui gèrent leurs affaires internes de manière autonome, sous la surveillance des Spartiates. Leur politique extérieure est néanmoins entièrement contrôlée par Sparte, à laquelle ils fournissent des troupes. Les Périèques ne participent pas aux institutions civiques spartiates et n'influencent donc pas sa politique. Ils exercent divers types d'activités économiques : ce sont surtout des agriculteurs, mais ils font aussi du commerce et de l'artisanat non-domestique. À la différence des Hilotes, les Spartiates ne semblent pas les avoir perçus comme une menace. Il s'agit de communautés peu importantes et manifestement loyales, qui ne leur ont pas causé de troubles[86],[88].

Sparte possède également d'autres catégories d'hommes libres non citoyens, qui constituent des catégories intermédiaires aux contours flous, inférieures aux citoyens spartiates, produits de mécanismes d'ascension de descension sociales : des citoyens déchus par pauvreté (ne pouvant plus payer leur part aux syssities ; Hypomeiones « inférieurs ») ou par lâcheté au combat (les « trembleurs », tresantes), les Mothakes qui semblent être des enfants nés d'unions polyandriques, aussi des Hilotes affranchis (néodamodes)[59],[89].

Sparte accueille des étrangers, parmi lesquels des poètes d'époque archaïque, ou des personnalités politiques et militaires à l'époque classique. Néanmoins elle dispose d'une mesure qui lui est particulière, la xénélasie, qui prévoit l'expulsion des étrangers du territoire de la cité. Ces mesures servent notamment à renforcer la cohésion sociale, notamment dans des situations de difficultés économiques et de tensions sociales[90]. Les citoyens spartiates éminents tissent couramment des liens d'amitié et d'hospitalité (xenia, type de relation sociale importante dans la Grèce antique, ayant des aspects ritualisés et sacrés) avec des étrangers d'autres cités, qui servent de relais à l'influence spartiate à l'extérieur[91].

Tensions et fragilités

L'existence des différentes catégories intermédiaires révèle le fait qu'il existe des mécanismes de promotion et de dégradation sociales, mais que le corps citoyen reste fermé : la société spartiate a pu être décrite comme une « machine à exclure » (J. Ducat)[92]. Cela concerne en premier lieu les citoyens appauvris, qui ne peuvent plus contribuer aux banquets publics, et sont donc déchus de leur capacité politique. L'époque classique semble voir un creusement des inégalités au sein du groupe des citoyens, qui favorise l'émergence d'une élite riche, alors que les déchéances de citoyenneté par appauvrissement se font de plus en plus nombreuses, gonflant le groupe des « inférieurs ». Tout cela génère un ensemble de frustrations et de tensions, qui menacent la société spartiate de l'intérieur. Elle se manifeste en particulier lors de la conspiration de Cinadon (v. 400-399), tentative de coup d’État réunissant des membres des catégories inférieures aux citoyens. La menace de révolte des Hilotes est également jugée importante et mobilise des troupes spartiates en permanence, réduisant les capacités d'envois de troupes à l'extérieur. Contrôler les Hilotes est « la grande affaire pour les Lacédémoniens », selon Thucydide (IV, 80, 3), créant une société de surveillance. Néanmoins, en dépit de ces tensions, il faut aussi constater que Sparte a survécu à plusieurs crises sans imploser[29].

« Dans ce pays capable de nourrir quinze cents cavaliers et trente mille hoplites, leur nombre n’était pas de mille. Mais les faits eux-mêmes ont rendu évident que cette disposition était défectueuse : la cité, en effet, n’a pas supporté une seule défaite et elle a péri par manque d’hommes (à cause de l’oliganthrôpia). »

L'importance du manque d'hommes, selon Aristote[93].

Le principal facteur d'affaiblissement de Sparte semble cependant avoir été son incapacité à assurer le maintien d'un corps citoyens nombreux, ce qui a aboutit à une situation de manque d'hommes (citoyens), l'« oliganthropie ». Alors qu'elle n'accepte pas ou quasiment pas de nouveaux venus dans le groupe des citoyens, les guerres à répétition causent de nombreuses morts, ce qui est aggravé par le tremblement de terre de 464 qui cause de nombreux morts, et l'appauvrissement des citoyens qui perdent leur condition. Selon les estimations, les citoyens spartiates seraient autour de 8 000 en 480 au moment de la seconde guerre médique, mais seulement autour de 1 000 en 371 lors de la bataille de Leuctres, puis 700 après puisque 300 d'entre eux y trouvent la mort. Les Spartiates n'ont jamais trouvé le moyen de résoudre ce problème, se contentant d'inciter à la procréation. Cette situation arrangeait peut-être certains d'entre eux, la réduction du corps citoyen offrant plus d'influence et de pouvoir à ceux qui restent. La situation devient cependant de moins en moins tenable avec le temps, suscitant des tensions qui explosent lors des différentes tentatives de réformes radicales de l'époque hellénistique, qui permettent malgré tout l'augmentation du corps citoyens par l'intégration d'inférieurs[24],[94].

Remove ads

Religion

Résumé
Contexte

Divinités, héros et défunts

Parmi les divinités attestées à Sparte pour l'époque classique, un premier groupe qui peut être distingué préside aux rites initiatiques : Hélène (originellement une déesse à Sparte, son statut d'héroïne semblant être une évolution tardive) qui est la protectrice des jeunes filles et de leur mariage ; la déesse Orthia, qui préside des rites de passage à l'âge adulte, notamment un rituel de flagellation des jeunes hommes (diamastigosis) ; Apollon semble patronner des relations homosexuelles initiatiques. Les divinités patronnant les activités pacifiques sont Zeus, dont les deux formes principales sont Zeus Lakédaimon, « Lacédémonien », et Zeus Ouranios, « céleste », et Athéna, qui lui est associée dans la sphère politique (« de l'agora » Agoraia/Agoraios et « du conseil » Amboulia/Amboulios) et dispose du principal sanctuaire de l'acropole (sous l'épithète Chalkioikos « de la demeure de bronze ») ; aussi Apollon et les Dioscures, Castor et Polydeukès (et leurs épouses les Leucippides qui jouent un rôle important dans la religion des femmes). Enfin comme attendu pour cette cité martiale les divinités liées à la guerre sont un autre groupe important, auquel des sacrifices sont faits durant les campagnes militaires : Zeus Agêtor conducteur de l'armée »), Artémis Agrotera chasseresse »), divinité de la chasse et des espaces giboyeux, sans doute aussi liée aux champs de bataille, à laquelle on sacrifiait avant une bataille ; les troupes en campagne avaient aussi l'habitude de sacrifier aux divinités des lieux où elles combattaient et de s'assurer par la divination de leur assentiment à l'engagement du combat[95]. Aphrodite est vénérée à Sparte sous une forme guerrière (« d'Arès » Areia), attestée pour les époques tardives[96]. Le territoire spartiate comprend également un important sanctuaire dédié à Poséidon sur le cap Ténare, et ce Poséidon a aussi un temple à Sparte[97].

Comme les autres cités les Spartiates vénèrent des héros, dont les cultes sont surtout attestés pour l'époque romaine, ce qui rend incertain le tableau pour l'époque classique. Le Ménélaion, un des principaux lieux de culte de Sparte, est consacré à Ménélas et à Hélène, et cette dernière joue un rôle majeur dans l'initiation féminine[99]. Amyclées comprend un lieu de culte consacré à un autre couple héroïque, Agamemnon et Cassandre (sous le nom d'Alexandra)[100]. Ces cultes ont comme ailleurs un aspect local et territorial très prononcé. Vers le milieu du VIe siècle av. J.-C., les Spartiates ramènent les ossements d'Oreste depuis Tégée et ceux de son fils Tisaménos depuis Hélikè, ce qui sert leur politique de domination du Péloponnèse[101]. L'importance du passé héroïque se voit aussi dans le fait que les origines mythiques de la cité remontent aux Héraclides, les descendants d'Héraclès exilés, qui conquièrent le Péloponnèse au cours de l'épisode du « retour des Héraclides », qui se confond avec celui de l'arrivée des Doriens dans la région (l'« invasion dorienne »)[20],[1].

L'héroïsation des morts est également un élément important de la religion spartiate. Xénophon évoque le fait que les rois de la cité reçoivent des honneurs héroïques à titre posthume[102]. La mise en avant des rois et des généraux participent de la propagande spartiate et de celle de ses familles éminentes, à l'intérieur comme à l'extérieur ; Brasidas est ainsi honoré à Sparte, mais aussi à Amphipolis où il a trouvé la mort[103]. D'une manière générale, les Spartiates accordent une grande considération à leurs morts, qu'ils soient héroïsés ou pas. Ils sont classés en fonction de leurs mérites qui leur donne droit à des funérailles plus ou moins importantes, et sont vus comme des figures protectrices à honorer[104].

Pratiques rituelles

La place que la religion occupe dans la vie des Spartiates se traduit par son omniprésence dans l'espace. En témoigne le nombre de temples et de sanctuaires mentionnés par Pausanias lors de sa visite de la ville à l'époque romaine impériale : 43 temples de divinités (hiéron), 22 temples de héros (hêrôon), une quinzaine de statues de dieux et quatre autels[105]. Il faut y ajouter les monuments funéraires  nombreux puisque Sparte enterre ses morts à l'intérieur de son périmètre  (Plutarque, Vie de Lycurgue, 27, 1), dont certains sont aussi des lieux de culte : c'est le cas de ceux de Lycurgue, Léonidas Ier ou encore Pausanias Ier[106].

Les principales découvertes archéologiques effectuées en Laconie spartiate pour les époques archaïque et classique ont été accomplies dans des sanctuaires, ceux d'Orthia et d'Athéna Chalkiochos à Sparte même, celui du Ménélaion dédié à Ménélas et à Hélène, et celui d'Amyclées qui comprend un sanctuaire d'Apollon et celui d'Agamemnon et de Cassandre. Leur architecture n'est certes pas impressionnante, mais les objets votifs y ont été mis au jour en très grande quantité. L'époque archaïque est en particulier caractérisée par la présence de petites plaques de plomb et des figurines en terre cuite. Des offrandes plus luxueuses (sculptures, bronzes, ivoires) ont aussi été mises au jour dans ces sanctuaires. En particulier, les vainqueurs de concours athlétiques et poétiques célèbrent leurs victoires par des dons qui s'éloignent des principes d'austérité[107].

Les deux rois sont les principaux acteurs du culte. Ce sont même les seuls prêtres attestés à Sparte pour l'époque classique[108]. Ils ont la charge des sacrifices publics, qui sont très importants, surtout en temps de guerre. Avant le départ d'une expédition, on sacrifie à Zeus Agétor, au moment de passer la frontière, c'est à Zeus et Athéna, et avant la bataille, à Arès Ényalios. Ce sont des figures charismatiques, dont les funérailles sont un moment important de réunion de la communauté spartiate, et leur héroïsation participe à légitimer les systèmes politique et social[109],[110]. Les hommes comme les femmes sont des acteurs des différents cultes civiques spartiates, sans doute de manière complémentaire. Il existe des catégories spéciales de personnes impliquées dans le culte, appelés hieroi (hommes) et hierai (femmes), qui ne sont pas des prêtres/prêtresses mais peut-être des sortes de « sacristains »[111],[112].

Le calendrier rituel spartiate est dominé par trois fêtes principales, toutes en l'honneur d'Apollon, surtout connues par des descriptions postérieures à l'époque classique, bien qu'attestées pour celle-ci : les Hyacinthies qui marquent le renouvellement du monde, en principe à l'équinoxe de printemps ; les Gymnopédies, commémoration de batailles, en juillet-août ; les Karneia, rituel de fertilité commémorant l'arrivée dans le Péloponnèse des Doriens et des premiers rois Héraclides, ancêtres légendaires des Spartiates[113],[114].

Polybe (IV, 35, 2-4) mentionne un rituel qui se déroule en l'honneur d'Athéna Chalkioikos, durant lequel des soldats en armes paradent devant l'autel de la déesse, avant un sacrifice accompli par les éphores.

Plusieurs rituels majeurs ont un aspect initiatique : le vol de fromages, sous des coups de fouet, au sanctuaire d'Orthia pour les jeunes hommes[115] ; les chants des chœurs de jeunes filles composés par Alcman se déroulent aussi dans ce sanctuaire[116] ; le sanctuaire d'Hélène est lié à la croissance des jeunes filles[100],[99] ; les Gymnopédies sont marquées par des danses des jeunes hommes qui reçoivent l'éducation publique collective[117].

Thumb
Ruines du Ménélaion, près de Sparte.

Le respect des rites, des fêtes religieuses et des signes divins se manifeste dans beaucoup d'anecdotes, où les Spartiates renoncent au combat devant des augures défavorables, ou des manifestations comme des tremblements de terre. Ils ont régulièrement sollicité l'oracle de Delphes, pour prendre des décisions majeures (les lois de Lycurgue n'auraient été promulguées qu'après approbation de l'oracle). Les Spartiates ont dans l'Antiquité une réputation de grande rigueur dans l'observance des rites, voire de superstition. Cela peut être lié au respect qu'ils attachent plus généralement aux usages ancestraux[118],[119].

Les Hilotes participent en particulier aux cultes du sanctuaire de Poséidon du cap Ténare, qui a également une réputation de lieu de refuge (asylie) pour les Hilotes et les esclaves en fuite. Le séisme qui dévaste Sparte en 464 a été attribué à une punition de Poséidon du Ténare, les Spartiates s'étant rendu coupables d'avoir pénétré dans son espace sacré pour capturer des Hilotes qui s'y étaient réfugiés. La fête majeure du sanctuaire, les Tainaria, a lieu durant trois jours, marqués par des danses, des jeux et peut-être une cérémonie de couronnement de la statue du dieu par des Hilotes[98].

Pratiques funéraires

Les fouilles archéologiques ont mis au jour des sépultures à Sparte, dont certaines ont livré un matériel important. C'est le cas d'une tombe de l'époque géométrique (900-700 av. J.-C.) qui est devenu aux époques postérieures un lieu de culte, sans doute un « culte des tombes ». D'autres sépultures atypiques semblent témoigner de cultes ancestraux : elles comprennent deux étages, le plus bas comprenant les restes d'un défunt principal (une inhumation primaire), celui du haut les ossements d'autres personnes, rassemblés depuis d'autres sépultures (une inhumation secondaire), ce qui semble relié au besoin de rassembler les restes d'un groupe familial. On sait par Pausanias que les deux lignages royaux disposaient de cimetières, celui des Agiades situé au nord-ouest de la ville, celui des Eurypontides au sud, mais ils n'ont pas été mis au jour. Les autres lignages aristocratiques devaient également disposer de leurs propres cimetières. Le fait que ces groupes importants revendiquent souvent des origines héroïques, et que les défunts spartiates remarquables soient couramment héroïsés brouille les limites entre culte des défunts/ancêtres et culte héroïque, en particulier dans les lignages royaux (dont on a également souligné l'aspect quasi-divin). Des reliefs héroïques non inscrits ont été retrouvés en plusieurs endroits de la Laconie[120]. Durant l'époque classique les règles somptuaires semblent limiter l'aspect démonstratif des sépultures. Les inscriptions funéraires sont modestes et réservées aux personnes mortes au service de la cité, à savoir les hommes tombés au combat (généralement inhumés sur le lieu de la bataille) et les femmes mortes en couches[121]. En revanche l'époque hellénistique et le début de l'époque romaine voient cette tendance s'inverser : des sépultures plus élaborées et ostentatoires sont érigées, avec notamment des façades décorées, des constructions en marbre, et des reliefs funéraires inscrits. Cela reflète un alignement des Spartiates de ces périodes tardives sur les pratiques du reste du monde grec, qui se confirme dans les phases postérieures de l'époque romaine[122].

Remove ads

Mode de vie et rapports sociaux

Résumé
Contexte

Selon les textes antiques, Sparte se caractérisait par le mode de vie (diaita) spécifique de ses citoyens, marqué par une vie collective très régulée, un contrôle et une sélection sociales poussées, des pratiques marquées par des idéaux d'austérité, de rigueur et aussi d'égalitarisme, au moins de façade. Les citoyens doivent se vouer à leurs devoirs civiques, que ce soit par la participation aux institutions, aux rituels, au combat ou en faisant en sorte de donner naissance à de nouveaux citoyens qui soient les plus aptes possibles à exercer ce rôle. Le système éducatif et la participation à des banquets collectifs jouent un rôle majeur dans la formation de références communes et d'un sens de la collectivité. Les études historiques modernes ont apporté des nuances à cette image donnée par des sources essentiellement extérieures, et mis en avant le fait que la société spartiate était traversée par de fortes inégalités, et que le modèle reposant sur l'austérité était un développement concernant surtout l'époque classique, la Laconie ayant connu une floraison artistique importante durant l'époque archaïque.

Austérité et similitude

Les idéaux régissant la vie des citoyens spartiates à l'époque classique sont connus par les discours des observateurs extérieurs et des descriptions postérieures, malgré des exagérations et des distorsions manifestes dues au poids des clichés les concernant et aux opinions souvent tranchées qu'ils ont suscité chez les autres. Ils sont principalement révélés par l'éducation, mais aussi diverses anecdotes exemplaires qui circulaient dans le reste de la Grèce.

« Le régime (diaita) des Lacédémoniens est également ordonné : manger et boire assez pour être capable de penser et de travailler. Il n’est pas de jour spécifique pour enivrer le corps avec des boissons immodérées. »

La modération des Spartiates, selon Critias[123].

Les Spartiates ont divinisé des abstractions d'états du corps (pathèmata) qu'il importe selon eux de contrôler, dont le choix est révélateur de l'éthique spartiate valorisant la maîtrise de soi : la Peur, la Pudeur (ou Retenue), le Sommeil, la Mort, le Rire, l'Amour, la Faim[124],[125],[126]. Sparte a l'image d'une cité qui n'aime pas la mollesse (malakia) et ceux qui font preuve de lâcheté, en particulier au combat comme l'indique le sort réservé aux « tremblants », citoyen dégradés et humiliés pour ne pas avoir tenu leur rang sur le champ de bataille. On valorise le courage viril (andreion, andreia), le respect de l'autorité, l'obéissance, la discipline et la retenue, aussi une capacité à duper et tromper ses adversaires, valeurs inculquées aux plus jeunes par la peine et le labeur (ponos)[127]. Cela se retrouve aussi dans le contrôle des corps, qui sont inspectés durant l'éducation, puisqu'on estime qu'ils doivent être musclés et sans graisse, les citoyens en surpoids étant châtiés[128]. La rigueur et la dureté de l'éducation spartiate sont sans doute motivées par la volonté d'avoir les meilleurs soldats possibles, disciplinés et prêts à affronter la faim et la douleur, et la mort au combat qui est vue comme la plus glorieuse. La réussite militaire spartiate a pu être vue comme le résultat de la mise en application de ces idéaux, jusqu'à ce que les revers militaires n'affaiblissent cela[125].

Sparte développe donc un idéal valorisant l'austérité, qui se retrouve dans un régime alimentaire réputé frugal et peu appétissant, leur mépris de l'ivresse, du confort de la vie familiale, leurs vêtements peu luxueux, qui ressemblent à ceux que les gens pauvres portent dans les autres cités[127],[128]. Des restrictions sont mises en place contre les démonstrations de richesses en public, au quotidien par l'apparence personnelle (mais cela ne semble pas concerner les femmes), aussi lors des mariages, des funérailles, des fêtes, pour les offrandes religieuses[129]. La sobriété spartiate se retrouve aussi dans le laconisme, une manière de s'exprimer en peu de mots, mais de manière efficace pour marquer les esprits[130],[131].

« Dans l’usage d’un costume tout simple, à la manière actuelle, les Lacédémoniens, cette fois, furent les premiers ; et, d’une façon générale, il s’établit chez eux entre la masse et les plus fortunés une égalité plus grande qu’ailleurs dans la façon de vivre (isodiaitoi). »

Le genre de vie égalitaire des Spartiates, selon Thucydide[132].

Cette austérité s'impose à tous, ce qui permet aussi d'atteindre à un autre idéal spartiate, celui d'une égalité entre les citoyens, au moins dans les apparences. Cela se retrouve dans un des mots qui sert à désigner les citoyens spartiates, Homoioi, les « Semblables », qui doivent être pareils[133]. Le groupe des citoyens est relativement homogène par rapport à celui des cités de la même période, puisqu'il ne semble pas subdivisé en classes comme c'est le cas à Athènes. Diverses mesures limitent les expressions des individualités et les éléments de distinction : les citoyens portent les mêmes vêtements (alors que les Hilotes sont distingués par un vêtement spécifique, la diphtéra), se coiffent de la même manière, respectent des règles somptuaires qui empêchent les plus riches de faire étalage de leur richesse, alors que d'un autre côté ils sont incités à contribuer plus que les autres aux banquets citoyens. Leur vie publique est collective, que ce soit lors de l'éducation, des banquets ou des célébrations religieuses, toutes organisées par la cité, sous le contrôle des citoyens et de manière à affirmer leur unité et leur similarité[127],[128],[134],[135].

Cela s'accompagne aussi d'une forme d'isolationnisme, qui se retrouve dans des mesures telles que le refus des monnaies étrangères et les mesures d'expulsions d'étrangers (xénélasie), qui font que la cité a été vue comme xénophobe par des Athéniens. Cela traduit en tout cas une volonté de contrôle social fort, aboutissant à une forme d'immobilisme, et de préservation de l'unité et des valeurs spartiates, contre des éléments extérieurs vus comme néfastes et traités comme des boucs-émissaires en période de crise[90].

Ces valeurs associées à Sparte à l'époque classique et par la suite sont sans doute un développement récent. Elles pourraient avoir débuté vers 650-600 av. J.-C. La conquête de la Messénie et la nécessité de la garder sous contrôle, notamment sa population d'Hilotes, ont sans doute nécessité de maintenir sur le pied de guerre les citoyens et de les orienter plus vers la vie civique et l'art militaire, et de les détourner des activités économiques. La présence d'un art laconien raffiné jusqu'à la fin du VIe siècle av. J.-C., célébrant notamment la bonne chère lors de banquets aristocratiques, semble néanmoins indiquer que l'austérité n'a été définitivement imposée que peu de temps avant le début de l'époque classique, autour de 500 av. J.-C.[136],[137].

Pour autant, l'idéal d'austérité et de similitude, bien qu'il ait indéniablement eu des effets importants et probablement limité les étalages de richesse et les inégalités visibles, a rencontré des limites, notamment parce que les règles se limitent à la sphère publique et laissent une large marge de manœuvre dans la sphère privée (ce qui fait que la société spartiate ne peut pas être vue comme une forme de « totalitarisme » antique). Il est évident qu'une partie des citoyens (principalement issus de la famille royale) se distingue par une plus importante richesse privée, aussi par une certaine capacité à tisser des relations politiques et économiques hors de la cité, et peut s'en servir pour accroître son influence, ce qui a donné à Sparte selon S. Hodkinson un visage ploutocratique[138]. L'existence d'un partage égalitaire des lots de terres (kleros), évoqué par Polybe et Plutarque, est douteuse. Il pourrait s'agir d'une reconstruction tardive, d'époque hellénistique, pour soutenir les politiques de redistribution au temps des rois réformateurs. En tout cas à l'époque classique il y a de fortes inégalités dans la taille des domaines agricoles[139],[140]. L'éducation de la cité, par ses aspects méritocratiques visant à promouvoir les meilleurs, notamment dans l'appareil militaire (le corps des hippeis, l'élite militaire, aussi les officiers entourant le roi lors des conflits), permet des formes de distinction qui bénéficient sans doute principalement aux personnes issues de l'élite. Cela se retrouve aussi dans le fait que la Gérousie est constituée de personnes également issues de ce groupe[141]. Il y a donc bien une élite qui est en mesure de manifester sa puissance[142]. Selon H. van Wess, les citoyens spartiates auraient mené une « double vie » : d'un côté une démonstration de l'idéal d'égalité, d'austérité, des lois somptuaires dans la sphère publique, en particulier pour les hommes ; de l'autre une possibilité d'acquérir des richesses sans limites, une liberté dans la sphère privée, moins de contraintes pour les femmes[143]. Au fil du temps, l'accroissement des inégalités de richesse a fini par affaiblir le corps citoyen. La défaite de Leuctres en 371 pourrait avoir été suivie d'une première réforme visant à atténuer la croissance des inégalités, avant les tentatives d'Agis IV et de Cléomène à l'époque hellénistique[144].

Pratiques matrimoniales

Thumb
Couple, kylix laconien à figures noires, 590-550 av. J.-C., Staatliche Antikensammlungen de Munich.

Les pratiques matrimoniales et la vie conjugale des Spartiates présentent également des singularités, si on se fie aux témoignages antiques.

« Les célibataires (…) ne pouvaient assister au spectacle des Gymnopédies, et, en hiver, les archontes les obligeaient à faire tout nus le tour de la place publique et à chanter, en le faisant, une chanson composée contre eux et disant qu’ils étaient punis avec justice parce qu’ils désobéissaient aux lois. En outre, ils étaient privés des honneurs et égards que les jeunes gens avaient pour leurs aînés. »

Les humiliations infligées aux célibataires spartiates, selon Plutarque (Vie de Lycurgue, XV, 1-3)[145].

En lien avec la politique nataliste et eugéniste de la cité, les Spartiates sont très fortement encouragés à se marier et à enfanter : ceux qui restent célibataires subissent de lourdes amendes et des humiliations. Une alternative permet à un célibataire qui souhaite le rester d'enfanter avec l'épouse d'un autre citoyen[145].

Concernant la cérémonie de mariage, Plutarque (Vie de Lycurgue, XV) rapporte ainsi un rituel aux aspects de rite de passage et d'inversion (qui ont des parallèles dans d'autres cités). Durant celui-ci, la fille est enlevée, avant qu'on ne lui coupe les cheveux, l'habille comme un homme et la couchent sur une paillasse dans une pièce obscure, où elle est rejoint par son époux qui la porte sur le lit conjugal pour consommer le mariage, avant de partir. Selon ce que rapportent Xénophon et Plutarque, les mariés ne vivent pas sous le même toit avant les 30 ans du mari, et ils ne se rencontrent que de manière discrète. Autrement, les unions sont sous comme ailleurs en Grèce antique placées sous le contrôle des hommes, les pères décidant de l'union de leur fille, et recevant une dot, et les hommes étant à l'initiative des divorces. En revanche les femmes semblent se marier plus tard qu'ailleurs, après la fin de leur éducation publique (vers 18-20 ans contre 12-14 ans)[146],[147],[148].

Plusieurs autre usages spartiates dérogent au principe général de monogamie entre citoyens. Les Spartiates auraient pratiqué sous certaines conditions la polyandrie ou de partage des femmes, dans lesquelles les femmes peuvent s'unir avec un autre homme que leur mari, avec l'accord de celui-ci et sous différentes modalités. Cela se fait sans doute dans une perspective eugéniste, mais aussi potentiellement en fonction de considérations patrimoniales et économiques, voire dans un but de lutter contre le manque d'hommes servant la cité (même s'il ne semble pas que les enfants nés de ses unions soient des citoyens à part entière). Polybe (XII, 6b, 8) évoque par exemple le fait que deux frères (voire trois ou plus) aient une épouse en commun, dont les enfants sont considérés comme ceux de tous, et qu'un Spartiate qui a déjà plusieurs enfants avec sa femme pouvait la donner à un ami pour qu'il ait des enfants avec elle[149],[150],[145].

Pratiques eugénistes

Plusieurs des descriptions antiques de Sparte évoquent diverses pratiques eugénistes (du grec ancien eugeneia, « belle naissance » ou « noblesse » ; aussi l'adjectif gennaios, « de noble race ») qui visent à assurer que les futurs citoyens soient sélectionnés dès la naissance pour être les plus aptes que possible à exercer cette fonction, notamment au combat[151].

Cela peut passer par la sélection des géniteurs. Xénophon, Polybe et Plutarque évoquent la polyandrie, permettant à une femme de s'unir à un autre homme que son époux, afin d'avoir un enfant qui soit le plus conforme possible à l'idéal spartiate (même s'il ne semble pas devenir citoyen à part entière, faisant partie de la catégorie des Mothakes). L'épouse, qui doit se distinguer par des qualités physiques et morales, fait cela avec l'autorisation de son époux (qui semble avoir été un homme âgé dont on pensait alors que la semence serait moins à même de donner un enfant mâle et robuste), et l'homme avec lequel elle cherche à procréer est lui-même choisi pour ces mêmes qualités. Il peut aussi s'agir d'un célibataire qui ne souhaite pas se marier mais doit quand même accomplir son devoir civique d'enfanter[150].

De fait, les citoyens spartiates qui restent célibataires et ne font pas d'enfant sont vus comme des gens se soustrayant à leurs devoirs envers la cité, et sont susceptibles de faire l'objet d'amendes voire d'exclusion. Il en va de même pour ceux qui refusent l'endogamie et ne se marient pas parmi le groupe des citoyens, et d'une manière générale ceux qui ne recherchent pas le meilleur parti possible. Ceux qui ne sont pas vus comme aptes à enfanter de bons citoyens sont mis au ban de la société. Le cas le plus exemplaire est celui des « trembleurs », qui ont fui sur le champ de bataille, dont on pensait que la lâcheté risquerait de se transmettre à ses enfants. Ils ne peuvent prendre une épouse, et leurs filles ne peuvent se marier[152].

Cet eugénisme se prolongerait au moment de la naissance. Plutarque (Vie de Lycurgue, XXV, 1-3) évoque la pratique de l'infanticide des nouveaux-nés, qui seraient jetés dans un précipice du mont Taygète, le gouffre des Apothètes, s'ils n'avaient pas été jugés aptes physiquement à devenir de bons citoyens par un conseil d'Anciens. Cette description, comme souvent chez cet auteur, pourrait bien être une légende imaginée longtemps après le déclin de Sparte et participant de sa légende. Mais l'exposition des nouveaux-nés, notamment les filles, n'est pas une pratique inhabituelle dans la Grèce ancienne (elle se retrouve à Athènes), et, au regard de ses autres pratiques eugénistes, il est plausible que Sparte ait pratiqué une forme de sélection des nouveaux-nés (sous le contrôle de la collectivité, alors qu'ailleurs c'est une affaire privée), quand bien même elle ne serait pas aussi ritualisée et spectaculaire que ce que rapporte Plutarque[153],[154].

Éducation citoyenne

Thumb
Lanceur de javelot,
525-500 av. J.-C.,
provenant du temple d'Apollon Hypertéléatas en Laconie.
(musée du Louvre)

L'élément central de la fabrique du citoyen spartiate est l'éducation collective obligatoire, prise en charge par la cité. Selon la tradition, elle est mise en place par Lycurgue. Elle est en tout cas documentée pour l'époque classique par Xénophon, qui la désigne par le terme paideia, qui sert à désigner l'éducation des enfants dans la Grèce antique. C'est un élément caractéristique de cette cité, selon ce même auteur et également Thucydide. Elle semble tomber en désuétude à la fin de l'époque classique, pour être remise en place, sans doute sous un aspect différent, lors des réformes de l'époque hellénistique. Ce serait vers cette période qu'elle est désignée par le terme agōgē, qui la désigne couramment dans les travaux des historiens modernes. L'éducation spartiate fait l'objet d'un long traitement dans la Vie de Lycurgue de Plutarque, qui sert de base aux descriptions modernes, même si sa fiabilité est très discutée[155].

Le cursus éducatif commence à 7 ans, quand les jeunes garçons (alors désignés pais) d'une même classe d'âge sont groupés en sections supervisées par leurs aînés, et suivent un premier cycle de formation, qui dure jusqu'à 15 ans. Puis de 15 à 20 ans se déroule un second cycle (les futurs citoyens étant alors désignés comme des paidiskoi), et un dernier de 18 à 20 ans (irènes), après quoi les jeunes hommes intègrent leur groupe de banquets (mais ils ne deviennent des citoyens de plein exercice qu'à 30 ans). L'encadrement est assuré par un magistrat, le paidonome, assisté par les éphores. Mais tous les citoyens adultes sont impliqués, puisqu'ils ont tous autorité pour admonester et punir les enfants de citoyens. L'éducation inclut aussi des relations pédérastiques entre un éraste (adulte) et un éromène (mineur) qui a des aspects formateurs (et sont, officiellement, chastes). Cette formation repose principalement sur des exercices physiques ayant une finalité militaire, sans forcément négliger une éducation intellectuelle et lettrée de base. Ils visent aussi à distinguer les plus capables par la compétition, les irènes jugés les plus compétents ayant le privilège de participer au rituel de la cryptie, durant lequel ils doivent vivre pendant plusieurs mois dans la campagne de Laconie, en survivant par leurs propres moyens (notamment en volant) sans se faire capturer. Ils auraient aussi le droit de tuer des Hilotes. Il se pourrait que ceux qui réussissent cette épreuve intègrent l'élite de l'armée spartiate, les hippeis qui forment la garde royale. Mais ce n'est pas sûr, ceux-ci semblant avoir été sélectionnés plus tard, parmi les jeunes gens de 20 à 30 ans, la dernière phase de l'éducation citoyenne[156],[157].

Cette formation dans laquelle toute la cité est impliquée est donc une spécificité spartiate, qui vise à assurer le partage d'une culture commune entre ces citoyens. Les futurs citoyens participent aux grands rituels de la cité, ils apprennent les poèmes célébrant sa gloire, sous la supervision des leurs aînés grâce à un encadrement strict. Les mères participent aussi à inculquer les valeurs spartiates, comme évoqués plus tôt. Cette éducation comprend un apprentissage de la discipline collective, morale et corporelle, du sens de l'ordre et de la rigueur, ainsi que de l'austérité qui font la réputation des citoyens spartiates. Elle a acquis dès l'Antiquité une réputation d'éducation rigoureuse voire brutale, reposant sur l'apprentissage de la douleur (évoqué notamment dans l'anecdote de l'enfant au renard rapportée par Plutarque), dont on ne sait pas dans quelle mesure elle est fidèle à la réalité[158].

L'éducation spartiate présente aussi la particularité d'inclure une éducation pour les filles de citoyens, alors que les autres cités ne s'en préoccupent pas. Il n'est néanmoins pas évident qu'il s'agisse d'un système calqué dans son organisation sur l'éducation masculine, les informations manquant à ce propos. Cette éducation vise à les préparer à être des bonnes épouses et mères de citoyens spartiates (et non des guerrières). Elle inclut une formation physique et sportive (y compris des exercices de lutte, ce qui est inhabituel pour des femmes dans la Grèce antique), ainsi qu'un entraînement à la danse et aux chants (notamment les chœurs composés par Alcman), là encore en lien avec des rituels festifs civiques (la participation aux chorales lors de ceux-ci étant peut-être réservées aux filles de l'élite)[159].

Banquets collectifs

Thumb
Convive allongé sur une banquette, statuette en bronze (élément de vase), production laconienne mise au jour à Dodone, v. 530-500 av. J.-C. British Museum.

Une autre institution primordiale dans la vie des citoyens spartiates et leur identité commune est le banquet collectif obligatoire (syssitie, aussi philitie ou phiditie). Sa date d'apparition est débattue, elle doit se faire au plus tard dans les dernières années du VIe siècle av. J.-C., et peut être vue comme une adaptation de la pratique courante du banquet grec (symposion) qui était pratiquée auparavant à Sparte, comme l'indique notamment la production de vaisselle laconienne d'époque archaïque. Selon le système mis en place, chaque citoyen âgé de plus de 20 ans doit dîner tous les soirs avec un groupe constitué d'autres citoyens, parmi lesquels se trouvent aussi ses compagnons d'armes avec lesquels il forme une unité militaire (énomotie, peut-être une quinzaine de personnes). Cette institution est donc couramment reliée à la chose militaire, mais ce n'est pas son seul aspect. Le banquet implique parfois des relations entre éraste et éromène, participe à l'éducation des jeunes citoyens par les plus âgés, qui confortent par ce biais leur autorité. Il a surtout des implications socio-économiques qui l'inscrivent dans les relations de dépendance entre patron et client, et aussi dans des mécanismes visant à atténuer les effets des inégalités de richesse entre citoyen, donc l'idéal égalitaire spartiate. En effet, chaque convive doit apporter une quote-part, prélevée sur son domaine concédé par la cité (kléros). S'il ne peut pas le faire, il est déchu de sa condition de citoyen, et cela semble être une des raisons majeures de la diminution du nombre de citoyens à l'époque classique. Néanmoins, cela est atténué par le fait que les citoyens riches peuvent apporter plus que leur part, pour les autres, ce qui leur permet aussi d'augmenter leur influence sociale. Le menu est censé être un reflet de l'austérité spartiate et de sa discipline : l'aliment de base est une bouillie d'orge ainsi qu'un brouet noir à base de sang de porc, de sel et de vinaigre, qui ont chez les autres Grecs la réputation d'être peu ragoûtants, et il y a certes du vin mais il n'est pas admis que l'on s'y enivre. Néanmoins Xénophon nuance l'impression de frugalité, car selon lui la table des Spartiate n'est jamais vide. Le gibier et la contribution supplémentaire des plus riches peuvent contribuer à augmenter les portions[160],[161].

Sport et chasse

D'autres aspects du mode de vie des citoyens spartiates, partagés avec les milieux aristocratiques des autres cités grecques, renvoient également aux idéaux de la cité : le sport et la chasse.

L'entraînement des citoyens spartiates, notamment durant leur éducation collective qui met en avant la force et l'endurance, comprend des exercices athlétiques et des formes d'émulation et de compétition. Dans ce domaine, les Spartiates sont crédités d'avoir été les premiers à pratiquer les exercices athlétiques nus, le corps couvert d'huile d'olive, ensuite adoptée par le reste du monde grec[162]. Les sports équestres sont également très pratiqués. Cela se prolonge par la présence de Spartiates dans des compétitions sportives. Plusieurs d'entre eux sont en particulier vainqueurs lors des concours d'Olympie : en tout 45 victoires de Spartiates lors des concours d'Olympie sont connues, et ce dans diverses épreuves, surtout athlétiques avant 550, et surtout hippiques après. La cité récupère leur prestige en faisant réaliser des statues de ses principaux vainqueurs et en autorisant la mention des victoires sur des inscriptions, aux côtés de ceux morts au combat. L'une des plus remarquables est celle de Kynisca, sœur du roi Agésilas, dont l'attelage a remporté au début du IVe siècle av. J.-C. l'épreuve de course hippique, la première femme à triompher dans cette compétition (en tant que propriétaire et non en tant que conductrice, rôle réservé aux hommes). En revanche aucun Spartiate n'est attesté parmi les vainqueurs des autres principaux concours (Delphes, Némée, Isthmia), mais ils sont présents à des concours secondaires. Des amphores panathénaïques symbolisant des victoires lors des concours des Panathénées d'Athènes ont ainsi été mises au jour à Sparte. La cité spartiate organise également des concours sur son sol lors de certaines fêtes, également attestées par des célébrations de vainqueurs comme la stèle de Damonon rapportant ses nombreuses victoires ainsi que celles de son fils à de plusieurs épreuves athlétiques et hippiques locales (neuf concours attestés). De nouvelles fêtes avec des concours sont instituées aux époques hellénistique et romaine, comme les Leonidaea célébrant le roi Léonidas et le régent Pausanias[163],[164].

La chasse est également une activité importante pour les citoyens spartiates, liée à la guerre et au sport, ainsi qu'aux banquets, constituant comme eux un symbole de statut prestigieux, et également une métaphore des idéaux spartiates. Selon Xénophon (République des Lacédémoniens IV, 7), Lycurgue aurait proclamé que la chasse était l'activité la plus noble à laquelle se consacrer lors qu'on n'accomplissait pas de tâches pour la cité, et pour préparer les jeunes à la vie de soldat. Il semble que l'éducation spartiate ait compris des exercices de chasse, combinés à la rapine, notamment lors de la cryptie, qui pourrait en plus avoir inclus des pratiques de « chasse » aux Hilotes. Les chiens de chasses de Sparte ont acquis dans l'Antiquité une réputation solide, et leur comportement reposant sur le collectif et la coopération renvoyait à celui des citoyens. La chasse est encore un moyen de se signaler par ses succès dans la très compétitive communauté laconienne, et aussi, avec l'accomplissement d'un rituel religieux, le seul motif possible pour être dispensé d'un banquet collectif. Cette activité permet d'ailleurs d'obtenir de la viande pour ces banquets[165].

Structures économiques

L'économie spartiate a pu être présentée comme une sorte de contre-modèle à l'Athènes classique (cité ouverte aux échanges et présentant des aspects parfois considérés comme « proto-capitalistes ») qui sert souvent de référence dans les travaux sur le sujet : les citoyens spartiates se consacrent surtout à leurs rôles politique et militaire, la production repose sur les populations soumises par les citoyens spartiates, les Périèques libres et surtout les Hilotes non libres, la circulation des biens s'effectue surtout à l'intérieur du (vaste) territoire dominé par la cité, la société est moins ouverte aux étrangers, l'économie n'est pas monétarisée, le moyen de transaction officiel étant une monnaie de fer non convertible à l'extérieur[166]. En tout état de cause Sparte est prospère, car elle dispose de nombreux atouts : elle contrôle des plaines arables productives en Laconie et en Messénie, des espaces forestiers (notamment dans les massifs), de longs espaces côtiers où pratiquer la pêche, et dispose de ressources en plomb, en fer et en marbre. Tout cela lui permet de vivre essentiellement en autarcie (peu d'importations sont attestées)[167].

« Dans les autres cités, on le sait, tous s’efforcent de gagner le plus d’argent possible ; l’un est agriculteur, un autre armateur, un autre commerçant, d’autres sont nourris par des métiers. Mais à Sparte Lycurgue a interdit aux hommes libres de s’attacher à aucune occupation lucrative, et leur a prescrit de ne considérer comme des travaux convenables pour eux que ceux auxquels les cités doivent leur liberté. »

L'interdiction faite aux Spartiates de se livrer à des activités productives, selon Xénophon[168].

En théorie, il est interdit aux citoyens spartiates d'exercer une activité productive, domaine exclusif des Périèques et des Hilotes (Xénophon, Constitution des Lacédémoniens, VII ; Plutarque, Vie de Lycurgue, XXIV, 2). Ces derniers sont chargés d'exploiter le kleros (lot de terre) des Homoioi, auxquels ils versent une rente vivrière (apophora) qui assure leur subsistance et leur permet de participer aux banquets collectifs. Comme les Grecs en général, les Périèques se consacrent principalement à l'agriculture, rien n'indiquant qu'ils aient dû verser une rente aux citoyens spartiates, et probablement aussi à l'artisanat et au commerce (pour le compte des Spartiates ?)[169],[50]. Des sources antiques comme Polybe rapportent qu'il existe une stricte égalité dans la répartition des lots de terres aux citoyens, de manière à correspondre à l'idéal de similitude. Ce serait un des effets des réformes de Lycurgue. Cela a peut-être été le cas lors de l'accaparement des terres à la suite des conquêtes, mais dans la dernière partie de l'époque archaïque et à l'époque classique, les sources plaident plutôt en faveur de l'existence de fortes inégalités dans la répartition des domaines, dont une des causes pourraient être les transmissions lors des héritages[139]. La rente versée par les Hilotes aux Spartiates pourraient s'être élevée à la moitié de la récolte, ce qui assure une certaine aisance aux plus pauvres des citoyens spartiates, et d'importantes ressources aux plus riches[170]. Des tentatives de réformes agraires visant à une répartition égalitaire des terres sont en revanche attestées pour l'époque hellénistique sous Agis IV et Cléomène III, et peut-être antérieurement après la défaite de Leuctres. Elles visent à corriger les déséquilibres et leurs conséquences économiques et politiques. C'est peut-être à ce moment que l'idée d'une division égalitaire des terres a été projetée dans le passé et attribuée à Lycurgue[171].

Une autre mesure économique d'importance attribuée à Lycurgue est le bannissement des monnaies d'or et d'argent frappées par les autres cités, remplacée par une monnaie de fer qui n'a pas cours à l'extérieur de la cité, ce qui s'inscrit dans la droite ligne des politiques de limitation des inégalités et d'isolationnisme de la cité (notamment la limitation des biens de luxe par des mesures somptuaires). La forme de cette dernière est discutée : pour certains il s'agirait de broches (dont des exemplaires ont été trouvés à Sparte)[172], pour d'autres de pièces de monnaie (aucun exemplaire n'étant connu)[173]. Les citoyens spartiates n'ont de toute manière pas particulièrement besoin de monnaie pour leurs activités civiques : ils reçoivent les rentes en nature des Hilotes, ne paient pas de mercenaires, ne contribuent pas aux ressources civiques par des taxes ou des liturgies. La plupart des cités du Péloponnèse ne frappe pas de monnaie, préférant utiliser les monnaies d'Égine. Il en a manifestement été de même à Sparte, qui n'a donc pas interdit strictement la présence de monnaies étrangères. Les plus riches de ces citoyens, notamment les rois, en ont probablement accumulé de grandes quantités[174],[175]. Ils devaient de toute manière trouver un moyen d'écouler leurs importants surplus agricoles (céréales, vins, huile) sur les marchés, donc s'impliquer dans des transactions commerciales et ainsi gagner de l'argent[176]. Les victoires militaires du Ve siècle av. J.-C., notamment la guerre du Péloponnèse, ont néanmoins entraîné un fort afflux d'argent à Sparte, qui a pris des mesures restrictives pour limiter leur accumulation et leur usage, avant d'entrer progressivement dans une économie monétaire au IVe siècle av. J.-C., comme le reste de la Grèce[177]. Sparte perd sa spécificité au début du IIIe siècle av. J.-C., à partir du règne d'Areus qui, à l'instar des monarques hellénistiques, émet des monnaies à son effigie et à son nom. Cléomène III et Nabis battent également monnaie[178],[179].

L'archéologie informe aussi sur les activités artisanales et minières, mais les études sur ce sujet sont peu nombreuses. Les amphores laconiennes archaïques ont été mises au jour dans plusieurs parties de monde grec et en Étrurie, ce qui pourrait indiquer des exportations de vin et d'huile. La métallurgie est très dynamique à l'époque archaïques pour produire des objets d'art, mais aussi des armes, qui sont peu représentées dans la documentation archéologique et surtout connues par des représentations artistiques. Le territoire spartiate dispose aussi plusieurs carrières de pierre, notamment celles de Crocée qui fournissent le lapis lacedaemonius, populaire à l'époque romaine. L'artisanat textile est surtout représenté par des pesons sur des sites ruraux. La teinture pourpre, pratiquée au cap Malée et à Cythère, devait générer des revenus importants, de même que l'exploitation des bois du Taygète et du Parnon, ou encore du sel[180].

Poésie, chants, musique et danses

Homère désignait Sparte comme un cité « aux vastes places de danse » (euruchoros : Odyssée XV, 1) et elle avait à l'époque archaïque la réputation d'être la patrie de la musique, ce qui expliquerait pourquoi elle a attiré autant de poètes lyriques de renom, qui sont aussi des musiciens puisque leurs compositions sont chantées et accompagnées avec des lyres[181]. Cela est aussi bien lié à la vie politique de la cité qu'à son rôle de foyer majeur des arts visuels à cette période[182].

« Vous, les jeunes, restez fermes et combattez en vous serrant les uns les autres ; ne consacrez aucune pensée à la peur ou à la retraite honteuse ; renforcez votre courage, ayez dans votre cœur la force du combattant ; n’ayez pas trop d’affection pour votre vie, quand vous vous battez avec les hommes. »

L'idéal de la mort au combat chez Tyrtée (fragment 7)[183].

À la fin du VIIe siècle av. J.-C., Sparte s'enorgueillit de posséder l'un des plus grands poètes élégiaques grecs[184], Tyrtée. On a conservé de lui des fragments de onze élégies, qui concilient l'idéal aristocratique hérité d'Homère et l'idéal de la cité, et font références aux événements militaires de son temps (la seconde guerre de Messénie). L'orateur Lycurgue (Contre Léocrate, 107) note que les Spartiates partant en guerre se réunissent pour écouter ses poèmes. L'autre grand figure de la poésie spartiate de la période est Alcman, qui excelle dans la poésie chorale, dont les œuvres sont employées lors des fêtes et autres rituels religieux. Si Tyrtée et Alcman sont peut-être Spartiates de naissance (leur origine est discutée), la cité fait assurément venir des figures importantes de la poésie lyrique archaïque : Thalétas de Gortyne, Terpandre de Lesbos, Timothée de Milet[11]. Diverses traditions les montrent apaiser par leurs chants une crise (stasis) secouant la société spartiate[185]. Au VIe siècle av. J.-C., selon la tradition, la cité accueille l'un des maîtres de la poésie lyrique, Stésichore[186]. On a conservé de lui un fragment d'une palinodie dans laquelle il nie qu'Hélène soit jamais allée à Troie (Platon, Phèdre, 243a), sans doute par égards pour les Spartiates qui la considèrent comme une déesse[187]. Au début du Ve siècle av. J.-C., Simonide de Céos écrit un éloge funèbre des guerriers tombés à la bataille des Thermopyles (Diodore de Sicile, 11, 11, 6), que les Spartiates semblent déclamer chaque année devant un monument à ces morts, soit à Sparte, soit aux Thermopyles[188]. Sparte ne fait plus venir de poètes après la venue de Stésichore et ne suscite aucun auteur en son sein[189].

La poésie, les chants, la musique et les danses n'en continuent pas moins d'occuper une place importante dans la vie des Spartiates. Athénée rapporte qu'ils préservent les chants anciens et sont très rigoureux dans leur pratique. L'éducation masculine comme féminine accorde une grande place à la formation au chant choral, accompagné de mouvements de danse, aussi aux accompagnements à la cithare ou à l'aulos (une sorte de hautbois). Elles sont mises en scène lors des principales célébrations festives collectives, comme les Gymnopédies, qui sont des moments où la collectivité civique réaffirme son unité, ses valeurs et ses traditions[190].

Écriture et activités intellectuelles

Le premier exemple d'alphabet laconien (qui fait partie des alphabets grecs archaïques « rouges ») remonte au milieu du VIIIe siècle av. J.-C. ou à la fin du VIIe siècle av. J.-C. : c'est la dédicace d'un aryballe pointu en bronze retrouvé dans le Ménélaion[191],[192]. La netteté des lettres, incisées sur une surface assez dure, implique une certaine habitude et permet de penser que l'alphabétisation était déjà bien répandue. On estime généralement qu'elle remonte aux environs de 775 av. J.-C[193].

L'illettrisme des Spartiates est proverbial à l'époque classique chez les Athéniens (Isocrate, Panathénaïque, 209 ; Dissoi logoi (90 F 2.10 D-K)), qui sont certes probablement plus alphabétisés que leurs rivaux, mais cela est manifestement une exagération[11]. Le fait que les poèmes de Tyrtée, d'Alcman et de Terpandre aient été mis par écrit implique que Sparte soit alphabétisée depuis au moins le VIIe siècle av. J.-C. Les inscriptions de l'époque archaïque mises au jour en Laconie sont semblables à celles du reste de la Grèce de la même époque. On sait également que Sparte disposait d'archives officielles, notamment les oracles delphiques accomplis à la demande de la cité, ainsi que probablement des documents législatifs comme la Grande Rhetra[194]. Bien que l'éducation spartiate mette l'emphase sur l'entraînement physique, il est probable qu'elle ait aussi impliqué une formation intellectuelle plus solide que généralement supposé, impliquant notamment une maîtrise de la parole (avec le fameux laconisme), des poésies des auteurs spartiates, et ne témoignant pas d'un mépris de l'écriture et de la lecture[195]. Les rois, officiers généraux, éphores, gérontes et Hippeis communiquaient par des messages écrits sur des supports appelés scytales[196]. Il est néanmoins possible que la transmission des savoirs et des traditions, qu'il s'agisse des lois, des préceptes moraux (dont les apophtegmes) ou de la poésie, reposent principalement sur l'oralité[11].

Concernant les femmes, Aristophane évoque une poétesse spartiate, Clitagora (Lysistrata, 1237), et Jamblique mentionne plusieurs pythagoriciennes spartiates (Vie de Pythagore, 267).

À l'époque hellénistique, Sparte s'ouvre de nouveau à la littérature et produit des « antiquaires », c'est-à-dire des érudits, qui se spécialisent dans les curiosités de leur propre histoire. Le plus connu d'entre eux, Sosibios, laisse une série de traités sur les cultes et coutumes spartiates, dont le grammairien Athénée préserve quelque fragments. Parallèlement, les familles aisées prennent l'habitude d'envoyer leurs fils à l'étranger pour parfaire leur éducation ; on trouve ainsi un certain « Gorgus le Lacédémonien » parmi les disciples du célèbre stoïcien Panétios de Rhodes[197].

Arts visuels

L'art laconien fleurit surtout à l'époque archaïque, peut-être dès la fin du VIIIe siècle av. J.-C.. Un de ses principaux modes d'expression est la céramique peinte, avec la production de vases peints à figures noires représentant des divinités, des scènes de banquets et de chasses, mais pas de scènes militaires. Un autre est l'art du bronze, avec de nombreuses figurines représentant des humains ou des animaux (notamment des chevaux), ainsi que des tripodes et des vases de grande taille (hydries, cratères dont un modèle aurait été offert au roi Crésus de Lydie). Ces deux types connaissent un grand succès à l'export. Les trouvailles locales confirment leur origine laconienne. D'autres œuvres caractéristiques de cette période sont des figurines d'ivoire et des plaques de plomb mis au jour dans les principaux lieux de culte laconiens. Des bassins cultuels (perirrhanteria) sculptés en marbre ont également été produits en Laconie. Vers le milieu du VIe siècle av. J.-C. se développe un art du relief sculpté sur pierre, représentant des divinités et des figures héroïques (dont des défunts héroïsés). Des commandes officielles sont également faites à des artistes étrangers, pour le temple d'Athéna Chakioikos et celui d'Amyclées. En revanche on ne trouve pas de production locale de statues à taille réelle, comme cela est le cas dans les autres centres artistiques de la période[198],[199].

Cela indique donc que Sparte n'a pas été une cité austère à l'époque archaïque, mais qu'elle a au contraire connu des formes d'arts élaborées et luxueuses, valorisant un mode de vie aristocratique reposant comme ailleurs sur les banquets et les récits héroïques, prisées dans le reste du monde grec[198]. L'austérité se met en place dans le dernier tiers du VIe siècle av. J.-C., quand la production de vases peints et de bronzes laconiens s'interrompt et que les offrandes faites aux sanctuaires diminuent en quantité. Il s'agit probablement de la conséquence d'une politique délibérée[137]. Néanmoins des formes artistiques perdurent, comme l'art des reliefs votifs et funéraires[200], et les offrandes aux divinités prennent des formes plus habituelles dans le monde grec (vases, figurines moulées en terre cuite, lampes)[201]. Cela permet la continuation de formes d'expression publique célébrant certains individus, notamment sous la forme de reliefs funéraires et d'offrandes aux sanctuaires, accompagnés d'inscriptions[202].

Architecture et urbanisme

S'agissant de l'architecture, Thucydide (I, 10, 2) note : « supposons, en effet, que Sparte soit dévastée et qu'il subsiste seulement les temples avec les fondations des édifices : après un long espace de temps, sa puissance soulèverait, je crois, par rapport à son renom, des doutes sérieux chez les générations futures »[203]. Sparte n'est pas une ville à proprement parler, mais la réunion de quatre villages (plus Amyclées plus au sud), quoi qu'on puisse y identifier une sorte de centre civique autour de l'acropole et de Limnai. Elle n'est pas dépourvue de tout monument, bien que l'archéologie en ait peu retrouvé pour ces périodes : on peut citer la Skias (570-560 av. J.-C.), odéon de forme circulaire, le temple d'Athéna Chalchioikos ou encore la stoa perse, dont la construction a été financée par le butin des guerres médiques, le sanctuaire d'Artémis Orthia. Des monuments commémorant les morts tombés au combat, comme ceux tués aux par les Perses aux Thermopyles, sont également présents. Mais l'architecture sacrée de la Sparte classique a manifestement été moins développée que dans les principales cités grecques, tout en permettant l'accomplissement des principales fêtes religieuses. Du point de vue des bâtiments publics, les textes indiquent également qu'elle disposait d'une vaste agora, ainsi que des installations sportives (gymnases, stade, hippodrome)[204].

Il faut attendre l'époque hellénistique pour que Sparte prenne une apparence plus similaire à celles des autres cités grecques. Elle se dote alors d'une muraille, qui englobe les anciens villages dispersés et les réunit en un seul espace urbain, traversé par un réseau de nouvelles rues. Des résidences aristocratiques décorées de mosaïques sont érigées, l'approvisionnement en eau est amélioré pour desservir les résidences et des lieux publics (dont des bains). En revanche la cité semble peu avoir bénéficié du patronage des rois hellénistiques, et n'a disposé que de peu de monuments publics remarquables à cette période[205].

Remove ads

Époque romaine

Résumé
Contexte
Thumb
Stèle funéraire de M. Aurelius Alexys, spartiate enrôlé dans l'expédition militaire de Caracalla contre les Parthes (IG V (1), 817 ; ILS 8878).

Une cité autonome et prospère

Après ses différentes pertes territoriales, qui ont permis à plusieurs anciennes cités périèques de devenir autonomes, Sparte ne contrôle plus qu'une partie de la Laconie. Placée sous domination romaine, et entretenant des relations pacifiques avec ses voisines, son territoire n'est pas menacé. Durant les guerres marquant la fin de la République romaine, elle subit parfois de lourdes ponctions, mais pas de représailles, bien qu'elle ne choisisse pas toujours le camp des vainqueurs. Elle soutient Pompée contre César puis, de manière plus heureuse, Octave contre Marc Antoine. Les liens entre Sparte et Octave sont incarnés par la figure d'Euryclès, aristocrate spartiate qui combat dans ses rangs, et se voit octroyer la citoyenneté romaine avec la dénomination Caius Iulius Euryclès qui marque son allégeance à la famille du vainqueur, ainsi que l'île de Cythère. Sparte bénéficie des faveurs d'Octave, devenu Auguste, et les successeurs d'Euryclès semblent dominer la vie politique de la cité jusqu'au règne de Néron[206],[207].

Les institutions spartiates de l'époque romaine comprennent encore des éphores et des gérontes, mais le véritable pouvoir semble résider dans le collège des synarques (synarchiai). Les magistrats les plus mentionnés dans les inscriptions sont les nomophylaques (« gardiens des lois ») et les patronomes (dont un est l'éponyme de l'année), ainsi que les bideioi qui organisent les compétitions des jeunes hommes. La cité présente ainsi un modèle original, avec des magistratures qui ne sont pas attestées dans les autres cités de l'époque romaine, sans doute une manière d'affirmer une identité politique propre[208].

Thumb
Vestiges du théâtre de Sparte.
Thumb
Mosaïque représentant Achille à Skyros, IVe siècle. Musée archéologique de Sparte.

La prospérité de la Sparte romaine se voit dans le fait que c'est cette période qui a livré le plus de vestiges archéologiques de toute l'histoire antique de la cité (bien que la description de Pausanias reste la principale source sur l'aspect de la ville à cette période). Elle a alors un aspect urbain plus conventionnel que par le passé, disposant des constructions caractéristiques des cités grecques d'époque romaine impériale, bien qu'elle ne rivalise pas avec les grands centres de la Grèce que sont alors Athènes ou Corinthe[209]. Une importante phase de transformation se produit à la fin du Ier siècle av. J.-C., sans doute sous l'impulsion d'Euryclès. Sparte se dote d'un vaste théâtre (114 mètres de diamètres), réaménagé plusieurs fois, notamment à l'époque de Vespasien quand est érigée une scène de type romain. Une autre construction majeure est une stoa monumentale construite vers 130-150. En revanche les sanctuaires ne sont pas dotés de constructions monumentales. Autrement, la richesse des Spartiates se voit dans l'érection de villas cossues de type romain, avec des sols ornés de mosaïques, notamment datées du IIIe siècle[210]. La prospérité se repère aussi par la construction de sépultures de plus en plus ostentatoires[122].

Les cultes de l'époque romaine sont documentés par des inscriptions ainsi que la description laissée par Pausanias le Périégète[211]. Ce dernier indique que le territoire spartiate est alors couvert de sanctuaires, aussi bien dans le chef-lieu que dans ses confins, ce qui est manifestement le produit d'un processus pluriséculaire visant à renforcer la protection surnaturelle de la cité[212]. Le culte d'Orthia, qui est alors assimilée à Artémis, semble toujours populaire, mais les inscriptions parlent plus de ceux de Zeus, des Dioscures, de Déméter d’Éleusis vénérée sur le Taygète, et surtout du culte impérial. Les familles de notables contrôlent les charges de prêtrise et financent les cultes, ce qui est une caractéristique générale de la vie des cités grecques à cette période. Des fêtes avec des concours athlétiques, musicaux et poétiques apparaissent également : les Kaisarea, sans doute en l'honneur d'Auguste, puis les Ourania en l'honneur de Zeus Ouranios, aussi les Olympia Commodea en l'honneur de Commode[213].

À l'époque romaine, Sparte devient aussi l'un des centres grecs d'études supérieures[214].

La mise en valeur du passé

Une des caractéristiques majeures de la Sparte de l'époque romaine est qu'elle cherche à paraître comme la continuatrice de son passé prestigieux et de ses valeurs : « la Sparte romaine se caractérisait par le désir de ses citoyens de se présenter comme uniques, notamment par leur attachement à des coutumes vénérables[215]. » Le « mirage spartiate » n'est alors plus seulement développé par des observateurs extérieurs : il est réapproprié et mis en scène par les Spartiates eux-mêmes pour exprimer leur identité[216]. Celle-ci repose sur des valeurs célébrées dans les inscriptions de la période, qui expriment la générosité, telles de la vertu (aretē) et le bon esprit (eunoia), la dévotion à la cité (notamment chez les bienfaiteurs, les « évergètes »), et aussi la modération et contrôle de soi (sōphrosynē), qui a pris la place du courage viril lié au combat (andreia)[217].

Sparte joue sur son prestige passé et attire de nombreux touristes, qui viennent notamment assister aux grandes fêtes traditionnelles (Karneia, Gymnopédies, Hyacinthies)[218]. Elle présente ses rites comme des traditions pratiquées depuis des temps immémoriaux, avec des aspects spectaculaires qui suscitent l'intérêt voire l'incompréhension des spectateurs extérieurs, en particulier des Romains qui portent un intérêt marqué pour l'époque grecque classique[219].

Cela concerne en particulier les rites liés à l'éducation citoyenne, l’agoge, qui est remise en place à l'époque hellénistique dans une volonté de retrouver le passé glorieux de la cité, et perdure à l'époque romaine en tant qu'élément central de la mémoire culturelle de la cité, notamment la mise en avant du passé martial de la cité et aussi de la figure fondatrice qu'est Lycurgue. Elle concerne alors des jeunes hommes (éphèbes) de 16 à 20 ans, issus de l'aristocratie de la cité, qui passent par cinq grades successifs et sont organisés en bandes. Ils doivent participer à plusieurs épreuves servant de rites de passage à l'âge adulte, comme un jeu de ballon (dont les joueurs sont appelés sphaireis), un combat au lieu appelé Platanistas, et surtout une épreuve d'endurance au sanctuaire d'Artémis-Orthia durant laquelle ils doivent atteindre l'autel de la déesse pour voler des fromages alors qu'ils sont nus et reçoivent des coups de fouet[220],[221].

Divers cultes aux aspects héroïques ayant pour objet des figures illustres de l'histoire spartiate sont attestés, peut-être des inventions de l'époque participant à susciter l'intérêt touristique pour la cité[222]. La cité commémore aussi ses figures fondatrices légendaires : le législateur Lycurgue dispose d'un sanctuaire, à proximité de celui d'Artémis-Orthia, le philosophe Chilon près d'une porte de la cité. Elle met aussi en avant les vainqueurs les vainqueurs des guerres messéniennes et des guerres médiques, ainsi Léonidas et Pausanias auxquels est consacrée la fête des Leonidea. Les lieux de culte de ces figures du passé fonctionnement comme des lieux de mémoire de la collectivité spartiate. Sont également célébrées des figures de l'âge héroïque plus particulièrement liées au passé mythifié de la cité, comme Héraclès, les Dioscures et leurs épouses les Leucippides, Ménélas et Hélène, et des personnages des récits de la conquête dorienne de la région[223],[224]. Le lien des citoyens spartiates avec leur passé légendaire se retrouve dans diverses inscriptions d'époque romaine qui renvoient à des figures héroïques (parfois en les présentant comme des ancêtres du lignage du dédicant), et recourent de plus en plus au cours du temps à une langue laconienne très différente du grec commun[225].

Remove ads

Antiquité tardive et Moyen-Âge

Résumé
Contexte

En 267/8 Sparte est mise à sac par les Hérules, puis en 396 par les Goths d'Alaric, qui semblent avoir porté un coup dur à sa prospérité[36]. Le peuplement de l'Antiquité tardive semble contracté sur un espace limité. La christianisation se repère par la présence de trois églises, et la ville est le siège d'un évêché. À l'époque byzantine la ville est désignée sous le nom de Lacédémone, qui peut aussi qualifier la Laconie en général. La Chronique de Monemvasia relate que les Lacédémoniens abandonnent la ville face aux invasions Slaves de la fin du VIe siècle pour se réfugier en Sicile, mais l'archéologie semble indiquer qu'une occupation se poursuit, au moins de façon modeste. L'empereur byzantin Nicéphore Ier (802-811) organise son repeuplement avec des gens d'origines diverses (des Thraces, des Arméniens, ainsi que des Kapheroi dont l'origine est énigmatique). Les murailles sont restaurées, des maisons et des églises sont construites. La cité de Lacédémone est ensuite évoquée dans la vie du saint Nikon le Métanoéite (Xe siècle), qui l'aurait sauvée de la peste. L'évêché de la ville devient métropolitain en 1083. La ville est prise par les Francs avec le reste de la région dans la première partie du XIIIe siècle (principauté d'Achaïe), qui correspond à son apogée médiéval. La Chronique de Morée qui couvre la période décrit Sparte comme une grande ville ceinte de murailles et disposant de tours. En 1249, Guillaume II de Villehardouin fonde le site fortifié de Mistra sur les hauteurs situées à l'ouest de la ville. Lorsque la guerre frappe la région en 1263, les habitants de Lacédémone s'y réfugient. Quelques années plus tard, l'évêque fait de même et Mistra devient le siège de l'évêché. La ville médiévale est probablement désertée avant le milieu du XIVe siècle. Lorsque l'antiquaire voyageur Cyriaque d'Ancône fait étape dans la région en 1447, il compose un poème dans lequel il se désole de l'abandon de Sparte[226],[227].

Remove ads

Réceptions et postérité

Résumé
Contexte

Dans l'Antiquité

Sparte a suscité de nombreuses réflexions dès l'Antiquité, qu'il s'agisse d'admiration ou de mépris, et ce dès l'époque de son apogée politique et militaire de l'époque classique. Cela a été décrit comme le « mirage spartiate » (F. Ollier) ou la « légende de Sparte » (E. N. Tingerstedt). Cette fascination porte sur différents aspects jugés atypiques et donc marquants par les autres Grecs, principalement des Athéniens, par contraste à leurs propres usages : le corps de citoyens dégagés de toute activité productive se consacrant aux affaires politiques et militaires, le système politique, la puissance de l'armée spartiate, le système éducatif, le rôle des femmes, l'oppression des Hilotes[228].

Les premiers observateurs contemporains de la période de grande puissance spartiate, les historiens Hérodote et Thucydide, évoquent au moins par allusions Sparte et certaines de ses pratiques. Ils reconnaissent principalement sa supériorité militaire, le second mettant en avant ce qu'il considère être ses défauts par rapport à Athènes lors du conflit qui les oppose : une trop grande prudence et un manque d'initiative. Les auteurs de théâtre Euripide et Aristophane présentent Sparte comme un monde à l'envers, notamment parce que les femmes y ont une place importante. Critias et Xénophon réfléchissent sur les ressorts de la puissance spartiate. Le second est en particulier un admirateur de celle-ci, qu'il connaît bien pour y avoir résidé, même s'il est aussi un témoin direct de son déclin. Il insiste sur les différences dans le mode de vie spartiate qui auraient expliqué son succès, comme son système éducatif. Platon a une vision plus contrastée de Sparte, qui sert de base de réflexion pour sa cité idéale : il admire son système éducatif et la volonté de limiter l'accumulation de richesses, mais critique ce qu'il juge être sa décadence morale, son incapacité à se mettre au niveau de ses propres idéaux. Son disciple Aristote s'élève quant à lui contre les opinions qui font de Sparte un modèle, en réfléchissant sur ses échecs, qui sont devenus patents à l'époque où il écrit. Il critique notamment le fait que trop de libertés et de pouvoir soit laissé aux femmes[229],[8].

Le principal artisan de l'image et de l'idéalisation modernes de Sparte est Plutarque, qui écrit à l'époque romaine impériale. Il écrit à un moment où son apogée est un souvenir lointain, largement mythifié, et analyse l'héritage moral de la cité à une époque où Rome est devenue la nouvelle puissance dominante. Son approche repose certes sur l'étude de récits anciens bien documentés, mais elle semble largement biaisée, relayant de nombreuses anecdotes peu crédibles et présentant de nombreuses exagérations qui grossissent le trait des spécificités spartiates, notamment leurs qualités militaires, leur sens du sacrifice, leur austérité, leur implacabilité et leurs rudes méthodes éducatives[230],[231],[232].

Réinterprétations modernes

La redécouverte de Sparte s'effectue en Europe occidentale à partir de la Renaissance, principalement à partir des ouvrages de Plutarque et de sa description de la figure de Lycurgue, législateur légendaire qui fascine les intellectuels de l'Europe de la première modernité. Des auteurs tels que Machiavel, Thomas More ou Jean Bodin prennent ces écrits pour exemple dans leurs réflexions politiques. Au XVIIIe siècle le système politique spartiate est un objet d'étude, ainsi que leur système éducatif, par exemple chez Rousseau qui y voit comme nombre de ses contemporains un modèle à suivre[233],[234].

Thumb
Lycurgue proclamant son neveu roi de Sparte, 1791, par Jean-Jacques Le Barbier

La Révolution française est un des moments majeurs du mythe moderne de Sparte, dans une relecture moderne de sa confrontation avec Athènes, qui est également souvent évoquée en contraste. Marie-Joseph Chénier souhaite ainsi en 1792 une instruction publique sur le modèle spartiate. Robespierre et les Montagnards sont les principaux émules revendiqués de Sparte (et aussi de Rome), en raison de son idéal égalitariste, aussi de sa vertu et de sa liberté[235],[234].

Le XIXe siècle est marqué par un revirement, Sparte étant de plus en plus vue négativement, par contraste à Athènes, vue comme plus libérale et bourgeoise (Hegel, Grote). Cela favorise une réappropriation du modèle spartiate par les auteurs réactionnaires. Karl Müller cherche à mettre en avant les spécificités de la race Dorienne, dont les Spartiates sont un des principaux exemples, qu'il voit comme un modèle idéal. Jacob Burckhardt et Friedrich Nietzsche ont des approches plus contrastées, reconnaissant les succès de Sparte mais réprouvant sa cruauté. À leur suite, les historiens et philosophes allemands du début du XXe siècle sont plusieurs à réfléchir sur Sparte, mais son idéalisation recule souvent en raison d'approches plus rationnelles et méthodiques. Néanmoins les approches racialistes de Sparte se développent aussi, dans la continuité de Müller, en particulier chez Helmut Berve. En France, c'est l'écrivain nationaliste Maurice Barrès qui développe une approche racialiste de Sparte, admirant notamment son eugénisme qui en fait selon lui un « prodigieux haras »[236],[237].

L'Allemagne nazie est un autre moment majeur de l'idéalisation de Sparte, prolongeant les théories raciales. Les Spartiates, et les Doriens en général, sont vus comme des membres de la race supérieure aryenne d'origine nordique, avec l'appui de certains historiens qui ont posé les bases de cette approche dans les années précédentes, tels que Berve qui adhère au parti nazi et durcit son discours. Les Nazis voient en Sparte un modèle de société militariste, eugéniste et expansionnistes, appuyée sur un système éducatif rugueux, une volonté de dominer les inférieurs hilotes et de préserver son homogénéité, par contraste avec Athènes, vue comme une société cosmopolite et décadente. L'éducation mise en place dans l'Allemagne du IIIe Reich s'inspire ainsi des discours sur Sparte, notamment pour inculquer aux jeunes hommes un sens du dévouement et du sacrifice[238],[239].

Après 1945 la tendance se retourne et Sparte est souvent interprétée de manière négative en réaction à l'idéalisation nazie, et devient un modèle d'État totalitaire cherchant à contrôler tous les aspects de la vie des individus, dont cette fois-ci un exemple à éviter. Cette approche avait déjà été développée auparavant par Victor Ehrenberg, historien allemand opposé au nazisme[240],[241]. Les travaux des historiens sur Sparte s'éloignent progressivement de ces idéalisation, en prenant plus de recul par rapport aux textes antiques pour multiplier les approches du sujet et aller au-delà du mirage spartiate. Dans les discours politiques et sociaux, Sparte reste néanmoins généralement vue comme un modèle d’« État fort », souvent perçu sous un jour négatif[242]. Mais d'autres approches la valorisent, en particulier dans l'extrême-droite américaine ou grecque (Aube dorée), où les Spartiates sont idéalisés comme « hyper-masculins et hyper-guerriers », un modèle à suivre, plus particulièrement dans le masculinisme[243],[244].

La fiction puise dans ces différentes visions de Sparte, vue comme une cité de citoyens rudes et austères, un modèle de liberté. Cela est incarné en particulier par la bataille des Thermopyles qui a suscité de nombreuses œuvres qui mettent en avant les aspects héroïques des guerriers spartiates luttant pour leur liberté, ainsi que leur sens du sacrifice et leur patriotisme[245]. Cela se retrouve dans le roman graphique 300 de Frank Miller et de Lynn Varley (1998), et son adaptation cinématographique (2006), qui popularisent cet épisode pour les audiences modernes. Divers romans historiques ainsi que des jeux vidéos ont également pour cadre la cité antique de Sparte, des groupes de métal la prennent pour référence, tout cela prolongeant la fascination qu'elle exerce depuis l'Antiquité[246],[247].

Remove ads

Refondation moderne

Une ville est refondée sur le site en 1834 : c'est la Sparte actuelle.

Notes et références

Bibliographie

Annexes

Loading related searches...

Wikiwand - on

Seamless Wikipedia browsing. On steroids.

Remove ads