Renaissance
période historique associée à la redécouverte des arts et sciences de l'Antiquité / De Wikipedia, l'encyclopédie encyclopedia
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La Renaissance est un mouvement de l'histoire européenne associé à la remise à l'honneur de la littérature, de la philosophie et des arts de l'Antiquité gréco-romaine. Ce mouvement a pour point de départ l'Italie, et se situe chronologiquement à cheval entre le Moyen Âge tardif et l'époque moderne[1]. Une Pré-Renaissance se produit dans plusieurs villes d'Italie dès le XIVe siècle (Trecento). La Renaissance s'exprime au XVe siècle dans la plus grande partie de l'Italie, et quelques autres pays européens, sous la forme de ce que l'on appelle la Première Renaissance (Quattrocento). La Renaissance concerne presque toute l'Europe au XVIe siècle (Cinquecento).
Pour les articles homonymes, voir Renaissance (homonymie).
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On parle de Renaissance artistique au sens où les œuvres de cette époque s'inspirent davantage de l'art gréco-romain, et moins de l'époque médiévale.
Selon l'historien britannique Peter Burke, la Renaissance se caractérise par la remise à l'honneur de la culture antique dans la littérature et les arts, qui supplante la culture de l'Europe médiévale tardive, caractérisée par l'art gothique, l'idéal de la chevalerie et la philosophie scolastique[2].
Elle s'accompagna aussi d'un changement de représentation du monde, de réformes religieuses, de nouveaux modes de diffusion de l'information (l'imprimerie), des grandes découvertes et d'un dynamisme économique favorisé par de nombreuses innovations.
La découpe historique de cette période charnière entre l'Époque médiévale et l'Époque moderne est sujette à un débat interprétatif entre historiens de l'art. Selon l'historien britannique Peter Burke, la Renaissance est avant tout un mouvement, non un événement ou une période[3]. Certains historiens considèrent de plus que l'usage traditionnel de la période Renaissance dans l'historiographie française est un chrononyme commode mais discutable pour marquer une rupture entre l'Âge sombre médiéval et l'époque moderne. Ils préfèrent utiliser, selon la thèse de continuité (en) postulant un passage graduel entre ces périodes, l'appellation plus neutre d'« early modern » (pour « Early modern Europe », littéralement début de l'Europe moderne), de « première modernité » ou « seuil de la modernité »[4].
Cette période est devenue un concept historiographique qui est désormais utilisé pour caractériser d'autres périodes historiques : la Renaissance carolingienne (les lettrés de cette époque parlaient de renovatio)[5], la Renaissance ottono-clunisienne (920 – 1000), la Renaissance du XIIe siècle, etc. (voir l'article détaillé Renaissance (historiographie).
Apparition de la notion de Renaissance
Dans les écrits de la fin du Moyen Âge, l'idée d'une rinascita (renaissance) correspond à un courant plutôt qu'à une période, orienté vers un retour à l'éducation classique, entraînant une impression exaltante de renouveau touchant aussi bien la morale que les activités politiques et artistiques[6].
Selon l'historien Jean Delumeau, le mot Renaissance nous est venu d'Italie et concernait le domaine des arts. Le peintre, architecte, et historien de l'art italien Giorgio Vasari a employé le terme « Rinascita » en 1568 dans Le vite de' più eccellenti pittori, scultori e architettori[7]. Les Italiens disent aujourd'hui Rinascimento. Le sens du mot Renaissance s'est progressivement élargi.
Le terme de « Renaissance » en tant qu'époque et non plus pour désigner un renouveau des lettres et des arts, a été utilisé pour la première fois en 1840 par Jean-Jacques Ampère dans son Histoire littéraire de la France avant le XIIe siècle[8] puis par Jules Michelet en 1855 dans son volume consacré au XVIe siècle La Renaissance dans le cadre de son Histoire de France. Ce terme a été repris en 1860 par l'historien de l'art suisse Jacob Burckhardt (1818 – 1897) dans son livre Culture de la Renaissance en Italie[9].
Dans son cours au Collège de France en 1942-1943, l'historien français Lucien Febvre montre que Jules Michelet a utilisé ce terme pour des raisons personnelles[10]. En effet, Jules Michelet, travaillant sur le roi Louis XI alors qu'il était attristé par la perte de son épouse et contrarié par l'évolution politique conservatrice de la monarchie de Juillet, eut un besoin profond de nouveauté, de renouvellement. Or sa conception de l'histoire était telle qu'il identifiait ce qu'il vivait et ce qu'il ressentait du passé ; il a donc imaginé une Renaissance après le règne de Louis XI, par l'intermédiaire des guerres d'Italie.
Ce point de vue original a été présenté par Thomas Lepeltier dans un article de la Revue des Livres en 2000[11]. Il est cependant contesté par de nombreux historiens qui voient des aspects de césure entre le Moyen Âge et la Renaissance. Ce qui est certain, c'est que la rupture entre Moyen Âge et Renaissance est moins radicale que ce qu'on en disait jadis.
Délimitation spatio-temporelle
Les historiens ne sont d'accord ni sur la date ni même sur le lieu où il convient d'entamer le récit de la Renaissance. Florence, Rome, Avignon, Padoue et Naples ont été chacune présentées comme le « berceau » du mouvement. La plupart des ouvrages débutent en Italie, mais à des moments et avec des individus différents. Il est courant de choisir l'époque du poète-érudit Francesco Petrarca, dont le nom a été francisé en « Pétrarque », soit les années 1330 ou 1340. Pétrarque voyait les siècles précédents — ce que nous appelons le Moyen Âge — comme un âge des ténèbres, qu'il opposait à l'ère lumineuse de l'Antiquité classique. Dans son poème Africa, il espérait que « lorsque les ténèbres se dissiperont, les générations à venir réussiront à trouver le chemin du retour à la claire splendeur du passé antique »[12]. Ce point de vue est à l'origine d'une certaine image du Moyen Âge.
Mais certains historiens de l'art commencent une génération plus tôt, avec Giotto. Celui-ci devait sa gloire au nouveau style de récit pictural qu'il avait créé, et ce nouveau style était en partie fondé sur les sculptures antiques qu'il avait vues à Pise. Les humanistes l'évoquaient avec respect, et son œuvre fut une source d'inspiration pour les générations suivantes de peintres de la Renaissance. On peut aussi citer Dante, son contemporain. Les deux hommes et certains de leurs successeurs ont été à l'origine d'une extraordinaire explosion de créativité à Florence juste après l'an 1300. Il ne faut pas non plus oublier l'écrivain padouan Albertino Mussato, qui a écrit des pièces de théâtre et des œuvres historiques sur le modèle des classiques. L'historien Peter Burke voit la Renaissance s'achever avec Descartes vers 1630[13].
Certains auteurs vont jusqu'à mettre en doute la pertinence d'une définition temporelle. Au sujet de ce débat, on peut par exemple se référer aux analyses de Paul Oskar Kristeller (1905-1999)[14].
Découpage conventionnel en histoire de l'art
Les historiens de l'art ont coutume de désigner par :
- Trecento (300 en italien) les années 1300 à 1399, soit approximativement le XIVe siècle (années 1301 à 1400) ;
- Quattrocento (400 en italien) les années 1400 à 1499, soit approximativement le XVe siècle (années 1401 à 1500) ;
- Cinquecento (500 en italien) les années 1500 à 1599, soit approximativement le XVIe siècle (années 1501 à 1600).
Attention au décalage des appellations entre l’italien (trecento) et le français (quatorzième)[15].
Au XIVe siècle
Au XIVe siècle, malgré la peste noire (1348), les prémices de la Renaissance se manifestent surtout dans des villes d'Italie comme Florence, Rome, Naples, Milan, Venise, première puissance maritime de l'Occident, depuis longtemps en contact avec l'Orient par voie maritime[16]. Dans la cathédrale de Pise, une chaire est sculptée par Nicola Pisano dans un style qui n'est plus celui du Moyen Âge, mais qui reprend l'esthétique de la Grèce antique[17],
On peut dire que Pétrarque fut le premier humaniste. Il se considérait d'abord comme un poète, un second Virgile. Il écrivit en latin un poème épique Africa, et en toscan une suite de poèmes lyriques, les Canzoniere. Son cercle comprenait le peintre Simone Martini, le médecin et astronome Giovanni Dondi, le dominicain Giovanni Colonna, l'augustin Dionigi di Borgo San Sepolcro, le chef politique Cola di Rienzo et Giovanni Boccaccio (Boccace), célèbre pour son recueil de cent nouvelles écrites en toscan, le Décaméron[18].
À Florence, l'œuvre de Pétrarque fut poursuivie par Coluccio Salutati, qui consentit des efforts importants pour défendre les studia humanitatis. Avec son cercle d'amis lettrés, dont Leonardo Bruni, Poggio Bracciolini (Le Pogge) et Niccolò Niccoli, Salutati a étudié et discuté des œuvres de Pétrarque et de Boccace[19].
Avignon fut une médiatrice entre l'Italie et le reste de l'Europe. Grâce à la présence du pape et de sa cour de 1309 à 1377, elle devint une ville de première grandeur, aussi étendue que Florence, lieu de contacts internationaux et foyer d'innovations culturelles. Pétrarque y grandit. Le peintre siennois Simone Martini y travailla à partir de 1339. Herédia y vécut quelques années. C'est à Avignon que Metge étudia les œuvres de Pétrarque et Boccace[20]. Le pape Clément VI fait appel, pour décorer le palais des Papes, à une équipe de peintres dirigée par Matteo Giovannetti[21].
Dans les années 1320 à 1380 se développe le courant musical de l'Ars nova, centré sur la France, qui annonce les polyphonies de la Renaissance[22].
Les érudits d'Aragon et de Catalogne furent parmi les premiers à s'intéresser aux cultures antique et italienne : Juan Fernández de Heredia fit traduire Thucydide et Plutarque ; Le majordome du roi Jean Ier d'Aragon traduisit Sénèque en catalan, tandis que le roi lui-même collectionnait les livres ; l'auteur catalan Bernat Metge admirait les lettres de Pétrarque et son Secretum, son œuvre la plus célèbre, Lo Somni, composée en 1398, s'inspire de Pétrarque et de Boccace autant que de Cicéron[23].
Dans le domaine de l'éducation, les Frères de la vie commune, organisation de laïques dont les membres vivaient en communauté comme des moines, établirent tout un réseau d'écoles dans de nombreuses villes des Pays-Bas, dont Gouda, Zwolle, Deventer et liège. Par leur refus de la scolastique et leur insistance sur la littérature latine, leurs dirigeants ressemblaient aux humanistes italiens[24].
Vers 1380, l'intérêt pour l'Antiquité classique, la culture italienne et les « études libérales » (studia liberalia) gagna Paris, du moins au sein d'un petit cercle qui comprenait Jean Gerson, Nicolas de Clamanges et Jean de Montreuil. Ce dernier était secrétaire d'un grand mécène : Jean, duc de Berry, frère du roi Charles V et du duc Philippe le Hardi. Le duc de Berry avait aussi soutenu Premierfait quand il traduisait Boccace et encouragé l'œuvre de Christine de Pisan. Il possédait environ trois cents manuscrits, dont des œuvres de Pétrarque, Virgile, Tite-Live et Térence, souvent illustrées[25].
Au XVe siècle
Au XVe siècle, la Renaissance s'intensifie en Italie. Les historiens de l'art parlent de Première Renaissance ou Quattrocento. C'est au cours de ce siècle que la chute de l'Empire byzantin (1453) provoque l'afflux de savants byzantins dans la péninsule italienne. Outre Florence, les principaux foyers de la Renaissance sont Rome, Sienne, Urbino, Milan, Venise, Ferrare, Mantoue, Naples, la Sicile[26]. Les arts sont favorisés par de grands mécènes tels que Cosme de Médicis et son petit-fils Laurent de Médicis à Florence[27].
À Florence, le retour à l'Antiquité se fit à travers un cercle d'esprits créateurs, qui se connaissaient bien entre eux : l'architecte Filippo Brunelleschi (qui résolut le problème de la conception du dôme de la cathédrale de Florence), l'humaniste Leon Battista Alberti, les sculpteurs Donatello et Ghiberti et le peintre Masaccio (qui montra sa maîtrise des règles de la perspective dans la fresque La Trinité). À la fin du XVe siècle vécurent aussi à Florence des humanistes néoplatoniciens : Cristoforo Landino (commentaires de Dante et de Virgile), Marsile Ficin, Politien et Pic de la Mirandole (De la dignité de l'homme)[28].
Lorenzo Valla (1407-1457) est le seul grand humaniste qui naquit et fit ses études à Rome. Il enseigna aussi à l'université de cette ville. Dans la préface à sa grammaire latine, les Elegantiae (1444), il affirme que le bon latin s'est épanoui en même temps de l'Empire romain et a aussi décliné avec lui, en raison des invasions barbares. C'est cette conscience des changements du latin à travers les siècles qui a permis à Valla de comprendre que la célèbre « Donation de Constantin » était un faux[29].
La chancellerie de Milan sous les Visconti et les Sforza fut aussi un foyer de culture humaniste. L'architecte florentin Le Filarète y arriva en 1451, et y construisit l'Ospidale Maggiore. Léonard de Vinci séjourna à Milan dans les années 1480[29].
De 1420 à 1450, les contacts entre les érudits et artistes italiens et d'autres Européens se multiplièrent. Le Pogge se rendit en Suisse et en Allemagne. Le peintre Masolino travailla en Hongrie. L'humaniste Guiniforte Barzizza partit en Catalogne servir Alphonse V d'Aragon en 1432, etc. Réciproquement, des étrangers venaient séjourner en Italie : Rogier van der Weyden en 1450, le Français Jean Fouquet travailla à Rome, le Flamand Juste de Gand, et l'Espagnol Pedro Berruguete travaillèrent à Urbino. Dans les années 1430, l'ecclésiastique polonais Grégoire de Sanok séjourna à Rome et y découvrit les études classiques. Dans les années 1440, l'Allemand Albrecht von Eyb, l'Anglais Robert Fleming et le Hongrois Janus Pannonius visitèrent l'Italie. Ils revenaient souvent avec des manuscrits[30].
Mathias Corvin, roi de Hongrie de 1458 à 1490, avait reçu une éducation humaniste du Polonais Grégoire de Sanok et devint collectionneur de livres et mécène des hautes études. Il invita des humanistes italiens à sa cour. Il se dota d'une vaste bibliothèque : la Bibliotheca Corviniana, qui était à sa mort la deuxième bibliothèque d'Europe après la vaticane[31].
Au XVIe siècle
La Renaissance italienne se poursuit dans ce que les historiens de l'art appellent le Cinquecento. Dans la période qui va de 1494 (invasion de l'Italie par les Français) à 1527 (sac de Rome par les soudards de l'empereur Charles Quint), qualifiée de Haute Renaissance, elle atteint son apogée à Rome avec des artistes comme Léonard de Vinci, Raphaël et Michel-Ange[32].
L'Arioste composa à Ferrare l'un des chefs-d'œuvre de la littérature italienne, Roland furieux, publié pour la première fois en 1516. Il associa la tradition classique de l'épopée à la tradition médiévale du roman courtois[33].
Pietro Bembo est un humaniste italien qui eut une grande influence à cette époque. Il fixait la loi en matière de langue et de littérature. En latin, il estimait que la prose devait se conformer au style majestueux de Cicéron, avec ses phrases complexes et ses expressions ornées. La poésie, en revanche, devait suivre l'exemple de Virgile. Ce patricien de Venise qui vivait à Rome fit des efforts considérables pour consacrer le toscan comme langue littéraire de l'Italie. En poésie, son modèle était la langue de Pétrarque et de Dante ; en prose celle de Décaméron de Boccace[34].
Pendant la Haute Renaissance, les arts sont favorisés par de grands mécènes. Les principaux sont Isabelle d'Este à Mantoue, le cardinal Tamás Bakócz et Marie de Hongrie, le cardinal Georges d'Amboise et le roi François Ier en France, Thomas Wolsey en Angleterre et Marguerite d'Autriche[35].
Le graveur et peintre allemand Albrecht Dürer acquit une grande renommée grâce à ses gravures sur bois et aux estampes de Raimondi sur ses peintures, de sorte que son œuvre s'est assuré une influence en Italie[36].
Au XVIe siècle, le Portugal continue les explorations (Cabral). Les autres grands navigateurs Christophe Colomb, Amerigo Vespucci (voir paragraphe et article détaillé grandes découvertes) permettent aux puissances ibériques (Portugal et Espagne) d'étendre leur puissance et de chercher de nouvelles voies maritimes pour les épices, la principale route des épices exploitée par les Ottomans étant coupée depuis la chute de Constantinople.
Politiquement parlant, l'Espagne devient la première puissance européenne grâce à la richesse de ses colonies et à l'exploitation des mines d'argent, qui autorisent une augmentation de la masse monétaire. Charles Quint est le souverain le plus puissant d'Europe. Il étend son influence sur une grande partie de l'Europe, ce qui n'est pas sans créer une rivalité avec François Ier. L'Espagne gardera sa puissance jusqu'au traité des Pyrénées (1659).
En France, à partir de Louis XII et de François Ier (à partir du début de son règne en 1515, correspondant à la bataille de Marignan), les guerres d'Italie font connaître la Renaissance italienne en France, avec plus d'un siècle de retard. En architecture, le style Louis XII est une transition entre le style gothique et le style Renaissance. Léonard de Vinci apporte en France le savoir-faire des artistes de la Renaissance italienne. Les principaux représentants de l'humanisme en France sont Michel de Montaigne (1533-1592), auteur des Essais, et Rabelais, auxquels il faut ajouter les poètes membres du groupe de la Pléiade Joachim du Bellay (1522-1560) et Pierre de Ronsard (1524-1585).
Imitation de l'Antiquité
Il est fréquent de dire que durant la Renaissance, on s'intéressa de nouveau à l'Antiquité, ce qui accompagna le mouvement intellectuel de l'« humanisme »[37].
En fait, l'Antiquité était loin d'être inconnue au Moyen Âge :
- une partie de la culture antique était conservée dès le haut Moyen Âge grâce à Boèce, Isidore de Séville, Bède le Vénérable et, à l'époque carolingienne Paul Diacre et Alcuin… ; Platon était déjà connu à la cour de Charlemagne ; vers le milieu du IXe siècle, on connaissait, pour l'Antiquité latine, Lucain, Juvénal, Perse, Térence, Salluste, Pline l'Ancien, Sénèque le Rhéteur, Virgile, Horace, Justin, Vitruve, Aulu-Gelle, Valère Maxime, Stace (la Thébaïde), Sénèque (les Lettres), Cicéron (œuvres rhétoriques et philosophiques) ; pour l'Antiquité grecque Aristote (la Logique), Platon (le Timée)[38] ;
- l'essentiel des œuvres d'Aristote ainsi qu'un grand nombre d'œuvres d'autres auteurs grecs parmi lesquels Euclide, Ptolémée, Galien, Hippocrate, Jean Damascène étaient déjà traduites au XIIe siècle en latin, au cours de ce que l'on appelle la Renaissance du XIIe siècle[39].
Les textes qui ont été sauvés de l'Antiquité l'ont été, pour ce qui est des auteurs latins, par les copistes médiévaux dans les monastères. Cette culture était réservée à une élite composée essentiellement de clercs, dans les monastères, puis, à partir du XIIIe siècle, dans les écoles urbaines, et les premières universités européennes (école scolastique) : au XVe siècle, 75 à 80 % des humanistes véritables avaient reçu le sacrement de l'ordre, et près de 100 % les ordres mineurs[40]. Par la suite eut lieu une relative laïcisation des études humanistes, qui ne servaient plus à former essentiellement de futurs théologiens ou canonistes, mais s'adressaient à un public beaucoup plus large : grands princes, petits nobles, détenteurs d'offices, négociants ou banquiers, techniciens (médecins, juristes, artistes de haut niveau, imprimeurs), de plus en plus nombreux à venir de la bourgeoisie[41].
Selon Régine Pernoud, ce qui caractérise la Renaissance du XIVe au XVIe siècle, c'est d'une part qu'elle concerne une certaine Antiquité, celle de Périclès pour la Grèce, et pour Rome celle qui s'inspire du siècle de Périclès ; d'autre part, il s'agit plutôt de l'imitation de l'Antiquité considérée comme ayant déjà atteint la perfection que sa redécouverte[42].
Pour ce qui concerne l'Antiquité grecque, les apports byzantins à la Renaissance italienne ont été réalisés soit à la suite de voyages entrepris par les intellectuels italiens à Byzance à la recherche de manuscrits antiques, soit par des exilés byzantins venus s’établir en Italie pour y enseigner, principalement à l’occasion du Concile de Florence (1437-1439) et après la chute de Constantinople (1453). La prise de Constantinople par les Turcs ottomans eut pour résultat d'amener en Europe des bibliothèques d'auteurs antiques conservées à Byzance ; toutefois, selon Régine Pernoud cela n'a été aucunement déterminant[43].
Pendant la Renaissance du XIVe au XVIe siècle, la connaissance des auteurs antiques s'ouvrit plus largement aux « humanistes » :
- Pétrarque et ses amis du grand nord, dès le XIVe siècle (Trecento) élargirent la gamme des auteurs antiques connus ;
- Flavio Biondo découvrit de nouvelles œuvres d'auteurs romains et entreprit des fouilles archéologiques dans le Forum romain (vers 1430) ;
- le prêtre florentin Marsile Ficin (1433-1499) traduisit en latin les Dialogues de Platon et plusieurs œuvres grecques plus tardives ; il tenta une conciliation du platonisme et du christianisme[44] ;
À partir du XVe siècle, avec les travaux de Leonardo Bruni, et Ermolao Barbaro notamment, on s'efforça de traduire Aristote en dépouillant ses textes des innombrables commentaires des philosophes médiévaux et arabes[45].
Par conséquent :
- L'archéologie permit de redécouvrir l'art antique : architecture, sculpture, que l'on chercha à imiter ;
- La connaissance de la culture antique s'élargit à davantage d'auteurs antiques (latins et surtout grecs) et se répandit d'abord en Italie, puis en Europe. Cette culture imprégna un nouveau réseau d'« humanistes » (Érasme, Thomas More, Guillaume Budé…), qui constituèrent une nouvelle élite.
En fait, si le terme humanités existait déjà, le terme humanisme ne fut employé qu'à partir du XVIIIe siècle (selon Jean Delumeau).
Naissance d'une identité européenne
Les lettrés du Moyen Âge avaient conscience qu'ils vivaient sur un continent appelé Europe par les géographes, pour le distinguer de l'Asie et de l'Afrique. En revanche, la grande masse des habitants de l'Europe n'avaient jamais entendu ce terme : ils lisaient difficilement et « le clergé leur parlait comme à des chrétiens appartenant au continent choisi par la Divine providence pour être le foyer de la vraie foi ». En somme, les Européens n'avaient pas pleinement conscience de leur identité culturelle. La conscience de cette identité n'apparut qu'à la Renaissance. Selon l'historien anglais John Hale, ce fut à cette époque que le mot Europe entra dans le langage courant et fut doté d'un cadre de référence solidement appuyé sur des cartes et d'un ensemble d'images affirmant son identité visuelle et culturelle[46].
Aspects linguistiques
Au cours du XIVe siècle, dans une Italie morcelée en plusieurs États et fragmentée en de nombreux dialectes, trois œuvres majeures d'écrivains florentins imposèrent le toscan comme langue littéraire : la Divine Comédie (1307-1321) de Dante, le Canzoniere (v. 1335) de Pétrarque et le Décaméron (1349-1353) de Boccace[47].
Au début de 1492, Antonio de Nebrija présente à Isabelle de Castille une grammaire du castillan (espagnol), qui est la première grammaire d'une langue populaire d'Europe, la Gramática castellana. Il la conçoit comme un outil d'affermissement des conquêtes de la reine sur les « barbares qui parlent des langues exotiques », et qu'il complètera par un dictionnaire[48].
En 1539, François Ier, par l'ordonnance de Villers-Cotterêts, proclame le français comme langue officielle. Le français devient ainsi la langue officielle du droit et de l'administration, dans les actes juridiques, à la place du latin. François Ier installe également la bibliothèque royale au château de Fontainebleau[49].
Même si les humanistes commencent à utiliser les langues « nationales », le latin reste très utilisé dans les communautés de clercs et dans les universités. Néanmoins, la majorité des autres populations parle des langues régionales, que nous appelons aujourd'hui des dialectes, qui existent parfois encore aujourd'hui.
Dans un contexte de prépondérance de l'Italie dans la plupart des domaines, le XVIe siècle est marqué par une vague très importante d'emprunts de la langue française à l'italien[50]. Des 2 000 italianismes que comportait alors la langue française à cette époque[51], le français moderne n'en a toutefois retenu qu'environ 700[52]. Plusieurs défenseurs de la langue française se sont émus contre ces excès de mode, notamment Henri Estienne, auteur de Deux dialogues du nouveau langage italianizé et autrement desguizé (1578), Barthélemy Aneau, Étienne Tabourot, et Béroalde de Verville, auteur de Moyen de parvenir (1616)[53]. Henri Estienne en rendait responsables les guerres d'Italie et la cour, avec son « jargon » spécial[54].
Diffusion des idées par l'imprimerie
Contrairement à une image construite au XIXe siècle, le savoir écrit n'a pas été réservé aux clercs jusqu'à la fin du Moyen Âge. On assiste à une rapide diffusion de l'écrit en dehors de l'Église à partir des XIIe – XIIIe siècles. Ramon Llull (v. 1235-1316), Dante (1265-1321) et Pétrarque (1304-1374) sont des figures marquantes de cette laïcisation des savoirs. Toutefois, ces laïcs qui savent lire et écrire demeurent classés dans la catégorie des illitterati, la notion de litteratus servant à désigner un individu qui maîtrise le latin[55].
L'une des inventions qui eurent le plus d'impact sur les hommes de la Renaissance était le perfectionnement de l'imprimerie[56] par les caractères mobiles en plomb et la presse à vis, par Gutenberg vers 1450. Les presses se propagèrent à Bâle en 1466, à Rome en 1467, Paris et Pilsen en 1468, Venise en 1469, Louvain, Valence Cracovie et Buda en 1473, Westminster en 1476 et Prague en 1477. Cela permit une multiplication des livres après 1450, avec 4 500 éditions pour la seule ville de Venise[57].
La première édition imprimée de la Bible apparut en 1455. On imprimait aussi les classiques romains (Cicéron...). L'imprimeur vénitien Alde Manuce édita les classiques grecs avant la fin du XVe siècle, notamment l'édition d'Aristote en cinq volumes qui parut entre 1495 et 1498. Les œuvres de certains humanistes italiens parurent assez vite en version imprimée : les poèmes de Pétrarque furent publiés en 1470 et réimprimés plus de vingt fois avant 1500. Le traité sur l'éducation de Leonardo Bruni parut en livre vers 1470, ses lettres en 1472 et son histoire de Florence en 1476. On imprima aussi les Elegantiae de Lorenzo Valla en 1471, Le Pogge et Marsile Ficin dans les années 1470, etc. Les idées des humanistes italiens purent se propager par l'exportation des livres dans d'autres régions d'Europe[58].
L'Imago mundi du cardinal Pierre d'Ailly, qui fut écrit en 1410, fut imprimé pour la première fois à Louvain en 1483. Il fut l'un des fondements de la connaissance géographique utilisée par Christophe Colomb et les navigateurs pendant les grandes découvertes[59].
La diffusion de l'humanisme fut favorisée par des érudits qui se firent imprimeurs et des imprimeurs qui s'intéressèrent à l'érudition. Par exemple, Guillaume Fichet, professeur de théologie et de rhétorique, créa le premier une presse à Paris, à la faculté de théologie de la Sorbonne. Alde Manuce, célèbre imprimeur de Venise, ami d'Érasme et d'autres érudits, avait étudié avec Battista Guarino[58].
L'imprimerie permettait de lire les idées avec détachement et esprit critique. En ce sens, elle a été un catalyseur des idées de la Réforme protestante à partir du XVIe siècle. Le livre imprimé eut un impact considérable sur la première diffusion de la Réforme, et réciproquement la Réforme stimula le développement de l'imprimerie[60].
Une angoisse collective
On ne peut comprendre la Renaissance et ses aspects religieux que si l'on a en tête les événements qui l'ont précédée et scandée. L'historien Jean Delumeau distingue une période de grande angoisse - de 1348 à 1660 - au cours de laquelle les malheurs se sont plus particulièrement accumulés en Europe, y suscitant un ébranlement durable des esprits : la Peste Noire qui marque en 1347-1352 le retour des épidémies meurtrières, les soulèvements qui se relaient d'un pays à l'autre du XIVe au XVIIe siècle, l'interminable guerre de Cent Ans, l'avance turque inquiétante à partir des défaites de Kosovo (1389) et Nicopolis (1396) et alarmante à partir du XVIe siècle, le grand schisme d'Occident, les croisades contre les hussites, la décadence morale de la papauté avant le redressement de la Réforme catholique. Il se produisit à partir du XIVe siècle un renforcement et une plus large diffusion de la crainte des derniers temps, qui a suscité des peurs eschatologiques, renforcées par les moyens de diffusion : l'imprimerie et la gravure jouèrent un grand rôle dans la sensibilisation du public à l'attente des derniers jours[61].
Ainsi, la naissance de la Réforme protestante se comprend mal si on ne la replace pas dans l'atmosphère de fin du monde qui régnait alors en Europe et notamment en Allemagne[62].
Diffusion et traduction de la Bible en langues vernaculaires
Au Moyen Âge, la plupart des fidèles n'avaient pas accès à la Bible dans leur langue maternelle. La version officielle de l'Église catholique était la Vulgate, traduction en latin de la Bible par saint Jérôme (347-420), et il était techniquement difficile d'en assurer une large diffusion.
L'arrivée de l'imprimerie va bouleverser cette situation : la Vulgate est imprimée dès 1455 par Gutenberg (voir Bible de Gutenberg). Néanmoins, au XVIe siècle, les réformateurs protestants en Europe multiplient les traductions en langues vulgaires pour que les fidèles puissent lire et interpréter la Bible par eux-mêmes, sapant de ce fait le monopole de l’interprétation des Écritures que l’Église romaine s’était arrogé[63].
La première édition imprimée de la Bible en italien est l'œuvre de Nicolò Malermi (imprimée à Venise en 1471)[64].
Une traduction complète en français de la Vulgate et du Nouveau Testament en grec fut l'œuvre du théologien catholique Lefèvre d'Étaples (imprimée à Anvers, 1530, 1534, 1541)[64].
Du fait des réticences catholiques, comme on l'a vu ci-dessus, les premières traductions en langues vernaculaires de la Bible ont souvent été réalisées par des protestants :
- Pour la traduction en allemand : Martin Luther publie le Nouveau Testament en 1522 et l'Ancien Testament en 1534, voir Bible de Luther ;
- Pour la traduction en anglais moderne naissant : William Tyndale publie le Nouveau Testament en 1525-1526 et le Pentateuque en 1530 (voir Bible Tyndale) ; la première traduction complète de la Bible en anglais moderne est la Bible de Coverdale (1535) ;
- Les traductions en espagnol ont été effectuées par des protestants en dehors d'Espagne, l'Inquisition ayant interdit en 1511 toute traduction de la Bible en Espagne[65].
Lors du concile de Trente (1545-1563), qui inaugure la « Contre-Réforme » l’Église a jugé nécessaire de proclamer officiellement l’édition de la Vulgate comme la seule version authentique des Saintes Écritures, déclaration qui du coup discréditait aux yeux des catholiques toutes les versions en langues vulgaires et les rendaient nulles et non avenues. L’Église ne toléra que les traductions accompagnées d’annotations fiables tirées des écrits des pères et docteurs de l’Église catholique[63].
Réforme protestante et contre-réforme
Le mouvement de renouveau en Europe s'accompagne d'un enrichissement jugé excessif de l'Église, ce qui provoque l'indignation de certains chrétiens, qui veulent revenir aux sources de la Bible. D'autre part, à cette époque, certains chefs de l'Église étaient jugés trop proches des autorités politiques. Au XVe siècle, plusieurs réformateurs dont John Wyclif en Angleterre et Jan Hus en Bohême, tentent de réformer l'Église, mais se heurtent à l'intransigeance des clercs. Jan Hus est condamné par l'Église, ce qui laissera une blessure durable en Europe centrale. Le moine dominicain Savonarole défia l'Église à Florence. Il mourut sur le bûcher[66].
Au XVIe siècle, de nouveaux réformateurs apparurent :
- Luther, théologien et réformateur germanique, s'indigne des indulgences accordées par Rome et publie ses 95 thèses (1517) ;
- Calvin, réformateur français, installé à Genève, en Suisse ;
- Thomas More, qui ne peut éviter la séparation de l'Église anglicane.
L'Église catholique tient plusieurs conciles dont le concile de Constance (1414-1418), le concile de Bâle (1431-1441) et le concile de Trente (1545-1563), ce dernier en réaction à la Réforme protestante, d'où le nom de contre-réforme donné aux décisions de ce concile.
Judaïsme, intérêt pour l'hébreu
Alors que les Juifs avaient été des acteurs des précédentes Renaissances, les populations juives sont exclues de ce mouvement de Renaissance, par la multiplication de mesures d'exclusion, soit religieuses, soit politiques : des expulsions de plusieurs pays (Angleterre, Espagne…), des mesures discriminatoires et la multiplication des ghettos.
Néanmoins, l'hébreu, langue de l'Ancien Testament, commença à être pris au sérieux par un cercle international d'érudits chrétiens. Quelques rares humanistes italiens se sont intéressés à l'hébreu dès le XVe siècle, notamment Pic de la Mirandole a pris des leçons auprès d'érudits juifs, Élie del Medigo à Padoue et Jochanna ben Isaac Alemanno à Florence. Au début du XVIe siècle, l'hébreu était solidement établi dans plusieurs universités européennes : Alfonso de Zamora l'enseigna à Salamanque en 1511. En 1517 fut fondé le célèbre « Collège trilingue » de l'université de Louvain, consacré aux trois langues des Écritures : le latin, le grec et l'hébreu. Un collège du même type fut créé à Alcalá. L'enseignement de l'hébreu commença en 1519 à l'université de Heidelberg, en 1529 à Bâle et en 1530 au nouveau Collège royal de Paris[67].
Certains humanistes chrétiens s'intéressaient à l'hébreu également pour comprendre la kabbale, tradition (sens du mot kabbala) secrète, « occulte » des érudits juifs : Pic de la Mirandole, et surtout Johannes Reuchlin qui publia en 1517 un livre sur la kabbale, qu'il dédicaça au pape Léon X ; il y affirmait que cette tradition juive donnait accès à la « philosophie symbolique » perdue de Pythagore, qui tenait sa sagesse de l'Orient [68]. Ce dernier livre fut l'objet d'une polémique antijudaïque[69].