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écrivain français De Wikipédia, l'encyclopédie libre
Gabriel Matzneff, né le à Neuilly-sur-Seine, est un écrivain français.
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Surnom |
Gab la Rafale |
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Écrivain |
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Nicolas Matzneff (d) |
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Eugénie Polak (d) |
Fratrie |
André Matzneff (d) |
Conjoint |
Tatiana Scherbatcheff (d) (de à ) |
Genre artistique |
Roman, essai, journal intime, chroniques, poésie |
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Distinctions | Liste détaillée Prix Mottart () Prix Amic () Prix Renaudot de l'essai () Prix Cazes (d) () Prix du livre incorrect () |
Journaux intimes (d) |
Auteur prolifique, ayant publié une cinquantaine d'ouvrages, il reçoit quelques récompenses littéraires, notamment les prix Mottart et Amic de l’Académie française, respectivement en 1987 et 2009, et le prix Renaudot essai en 2013.
Alors qu’il décrit dans certains de ses livres, ouvertement autobiographiques, ses rapports sexuels avec des enfants et des jeunes adolescents[alpha 1], il bénéficie d'importants appuis, notamment dans la sphère littéraire et médiatique, tout en restant relativement méconnu du grand public.
Fin 2019, l'annonce de la publication du Consentement, un livre témoignage de Vanessa Springora âgée de 14 ans au moment où l'écrivain a commencé à avoir des rapports sexuels avec elle, déclenche une polémique sur ce qui est perçu comme une forme de tolérance des milieux culturels, politiques et médiatiques envers l'écrivain. Cet événement, suivi d'autres témoignages et révélations, entraîne l'ouverture de deux procédures judiciaires contre lui ainsi que l'arrêt de la commercialisation, par ses éditeurs (Gallimard, La Table Ronde, Léo Scheer, Stock, Payot, Jean-Claude Lattès), de ses œuvres. En 2024, il est accusé d'avoir fait partie d'un réseau de pédocriminalité dans les années 1970 et 1980.
Gabriel Matzneff est le fils de Nicolas Matzneff (1904-1963), un émigré russe arrivé en France après 1917, et d'Eugénie Polak (1900-1988[2]), juive russe qui fut déportée en 1944[3]. Son site web indique : « Ses parents divorcent lorsqu'il a six mois ; de sa vie, il ne les verra dans la même pièce, et sera souvent séparé de sa sœur Alexandra, de ses frères André et Nicolas. Une petite enfance ballottée de droite et de gauche, assombrie par les déchirures familiales et la guerre. Une enfance dont il garde de très douloureux souvenirs[4]. »
Sa famille l’élève dans un milieu culturel raffiné — ses parents auraient côtoyé Léon Chestov et Nicolas Berdiaev —, où il découvre la littérature et la religion. Après un an à Gerson (1943-1944), deux à Saint-Louis-de-Gonzague (1944-1946), il est scolarisé à l'école Tannenberg[alpha 2] (1946-1952), puis au lycée Carnot à partir de 1952. Il commence en 1954 des études de lettres classiques et de philosophie à la Sorbonne. Après avoir effectué son service militaire en Algérie en 1959-1960, Gabriel Matzneff rentre à Paris en 1961, s'inscrit en russe à l’Institut des langues orientales et commence une carrière de journaliste[5].
En juin 1957, il rencontre Henry de Montherlant et demeure pour lui un ami, en dépit de quelques brouilles, jusqu'au suicide de celui-ci, le 21 septembre 1972. Dans la nuit du 21 au 22 mars 1973, il disperse les cendres de Montherlant avec l'exécuteur testamentaire de ce dernier, Jean-Claude Barat, sur le Forum romain et dans le Tibre[6],[7].
Il commence à tenir son journal intime le 1er août 1953 mais ne le publie qu'à partir de 1976. Dans le premier volume, il dessine de lui-même le visage d'un « réfractaire », adepte d'une pratique individualiste, opposée aux mœurs modernes. Français d'origine russe, et pédéraste — au vrai sens du terme, c'est-à-dire amateur de jeunes garçons, sans qu'il renonce aux femmes ni aux jeunes filles, — il se sent « un peu métèque », un peu exclu : « J'étais Athos, écrit-il, le grand seigneur misanthrope, secret, différent[8]… »
Il fait la connaissance d'Hergé en 1964. Leur amitié ne cessera qu'à la mort du père de Tintin en mars 1983[9]. Le premier livre de Gabriel Matzneff est publié en 1965 : il s'agit d'un recueil d'essais intitulé Le Défi.
Son premier roman, L'Archimandrite, dont il a commencé la rédaction pendant son service militaire, paraît en 1966. En avril 1967, il séjourne en URSS et en République populaire de Pologne. Il fait dans les années 1970, en particulier en 1970 et 1971, de nombreux voyages au Proche-Orient, notamment au Liban, en Égypte, en Syrie et, plus tard, en Libye.
Durant Mai 68, il séjourne à Llafranc, en Catalogne, du 25 avril au 15 juin, avec sa future épouse[10]. En 1970, il participe au deuxième numéro de la revue Contrepoint, fondée en mai 1970 par Patrick Devedjian, qui veut « reprendre le flambeau de l'anticommunisme » avec un dossier « Où en est la Russie ? », coordonné par Kostas Papaïoannou[11].
Le critique Pol Vandromme écrit de lui, en 1974, qu'il est « le premier écrivain de sa génération »[12]. Jean d'Ormesson lui rend hommage par la formule suivante : « C'est un sauteur latiniste, un séducteur intellectuel, un diététicien métaphysique[13]. »
En 1990, il entre chez Gallimard avec l'aide de Philippe Sollers, qui le publie dans sa collection « L'Infini ». Gallimard arrêtera la commercialisation des Carnets noirs en janvier 2020.
En octobre 1962, Philippe Tesson, alors directeur de publication du quotidien Combat, le remarque et lui propose d’écrire chaque jeudi en une du quotidien une chronique sur la télévision. À compter de cette période, Matzneff ne cesse d’écrire pour de nombreux organes de presse d'importance et d'orientation idéologique très contrastées[5] : Aux écoutes, Notre République, La Nation française, Pariscope, Les Nouvelles littéraires, Matulu, Le Nouvel Adam, Le Quotidien de Paris, Le Figaro, Le Monde (de 1977 à 1982)[14], Impact Médecin, la Revue des Deux Mondes, Newmen, L'Idiot international, Le Choc du mois. De 2013 à décembre 2019, il tient une chronique irrégulière sur le site du Point[14].
Lâché par la plupart des maisons d'édition à cause des fortes présomptions de pédocriminalité pesant sur lui, Matzneff parvient à trouver un petit éditeur, La Nouvelle Librairie, qui se définit comme « hussarde » et « de la droite identitaire, patriote » en politique[15], pour publier son dernier ouvrage, Derniers écrits avant le massacre, prévu pour le 15 novembre 2022[16]. Le 24 octobre, la maison d'édition annonce renoncer provisoirement à cette édition, son personnel ayant reçu des « menaces de mort »[17].
D'un tempérament mondain et sans ancrage idéologique, Gabriel Matzneff affiche, dans ses chroniques et au fil des volumes publiés de son Journal, des relations avec des personnalités politiques de tous bords : dans les années 2000 et 2010, il rend visite au maire de Paris, Bertrand Delanoë, puis il déjeune avec Jean-Marie Le Pen en 2017[18].
Dans les années 1960, il dit de François Mitterrand qu'il est « le seul homme d'État de la gauche[19] ».
Le 4 février 1976, il signe dans Le Monde un appel titré « Des gaullistes s'élèvent contre l'élection du Parlement européen au suffrage universel »[20].
Il compte aussi des soutiens à l'extrême droite et notamment au Groupement de recherche et d'études pour la civilisation européenne (GRECE) : Christopher Gérard, écrivain de cette mouvance, a été membre de l’association des amis de Matzneff ; Alain de Benoist, tête pensante du GRECE, critique favorablement ses ouvrages en général et lui apporte son soutien en 1986 ; la revue Lutte du peuple de Christian Bouchet fait l’apologie de la pédophilie de l’écrivain en 1996[21].
En 2002, lors d'un entretien publié dans L'Humanité, il déclare avoir « le plus grand respect pour le ministre de l'Intérieur » et être « dévoué corps et âme à M. Sarkozy »[22]. Le 27 mars 2017, il profite de sa chronique du Point pour assurer de son soutien François Fillon, accusé d'avoir reçu en cadeau des costumes très coûteux : il estime qu’« un président de la République peut avoir des goûts de luxe » et fustige « les ploucs jaloux […] qui crient haro » sur le candidat à l'élection présidentielle[23].
Cependant, Gabriel Matzneff annonce voter pour Jean-Luc Mélenchon en 2012 et 2017[24].
Bien que né d'une mère juive, Gabriel Matzneff a été élevé dans le christianisme orthodoxe, et se déclare profondément attaché à l'orthodoxie.
En octobre 1964, à Montgeron, il participe au congrès fondateur du Comité de coordination de la jeunesse orthodoxe, où il rencontre la lycéenne Tatiana Scherbatcheff — « adolescente aux cheveux hirsutes, au visage un peu triangulaire, aux vastes et magnifiques yeux noirs, ensemble princesse et poulbot[25] ».
Il épouse le 8 janvier 1970 à Londres[26] celle qui deviendra la Véronique d’Isaïe réjouis-toi (La Table ronde, 1974), avant d'en divorcer le 3 mars 1973. Ce divorce entraîne en lui une crise religieuse qui l'éloigne de l'Église : il quitte alors le Comité et se défait également de la coproduction de l'émission télévisée Orthodoxie, qu'il avait contribué à créer, avec le prince Andronikov et le père Pierre Struve, en mai 1965.
Durant les années 2000, il fréquente la paroisse Notre-Dame-Joie-des-Affligés-et-Sainte-Geneviève[27], à laquelle il consacre un chapitre dans Boulevard Saint-Germain.
De l'Académie française, il reçoit en 1987 le prix Mottart et en 2009 le prix Amic[28].
En mars 1995, à l'occasion du Salon du livre, Jacques Toubon, ministre de la Culture du gouvernement Balladur, remet à Gabriel Matzneff l'insigne d'officier des Arts et des Lettres[alpha 3],[18].
En décembre 2004, Gabriel Matzneff est invité au Palais-Bourbon par Jean-Louis Debré, président de l'Assemblée nationale, et par le Haut Conseil français à l'intégration à donner son témoignage lors du Forum sur la réussite des Français venus de loin[29].
En 2013, après une quarantaine de livres publiés, il reçoit son premier prix notable, le Renaudot essai, pour Séraphin, c’est la fin !, recueil de textes rédigés entre 1964 et 2012, sur Schopenhauer, Kadhafi, les prêtres ou le viol. Ayant été tout près de lui décerner ce prix en 2009[alpha 4], le jury[alpha 5] le choisit, à sept voix contre trois, après qu’un de ses membres, Christian Giudicelli, ami et éditeur de Matzneff chez Gallimard, a plaidé sa cause. Fin 2019, Franz-Olivier Giesbert, directeur de publication du Point et président du jury en 2013, se défend de son appui à Gabriel Matzneff en expliquant, comme il l'avait déjà fait dans le passé, que « la pédophilie était très courante au temps des Grecs »[1]. Frédéric Beigbeder — grand amateur de l’œuvre de Matzneff —, écrit deux articles sur « l'auteur de trente-trois livres qui font honneur à la langue française » dans Voici du 24 mai 2004, et qui sont repris dans le Bulletin de la Société des amis de Gabriel Matzneff : « [l]e journal de Matzneff est une des pièces maîtresses de ma bibliothèque. Il m'a appris à vivre, à lire et à écrire »[30]. Dans la liste de ses cent coups de cœur littéraires (2011), il place celui-ci parmi les géants de la littérature mondiale, avant Truman Capote et juste derrière Scott Fitzgerald[1]. Il justifie le choix du jury dans M, le magazine du Monde, le 23 décembre 2019, en insistant sur le fait que « quand on juge une œuvre d’art, il ne faut pas avoir de critères moraux », puis en faisant valoir que Gabriel Matzneff était alors « un auteur ostracisé, jugé sulfureux et scandaleux depuis une vingtaine d’années et qui n’avait plus accès aux médias ». Patrick Besson abonde dans le même sens : « Dans ce qu’il a pu écrire sur sa vie amoureuse, il y a des choses ahurissantes et inacceptables, mais c’est un vieux monsieur blacklisté et dans le besoin : on a fait la part des choses[14]. » Aussitôt le prix annoncé, trois pétitions apparaissent pour qu'il lui soit retiré. Le livre ne se vend qu'à 3 800 exemplaires en six ans[31].
En 2015, il lui est attribué le prix Cazes de la brasserie Lipp pour La Lettre au capitaine Brunner[alpha 6]. Thierry Clermont du Figaro littéraire note que Gabriel Matzneff fête également ce jour-là ses cinquante ans de vie littéraire : « Une bonne partie du monde germanopratin s'était réunie pour saluer l'œuvre de cet auteur aussi sulfureux qu'hors pair. […] On a ainsi pu croiser Patrick Besson, Christine Jordis et Joël Schmidt (membres du jury), la directrice de la Table Ronde, Alice Déon, le nouvel élu à l'Académie française Marc Lambron, Éric Neuhoff, Jean-Claude Lamy[33]. »
Gabriel Matzneff est mensualisé par le groupe Gallimard jusqu'en 2004[1] ou, plus vraisemblablement, jusqu'en 2008[34]. Selon L'Express, Gabriel Matzneff perçoit entre 1984 et 2010 une « petite mensualité de la maison Gallimard » ; en 2013, son livre Séraphin, c’est la fin ! reçoit le prix Renaudot de l'essai, ce qui représente « la promesse d'une petite rentrée d'argent » ; ses ouvrages « se vendent très peu, entre 800 et 3 000 exemplaires en moyenne ». Le magazine précise : « Matzneff a toujours tiré le diable par la queue. Il a pu compter sur l'aide discrète de mécènes, comme Yves Saint Laurent, qui a pris en charge ses frais d'hôtel à l'époque de son aventure » avec Vanessa Springora[35].
Toujours selon L'Express, du 25 décembre 2019, l'écrivain bénéficie depuis une quinzaine d'années d'une allocation du Centre national du livre (CNL)[35]. Versée « en raison de sa situation sociale et de son apport global à la littérature », elle est estimée à un montant compris entre 7 000 et 8 000 euros par an[18]. En janvier 2020, le CNL révèle qu'en 2002 Gabriel Matzneff s’est vu refuser une demande pour une bourse d'écriture car les écrivains retraités n'y ont pas droit, et qu'il a alors « remué ciel et terre » pour faire pression sur le CNL afin d'obtenir cette allocation. Le ministre de la Culture Jean-Jacques Aillagon et des personnalités importantes, membres de l'Académie française ou prix Goncourt, sont alors intervenus en sa faveur[36]. En septembre 2020, la ministre de la Culture, Roselyne Bachelot, fait savoir que l’écrivain ne touche plus son allocation pour écrivains à faibles revenus[37].
Dans le dernier volume de son journal, L’Amante de l’Arsenal, paru en novembre 2019, il écrit qu'il reçoit 800 euros de minimum vieillesse par mois[38].
Selon L’Express, il bénéficierait également depuis 1994 d’un appartement de la Ville de Paris. Ce logement serait situé dans le 5e arrondissement et aurait une superficie de 33 m2 pour un loyer mensuel de 348 euros, un montant qualifié de « ridicule » par le magazine Capital[39]. Il lui aurait été attribué sous le mandat de Jacques Chirac grâce à Jean Tiberi[18].
Le magazine L’Express révèle qu'Ivre du vin perdu, son best-seller, a atteint le chiffre de 20 000 exemplaires vendus, que la plupart de ses livres connurent des ventes comprises entre 1 500 et 2 000 exemplaires, et que Séraphin, c’est la fin !, pour lequel il se voit décerner le prix Renaudot essai en 2013, ne dépassa pas les 3 500 ventes[40].
Gabriel Matzneff commence à tenir son journal intime à seize ans « sur des carnets 10/16, à la couverture de moleskine noire et brillante, fermés par un élastique[41] ». Il appelle ces carnets, qu’il a toujours sur lui et auxquels il est demeuré fidèle, ses carnets noirs.
En 1976, il écrit : « Je souhaite que lorsque mon journal intime sera publié d’un seul tenant, il porte le titre unique de : Les Carnets noirs[42]. »
En 2015, dans la préface de Mais la musique soudain s’est tue, il confirme : « L’ouvrage intitulé Carnets noirs s’étend des premiers jours d’août 1953 – j’avais seize ans – au 31 décembre 2008 – j’en avais soixante-douze. Il n’aura ni ajout, ni post-scriptum, tel un tableau auquel le peintre donne la dernière touche de couleur, puis le signe. » Il ajoute : « Je refuse d’être dans Carnets noirs le scribe de mon propre déclin. Carnets noirs célèbre et fait aimer la vie et non la mort. […] La vie trépidante, amoureuse de Calamity Gab, son galop d’enfer, ses amours décomposées, oui, voilà qui insuffle du vif-argent à un journal intime ; mais les misères physiques et morales de la vieillesse, c’est autre chose. »
Les carnets couvrant la période 1989-2006 sont inédits, l'auteur ayant choisi de ne pas les publier de son vivant[43]. Ces écrits inédits auraient été à l'origine des perquisitions des locaux des éditions Gallimard par l'Office central pour la répression des violences aux personnes le [44].
De janvier 2009 à août 2011, Gabriel Matzneff ne note quasiment plus rien de ce qu’il vit. Le 30 août 2011, dit-il[45], Bertrand Delanoë, « dans son beau bureau de l’Hôtel de Ville », le convainc de recommencer à prendre des notes. Trois journaux supplémentaires sont publiés :
En 2010 puis en 2014, Gabriel Matzneff publie deux volumes de son courrier électronique, qu’il baptise « émiles », « sobriquet à la fois bien français et proches euphoniquement de l’américain » et qu’il préfère « au courriel des souverainistes et à l’e-mail anglo-saxon ». « Émile » doit être également vu comme un hommage à deux des maîtres de Matzneff, le lexicographe Émile Littré et le philosophe Emil Cioran[46].
« J'adopte un style qui n'est ni celui de mes romans, ni de mon journal intime, ni de mes récits et essais, ni de mes poèmes ; un style singulier qui s'accorde à l'immédiateté de l'émile, non seulement par la spontanéité de l'écriture (ce qui l'accommunerait[47] au journal intime), mais aussi par la diligence de l'envoi et de la lecture qu'en fait le destinataire[48]. »
Dans le dernier tome de son journal intime, L'Amante de l'Arsenal (Gallimard, 2019), Gabriel Matzneff révèle que le deuxième recueil de ses « émiles » aurait dû compter beaucoup plus de pages, mais qu'il a été « allégé » à la demande de l'éditeur ; Gabriel Matzneff possède ainsi largement de quoi constituer un troisième tome.
Gabriel Matzneff est l'auteur de plusieurs romans ayant le même héros, Nil Kolytcheff. Ce sont : Isaïe réjouis-toi, Ivre du vin perdu, Harrison Plaza, Mamma, li Turchi!, Voici venir le fiancé, La Lettre au capitaine Brunner.
À la fin du mois d'octobre 1974, Gabriel Matzneff publie chez Julliard, dans la collection « Idée fixe » dirigée par Jacques Chancel[55], Les Moins de seize ans, un essai dans lequel il expose crûment son goût pour les « jeunes personnes », soit les mineurs des deux sexes, semant le trouble car utilisant le mot « enfant » de manière indifférenciée pour des enfants ou des adolescents. Il écrit : « Ce qui me captive, c'est moins un sexe déterminé que l'extrême jeunesse, celle qui s'étend de la dixième à la seizième année et qui me semble être — bien plus que ce que l'on entend d'ordinaire par cette formule — le véritable troisième sexe. Seize ans n'est toutefois pas un chiffre fatidique pour les femmes qui restent souvent désirables au-delà de cet âge. […] En revanche, je ne m'imagine pas ayant une relation sensuelle avec un garçon qui aurait franchi le cap de sa dix-septième année. […] Appelez-moi bissexuel ou, comme disaient les Anciens, ambidextre, je n'y vois pas d'inconvénient. Mais franchement je ne crois pas l'être. À mes yeux l'extrême jeunesse forme à soi seule un sexe particulier, unique. »
Gabriel Matzneff revendique pour lui-même la qualification de « pédéraste », soit un « amant des enfants », et utilise également le terme « philopède », employé pour la première fois dans les Passions schismatiques (Stock, 1977)[56]. Il dénonce par ailleurs le fait que le « charme érotique du jeune garçon » soit nié par la société occidentale moderne « qui rejette le pédéraste dans le non-être, royaume des ombres »[57]. Il ajoute plus loin : « les deux êtres les plus sensuels que j'aie connus de ma vie sont un garçon de douze ans et une fille de quinze »[58].
Gabriel Matzneff admet cependant l'existence d'« ogres », d'abuseurs sadiques d'enfants : il se souvient avoir « toujours eu un faible pour les ogres » et a d'ailleurs suscité la polémique en relativisant, le 30 juin 1964, dans les colonnes de Combat, le crime de Lucien Léger, qu'il appelle « un jeune homme seul », ou, le 21 avril 1966, l'affaire des meurtres de la lande au Royaume-Uni, achevant cependant son propos en dénonçant la « confusion » entre les criminels et l'ensemble des « pédérastes », qui apportent aux « enfants » « la joie d'être initiés au plaisir, seule “éducation sexuelle” qui ne soit pas une foutaise »[59]. Pour l'universitaire américain Julian Bourg, la distinction opérée ainsi par Matzneff relève d'un désir de défendre les « pédophiles bien intentionnés comme lui »[60].
Si en 1974, il écrivait que la société française était « plutôt “permissive” » et que ses amours avec sa « merveilleuse maîtresse de quinze ans » — Francesca Gee[61], la protagoniste de La Passion Francesca (Gallimard, 1998) et l'Angiolina du roman Ivre du vin perdu (La Table ronde, 1981) — ne « semblent choquer personne », il qualifie en 1994, dans sa préface à la quatrième édition de son livre, celui-ci de « suicide mondain » et reconnaît : « C'est des Moins de seize ans que date ma réputation de débauché, de pervers, de diable. » Il déplore par ailleurs le fait que « les impostures de l'ordre moral n'ont jamais été aussi frétillantes et bruyantes. La cage où l'État, la société et la famille enferment les mineurs reste hystériquement verrouillée[62]. »
Gabriel Matzneff, qui, dans les années 1970, fréquentait assidûment la piscine Deligny[63],[64], revient sur ses goûts sexuels dans plusieurs de ses livres, notamment dans les différents tomes de son Journal. Déjà scandaleuses à l'époque de leur parution, ces confessions lui valent plus tard d'être un auteur controversé, surtout à partir des années 1990, durant lesquelles la pédophilie est de plus en plus ouvertement dénoncée par les psychologues et les psychiatres.
Le , Gabriel Matzneff rédige un appel demandant au tribunal, à la veille de leur procès, de libérer trois hommes en détention préventive depuis trois ans et deux mois et inculpés d'attentat à la pudeur sans violence sur des mineurs de quinze ans, les signataires pensant qu'il n'y a eu que baisers et caresses, en raison du secret de l'instruction : c'est l'affaire de Versailles. Le texte est publié dans les pages « tribunes libres » du journal Le Monde puis le lendemain dans Libération, mais Gabriel Matzneff n’apparaît pas comme son auteur.
Le surlendemain, Le Monde prend ses distances avec cette pétition car il couvre le procès et découvre la réalité des faits, grâce à la décision de la cour d'assises de supprimer le huis clos[65], même si les victimes sont mineures, pour que les signataires de la pétition comprennent pourquoi l'enquête a duré plus de trois ans[65] et son évolution : les victimes affirmaient certes avoir donné leur « consentement », mais les experts judiciaires montrent à l'audience qu'il s'avère très fragile vu leur âge et l'influence des adultes. Si la durée de la détention provisoire était « « inadmissible », là s'arrête l'indignation » écrit le journaliste envoyé par Le Monde[65]. Il « est naturel de ne pas aimer cette forme d'amour et d'intérêt », conclut le journal[65].
Gabriel Matzneff ne révélera être l'auteur de cette pétition que trente-six ans plus tard[66]. Mais il a déclaré, dans une « tribune libre » publiée le 8 novembre 1976 par le même journal (Le Monde), avoir rencontré un des trois hommes[67], arrêtés à l’automne 1973, dans cette affaire. Aucun journal ne connaissait les faits en raison du secret de l'instruction.
Le 23 mai de la même année, lorsque le jugement de l'affaire de Versailles est rendu, les signataires du texte de janvier en signent un second, plus prudent, qui tente de relativiser la portée du premier, en mettant surtout l'accent sur le fait que la majorité sexuelle est à 18 ans pour les homosexuels contre 15 ans pour les hétérosexuels, afin de demander la fin de cette discrimination. C'est seulement en 1982 que la loi abolira cette discrimination, conformément à une promesse de campagne présidentielle de François Mitterrand.
Gabriel Matzneff signe — avec notamment Jean-Paul Sartre, Philippe Sollers, Roland Barthes, Simone de Beauvoir, Alain Robbe-Grillet, Françoise Dolto, Jacques Derrida, Louis Althusser, Jean-Louis Bory, Gilles Deleuze, Michel Foucault et Christiane Rochefort — une lettre ouverte à la commission de révision du code pénal. Des extraits sont publiés par le journal Le Monde[68], qui cite les rappels des lois de 1810, 1836, 1863 et 1945 faits par la pétition[68]. Le journal mentionne l'affaire de Versailles, dont le verdict vient d'être rendu, cinq ans de prison avec sursis[68]. Les signataires « demandent que le dispositif pénal soit allégé, pour que de telles affaires, aujourd'hui passibles de la cour d'assises, soit jugées par un tribunal correctionnel », car « la détention préventive, en matière correctionnelle, ne peut excéder six mois »[69].
L'appel explique que l'affaire de Versailles, « jugée en audience publique, a posé le problème de savoir à quel âge des enfants ou des adolescents peuvent être considérés comme capables de donner librement leur consentement à une relation sexuelle. C'est là un problème de société. Il appartient à la commission de révision du code pénal d'y apporter la réponse de notre temps »[69], pour des textes de loi « rajeunis et actuels »[69]. Le texte met en avant le « droit de l’enfant et de l’adolescent à entretenir des relations [sexuelles] avec des personnes de son choix »[70]. Selon l'historien Jean Bérard, l'une des signataires de cette pétition, Françoise Dolto, estime que les relations sexuelles entre mineurs et adultes sont toujours source de traumatisme[alpha 8],[72].
Ces pétitions « touchant à la norme et à la transgression dans des domaines aussi délicats que les rapports avec les enfants leur conféra parfois, par le ton utilisé, un caractère désinvolte […] qui les placera ensuite en porte-à-faux », expliquera en 2007 l'historien Jean-François Sirinelli[73], pour qui les motivations des signataires sont très différentes de l'un à l'autre[74].
Le 16 janvier 2020, Vanessa Springora, invitée de l'émission La Grande Librairie, souligne aussi, tout comme le sociologue Pierre Verdrager et le magistrat Jean-Pierre Rozencsveig, en réponse à une question de l'animateur François Busnel, que les motivations étaient très différentes d'un signataire à l'autre, la plupart voulant dénoncer la discrimination contre les homosexuels, sans savoir que Gabriel Matzneff avait participé à la rédaction du texte.
En 1982, Gabriel Matzneff est, comme René Schérer, impliqué à tort dans l'affaire du Coral[56], ce qui provoque son renvoi du journal Le Monde, où il tenait une chronique hebdomadaire depuis 1977. Le quotidien démentira qu'il y ait un lien de cause à effet entre cette mise en cause et le départ de Matzneff[75].
En 1990, il publie Mes amours décomposés, son journal intime pour les années 1983-1984, dans lequel il évoque sa vie quotidienne, ses amours avec de multiples partenaires dont plusieurs adolescentes âgées de quatorze à seize ans, et son renvoi du Monde à la suite de l'affaire du Coral. Il raconte également son voyage aux Philippines, au cours duquel il se livre au tourisme sexuel, draguant notamment ses victimes dans l'enceinte du principal centre commercial de Manille, le Harrison Plaza, et couchant avec des prostitués qui sont des « petits garçons de onze ou douze ans ». Il y fréquente des Occidentaux venus à la recherche de contacts sexuels, comme Edward Brongersma, juriste et homme politique néerlandais et défenseur connu de la pédophilie[76].
En décembre 2019[14], Vanessa Springora, devenue directrice des éditions Julliard, raconte leur relation dans son ouvrage Le Consentement, relation qu'il avait lui-même retracée dans La Prunelle de mes yeux — volume de son journal paru en 1993 dans la collection « L'Infini », dirigée par Philippe Sollers, et qui couvre la période allant du 13 mai 1986 au 22 décembre 1987 —, ainsi que dans le roman Harrison Plaza (La Table ronde, 1988), où elle est Allegra. Elle relate son histoire avec Matzneff et l'emprise qu'il aurait exercée sur elle : elle rencontre l'écrivain lors d'un dîner alors qu'elle a 13 ans et lui 49 ; puis quelque temps après Matzneff lui envoie une lettre et tente de la rencontrer ; elle est alors « transie d'amour » et la relation sexuelle débute lorsqu'elle a 14 ans[77],[78],[79]. Elle dénonce aussi l'utilisation par l'écrivain, dans son journal paru en 1993, d'extraits de lettres écrites lorsqu'elle était encore adolescente et les descriptions crues de leurs rapports sexuels[80]. Elle affirme avoir étudié avec un avocat une procédure pour dénoncer la publication par Matzneff sur son blog de photos d'elle adolescente. Vanessa Springora se déclare également choquée qu'il ait déclaré dans son discours de réception du Prix Renaudot 2013 être récompensé ainsi de toute son œuvre et non seulement pour le livre primé.
Les 20 000 exemplaires mis en place le 2 janvier sont quasiment écoulés en quatre jours[81]. Le Monde décrit « un vrai tsunami » dans le monde de l'édition, où les opinions sur elle s'inversent en une semaine[1].
Avant même la publication du roman autobiographique, plusieurs articles critiquent les soutiens dont a bénéficié Gabriel Matzneff pendant des années au sein des médias et du monde des lettres[82].
Partant du principe que cette relation avait été, selon lui, consentie et épanouissante des deux côtés, Gabriel Matzneff fait part de « la tristesse » que lui inspire un ouvrage qu'il ne lira pas car selon lui « hostile, méchant, dénigrant, destiné à [lui] nuire, un triste mixte de réquisitoire de procureur et de diagnostic concocté dans le cabinet d’un psychanalyste »[83]. Le 2 janvier, il fait parvenir une longue réaction à L'Express[84], dans laquelle, note l'hebdomadaire, l'écrivain ne fait aucun mea culpa ni ne demande le pardon, mais livre le récit de sa liaison avec la jeune fille. Dans une chronique du 14 mars 2009 sur le site qui lui est consacré, il écrivait : « Que des ex-amantes telles que Vanessa et Aouatife, qui n’ont plus de passion pour moi, qui renient celui qui fut le grand amour de leur adolescence, qui mènent à présent des existences bourgeoises et ont soif de respectabilité, payent des avocats pour écrire à mes éditeurs des lettres menaçantes, c’est dégueulasse, indigne d’elles et de ce que nous avons vécu, c’est triste et décevant, mais vu le peu de goût qu’ont les femmes pour leur passé amoureux, vu que leur rêve secret est d’être lobotomisées, c’est, hélas, explicable et plutôt banal[85]. »
Dans son témoignage, paru le 2 janvier 2020, Vanessa Springora affirme avoir eu pendant sa relation avec Matzneff un « sentiment de commettre une immense transgression ». Elle ressent alors une « culpabilité constante et s’absente fréquemment de l’école ». Elle refuse de quitter Matzneff, qui lui renvoie l'image d'être une déesse : « Plutôt mourir », répond-elle à sa mère, qui décide de tolérer sa liaison avec l'écrivain. Mais Springora écrit : « À quatorze ans, on n’est pas censée être attendue par un homme de 50 ans à la sortie de son collège, on n’est pas supposé vivre à l’hôtel avec lui, ni se retrouver dans son lit […]. » Vanessa Springora affirme par ailleurs s’être débattue pendant de longues années avec la notion de victime « incapable de [s]’y reconnaître »[86].
Vanessa Springora positionne sa problématique ainsi : « Comment admettre qu’on a été abusé, quand on ne peut nier avoir été consentant ? Quand, en l’occurrence, on a ressenti du désir pour cet adulte qui s’est empressé d’en profiter ? » Elle y répond ainsi : « Ce n'est pas mon attirance à moi qu'il fallait interroger, mais la sienne. » Vanessa Springora dénonce un dysfonctionnement des institutions, scolaire, policière, hospitalière, etc. La Brigade des mineurs avait reçu des lettres de dénonciation, mais n'avait pas inquiété l'écrivain. Vanessa Springora raconte que deux policiers de la Brigade des mineurs l'ont croisée elle et l'écrivain dans son escalier, mais sont repartis après un échange courtois avec lui, sans un regard pour elle[alpha 9],[88].
Elle dit que cela a été un « bouleversement total » lorsqu'elle a pris connaissance des journaux intimes de l'écrivain : « J'ai pris conscience que la personne dont j'étais amoureuse était malade, pathologiquement malade. » Elle déclare aussi : « Une histoire d'amour entre une jeune fille de 14 ans et un homme de 50 ans, ça peut arriver, pourquoi pas. Le problème, c'est le caractère systématique et pathologique de son attirance pour les adolescents. Et le mal qu'il fait[88],[89],[90]. »
Ce témoignage déclenche des réactions d'intellectuels ayant croisé l'écrivain. La bienveillance dont il a bénéficié dans les années 1980 « n'est en rien le reflet d’une société et des années », souligne le Sylvie Brunel, qui préparait dans les années 1980 l'agrégation de géographie. Dans une tribune publiée par Le Monde, l’écrivaine fustige « ceux qui réécrivent l’histoire »[91], peu après la parution d'une réaction de Bernard Pivot où celui-ci s'expliquait sur le fait que Gabriel Matzneff eût été invité six fois dans son émission Apostrophes. « Laisser penser que les années 1980 étaient celles de l’acceptation de la pédophilie serait un mensonge. Les jeunes que nous étions alors ressentions ces écrits et ces paroles comme d’insupportables offenses », écrit-elle. Bernard Pivot avait estimé, quatre jours auparavant, que dans les années 1970 et 1980 « la littérature passait avant la morale », alors qu'aujourd'hui « la morale passe avant la littérature », pour conclure : « Moralement, c'est un progrès »[92]. La vidéo de l'émission Apostrophes de 1990 est vue deux millions de fois sur Internet au début de l’année 2019[93]. L'alibi des années 1970 et 1980, utilisé en 2001 avec succès par Daniel Cohn-Bendit[réf. souhaitée], ne réussit plus à Bernard Pivot, la numérisation progressive des archives de la télévision et des grands journaux, au XXIe siècle, ayant entre-temps permis au grand public des vérifications rapides amenant à relativiser cet argument.
Les minimisations des « amours adolescentes » de Gabriel Matzneff ne « prennent plus auprès d’un public qui fouille et déterre les textes, pour les amener sous la lumière crue », observe le quotidien 20 Minutes[93], pour qui la « popularisation du web et des réseaux sociaux » a contribué au « consensus autour de la question de la pédophilie »[93]. Au lendemain des articles annonçant le témoignage de Vanessa Springora, le journal exhume un extrait d'Un galop d'enfer, journal de Gabriel Matzneff sur ses années 1977-1978, publié en 1985, dans lequel l'écrivain raconte qu'il lui arrivait d'avoir « jusqu’à quatre gamins — âgés de 8 à 14 ans — dans [s]on lit en même temps, et de [s]e livrer avec eux aux ébats les plus exquis, tandis qu’à la porte d’autres gosses, impatients de se joindre à [eux] ou de prendre la place de leurs camarades, font « toc-toc » »[93].
Le 3 janvier 2020, le parquet de Paris ouvre une enquête contre Gabriel Matzneff pour « viols commis sur mineur de 15 ans »[94]. Le 8 janvier, L'Ange bleu, association de prévention contre la pédophilie, annonce l'attaquer en justice « pour provocation à commettre des atteintes sexuelles et des viols sur mineurs ainsi que pour apologie de crime »[95]. Le même mois, quatre éditeurs, Gallimard, La Table ronde, Léo Scheer, puis Stock, annoncent qu'ils ne commercialiseront plus certains de ses livres, notamment les volumes de son journal intime (Carnets noirs) et Les Moins de seize ans[96],[97].
Le 30 janvier 2020, Vanessa Springora déclare que son audition la veille dans cette affaire n’aura pour elle « qu’une portée symbolique », mais salue une enquête judiciaire qui constitue « un message fort pour les potentielles autres victimes »[98].
Gabriel Matzneff publie le 15 février 2021 un livre intitulé Vanessavirus, en réponse au Consentement. Toutes les maisons d'édition ayant refusé le livre, l’écrivain se finance par un système de souscription afin de s'autoéditer[99]. Dans ce livre de 85 pages, selon une source anonyme, il rend hommage à cinq personnalités pour leur soutien depuis les révélations de Vanessa Springora : Bernard-Henri Lévy, Alain Finkielkraut, Catherine Millet, Dominique Fernandez, Franz-Olivier Giesbert[100]. Le livre commence par cette phrase : « J’ai survécu au Coronavirus. Je ne survivrai pas au Vanessavirus. » L'auteur ne présente aucun regret ni remords dans cet ouvrage, mais décrit au contraire la souffrance qui a été la sienne à la suite de la publication du Consentement. Il déplore que le journal intime qui donne sa version de l’histoire (La Prunelle de mes yeux : 1986-1987) ait été retiré de la vente par son éditeur et estime que « la chasse à l'homme dont il est le gibier est une abomination »[101].
Ayant fui sur la Riviera italienne, il revient cependant à Paris en 2022, en raison de problèmes de santé[102].
Après la lecture d'un article du New York Times du 11 février 2020 sur les remous causés en France par la parution du Consentement de Vanessa Springora[87], Francesca Gee, qui a eu une relation avec l'écrivain entre 1973 et 1976 et « figure très présente dans plusieurs livres comme dans les correspondances de Matzneff[103] », contacte le journaliste Norimitsu Onishi. Elle lui accorde une interview de deux jours durant laquelle elle décrit comment l'écrivain a notamment utilisé contre son gré son image et ses lettres dans ses écrits. L'interview est publiée le 31 mars 2020[61].
Francesca Gee avait entrepris en 2004 de faire publier un livre sur sa relation avec Matzneff, qu'elle décrit comme un « cataclysme qui s’était abattu sur [elle] à 15 ans, et qui devait changer le cours de [s]on existence », mais son manuscrit avait été refusé par tous les éditeurs sollicités[61]. Contactés par Norimitsu Onishi, les éditeurs Thierry Pfister (éditions Albin Michel), Geneviève Jurgensen (groupe Bayard) et Martine Boutang (éditions Grasset) expliquent leur refus d'alors par la complaisance du milieu éditorial parisien de l'époque envers Gabriel Matzneff[61]. L'éditrice Geneviève Jurgensen, qui a lu en 2004 le texte que voulait faire publier Francesca Gee, estime que la qualité du livre n'est pas à remettre en cause et ne peut donc expliquer son échec auprès des éditeurs. Selon Geneviève Jurgensen, ce livre rapporte « des situations qui semblent presque mot pour mot celles que décrit Vanessa Springora. [...] Clairement, c’était quinze ans trop tôt. Le monde n’était pas prêt[61] ».
Au cours de son entretien avec Norimitsu Onishi, Francesca Gee explique qu'entre 1973 et 1976 elle a régulièrement consulté, accompagnée de Matzneff, la gynécologue Michèle Barzach, dont Matzneff se vante, dans le volume Élie et Phaéton de son journal paru en 1991, qu'« à aucun moment [elle] n’a cru devoir faire la morale à ce monsieur de trente-sept ans et à sa maîtresse de quinze[61] ».
Avec l'aval de son père, Francesca Gee a fréquenté Matzneff pendant trois ans. D'après Norimitsu Onishi, elle a été « impuissante à rompre » et Matzneff a employé les mêmes « tactiques » qu'avec Vanessa Springora. Matzneff aurait isolé la jeune fille en lui interdisant d'avoir des amis de son âge, et elle raconte qu'il venait l'attendre à la sortie du lycée Montaigne tous les jours pour « s’assurer que tout le monde comprenne bien qu’il ne fallait rien tenter » avec elle. Matzneff l'aurait encouragée à lui écrire des centaines de lettres à connotation amoureuse et sexuelle, dans lesquelles elle ne voit désormais plus que l'expression d'une adolescente manipulée par un homme ayant l'âge de ses parents. Francesca Gee affirme que pendant longtemps ses sentiments concernant son expérience avec Matzneff ont été « confus », avant qu'elle y voie plus clair au début des années 1990. Elle déclare : « Ce n’est qu’à l’âge de presque 35 ans que j’ai réalisé que ce n’était pas une histoire d’amour[61]. »
En septembre 2021, Francesca Gee annonce qu'elle va publier L’Arme la plus meurtrière en auto-édition. Il s'agit de son témoignage[104] à propos de cette relation, à paraître le 28 septembre[105]. Elle déclare à ce propos : « je tiens à dire à quel point ce personnage a été néfaste et destructeur, pour moi comme pour beaucoup d’autres. Notamment à travers des atteintes sexuelles et du harcèlement »[106]. Elle ajoute : « Gabriel Matzneff n’a jamais cessé de me harceler »[107]. Elle accuse dans cet ouvrage Matzneff, mais aussi l’État, qui faisait selon elle « risette au pédopornographe en chef », lui délivrant des titres honorifiques[108].
Matzneff raconte, dans Mes amours décomposés, avoir eu recours à des enfants prostitués en Asie : « Quel repos la prostitution ! Les gamines et les gamins qui couchent avec moi sans m'aimer, c'est-à-dire sans prétendre dévorer mon énergie et mon temps, quelle sinécure ! Oui, dès que possible, repartir pour l'Asie ! ». Anne-Claude Ambroise-Rendu remarque que ce propos « ne semble troubler personne »[109].
Gabriel Matzneff récuse pour sa part l'amalgame de l'amour des adolescents avec la pédophilie et déclare en 2002 : « Lorsque les gens parlent de « pédophilie », ils mettent dans le même sac le salaud qui viole un enfant de huit ans et celui qui vit une belle histoire d’amour avec une adolescente ou un adolescent de quinze ans. Pour ma part, je méprise les salauds qui abusent des enfants et je suis partisan de la plus grande sévérité à leur égard. Mais les gens confondent tout. Pour eux, le mot “enfance” est un mot générique qui désigne aussi bien un bambin de trois ans à la crèche qu’un élève de première au lycée. Les gens ont de la bouillie dans la tête. S’ils n’avaient pas de la bouillie dans la tête, ils ne confondraient pas des petits enfants qui ne sont pas maîtres de leurs décisions, qui peuvent être abusés et violés, avec des adolescents de l’un et l’autre sexe qui ont le droit de découvrir le plaisir, l’amour, la passion[110]. »
Ainsi, à ce moment de sa vie, Matzneff intègre dans l'exégèse de son œuvre ou de sa pensée une distinction entre l'abus sur les plus jeunes et les rapports consentis avec des adolescents aptes, selon lui, à avoir des relations sexuelles. Toutefois, cette tentative de mise au point ne fait pas oublier les positions qu'il a exprimées précédemment dans ses écrits et dans la presse — rapports sexuels avec des petits garçons de dix ans lors de séjours aux Philippines, soutien au pédocriminel Jacques Dugué —, et l'attribution le 4 novembre 2013 du prix Renaudot de l'essai pour son ouvrage Séraphin c'est la fin ! relance la polémique au sujet de sa pédophilie[111],[112], ce qui mène l'association de protection de l'enfance Innocence en danger à déposer une plainte contre X pour apologie d'agression sexuelle. La plainte aboutit à un non-lieu[1]. Finalement, c'est seulement dans la foulée de l'affaire Vanessa Springora que les autorités françaises se décident à agir et qu'un appel à témoins est lancé en février 2020 par l’Office central de répression des violences faites aux personnes (OCRVP) dans le but de retrouver des victimes dans le cadre de l’enquête ouverte pour viols sur mineur de moins de 15 ans visant l’écrivain[113].
Sur son site matzneff.com, supprimé après le démarrage de l'affaire Vanessa Springora, l'écrivain évoque ses voyages aux Philippines. D'après ce site, il s'y rend la première fois en 1978, puis tout au long de la décennie suivante. Dans ses Carnets noirs (2008), Matzneff écrit au sujet de « ce que l’on appelle aujourd’hui (en fronçant les sourcils) le “tourisme sexuel” » qui « est toujours un tourisme de pauvres types de ratés, de pauvres types », à de « notables exceptions », et il cite Byron, Gide, Montherlant, ainsi que lui-même. Il évoque les « galipettes en Orient avec le jeune Nelson ou le jeune Lito »[114].
Après l'affaire Springora en 2020, l'écrivain revient sur ses pratiques sexuelles avec des enfants aux Philippines. Il déclare : « Je dois dire qu'à l'époque, personne ne pensait à la loi. Il n’y avait pas de loi. Vous étiez là comme voyageur et vous aviez des garçons et des filles jeunes qui vous draguaient et vous sautaient dessus, sous l’œil bienveillant de la police. » Il refuse de parler de crime : « À l’époque, on parlait de détournement de mineur, d'incitation du mineur à la débauche, d'atteinte à la pudeur… Mais jamais personne ne parlait de crime. » Il affirme cependant regretter ses pratiques : « Un touriste, un étranger, ne doit pas se comporter comme ça. On doit, adulte, détourner la tête, résister à la tentation. Naturellement je regrette, de même que si je fais quelque chose qui n'est pas bien, je le regrette[115],[116]. »
Selon l'historienne Anne-Claude Ambroise-Rendu : « Porté par des écrivains, le discours pédophile est assez bien accueilli par la critique littéraire médiatique[109]. » D'après le journaliste Norimitsu Onishi, l'écrivain a été longtemps « célébré parce qu’il ne cachait rien […], ni sa chasse aux jeunes filles devant les collèges parisiens, ni ses rapports sexuels avec des garçons de huit ans aux Philippines »[87].
En juin 2024, il est nommément mis en cause dans une enquête[117] du quotidien Libération sur les « hommes de la rue du Bac ». Inès Chatin, témoigne d'agressions sexuelles et de viols commis entre 1977 et 1987[118], de ses 4 à ses 13 ans par un réseau de pédocriminalité[119], sur elle et d'autres enfants lors de cérémonies secrètes[119]. Ce réseau aurait compris son père adoptif Jean-François Lemaire et plusieurs de ses amis, dont Claude Imbert, Jean-François Revel, François Gibault, et Gabriel Matzneff[120].
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