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La littérature portugaise regroupe la littérature écrite en langue portugaise, la littérature écrite par des écrivains portugais (quelle que soit leur langue d'écriture[1]) et la littérature écrite sur le territoire du Portugal ou dans son Empire (quelle que soit l'époque, la langue ou la nationalité des auteurs[2]). Considérée comme l'une des plus anciennes littératures d'Europe occidentale, la littérature portugaise s'inscrit dans un continuum littéraire qui remonte à la période barbare des Royaumes suève et wisigoth, au Ve siècle, qui s'enrichit pendant la période musulmane d'al-Gharb al-Ândalus et la Reconquista, pour émerger comme littérature de langue romane entre le milieu du XIIe et le milieu du XIIIe siècle.
Si la péninsule Ibérique partage la langue et la littérature de l'Empire romain à partir de 139 av. J.-C., nous ne disposons d'aucun document littéraire original rédigé pendant l'Antiquité sur le territoire correspondant à l'actuel Portugal. Toutefois, la période romaine pose les bases linguistiques et normatives de littérature portugaise contemporaine, qui est une littérature latine.
L'arrivée des Suèves puis des Wisigoths dans la péninsule à partir du Ve siècle marque l'émergence d'une littérature latine originale en Lusitanie et en Gallaecia[3]. Dès le Ve siècle, farouchement opposé à l'arrivée des Suèves (409), l'évêque de la province romaine de Gallaecia Hydace de Chaves (395-470), établi à Aquae Flaviae (l'actuelle ville de Chaves, au nord du Portugal), écrit la chronique Hydatii Gallaeciae episcopi chronicon, qui couvre la période allant de 378 à 468, correspondant au début des invasions barbares[4] [5]. Dans ses écrits, Hydace est l'un des auteurs de l'Antiquité à faire référence à une localité appelée Portucale castrum, dans l'estuaire du fleuve Douro, qui donne vraisemblablement son nom au Portugal au IXe siècle [6]. Il est également le fondateur de l'Ère hispanique (Era hispânica), une variante du calendrier julien utilisée dans la péninsule Ibérique du IIIe au XVe siècle[7]. Une cinquantaine d'années plus tard, alors que les Suèves ont définitivement établi leur domination sur la Gallaecia et la moitié nord de la Lusitanie, Martin de Braga (Martinho de Dume) (510-579), l'évêque de Bracara Augusta, capitale du Royaume suève (aujourd'hui Braga au nord de l'actuel Portugal) rédige des œuvres religieuses et morales d'une importance considérable, parfois influencées des grands auteurs de l'Antiquité, notamment Sénèque, dont l'influence se prolonge jusqu'à la période moderne. Sous son influence, la terminologie de la liturgie suève est revue dans le sens de l'orthodoxie afin de faire face aux tendances païennes et et hérétiques du priscillianisme[8] et de l'arianisme. La langue portugaise en porte encore actuellement la marque, le Portugal étant, depuis 618, le seul pays de langue romane à utiliser la numération ordinale pour les jours de la semaine, de segunda-feira (« seconde-foire », lundi) à sexta-feira (« sixième-foire », vendredi)[9]. À la même époque, sous le règne du roi Théodemir (559-570), les Suèves élaborent le Parochiale suevorum[10], un important manuscrit daté de 569[11], dans lequel est consignée l'organisation administrative et ecclésiastique du Royaume[12]. Le texte, unique en son genre, comprend une relation de 134 paroisses (paróquias), regroupées en 13 diocèses (dioceses), permettant de comprendre la localisation des peuples et des localités du cœur historique du Portugal (entre les fleuves Minho et Mondego). Deux décennies plus tard, le chroniqueur et évêque lusitanien d'origine gothique Jean de Biclar (540-621) laisse une courte chronique écrite entre 589 et 591[13], qui couvre la période allant de 567 jusque vers 590 (l’absorption du Royaume suève par la monarchie wisigothique) et se présente comme une continuation de Victor de Tunnuna. Bien que concise, elle constitue une source précieuse pour le règne du roi Léovigild et la période qui voit se préparer la conversion des Wisigoths au catholicisme. Biclar laisse des renseignements sur la ville de Recaredopolis[14], unique source décrivant la ville fondée vers 580 par Léovigild en l'honneur de son fils Recared[15]. Il donne en outre quelques détails précieux issus de son séjour en Orient (par exemple sur le problème bulgare) et mentionne également vers 569, la conversion au christianisme des Garamantes, berbères païens d'Afrique du Nord. Les deux premiers conciles de Braga, tenus en 561 et 572, laissent en outre un corpus de 39 canons[16] et de 10 décrets[17] religieux rédigés en latin. Malgré la fin du Royaume suève en 584, l'héritage culturel suève, diffus, reste très présent dans le pays. L'usage du calendrier suève (Ère hispanique) se maintient par exemple pendant plusieurs siècles en Lusitanie et en Galice. Il n'est abandonné par les Portugais qu'au XVe siècle, sous le règne de Jean Ier de Portugal, qui décrète l'adoption officielle de l'Anno Domini à travers une charte (Carta Régia) le [18].
Repoussés par les Francs vers l'Hispanie à partir de 507, les Wisigoths prennent la relève des Suèves en Gallaecia et dans la moitié nord de la Lusitanie à partir de 584. Très influencés par la culture et la mentalité romaines, les nouveaux maîtres du pays réalisent un important travail de compilation culturelle et juridique, qu'ils adaptent rapidement à leur réalité. Contrairement à ce qui est observé en Lusitanie après l'éviction des Alains (417), le gouvernement des Wisigoths en Gallaecia n'entraîne aucun changement brutal, et les diocèses de Braga, Porto, Tui, Iria, Britonia18, Lugo, Ourense, Astorga, Coimbra, Lamego, Viseu et Idanha continuent à fonctionner normalement. Dans les grand centres urbains comme Mérida, Tolède, Hispalis (Séville), Cordoue, Lisbonne, Carthagène, Barcelone ou Saragosse, les bâtiments de l'époque romaine sont remplacés par des édifices religieux gothiques. De grands évêques chrétiens, auteurs de renom, font de leurs sièges épiscopaux des centres intellectuels en les dotant de bibliothèques et d'écoles. La proximité géographique entre la péninsule Ibérique et le Maghreb (encore chrétien) favorisent les échanges et les influences réciproques. Pendant les siècles qui suivent, les intellectuels d'Afrique du Nord chassés par les Vandales, les Byzantins puis les Musulmans se réfugient dans le Royaume wisigoth d'Hispanie, plus stable, enrichissant la culture locale. La péninsule Ibérique se spécialise dans les compilations et les florilèges, tout en produisant des œuvres originales en histoire (chroniques), en droit (traités, édits et codex) et en théologie. Ses écoles, qui transmettent la culture classique, forment indifféremment des clercs et des laïcs, et de nombreux actes de vente conservés sur ardoise témoignent de la diffusion de l'écriture jusque dans dans les communautés rurales. Tout au long de la période wisigothique, l'évêché de Braga, l'ancienne capitale suève, est un centre culturel majeur, dont certains évêques sont sanctifiés par la papauté. Valère du Bierzo (630-695) laisse notamment une vie de l'évêque saint Fructueux de Braga (Vita Sancti Fructuosi). Les Wisigoths laissent en outre des textes de loi, tels que l’Édit de Théodoric II (460), et surtout le Codex Euricianus, un recueil des coutumes wisigothiques très influencé par le droit romain, rédigé dans les années 460-470, dont le droit médiéval portugais est très imprégné[19] [20]. Le Codex Euricianus est remplacé peu après par le Bréviaire d'Alaric (Lex romana visigothorum), réalisé et promulgué sur ordre de son fils Alaric II en 506, qui contient, outre les textes de loi, des sentences de Paul[21]. Par la suite, le droit wisigothique est encore enrichi avec Liber Iudiciorum (654). En 675, un troisième concile de Braga tenu durant la primauté de Leodegisius laisse en outre un corpus de 8 décrets religieux rédigés en latin.
Faisant le lien avec la littérature de l'Antiquité romaine dont ils s'inspirent, les auteurs suèves et les wisigoths pose certaines des bases institutionnelles, thématiques et linguistiques d'une partie de la littérature portugaise médiévale à venir, chroniques historiques, traités religieux et moraux, et codes de lois.
Auteurs romano-barbares du Royaume suève et de la Lusitanie wisigothique :
Auteur portugais contemporain inspiré par la période wisigothique de l'histoire du Portugal :
En plus de leur production littéraire en Latin, les Suèves et les Wisigoths contribuent par leurs apports linguistiques à différencier le latin vulgaire parlé en Lusitanie et en Gallaecia du reste des parlers romans d'Occident. À leur contact, la langue de la région s'enrichit de plusieurs dizaines de mots courants et se singularise, effectuant un premier pas vers la constitution du gallego-portugais. Les apports germaniques dans le latin vulgaire de Lusitanie sont surtout perceptibles dans le domaine de l'onomastique, avec des noms comme Rodrigo, Afonso, Álvaro, Fernando, Gonçalo, Henrique, Adães, dans la toponymie, avec les localités de Baltar, Gondomar, Ermesinde, Esposende, Tagilde, Guimarães, Tresmonde, Trasmil, dans l'intégration du suffixe -engo, par exemple dans les mots solarengo, mostrengo, et dans des mots poétiques ou guerriers, tels que guerra, elmo, bando, guardar, agasalhar, entre autres.
Avec la conquête musulmane de la péninsule Ibérique en 711, l'essentiel de l'ancienne Lusitanie romaine est intégrée dans le vaste empire omeyyade de Damas sous les noms d'al-Tagr al-Adna (en)[22], « Marche Inférieure » (Marca Inferior) et de Gharb al-Ândalus, « Andalousie de l'ouest ». L'influence des occupants musulmans est considérable. Progressivement, au fil de la Reconquista, les États chrétiens du Nord de la péninsule s'étendent au détriment des États musulmans, non sans connaître parfois des phases importantes de recul. L'occupation musulmane, les guerres et les va-et-vient géopolitiques permettent des échanges constants entre chrétiens et musulmans. Le territoire lusitanien est alors divisé en deux zones géopolitiques et culturelles aux frontières mouvantes, qui s'opposent et se font la guerre pendant cinq siècles, avant de finir par fusionner totalement pour donner naissance au royaume de Portugal.
Dans le Gharb al-Ândalus musulman, si la littérature et la culture latines de la Lusitanie wisigothique se maintiennent par différents biais[23] au sein de la population autochtone, la langue arabe, et surtout la littérature et la culture arabo-berbères, alors d'une extrême richesse, s'imposent naturellement dans les régions occupées en tant que langue et culture des vainqueurs. L'arrivée des musulmans marque le début d'une ère nouvelle. À l'instar de ce qui se passe dans le reste de la péninsule, chaque ville ou village du Gharb se doit de posséder une mosquée, alors que les grandes cités disposent de structures religieuses plus conséquentes. Lisbonne notamment, alors appelée al-ʾIšbūnah, الأشبونة en arabe, est un centre politique et culturel important[24]. La plus grande mosquée de la ville possède six nefs et sept rangées de colonnes lors de la prise de la ville par les armées chrétiennes en 1147. L'islam de l'école malékite et la culture arabo-musulmane sont enseignés grâce à un réseau de mosquées où sont formés de nombreux juristes, théologiens ou encore poètes, qui permettent aussi de diffuser la langue arabe qui devient progressivement la langue courante des chrétiens Mozarabes. Les principales villes luso-musulmanes sont à l'époque Beja, Silves, Alcácer do Sal, Santarém, Lisbonne ou Coimbra. À côté des musulmans, bien que très influencés par les nouveaux venus, les chrétiens qui habitent la région (majoritaires) continuent à être régis par le code wisigothique, et sont autorisés à maintenir leurs institutions et leur culture spécifique, pourvu qu'ils paient l'impôt de capitation (jizya)[25] et l'un impôt foncier (kharâj)[25] [26].
Très vite, dès les VIIIe et IXe siècles, la poésie et la musique arabo-andalouses (الطرب الأندلسي) prennent un caractère syncrétique très marqué. Elles apparaissent comme le résultat d'un mélange très riche, qui émerge au croisement de trois monde. Elles sont les héritières de la musique chrétienne pratiquée dans la péninsule avant la Reconquista, de la musique afro-berbère du Maghreb et de la tradition musicale arabe transmise au IXe siècle de Bagdad (alors capitale des Abbassides) à Cordoue et Grenade grâce notamment à Abou El Hassan Ali Ben Nafiq ou Ziriab, musicien brillant qui en crée à l’époque les bases, en composant des milliers de chants et en instituant le cycle des noubat, composées de formes poétiques tels le muwashshah ou le zadjal[27]. La langue utilisée dans la littérature arabo-andalouse assimile au fil des générations un lexique d'origine latine et se singularise (ce lexique se retransmet lui-même ensuite aux langues romanes)[26]. Les poèmes arabes intègrent des strophes à mots et expressions romanes appelées Jarchas mozarabes[26]. La poésie arabe d'Al-Andalus présente de telles spécificités qu'elle constitue aujourd'hui une catégorie à part au sein de la littérature arabe. La nouba arabo-andalouse se distingue de la wasla et de la qasida arabes tant par ses modes que par ses formes[28]. L'oud, le rebec, le rebab et le qanûn, instruments à cordes typiquement orientaux, sont introduits dans la péninsule dès le VIIIe siècle pour accompagner les poésies et les chants arabes. Repris tels quels ou modifiés, ils enrichissent de façon décisive le patrimoine instrumental lusitanien et galicien, essentiellement constitué jusqu'alors de percussions (tambours et triangles) et d'instruments à vent (flûtes et cornemuses).
Parmi les différents genres littéraires arabo-andalous, la poésie lyrique connaît un essor remarquable dans les Taïfas lusitaniennes, où elle laisse des traces durables, posant certaines des bases de la poésie médiévale portugaise. D'un point de vue thématique, les différents genres poétiques arabes annoncent les genres poétiques du Portugal médiéval, avec le nasib, poésie amoureuse où l'on évoque l'absence de la bien aimée, le rahil, poésie « de voyage à travers le désert », et enfin le Madih, poésie de la louange (parfois d'auto-congratulation), qui peut parfois devenir hicha, poésie de la satire, où le destinataire de la composition est susceptible d'être raillé. À ce premiers genres, s'ajoutent par la suite les genres des awsaf, descriptions d'événements et d'objets, de la taradiyya, poésie de la chasse, de l'hamriyya, poésie bachique qui fait la louange de vin et de l'ivresse, très abondante (malgré les préceptes du Coran) ou de la zuhdiyya, poésie à caractère ascétique. Progressivement, le prologue amoureux de la casida, ou nasib, est conçu de façon indépendante et constitue un genre à part, la Ghazal, poésie amoureuse qui admet deux thématiques, la Ghazal udhrite, la poésie courtoise d'amour chaste, ou la Ghazal ibahi, la poésie d'amour libertin. Parmi les grands poètes arabo-andalous nés et vivant dans le Gharb, on peut citer le ministre Ibn Ammar (1031 - 1086), le roi-poète Al Mutamid ibn Abbad (1040-1095) et le poète et historien Abû l-Ḥasan 'Alî ibn Bassâm al-Shantarînî (1084-1147). L'influence thématique de la poésie arabo-andalouse sur la littérature médiévale portugaise est d'autant plus forte que les chrétiens du Gharb continue à parler une langue latine servant nécessairement en partie de substrat au gallego-portugais parlé au XIIe siècle au sud du Douro.
Pendant les trois premiers siècles de l'occupation, les Mozarabes, les chrétiens arabisés, ainsi que les colons arabo-berbères les plus modestes utilisent au quotidien le mozararabe-lusitanien (musta'rab, مستع), une langue romane locale issue du latin vulgaire. Aux Xe et XIe siècles, après la fin du califat de Cordoue, le processus d'acculturation et de substitution linguistique au profit de l'arabe s'intensifie, avec un usage plus étendu de l'arabe, et une augmentation considérable du nombre d'arabismes intégrés dans la langue romane locale, qui se densifie. La prononciation du mozarabe emprunte également des caractéristiques à l'arabe, contribuant à l'extrême richesse phonétique du portugais moderne, qui figure parmi les langues les plus complexes d'Europe[29] [30]. Les emprunts lexicaux, phonétiques et le phénomène d'arabisation s'expliquent facilement. Contrairement au latin vulgaire parlé jusque là, la langue des occupants, très riche, est apte à transmettre savoirs et connaissances. Elle bénéficie d'un prestige supérieur au latin, langue élitiste, qui n'est parlé que par 1% de la population. Elle est en outre une langue vivante, concrète, parlée au quotidien par les élites de la province[31]. Du fait de la grande influence de l'arabe écrit et de l'oubli des caractères latins, le latin vulgaire, qui n'a jamais cessé d'être pratiqué, s'écrit alors en aljamiado (al-ʿajamiyya العجميّه), avec des caractères arabes.
Au fil des décennies, une véritable littérature aljamiada émerge, traitant des questions religieuses ou juridiques, mais également avec des œuvres de création, morales, scientifiques et didactiques, ainsi que des ouvrages de fiction en prose, et de la poésie. Un nombre assez important d'écrits réalisés avec cette écriture subsistent actuellement, notamment des diwans, des recueils de poésie. Si l'on en croit les translittérations de poèmes datés de 1040 effectuées par le philologue Serafim da Silva Neto, la langue mozarabe du XIe siècle présente de fortes similitudes avec le galego-portugais du XIIe siècle[29]. D'après le philologue et historien Ramón Menéndez Pidal, le lyrisme mozarabe a une influence directe sur la poésie lyrique gallego-portugaise qui se développe dans le siècle qui suit la documentation aljamiada dont nous disposons[29]. En fait, tout au long de la Reconquista, il est presque certain que les Mozarabes servent de passeurs entre la civilisation arabo-andalouse du Gharb et la civilisation chrétienne du nord de la Lusitanie, en assurant une certaine continuité dans la pratique locale de la langue romane au sein des régions musulmanes, enrichie de mots arabes et berbères (que les croisés découvrent au fil de leur avancée). Le résultat de cette évolution est que 25% du vocabulaire primitif portugais (plus de 800 mots sur 3200) est composé de mots arabes et berbères, arrivés par le biais des Mozarabes intégrés au Royaume de Portugal[31].
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Translittération d'une strophe de poème mozarabe daté de 1040, par Serafim da Silva Neto. |
Si le mozarabe ne cesse de reculer à partir du XIe siècle dans le Gharb au profit de l'arabe, ce recul concerne une petite partie du territoire et surtout de la population portugaise, qui vit alors majoritairement au nord du Tage (les provinces du Sud, l'Alentejo et l'Algarve, sont très fortement dépeuplées par les guerres). Au début du XIIIe siècle, alors que l'on considère que l'arabe est devenu la langue courante de la quasi-totalité de la population d'Al-Andalus, indépendamment du critère religieux, et que le mozarabe est éteint ou en voie d'extinction ailleurs, les Portugais achèvent leur Reconquista en conquérant l'Algarve[32],[33]. La fin précoce de la formation du territoire continental portugais permet sans doute paradoxalement de sauvegarder et d'intégrer la richesse culturelle, lexicale et phonologique du mozarabe. Elle permet aussi probablement, de ce fait, la persistance marquée des influences arabo-andalouses dans la littérature et la langue portugaises. Les Mozarabes conservent une influence considérable dans le jeune État portugais. Même après avoir été conquises, certaines villes, comme Lisbonne et Coimbra, restent longtemps des foyers actifs de culture mozarabe. Et l'archidiocèse de Braga maintient aujourd'hui encore en liturgie le rite mozarabe[34].
Outre les apports linguistiques et thématiques, les conquérants musulmans enrichissent également le lyrisme roman (portugais) avec leurs instruments permettant la mise en musique des compositions poétiques. À l'époque, la poésie, chantée, est indissociable de la musique. Le oud, instrument de prédilection de la poésie arabo-berbère d'Al-Andalus, venu du Moyen Orient, est largement repris et utilisé par la suite (avec quelques modifications) par les troubadours portugais, qui l'appellent alaúde (luth occidental). Les musiciens portugais adoptent également la guitare sarrazine, appelée aussi citole, ancêtre de la guitare portugaise actuelle. Les influences arabo-andalouses sont parfois évidentes dans les grandes œuvres portugaises. Le cycle des noubat, composées de formes poétiques tels le muwashshah ou le zadjal, sont au XIIIe siècle l'une des sources des Cantigas de Santa Maria écrites en gallego-portugais par le roi Alphonse X de Castille, et plus largement des poèmes des troubadours. Précédant la naissance de la littérature romane et chrétienne du Portugal, la littérature arabe et mozarabe du Gharb se développe au croisement de trois mondes inextricablement imbriqués pendant la période musulmane et la Reconquista, chrétien, berbère et arabe, juste avant que la Lusitanie musulmane ne soit absorbée par le Royaume de Portugal, qu'elle a paradoxalement contribué à faire naître, y compris d'un point de vue culturel, linguistique et littéraire[31] [26].
Mozarabe | Portugais mediéval | Portugais | Arabe translittéré | Arabe | Latin |
Mio sîdî ïbrâhîm yâ tú, uemme dolge! Fente mib de nohte. In non, si non keris, irey-me tib, gari-me a ob legar-te. |
Meu snor Ibrahim Oh, tu, home dulse! Vem a mi de noute Ssi non, ssi non queres Hirme hey a ti Dizme u encontrarte |
Meu senhor Ibrahim, ó tu, homem doce! Vem a mim de noite. Se não, se não quiseres, ir-me-ei a ti, diz-me onde encontrar-te. |
Sīdi ʾibrāhīm yā rajulan ħulwan! taʿāla ʾilay-ya bi-l-layli wa-ʾin kunta lā turīdu sa-ʾaðhabu ʾanā ilay-ka qul l-ī ʾayna ʾajidu-ka |
سيدي إبراهيم، يا رجلاً حلواً. تعال اليَّ بالليل. وإن كنت لا تريد، سأذهب أنا إليك. قل لي أين أجدك. |
O domine mi Ibrahim, o tu, homo dulcis! Veni mihi nocte. Si non, si non vis, ibo tibi, dic mihi ubi te inveniam. |
Auteurs arabo-berbères du Gharb al-Ândalus :
Auteur portugais contemporain inspiré par la période musulmane de l'histoire du Portugal :
Dans le même temps, côté chrétien, même après l'invasion arabo-berbère de la péninsule, une littérature latine d'essence wisigothique se maintient au Nord de la Lusitanie, dans le comté de Portucalense (968-1139), par le biais des monastères et des institutions civiles chrétiennes, notamment de l'évêché de Braga, qui est momentanément transféré à Lugo, en Galice, puis de l'évêché de Coimbra à partir du XIe siècle. Une production littéraire continue accompagne la naissance du Portugal, autonomisé dès 868 des Royaumes de Galice et León. Aux VIIIe et IXe siècles, l'évêque Ascaric de Braga (Ascarico) laisse notamment une correspondance échangée avec un certain Tuseredus (ML 99 1231-1234), ainsi qu'un poème d'inspiration antique dédié à cette même personne, construit avec des extraits de la Hamartigenia de Prudence. Élu évêque de Coimbra en 1099, D. Mauricío Burdino exerce une influence considérable dans la Chrétienté occidentale. Il commence son activité d'évêque dans le diocèse de Coimbra, qui est connu pour être un vieux foyer de culture mozarabe, avant d'être nommé archevêque de Braga en 1109 à son retour de Terre Sainte. Proche du comte Henri de Bourgogne, il est l'un des principaux agents de la réorganisation ecclésiastique du comté de Portucalense. Il lutte pour imposer la primauté de l'archidiocèse de Braga sur celle de Tolède. Fidèles aux traditions suèves et wisigothiques, tout au long de la période comtale (968-1139), les chroniqueurs portugais laissent des chroniques et des annales retraçant l'histoire du pays[36], telles que les Anais Velhos de Portugal, la Chronica Gothorum[37], etc. Les plus anciens textes officiels où l'on commence à déceler des traces de gallego-portugais datent du IXe siècle, avec la Donation à l’Église de Sozello (Doação à Igreja de Sozello), en 870[38], et la Charte de Fondation et Dotation de l’Église de Saint Miguel de Lardosa (Carta de Fundação e Dotação da Igreja de S. Miguel de Lardosa), en 882[39], qui sont rédigés dans une langue qui n'est plus à proprement parler du latin, sans être encore tout à fait du portugais. L'idiome nouveau, en gestation, se structure et s'enrichit tout au long de la Reconquista, pendant les trois siècles suivants.
Au fur-et-à-mesure où ils descendent vers le sud, les croisés portugais intègrent les territoires musulmans et leurs populations, auxquels ils imposent leur langue et leurs lois, mais dont ils subissent également eux-mêmes l'influence, notamment dans le domaine linguistique, avec l'intégration massive de populations arabophones et des nombreux arabismes utilisés par les Mozarabes. Naturellement, la poésie subit par contrecoup l'influence des Arabo-berbères et des Mozarabes, avec l'adoption de certains genres poétiques arabo-andalous, ainsi que du vocabulaire et des tournures mozarabes. On retrouve également ces influences dans la liturgie, avec la persistance du rite mozarabe (jusqu'au XXIe siècle à Braga), dans la musique, avec l'adoption du oud arabe (alaúde), auquel les trouvères chrétiens ajoutent des frètes, de la guitare sarrazine[40] (la citole, ancêtre lointaine du cistre et de le la guitare portugaise), mais aussi dans les domaines des sciences et des techniques (notamment de domaine de la navigation, dans l'Algarve). Confrontés à des populations Mozarabes nombreuses et fortement arabisées (voire arabophones) dans les grandes villes (Santarém, Évora, Mértola, Lisbonne, Alcácer do Sal, Cacela, Ossómoda et Silves), qui pratiquent encore un rite wisigothique ancien, les évêques portugais font écrire la Bible en arabe, initiant un travail de traduction qui se prolonge pendant plusieurs siècles[29]. À l'époque, la langue liturgique et de culture des écrivains chrétiens évoluant sur le territoire de l'actuel Portugal est encore officiellement le latin. Mais la population et les élites parlent et écrivent en réalité une langue qui s'éloigne de plus en plus du latin vulgaire. Les bouleversements provoqués par les successives vagues migratoires barbares et musulmanes dans le pays, la structuration d'une entité politique stable au fil de la Reconquista, avec les comté et royaume de Portugal, puis l'intégration progressive des régions conquises aux Musulmans, où l'on parle l'arabe et le mozarabe, commencent à faire émerger des particularismes linguistiques et littéraires forts qui permettent la naissance des langue et littérature portugaises dès le XIIe siècle[31].
La littérature portugaise est l'une des plus anciennes littératures d'Europe occidentale[41]. Elle émerge entre le milieu du XIIe et le premier quart du XIIIe siècle. Vers 1153, le roi Alphonse Ier fonde le monastère d'Alcobaça, qui est considéré comme le premier foyer de la culture littéraire monastique portugaise. Enrichie par apports germaniques (suèves, wisigoths) et arabo-berbères[42] [43] [31], la langue portugaise apparaît dès 1198 comme langue littéraire différenciée du latin vulgaire, avec la Cantiga da Ribeirinha, écrite par troubadour Paio Soares de Taveirós (pt). Une quinzaine d'années plus tard, le testament du roi Alphonse II, daté de 1214, est rédigé dans un portugais compréhensible pour un lusophone du XXIe siècle[44]. Ce texte est communément considéré comme le plus ancien document littéraire long en prose rédigé en langue portugaise[45]. Au XIIe siècle, la Matière de Bretagne permet l'introduction en prose du roman de chevalerie dans la péninsule Ibérique, avec les traductions Demanda do Santo Graal (pt), puis José de Arimateia (pt).
Tout au long de la Reconquista, le Royaume de Portugal est l'un des grands pôles littéraires d'Europe du Sud. Il participe, aux côtés de la Provence, du León, de la Castille et de l'Aragon, à l'émergence de la littérature trouvère. Les principaux foyers culturels du pays sont les cours seigneuriales, les couvents, les sièges épiscopaux et à partir de 1290 l'Estudo Geral de Coimbra. Initiant sa tradition d'ouverture sur le monde, le pays importe de l'étranger les styles novateurs qu'il adapte, tout en créant ses propres modèles. Les monastères d'Alcobaça et de Santa Cruz de Coimbra sont remarquablement actifs, avec des traductions de vies de saints et des miracles. La culture laïque en langue vulgaire revêt également une importance fondamentale[46].
Les textes lyriques produits par les troubadours du pays sont d'une grande variété, à l'instar de ce qui se fait dans le monde arabe, avec différents types de chansons, les chansons d'amour (Cantigas de Amor), les chansons d'amis (Cantigas de Amigo), les chansons de louanges (Cantigas de Louvor), et les chansons de raillerie et de médisance (Cantigas de Escarnio e Maldizer). D'abord transmis à l'oral par des jongleurs, les poèmes sont rapidement recueillis dans des chansonniers (cancioneiros)[47]. Le gallego-portugais est alors une langue de prestige et de divertissement international[41]. Le roi de Castille Alphonse X Le Sage lui-même écrit en gallego-portugais, et laisse un important corpus de textes portugais avec ses Cantigas de Santa María, très inspirées du cycle des noubat arabo-andalouses, composées de formes poétiques tels le muwashshah ou le zadjal. Outre ce recueil, les principaux textes rédigés en galaïco-portugais aux XIIIe et XIVe siècles sont actuellement compilés dans le Cancioneiro Colocci-Brancuti conservé depuis 1924 à la Bibliothèque nationale de Lisbonne, le Cancioneiro da Vaticana, entreposé dans la Bibliothèque apostolique vaticane à Rome et le Cancioneiro da Ajuda de la bibliothèque du palais royal de Ajuda au Portugal. À côté de cette poésie lyrique, exceptionnellement riche et variée, émerge une poésie épique, liée aux guerres de la Reconquista, dont on trouve les vestiges dans les Crónicas Breves de Santa Cruz de Coimbra (pt).
À partir de 1255, le portugais est adopté comme langue de registre (língua de registo) dans la Chancellerie Royale (Chancelaria Régia), sous le règne du roi Alphonse III[41]. Parmi les troubadours les plus actifs des XIIIe et XIVe siècles, le roi Denis Ier de Portugal (1261-1325) laisse une œuvre poétique importante. Nous disposons actuellement de 137 chansons (cantigas) qui lui sont attribuées, appartenant à tous les types : 73 chansons d'amour (cantigas de amor), 51 chansons d'ami (cantigas de amigo) et 10 chansons de raillerie et de médisance (cantigas de escarnio e maldizer). Nous avons par ailleurs la musique originale des sept chansons (cantigas) découvertes par le professeur Harvey L. Sharrer dans l'Archivo Nacional de la Torre do Tombo, sur un parchemin qui servait de couverture à un livre de minutes notariales du XVIe siècle, qui aujourd'hui porte le nom de Parchemin Sharrer. Grand amateur des Arts et des Lettres, le roi Denis contribue au développement de la poésie troubadouresque, au-delà même des frontières de son pays. Cultivé et curieux, il favorise la traduction en portugais d'innombrables œuvres écrites en Latin, en arabe, en Hébreux, et dans les langues latines d'Europe du Sud. Il fait notamment traduire les traités de son grand-père Alphonse X le Sage. Par son décret « Magna Charta Priveligiorum », il crée en 1288-1290 la première structure universitaire du pays, d'abord installée dans l'espace correspond à l'actuel Largo do Carmo, à Lisbonne, puis transférée pour la première fois à Coimbra en 1308. Après lui, son fils naturel le prince D. Afonso Sanches (1289-1329) se distingue également comme troubadour. Son œuvre, réunie dans dans le cancioneiro da Biblioteca Nacional et dans le cancioneiro da Vaticana, est composée de 15 poèmes, répartis en une parallelistique parfaite (paralelística perfeita), une autre chanson d'ami (cantiga de amigo) constituée d'une seule strophe, neuf chansons d'amour (cantigas de amor), une tension (tenção) et trois chansons de raillerie (cantigas de escárnio). Si nombre de ses chansons sont aujourd'hui fragmentaires, et si elles ont beaucoup pâti du travail des copistes, son œuvre poétique, redécouverte récemment, est considérée comme « l'une des plus singulières de la poésie lyrique gallego-portugaise »[48]. Ses 9 chansons d'amour, notamment, sont considérées comme les plus raffinées du genre, sommets de l'art de la manière provençale. Le prince y développe des thèmes, une métrique et une rhétorique d'auteur cultivé, fin connaisseur de la tradition poétique, et s'y montre capable de variations dans le registre ironique, osant même se moquer du formalisme troubadouresque[49]. Dans ce contexte, dans la seconde moitié du XIIIe siècle, un premier roman original en prose apparaît avec Amadis de Gaula (pt), du troubadour João de LobeiraJoão de Lobeira (1233-1285). Dès le milieu du siècle suivant, la littérature en prose prend une ampleur considérable avec les Livres de lignage des familles nobles, ainsi qu'une Chronique de Dom Alphonse Henriques.
À la suite de la crise portugaise de 1383-1385, avec l'arrivée de la dynastie d'Avis, le portugais devient en 1385 la seule langue officielle du royaume pour les actes juridiques et administratifs (cinquante ans avant les normes de la Chancellerie anglaises[50] et plus de 150 ans avant l'Ordonnance de Villers-Cotterêts). L'arrivée au pouvoir de la nouvelle dynastie et le début de l'expansion outre-mer donnent une impulsion décisive à la prose littéraire portugaise. L'historien portugais, Grand Chroniqueur du Royaume (Cronista Môr) et Gardien des archives (Guarda môr da Torre do Tombo) Fernão Lopes (1378-1459) est considéré comme le plus grand prosateur médiéval du Portugal, et l'un des plus importants de la Chrétienté occidentale[51]. Autodidacte, il est le tenant d'un savoir populaire, mais aussi érudit, académique, humaniste et classique. Ses chroniques sont des documents vivants et pleins d'émotion, d'une grande qualité littéraire. Elles témoignent d'une volonté de faire une analyse globale, qui prenne en compte les divers facteurs économiques, politiques, sociaux qui aboutissent aux évènements. Tout au long de son œuvre, Lopes donne à la prose portugaise son autonomie. En définissant une méthode d'investigation soucieuse de croiser les sources et les points de vue, il fonde l'historiographie portugaise. Contemporain de la prise de Ceuta et du début des Découvertes, il domine son époque par l'art et la lucidité dont il fait preuve. L'écrivain britannique Robert Southey dit de lui au XIXe siècle qu'il est « Le plus grand Chroniqueur de toutes les temps et de toutes les nations ». Par la suite, ses successeurs Gomes Eanes de Zurara (1410-1474) et Rui de Pina (1440-1520) conservent la matière, les méthodes et la rigueur historique de Fernão Lopes.
En plus de poser un cadre institutionnel et de leur activité de mécènes, les hommes cultivés de la cour participent au développement de la prose doctrinale et didactique, notamment les rois et les Infants de la « Sublime Génération », les rois Jean Ier le Grand, Edouard Ier, le Roi-Philosophe, et l'infant Pierre, premier duc de Coimbra. La précocité littéraire et l'homogénéité linguistique du Portugal permettent tout au long du Moyen Âge le développement d'une littérature très riche, qui contribue à l'émergence et au renforcement d'un sentiment national[52].
En faisant basculer le Portugal dans son expansion outre mer, la bataille de Ceuta marque en 1415 une rupture dans l'histoire du pays. La naissance de l'Empire portugais au Maroc et les Découvertes portugaises, qui s'inscrivent dans le prolongement direct de la Reconquista, poussent les dynamiques de la littérature médiévale à leur paroxysme, tout en laissant apparaître les premiers signes en prose de la Renaissance portugaise. Les historiens Fernão Lopes (1378-1459), Gomes Eanes de Zurara (1410-1474) et Rui de Pina (1440-1520) laissent de riches Chroniques relatant les faits d'armes au Maroc et l'exploration portugaise de l'Atlantique. Leurs textes constituent des chefs-d’œuvre de la prose portugaise du XVe siècle. Jusqu'à la première moitié du XVIe siècle, les formes et les thèmes de la littérature médiévale persistent en poésie, mais l'influence de l'humanisme italien se fait déjà sentir. Si en 1516 le Chansonnier Général (Cancioneiro Geral) de Garcia de Resende (1470-1536) compile un grand nombre de chansons médiévales, on y perçoit aussi l'influence de Pétrarque et de sa conception de l'amour. Le poète Francisco de Sá de Miranda (1481-1558) fait office de passeur pour le Dolce Stil Nuovo. Influencé par ses voyages en Italie et dans les Espagnes, il adapte le portugais aux décasyllabes et introduit la nouvelle esthétique italienne avec le sonnet, l’élégie, l’églogue et d’autres formes poétiques classiques. Bernardim Ribeiro (1482-1536), auteur du « roman sentimental » Menina e Moça, cultuve l'églogue importée d'Italie par Sá de Miranda. Néanmoins, contrairement à ce qui se passe en France, les classiques portugais continuent à pratiquer la mesure traditionnelle, et poursuivent la tradition satiriste et moraliste du Chansonnier Général, auquel beaucoup ont collaboré. Le roman de chevalerie, qui fait l'écho des campagnes militaires et de l'esprit chevaleresque, est encore très présent et continue de susciter l'intérêt, avec notamment la Crónica do Imperador Clarimundo (1522) de João de Barros (1496-1570), Palmeirim de Inglaterra (1541-1543) de Francisco de Morais (1500-1572) et le Memorial das Proezas da Segunda Távola Redonda de Jorge Ferreira de Vasconcelos (1515-1585).
L'arrivée des armadas portugaises dans l'océan Indien en 1497 et la naissance de leur Empire des Indes orientales en 1505 propulsent le Portugal au rang de puissance mondiale. Les richesses affluent d'Asie et d'Afrique par la route du Cap. Lisbonne devient le grand entrepôt pour les épices en Europe. Archétype du génie national, l'orfèvre et dramaturge Gil Vicente (1465-1537) provoque un profond bouleversement dans le domaine du théâtre, en particulier de la comédie. Auteur bilingue portugais-castillan, il est considéré comme le créateur du théâtre national. Tout au long de son œuvre, il dépeint avec une verve populaire et un style singulier toutes sortes de types sociaux. Ses pièces (autos) présentent un mélange de burlesque, de critique, de satire et d'humour. Elles sont le reflet de la mutation des temps, et du passage du Moyen Âge à la Renaissance. Elles témoignent des mœurs et de l'ambiance du Portugal des Découvertes. Gil Vicente cesse de produire et meurt dans les années 1530. Entretemps, inspiré par la Renaissance italienne, le théâtre classique, dont António Ferreira (1528-1569) est le principal représentant, se développe, avec notamment sa pièce Tragédia muy sentida e Elegante de Dona Inês de Castro, publiée en 1587. Dans le même temps, une école de poètes italianisants se développe autour du poète Francisco de Sá de Miranda (1481-1558). Le premier d'entre eux est António Ferreira (1528-1569), qui défend la culture classique et l'utilisation de la langue portugaise contre la mode du castillan et du latin. Surpassant tous ses contemporains, le plus grand poète du XVIe siècle demeure Luís de Camões (1525 - 1580), dont le poème époque Les Lusiades exalte l'épopée portugaise dans l'Atlantique et l'océan Indien. Dans son grand texte, il fait la synthèse de son siècle traditionaliste, humaniste et conquérant. Son œuvre lyrique, considérable, mêle les thèmes et les formes du Moyen Âge et de la Renaissance, tout en exprimant des sentiments et un vécu profondément personnels. Elle trouve ses sources d'inspiration dans la vie errante du soldat, les voyages, l'amour insatisfait, l'angoisse, les injustice. Elle témoigne d'un itinéraire dense, passé entre faits d'armes glorieux, vie de cour, bohème de rue et misère matérielle.
Dans le domaine de l'historiographie, des textes très riches surgissent, nourris de l'expérience acquise au cours des découvertes et de l'expansion maritimes.
Si la littérature portugaise regroupe l'ensemble de la littérature écrite en langue portugaise jusqu'en 1825, date de l'indépendance du Brésil (second pays lusophone souverain), elle désigne également l'ensemble de la littérature écrite par des écrivains lusitaniens ou portugais, quelle que soit leur langue d'écriture (latin, arabe, castillan, français, anglais, etc.)[53]. Depuis qu'elle existe, les dynamiques de la littérature du Portugal dépassent la simple problématique de la langue. Pour un certain nombre de raisons, le multilinguisme est une caractéristique courante au sein de la population et des élites portugaises. L'une de ces raisons tient précisément à la structure même de leur langue. La grande richesse phonétique de la langue portugaise (3000 phonèmes) en fait la langue européenne la plus riche de ce point de vue, et fait qu'un lusophone peut appréhender très facilement d’autres langues[30].
Du point de vue des genres, des normes et des pratiques, si l'on se plonge sur la genèse de la littérature portugaise, il existe un véritable continuum littéraire en Lusitanie à partir du Royaume suève (409-584), maintenu pendant six siècles autour de l'évêché de Braga, puis des évêchés de Coimbra et Lisbonne. Si elle est portée par la langue gallego-portugaise, la littérature portugaise médiévale s'enracine directement dans les pratiques et traditions littéraires romano-barbares (latines) et arabo-berbères (arabes) du Haut Moyen Âge. Il est impossible de comprendre la nature de la littérature galaico-portugaise sans se pencher sur les littératures romano-barbares, arabes et mozarabes dont elle est issue. Pendant longtemps, le portugais n'est par ailleurs pas la seule langue utilisée au Portugal. De 868 à 1496, plusieurs communautés religieuses et linguistiques, juive, musulmane et chrétienne, cohabitent dans le pays. Jusqu'au XVIIIe siècle, une distinction légale est maintenue entre Vieux-Chrétiens et Nouveaux-chrétiens (d'ascendance juive). Dans le contexte ibérique de la période trouvère, le Portugal est, jusqu'en 1640, extrêmement proche culturellement du Royaume de León et de la Couronne de Castille, partageant par ailleurs sa langue avec la Galice. Tout au long du Moyen Âge et de la période Moderne, les élites des trois pays correspondent activement et partagent volontiers les mêmes espaces de sociabilisation et les mêmes langues littéraires, basculant indifféremment de l'une à l'autre. À partir de la conquête de Ceuta en 1415, l'expansion portugaise un peu partout dans le monde (et les métissages qui s'ensuivent) poussent les Portugais à se pencher sur les différentes langues des peuples avec lesquels ils entrent en contact, l'arabe, le kiswahili, le konkani, le malais, le chinois, le japonais, etc. et à intégrer une multitude de mots nouveaux dans leur propre langue. Les scientifiques, les aventuriers, les officiers et les jésuites, avec leurs théories de l'adaptation, font office de passeurs. Le portugais devient alors une langue noble, de savoir et de connaissance, présentant une richesse lexicale inouïe. Parce que l'Empire portugais est conçu culturellement comme un tout dont le centre de gravité est à Lisbonne, la littérature portugaise regroupe toute la littérature écrite sur le territoire du Portugal ou dans son Empire, quelle que soit l'époque, la langue ou la nationalité des auteurs, pourvu qu'elle ait trait à la société portugaise, à l’État portugais ou aux territoires sous souveraineté portugaise[54]. Faisant office de précurseurs dans le domaine de la linguistique, les Portugais eux-mêmes s'attachent le plus souvent à donner des versions bilingues des textes les concernant (notamment dans le domaine de l'histoire et de la diplomatie), ainsi que des grammaires et dictionnaires des langues avec lesquels ils sont en contact.
Du fait de son histoire particulière donc, le peuple portugais a une tradition très affirmée d'ouverture sur le monde. De tout temps, le multilinguisme est une caractéristique courante au sein de la population et des élites portugaises. Et si la langue portugaise est, de très loin, le véhicule principal de la littérature nationale, un certain nombre d'écrivains portugais ont, au fil des siècles, écrit une partie de leur œuvre en utilisant d'autres langues. Pendant le Moyen Âge et la Renaissance, Damião de Góis et Uriel da Costa écrivent certains de leurs grands textes en latin. Encore au XVIIIe siècle, peut-être afin de contourner l'Inquisition, le philosophe Luis Antonio Verney écrit une partie importante de son œuvre en latin[55]. Aux XVe et XVIe siècles, les dramaturges et poètes Gil Vicente, Luís de Camões, Sá de Miranda et Rodrigues Lobo sont parfaitement bilingues castillan-portugais, et laissent de nombreux textes et ouvrages en castillan, publiés aujourd'hui encore en anthologies aux côtés leurs textes portugais. Pendant le siècle des Lumières, le penseur et pamphlétaire Francisco Xavier de Oliveira écrit une partie considérable de son œuvre littéraire en français, notamment son Amusement Périodique, qui est souvent considéré comme l'une des parties les plus intéressantes de ses écrits. Après lui, aux XIXe et XXe siècles, José Custódio de Faria, Eça de Queiros et Fernando Pessoa donnent également quelques livres, préfaces, textes, articles et poèmes en français. Éduqué en Afrique du Sud, Fernando Pessoa, parfaitement bilingue anglais, écrit surtout une partie notable de son œuvre poétique en anglais.
On trouve dans l'art [du chevalier de Oliveira] toutes les tares de l'école du XVIIIe, augmentées des corruptions et des vices que sa longue permanence à l'étranger et le long manque de pratique de sa langue devaient fatalement imprimer à son style. Pourtant, par le caractère de ses écrits, il figure entre les auteurs les plus délicats de son époque. Il est futile comme les plus futiles, et a papillonné tous les sujets, de l'histoire, de la morale, de la philosophie, avec l'entrain [...] d'un encyclopédiste. [...] Homme ayant quelques idées siennes, bien qu'il ait su parfaitement s'approprier celles des autres. [...] il écrivait avec ruse, avec une grâce légère, et avec de l'esprit. [...] Peu ont su comme lui raconter une anecdote et doser les encres d'une galanterie. L'historiette et l'amour sont d'ailleurs son vice. [...] Avec une spontanéité contraire à la redondance alors à la mode, il sait trouver l'effet hilare ou facétieux lorsqu'il aborde les femmes, il émet des sons chantants, mélodieux, qui éblouissent telle flûte pastorale de satyre dans les bois. Il n'y a que lorsqu'il verse dans les thèmes religieux que sa plume perd cette élasticité et cette souriante flexibilité. Là, il est direct, plein d'ardeur, plein de fiel, frappant sans rythme et sans courtoisie. Pour résumer : il était irrégulier, il était frivole, il était son siècle.
Aquilino Ribeiro, fin de la préface des Cartas Familiares
Du fait de l'expansion maritime du Portugal et de l'émigration massive qui s'en est suivie, la littérature portugaise comprend l'ensemble des œuvres écrites par des auteurs de nationalité portugaise et affiliés au Portugal, quel que soit leur lieu de naissance en métropole ou dans l'Empire, leur confession ou le lieu où a été rédigée leur œuvre. L'histoire de la littérature portugaise peut être divisée en différentes périodes[56] [57] :
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