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peintre grec De Wikipédia, l'encyclopédie libre
Yannis Gaïtis (en grec moderne : Γιάννης Γαΐτης), né à Athènes le et mort dans cette même ville le , est un peintre et sculpteur de nationalité grecque.
Naissance | |
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Nom dans la langue maternelle |
Γιάννης Γαΐτης |
Nationalité |
Grecque |
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Maître | |
Lieu de travail |
Paris () |
Conjoint |
Yannis Gaïtis est né le à Athènes. Son père Philippe François quitte très jeune Pyrgos, village de l’île de Tinos, s’installe à Athènes et épouse Panayota, originaire de Doliana de Kynouria, dans le Péloponnèse. Deuxième de cinq enfants, Yannis se révèle très vite taquin et facétieux. Sa scolarité se déroule à Athènes, sous le signe de l’indiscipline, au 5e Lycée de Garçons.
La passion précoce qu’il voue à la peinture lui permet de trouver auprès de son professeur Johan Romanos, artiste et intellectuel anticonformiste, un soutien déterminant. Un dessin reproduit dans le quotidien national I Vradini du témoigne de l’engouement du jeune Yannis alors âgé de 16 ans.
Il est inscrit à l’École des Beaux-Arts de 1942 à 1948. Ses parents se montrent de véritables alliés, ils sont à ses côtés lors de chaque exposition et s’unissent à l’oncle paternel Tassos, pour conjurer la pénurie que connaît la Grèce à cette époque lorsqu’il faut acheter, à prix d’or, les tubes de peinture nécessaires. C’est dans ces années-là que Gaïtis rencontre Dimitris Chytiris et Yannis Maltezos, artiste marqué par un esprit expérimental qui devient un ami intime. À l’École des Beaux-Arts, il étudie avec Daniel Panagopoulos, Panayotis Tetsis, Yannis Migadis et Jason Molfessis qui vont comme Gaïtis marquer le tournant de l’après-guerre en apportant les tendances européennes en Grèce, dans l’atelier du grand Constantin Parthénis, artiste moderne par excellence du début du siècle et professeur réputé depuis les années 1920, qualités qui font de lui l’un des rares à connaître les courants modernes : surtout l’postimpressionnisme et le cubisme. Yannis Gaïtis fréquente peu l’École, il préfère travailler chez lui à Athènes, au 35, rue Mavrommatéon ou, dans la maison de campagne familiale , à Amphithèa. C’est dans le jardin de cette maison qu’il réalise, entre 1947 et 1948, ses premières sculptures blanches, de fil de fer et de plâtre.
Face à la situation de son pays alors en pleine occupation, Gaïtis prend part avec son frère Tryphon et sa sœur Dina à la Résistance et devient membre de l’EPON, organisation des jeunes de l’EAM (Front National de Libération), à dominante communiste. La nuit, avec quelques amis, il couvre les murs d’Athènes de slogans et d’affiches en faveur de la Résistance. Tout ce qu’il entreprend, engagement politique compris, doit nourrir la seule chose essentielle pour lui, la peinture. Habité d’une passion et d’une force de travail peu communes, il ne cesse de peindre.
En 1944, il organise sa première exposition personnelle dans la maison paternelle où se trouve son atelier. Il fait la connaissance des poètes et écrivains engagés dans le renouveau de la littérature grecque, comme Georges Makris, Nondas Gonatas, Miltos Sachtouris et Angelos Karacalos, médecin et amateur d’art, qui deviennent tous des fidèles de la rue Mavrommatéon. Dès cette époque Gaïtis aime être entouré lorsqu’il travaille: son atelier est ouvert à tous, dans l’amitié chaleureuse et immédiate qu’il sait entretenir avec chacun. Dans cette période trouble, sa maison devient l’un des rares lieux de rencontre possibles pour les représentants des nouvelles tendances du milieu littéraire et artistique. Son atelier accueille artistes tels que Minos Argyrakis, Yannis Tsarouchis, et les écrivains et poètes Odysseus Elytis, Takis Sinopoulos, Georges Pavlopoulos, Yannis Dallas, Tatiana et Roger Milliex, alors sous-directeur de l’Institut Français d’Athènes et Néoclis Coutouzis, médecin de formation, passionné d’art et de littérature. Ce dernier joue un rôle important dans l’évolution artistique de Gaïtis. Il fit la connaissance des surréalistes à Paris et incarne, pour le jeune Yannis, la présence française.
À la fin de l’occupation allemande succède la guerre civile. En décembre 1944, après les affrontements qui opposent les forces de résistance de la gauche aux troupes anglaises ralliées aux forces gouvernementales, Yannis Gaïtis, ainsi que la plupart de ses amis intellectuels ou artistes, doivent se cacher quelque temps avant d’affronter la nouvelle situation de la société grecque. La maison de son oncle paternel à Kifissia, dans la proche banlieue athénienne, lui sert de refuge et de lieu de travail.
Malgré ces années difficiles, son travail évolue de façon considérable. Gaïtis expose trois années de suite : en 1945, 1946 et 1947 dans la salle de l’association littéraire Parnassos d’Athènes. L’exposition de 1947, dont le catalogue est préfacé par Néoclis Coutouzis, marque une étape importante dans la trajectoire de Gaïtis: il présente trente-quatre toiles empreintes des influences du cubisme et du surréalisme. L’exposition fait un véritable scandale, les œuvres sont mal reçues par le public et la critique. En dépit des critiques, blessantes et méprisantes, Gaïtis continue à peindre sans relâche. Il parvient même à envoyer clandestinement à Paris vingt-quatre toiles et cinquante dessins au critique Christian Zervos, le fameux fondateur des Cahiers d’art et pionnier de la modernité depuis l’après-guerre. Grâce à l’appui amical du danseur étoile Jean Babilée, ses œuvres sont acheminées dans les caisses des décors du Ballet des Champs-Élysées alors en tournée à Athènes.
À cette époque, où sévit la guerre civile qui soumet le pays à la loi martiale, les jeunes hommes sont astreints au service militaire. Yannis, rebelle et libre, aidé de Néoclis Coutouzis et d’un ami psychiatre, parvient à y échapper en se faisant passer pour aliéné mental, après un internement particulièrement éprouvant dans le service psychiatrique de l’hôpital militaire. La découverte de cette imposture aurait, sans appel, entraîné la cour martiale et le peloton d’exécution pour haute trahison.
En 1948, il participe à la première Exposition Panhellénique d’après-guerre qui présente un panorama important de la situation artistique en Grèce depuis le XIXe siècle en mettant l’accent sur la génération des années 1930 avec Ghikas, Moralis, Tsarouchis et Engonopoulos. Elle s’ouvre aussi à la jeune génération où Gaïtis expose aux côtés de Yannis Maltezos, Kaity Antypa, Haris Voyatzis, Takis Elefthériadis, Lazaros Laméras.
1949 marque la fin officielle de la guerre civile. La Grèce retrouve progressivement une activité artistique. L’Institut Français d’Athènes présente les œuvres d’artistes français offertes à la Grèce. Pour la première fois Gaïtis peut voir les œuvres de Picasso, Braque, Matisse, Picabia, Dufy, Prassinos, et Masson. Au Zappeion, il visite, peu après, l’exposition Henry Moore. Sa rencontre avec Condopoulos est à l’origine de la création du groupe «Akréï» («Extrêmes»), qui réunit les artistes Alecos Condopoulos, Yannis Maltezos, Dimitris Chytiris, Lazaros Laméras. Le journal O Aionas mas (Notre Siècle) publie en novembre le manifeste du mouvement. Il s’agit d’un véritable acte de foi en l’art contemporain, expression radicale du refus du réalisme. Gaitis écrit : «....L’artiste contemporain a acquis la liberté de ne plus exprimer seulement son environnement et son époque […]. Et nous sommes nous aussi avec ceux qui croient que la réalité poétique de la vérité intérieure de l’homme n’a jamais été aussi proche de devenir un acte adapté aux manifestations de la vie, un mode de vie, une expression de vie.»
Artiste polygraphe de nature, Gaïtis aura toujours un réel plaisir à créer décors et costumes de scène et peindra ses premiers décors pour Le Mariage forcé de Molière, présenté en avril 1950 à l’Institut Français d’Athènes. En 1953, il participe à la IIe Biennale de São Paulo au Brésil, avec Condopoulos et Chytiris. Préalablement, à son départ pour Paris, il présente sa production des sept dernières années en février 1954, sur les cimaises de l’hôtel Kentrikon: vingt-six huiles, neuf aquarelles, onze dessins et quatorze sculptures. L’exposition devient l’enjeu d’une polémique sans merci entre les partisans d’un «art grec» et ceux qui soutiennent le redoutable « art moderne ».
Le , Yannis Gaïtis épouse Gavriélla Símossi, sculpteur. La rencontre de Yannis avec Gabriella remonte à leurs années d’études à l’École des Beaux-Arts en 1945 et lui inspire une part importante de sa production d’alors. Tous deux rejoignent ce Paris tellement rêvé en octobre de cette même année. Yannis Gaïtis a alors 31 ans. Il reçoit une aide financière de la Fondation de Notre-Dame de l’Annonciation de Tinos et Gavriélla Símossi est, elle, bénéficiaire d’une bourse d’État.
Paris est à ce moment-là le centre culturel le plus convoité intellectuels et artistes du monde entier. Gaïtis fera partie de ces nombreux artistes grecs qui choisiront d’y vivre, après la guerre civile. Gabriella suit l’atelier d’Ossip Zadkine, grand sculpteur russe de l’École de Paris. Yannis étudie les nouveaux courants et se rend sans relâche dans les musées et les galeries d’art.
Il écrit à sa famille: «En Grèce, j’avais vingt ans d’avance, ici j’ai vingt ans de retard.» Rapidement, il se lance dans l’abstraction, sous l’influence de Fautrier, Mathieu, Hartung, Soulages et Manessier. Il peint sans cesse, cherchant à absorber et à dépasser les nouvelles influences qu’il découvre à Paris. Il avouera plus tard «Pendant la nuit, je refaisais les Soulages et les Hartung que j’avais vus dans les galeries, puis je les détruisais. Peut-être par défi, mais aussi pour mieux comprendre...»
En 1955, il prend part à l’exposition Artistes étrangers en France organisée au Petit Palais à Paris, ainsi qu’au Salon d’Automne au Grand Palais. À compter de 1956, sa participation à des expositions collectives est régulière et inclut des manifestations parisiennes majeures, telles que la Première exposition internationale d’art plastique contemporain au Musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris, et le 5e Salon des artistes associés au Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris.
En 1957 il visite l’Espagne avec Gabriella et leur ami le peintre Danil (Panagopoulos). Il présente en décembre sa première exposition personnelle à Paris à la galerie Diderot, dirigée par Marcel Zerbib, et participe au MicroSalon d’avril à la galerie Iris Clert avec César, Max Ernst, Fautrier et Picasso. Grâce à Jacques Laval, il signe un an plus tard sa deuxième exposition personnelle à la galerie André Droulez de Reims. Dès cette époque, il fait partie des artistes qui occupent la scène artistique parisienne et fréquente également les critiques d’art Michel Ragon, Denis Chevalier, Jean-Jacques Lévêque et Gérald Gassiot-Talabot, sans oublier les amis peintres grecs qu’il retrouve quotidiennement pour partager d’interminables discussions relancées dans les cafés de Saint-Germain-des-Prés, tels que le Pré-aux-Clercs ou le Bonaparte. Avec le Studio Paul Facchetti, il expose à Paris, en Allemagne, au Stadtmuseum de Leverkusen avec Sima et Georges Noël, puis à la galerie Kouros d’Athènes et participe également au Micro Salon 58 d’Iris Clert avec Dali, Tinguely, Klein, Fontana et Matta.
Sa fille Loretta Gaïtis naît le . Cette paternité récente révèle chez lui tout à la fois la plus grande tendresse et la plus grande inattention: il apportera un jour un tube de peinture blanche à Gabriella pour tout biberon! Il saura être, malgré ses absences répétées, un père attentif, affectueux, structurant.
En 1959, il expose, à la galerie Zygos d’Athènes, la série Feuillages. Cette période-là coïncide également avec le début de sa carrière européenne et de ses nombreux voyages ponctués par plusieurs expositions: en Italie, à la galerie Numero de Florence avec Nikos et à la galerie Il Grifo de Turin, où il expose avec John Christoforou. Le groupe «Sigma», composé à Rome de Caniaris, Condos, Gaïtis, Nikos et Tsoclis expose aux galeries Cancello de Bologne et San Carlo de Naples. C’est aussi l’année de sa première collaboration à la galerie Néès Morphès à Athènes, fondée par Angelos Procopiou et dirigée par Julia Dimacopoulou. Sa rencontre avec Jean-Marie Drot lui donne l’occasion de présenter ses œuvres dans un film réalisé pour la télévision française Pourquoi Paris en 1960. Takis, Zao Wou Ki, Vieira da Silva, et Kito sont également présents dans cette production. Gaïtis expose la même année à Londres à la Redfern Gallery et de nouveau à Florence à la galerie Numero. Une plus grande aisance financière permet à Yannis Gaïtis et Gavriélla Símossi de s’installer dans leur atelier au 76, rue de Sèvres. Gaïtis fréquente Tristan Tzara et les galeries de Paul Facchetti, Raymond Aghion et Cérès Franco.
En 1962, à Athènes, il réalise le décor et les costumes pour Le Balcon de Jean Genet, au théâtre Vergui. À Thessalonique, il retrouve ses amis Caras, Christoforou, Maltezos, Molfessis, Pierrakos et Touyas pour une exposition organisée par Alexandros Xydis. La grande exposition organisée au Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris, Peintres et sculpteurs grecs de Paris qui rassemble 46 artistes grecs vivant à Paris, engendre le groupe «Kendra» («Centres»). Ce groupe, composé de Yannis Gaïtis, Michel Vafiadis, Jason Molfessis, Yannis Maltezos, Georges Touyas et Gavriélla Símossi, trouve sa réalité, plutôt que dans une recherche d’expression plastique commune, dans la complicité amicale que tous partagent au quotidien. Le groupe expose à trois reprises : à Athènes à la galerie Néès Morphès en 1963 et 1964 et en 1964 à la galerie A de Paris.
Angelos Procopiou continue son analyse de l’évolution de sa peinture et écrit en 1963: «Le tournant de Yannis Gaïtis vers une peinture figurative […] correspond au rythme intérieur de son expérience personnelle. Son approche du thème figuratif se fait à travers les émotions d’un petit enfant qui découvre le monde et cherche à le toucher de ses petites mains. Gaïtis est père, Simossi est sa femme, et leur petite fille devient maintenant son guide dans la peinture pour le conduire dans le monde paradisiaque de l’image enfantine, au travers duquel le peintre retrouve une innocence perdue). Loretta est alors une fillette de 5 ans.
Gaïtis découvre avec Jean-Marie Drot l’île d’Ios aux Cyclades. En 1964, il y conçoit et suit la construction de la maison de Jean-Marie Drot. Quelques années plus tard, lorsque ses moyens le lui permettront, Yannis Gaïtis le rejoindra de l’autre coté de la baie de Aghios Yannis. Gaïtis pratique déjà à cette période, dans des galeries ou chez des particuliers, des démonstrations où l’acte de peindre à sa manière est synonyme de passion, rapidité et virtuosité. Il utilise son corps, son torse; il peint avec ses paumes et ses doigts souvent à même le sol avec une très grande force vitale. Il réalise devant son public de petits tableaux, vendus sur le champ acceptant les désirs de chacun dans un acte qui tient tout autant du jeu que du plaisir de peindre et de générosité. Il présente ses dernières œuvres à la galerie A à Paris, Jean-Marie Drot préface le catalogue. Cérès Franco présente le groupe «Action et réflexion» où il expose aux côtés d’Alechinsky, Corneille, Hundertwasser et Hartung.
À partir de 1964, il participe avec Gérald Gassiot-Talabot, théoricien de la «Figuration narrative», aux diverses expositions que celui-ci organise. Mythologie quotidienne inaugure cette série d’expositions, où Gaïtis expose avec Cremonini, Pistoletto, Raynaud et Niki de Saint-Phalle au Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris. Par la suite, il présente ses œuvres à la galerie Merlin, à Athènes. L’année suivante, La Figuration narrative dans l’art contemporain, présentée à la galerie Creuze, prolonge l’exposition Mythologie quotidienne. Il expose aux côtés de Adami, Aillaud, Arroyo, Baj, Fâhlstrom, Gasiorowski, Hockney, Kitaj, Malaval, Monory, Nikos, Rauschenberg et Télémaque. Il expose également au Brésil au Musée d’Art Moderne de Rio de Janeiro avec Adzak, Christoforou, Dias, Freitas, Genovès, Oiticica ainsi qu’à la galerie Relêvo.
1965 est une année douloureuse, marquée par le décès de ses deux parents. Le voyage que lui propose Jean-Marie Drot le détourne de sa douleur. Yannis Gaïtis devient alors le guide et l’initiateur de Jean-Marie Drot en Grèce pour son Journal de voyages, une série de sept films. À Rome, il se lie avec le galeriste Schneider pour une longue collaboration amicale et rencontre les critiques Enrico Crispolti et Giuseppe Marchiori.
En 1966, Yannis Gaïtis fait voyager ses œuvres au Brésil, au Musée d’Art Moderne de Rio de Janerio et à la galerie Relêvo, Il expose à Prague à la galerie Vaclava Spaly et présente à Athènes Le microcosme de Yannis Gaïtis et à Paris Petite cosmogonie pour un homme seul. Le 21 avril 1967, le coup d’État des colonels plonge la Grèce sous le joug de la dictature. Par opposition au régime, artistes et écrivains ont décidé de ne pas prendre la parole et refusent de participer aux manifestations culturelles; les colonels imposent la censure. À partir de 1968, la plupart des artistes comprennent que la meilleure résistance est au contraire de témoigner. C’est à cette époque que Gaïtis réalise une série de toiles qui condamne la dictature.
En 1967, il se rend au Brésil, à Rio de Janeiro, pour y demeurer sept mois. Il voyage à travers le pays et travaille avec acharnement. Il peint nuit et jour pour préparer ses expositions et réalise là aussi des démonstrations chez des particuliers, où il peut exécuter jusqu’à vingt petites toiles par soirée. Il rencontre le critique Mario Pedrosa, retrouve la galerie Relêvo et Jean Boghici et participe avec des œuvres de grand format à la Biennale de São Paulo avec Caras et Tsoclis. La presse locale lui consacre plusieurs articles dans lesquels il fait part de son opposition à la dictature. Il expose à Genève, au musée Rath, participe à l’Art hellénique contemporain ainsi qu’à l’Exposition internationale de la Figuration narrative à la galerie Zu Predigern à Zürich, où il retrouve Arroyo, Rancillac, Recalcati, Bertini, Nikos, et Perilli. Au Musée des Arts Décoratifs de Paris, il participe à l’exposition Bande dessinée et Figuration narrative et expose également à la galerie T à Haarlem ainsi qu’à la galerie Merlin à Athènes.
1968, est une année importante pour son œuvre. Le bonhomme devient un élément concluant de son style et de son œuvre. Il expose à la galerie Schneider à Rome et à la galerie Il Traghetto à Venise.
En 1969, à Athènes, il réalise les premières constructions dans l’atelier qu’il partage avec trois jeunes artistes dont Annie Costopoulou, avec qui il Gaïtis aura par la suite une relation privilégiée. Il présente ses premières constructions en novembre à l’Institut Gœthe, Il expose ses constructions et ses toiles, exclusivement centrées sur ses bonshommes, à Néa Galerie d’Athènes et en Italie, à la galerie Il Giorno à Milan et à la galerie Il Salotto à Côme.
À partir de 1970, les bonshommes, se déclinent sur la toile et le bois dans une recherche permanente qui lui permet d’aboutir à une stylisation parfaite. Il expose de nouveau à la galerie Schneider à Rome et à la galerie de l’hôtel Hilton, à Nicosie, à Chypre. Au cours de ce séjour, il réalise les décors de la pièce de théâtre de Carlo Goldoni Arlequin,valet de deux maîtres, au théâtre Rik, dans une mise en scène d’ Evi Gavriïlidi.
L’année 1971 marque sa rencontre avec John Craven, qui présente à la galerie Arts-Contacts Les personnages de Gaïtis, peintures et reliefs. À cette occasion, il rencontre Serge Bergon, cinéaste qui réalise le film Gaïtis le Baladin où on découvre un Gaïtis arpentant Paris à la recherche du bonhomme échappé d’une de ses toiles. Au musée des Sables de Port Barcarès, créé par John Craven, il inaugure une importante sculpture composée de grandes têtes monumentales.
En 1972, à Athènes, Gaïtis rencontre Manos Pavlidis et Epi Protonotariou. Il expose à la galerie Desmos la série des Machines volantes. La même année, il présente à Thessalonique, à la galerie Cochlias, ses constructions et boîtes de conserves qui lui permettent de livrer sa pensée: «Témoignage contre notre époque, contre ce dans quoi nous vivons, voilà ce qu’est ma peinture. En faisant des bonshommes je me libère […]. L’élément humain impersonnel domine dans mes œuvres. Je représente notre problème d’aujourd’hui et je le présente avec les moyens d’aujourd’hui». Il ajoute: «Mes œuvres, je les fais pour moi. Ensuite je veux qu’elles partent, m’en libérer. Je veux les vendre pour vivre. L’artiste est lui aussi dans le circuit de la consommation de son époque.»
À Ios, il commence les travaux de sa maison. Durant les dix dernières années de sa vie, Yannis Gaïtis viendra reprendre son souffle dans cet espace qu’il continue d’agrandir comme une véritable sculpture vivante. Il y retrouve ses amis, partage avec eux des moments de bonheur. Chaque été marque les retrouvailles avec sa fille Loretta puis son gendre, Jacques. Aujourd’hui, c’est dans une petite chapelle au pied de cette maison qu’il demeure.
En 1972, l’écrivain et poète Pierre Seghers rejoint Jean-Marie Drot à Ios; à cette occasion il fait la connaissance de Gaïtis. Séduit par son travail, Pierre Seghers signe un an plus tard aux éditions Tram, dans la série Modern Greek Painters, une publication sur les constructions de Gaïtis. La même année, Gaïtis entreprend une série de grandes œuvres et d’installations qu’il présente à la galerie Desmos à Athènes. La première d’entre elles est dédiée aux équipes de football Olympiakos et Panathinaïkos. Cette œuvre, sur bois, représente deux équipes rivales, grandeur nature. Une cage de but du gardien d’Olympiakos ainsi que quatre joueurs complètent la composition. Au mur, des foules de bonshommes vêtus des couleurs des deux équipes, figurent les supporters.
L’année suivante, Gaïtis présente à la galerie Desmos, Exposition et Spectateurs. Des bonshommes installés de manière à figurer le public sont dans le même temps spectateurs des bonshommes accrochés aux murs. Gaïtis explique: «J’ai fabriqué moi-même mes spectateurs car à Athènes, sur deux millions d’habitants, seuls 800 personnes visitent une exposition de peinture, c’est très peu. C’est-à-dire que les peintres n’ont pas besoin des spectateurs… Donc, nous pouvons les fabriquer nous-mêmes.»Au sous-sol de la galerie, il présente son installation L’Enterrement de la peinture, composée d’un cercueil et d’un cortège de bonshommes. Le titre est une référence indirecte aux tragiques événements de novembre 1973 à l’École Polytechnique d’Athènes et qui marquent la plus grande manifestation d’opposition à la dictature.
Cette double manifestation se termine par l’inauguration d’une nouvelle installation, La Conférence. Un conférencier se tient debout devant une table, face à une série de chaises blanches tantôt vides, tantôt occupées par des bonshommes. Juillet 1974 marque la chute de la dictature en Grèce. Au cours de l’été, une exposition itinérante aux États-Unis est organisée par la Circle Gallery à Chicago, San Diego, Los Angeles et San Francisco. À la fin de sa tournée aux États-Unis, Yannis Gaïtis quitte Paris, son bonhomme sous le bras, amer et déçu d’être resté pendant vingt ans étranger et s’installe définitivement en Grèce, où il retrouve la lumière recherchée depuis toujours.
Il retourne vivre au 35, rue Mavrommatéon, la maison paternelle a été remplacée par un immeuble moderne où habitent ses trois sœurs qui lui témoigneront toujours attention et chaleur. Son atelier s’ouvre de nouveau aux amis, aux collectionneurs, aux visiteurs occasionnels. Gaïtis travaille beaucoup et ces visites le distraient et le relient au monde extérieur.
La notoriété et l’aisance que Gaïtis connaît à partir de ces années ne le détournent pas des tout jeunes artistes: il aimera toujours s’en entourer, cherchant à les encourager à persévérer en leur communiquant son enthousiasme de la peinture. Il partage ces années avec Annie Costopoulou. Attentive à sa création, elle l’accompagne à travers la Grèce et l’Europe lors des différentes expositions qu’il organise.
À partir de 1975, le nombre de ses expositions ne cesse de grandir. Une suractivité frénétique qui le conduira à dire quelques jours avant sa mort: « J’ai trouvé le bonhomme dix années trop tôt ». Mais les bonshommes de Gaïtis ne se contentent plus, à partir de ces années-là, des galeries et des musées. Ils sortent dans la rue et se promènent, prennent place au sein du monde du travail, dans les bâtiments de l’usine Petsetaki. Une marée de drapeaux frappés de la tête de ses bonshommes envahit les rues de la ville de Nikéa. Gaïtis est aussi un des premiers artistes grecs à s’intéresser à la production de multiples et c’est dans ce souci revendiqué d’accessibilité à tous qu’il est un artiste populaire. Dans cette quête, il rencontre Gavrilos Michalis qui devient un fidèle collaborateur en participant activement aux constructions et autres manifestations: Gaïtis crée des jouets, du mobilier, des objets, des assiettes, des tissus, il produit des estampes avec son ami sérigraphe Georges Kotsaïtis. Sa rencontre avec Nikos Papadakis, dont l’un des objectifs est l’édition d’œuvres d’artistes contemporains, lui permet d’exposer Les jouets de Yannis Gaïtis, compositions de divers pantins, boîtes de conserves et puzzles.
Il retrouve également le théâtre et réalise le décor de la pièce Le Chili vaincra, de Juan Fonton, jouée au théâtre Synolo d’Athènes. Le décor est composé de gigantesques figures militaires; la couverture du programme reproduit son œuvre Le Meurtre de la Liberté ou Les Militaires. Il continue par ailleurs ses expositions à la galerie Desmos, à la galerie Rythmos à Larissa et à la galerie Cochlias à Thessalonique. Le Collège Américain d’Athènes lui consacre une exposition.
En 1976, il retrouve la galerie Schneider à Rome et expose à New York à la Circle Gallery. L’année suivante, à Athènes, dans le cadre d’une série d’expositions qui présentent les fondateurs de la modernité en Grèce, Nikos Petsalis dans sa galerie Trito Mati expose pour la première fois depuis les années 1950 les aquarelles et les dessins de Gaïtis, de 1947 à 1954. La série Les Paysages humains, grandes toiles où dominent foules et idoles, est présentée à la galerie Polyplano avec laquelle il prend part à la FIAC à Paris avec Gavriélla Símossi et la céramiste Vernardaki. Parmi ses participations figurent également celles réalisées dans le cadre du Musée International Intérimaire Salvador Allende.
Durant les dernières années, Gaïtis organise de grandes expositions personnelles, au nombre desquelles figurent, en 1978, les expositions aux musées d’art moderne de Belgrade et de Skopje en Yougoslavie. À Athènes, il participe, comme l’année précédente au festival annuel organisé par le journal de gauche Avgi, porte-parole du Parti communiste de l’intérieur. Parmi ses participations, figure Images de l’art hellénique, exposition organisée par le critique Emmanuel Mavromatis au Zappeion. Il retrouve son ami Jean-Marie Drot et tourne en 1979 un film qui lui est entièrement consacré: Les bonshommes de Gaïtis le Grec, dans la série Peintres enchanteurs de France et d’ailleurs. Parallèlement, deux expositions importantes ont lieu, l’une au centre culturel de Villeparisis; l’autre à l’Ecole Régionale des Beaux-Arts de Clermont-Ferrand.
En 1980, à l’occasion de la présentation de la série Les Antiquités, à la galerie Polyplano d’Athènes, Nikos Papadakis édite une monographie intitulée Yannis Gaïtis, un créateur révolutionnaire. Il s’agit là du premier ouvrage qui retrace sa trajectoire d’art. Les bonshommes prennent forme humaine lors d’un happening qu’il organise en 1981 avec l’artiste Stathis Chrissicopoulos pour le Carnaval de Patras. Un cortège de cent personnes habillées de costumes rayés et coiffées de chapeaux melons défilent dans les rues, suivies d’un char dont les colonnes sont des bonshommes. Cette manifestation se répète à Thessalonique lors de l’exposition que la galerie Cochlias lui consacre. À l’occasion d’une manifestation sur la violence, il installe, avec le metteur en scène Volanakis, 140 bonshommes géants au Théâtre des Rochers à Athènes..
Yannis Tseklenis, couturier novateur, initiateur du prêt-à-porter en Grèce, s’inspire de dessins de Gaïtis pour sa collection d’été 1982 « Tseklenis from Gaïtis ». Cette collection, composée pour l’essentiel de robes, de foulards et de maillots de bain est présentée à Athènes, dans le grand magasin Minion et aux États-Unis, dans les grands magasins Neiman-Marcus de Dallas et B. Altman de New York. À Paris, il présente à la galerie Iris Clert Mettez un Gaïtis dans votre lit, une série de couvertures comportant les têtes des bonshommes.
À Paris encore, à la galerie Marion Meyer, il participe à l’hommage rendu au galeriste parisien Marcel Zerbib. Cette exposition réunit vingt-sept artistes parmi lesquels Bellmer, Bertini, Brauner, César, Ernst, Matta, Man Ray, Takis et Wols. En 1982, l’Institut Français d’Athènes, dirigé par Jean-Marie Drot accueille Les bonshommes de Gaïtis. À Bruxelles, pour Europalia 82, où la Grèce est à l’honneur, il expose au Palais des Congrès aux côtés de Christos Caras, John Christoforou, Alecos Fassianos et Alkis Pierrakos. En parallèle de l’exposition, Gaïtis organise un défilé dans les rues de la ville, composé d’un cercueil et d’hommes vêtus du costume des bonshommes. À l’occasion de «Expo Arte 82» à Bari en Italie, il fait la connaissance du critique d’art Giuliano Serafini avec qui il entame une relation amicale et professionnelle. En 1983, une rétrospective lui est consacrée dans le grand magasin Minion à Athènes: Gaïtis chez Minion. «[…]. Cela m’intéresserait de faire mon exposition rétrospective pour célébrer mes quarante ans dans la peinture chez Minion par exemple. Là où me verra l’homme de la rue, le grand public. C’est-à-dire ceux à qui je m’adresse et pour qui j’ai toujours peint.» La galerie Exoni à Glyfáda ouvre ses portes avec Les objets de Yannis Gaïtis. Des étendards, du mobilier composé de chaises, tables, canapés, paravent, sont présentés à côté de miroirs, de cintres et autres objets, tous inspirés du bonhomme. La dernière série de ses œuvres qui ont pour thèmes des fenêtres, des arbres et des oiseaux est également présentée. Il expose à Bologne à la galerie Asinelli et à Florence à la galerie Aglaïa. Les catalogues sont préfacés par Giuliano Serafini. Il participe en France, au Centre Georges Pompidou à l’exposition Chili, lorsque l’espoir s’exprime.
En novembre 1983, Yannis Gaïtis, malade, part pour New York accompagné de sa fille Loretta et d’Annie Costopoulou. Avant leur départ, Gabriella vient à Athènes auprès de lui puis regagne sa solitude parisienne, où elle réalise des collages à valeur d’ex-voto pour éloigner le mal de Yannis. Une exposition rétrospective de son œuvre est en préparation à la Pinacothèque Nationale d’Athènes. Depuis New York, il dessine les constructions monumentales destinées à l’exposition. Pour exorciser sa maladie, il réalise une série d’autoportraits au feutre: il se dessine dans un jet unique, rapide et précis.
Dans un élan nostalgique, il se redessine jeune: c’est l’unique portrait qui ne nous regarde pas. Yannis sent que la fin est proche et rassemble ses dernières forces, avant que la cigarette dont il ne se départissait pas, ait finalement raison de lui. De retour de New York, il assiste, à la galerie Exoni, à la signature de son livre Dans les fonds de la mer Égée, une collaboration avec l’écrivain Dimitris Dilinos et tourne, fatigué par la maladie, un film consacré à son œuvre avec Georges Sgourakis, producteur de la série Monogramma pour la chaîne de télévision Ert-2.
À la Pinacothèque Nationale d’Athènes, se tient la rétrospective de son œuvre. Gaïtis visite l’exposition – que sa fille Loretta, architecte, aidée de Gavrilos Michalis, met en place avec respect et amour – avant l’inauguration qui a lieu le et à laquelle il ne pourra assister. Athènes qui, dès les années 1970 a reconnu son talent, découvre toute l’ampleur de son œuvre, Gaïtis peut maintenant se retirer, apaisé. Il meurt le dimanche . Mélina Mercouri, ministre de la culture, organise des obsèques nationales. En hommage à Yannis Gaïtis, le film de Georges Sgourakis, sera projeté à la télévision grecque au mois de .
Après un examen historique, on peut considérer Yannis Gaïtis (1923-1984) comme étant l’artiste-paradigme du renouvellement artistique hellénique d’après-guerre. Il l’est de par sa génération, les circonstances socio-culturelles, sa versatilité de langage ; sans oublier l’“exil” parisien qui, pendant les années 1950, en a fait un protagoniste de la diaspora de ses co-nationaux dans la capitale française. Et c’est justement à Paris que Gaïtis élabore ce sentiment du nostos (“retour” en grec ancien), qui veut dire s’acquitter de sa dette avec ses propres racines.
Dans son code génétique, il y a bien sûr l’atavisme insulaire – son père est originaire de Tinos – mais son éducation sentimentale est tout athénienne. Famille nombreuse de la petite bourgeoisie, tempérament énergique et rebelle, une grande indulgence autour de lui. Aptitude précoce au dessin, il se retrouvera tout naturellement à l’Ecole des Beaux-Arts. La bénédiction familiale est assurée, bien qu’autour de l’idylle de la vocation il y ait la tragédie de la Grèce occupée, l’engagement dans la résistance, auquel fera suite, jusqu’en 1949, la guerre civile qui saigne le pays à blanc.
Dans cette école règne Constantinos Parthenis, éminente figure de l’art néo-hellénique qui, après la trilogie de la génération précédente composée par Ghysis, Volanakis et Lytras, à son tour débitrice de l’académisme de l’Ecole de Münich, répand en Grèce le germe posthume de la modernité : post-impressionnisme et cubisme surtout. Pour Gaïtis, Paris est déjà une tentation…
Texte de Giuliano Serafini
C’est donc sous l’égide de Parthenis que, à partir de 1942, Gaïtis entendra indirectement parler des avant-gardes européennes, lorsque dans sa patrie persistent encore les modèles de ce qu’on appelle la Génération des années 1930 (Kondoglou, Engonopoulos, Pikionis, Papaloukas, Moralis, Tsarouchis), champions d’une innovation qui n’entend pas faire abstraction de cet orgueil ethnique où le mythe de la “grécité” s’était profondément identifié.
Parthenis, avons-nous dit, mais on compte également des intellectuelles comme Neoclis Koutouzis et plus tard Anghelos Procopiou, qui à Paris avaient eu l’occasion d’approcher les grandes avant-gardes et deviennent les gourous les plus influents de Gaïtis, fréquentant la maison de la rue Mavromateon. Une maison qui deviendra un centre de rassemblement de l’intelligentsia d’Athènes la plus affranchie et désireuse de changement.
Si l’on pense que ce n’est qu’en 1949, grâce à une donation publique faite par la France à la Grèce, que Gaïtis pourra voir en vrai les premiers Picasso, Matisse, Braque, Dufy, Bonnard, Laurens et Masson, il est clair que les suggestions de l’artiste en herbe se basent sur le bouche à oreille de ces maîtres trouvés en dehors des lieux institutionnels de l’art. Dès lors Gaïtis sent que la véritable école réside dans l’échange humain et complice, et que le risque fait partie du jeu, inévitablement. Les trois expositions qui se sont tenues en 1945, 1946 et 1947 au cercle littéraire Parnassos, le confirmeront. Le scandale provoqué par un langage pictural quasiment inédit pour le public athénien, marque le début d’un parcours d’art qui est aussi un défi, une déclaration de guerre à l’état des choses de l’art dans son pays.
Les “pères” sont nombreux et tous reconnaissables, mais la main “ose” sans s’abandonner à aucun hédonisme formel. Dans cette peinture des débuts, il y a une virulence indécise entre la candeur et la brutalité. Bien sûr, l’artiste s’exerce sur Cézanne et Van Gogh, (cat, 1, 9, 18, 24)[1], dans une confrontation plus velléitaire qu’émulsive, tandis que la couleur s’allume dans un à-plat de matière chromatique pure où nous retrouvons la violente palette fauve de Derain et Vlaminck (cat. 9,13)[1] .
C’est la figure humaine qui domine presque de manière exclusive. Et lorsque c’est l’artiste qui se met face au miroir, la confession (cat. 18,22,28,43) a un goût de sensualité effrontée et d’auto-ironie. Gaïtis nous cligne de l’œil, commence à chercher des consensus. Mais il ne s’agit pas de narcissisme. En démentant Oscar Wilde, il sait que l’art ne pourra jamais se passer de la vie.
La forte simplification plastique et la coupure de la figure vue en demi-buste sont le leitmotiv de ces premiers travaux. Si l’on remarque encore un naturalisme général dans sa manière de rendre la figure et les physionomies (cat.32, 36,42)[1], il est surprenant de voir que pendant ces trois mêmes années s’annoncent en succession rapide, et parfois en s’alternant sans solution de continuité, des tournures nouvelles et plus ambitieuses. C’est un engorgement de symptômes et de tentations que Gaïtis semble dominer avec peine. “L’art n’est jamais innocent”, a écrit Eleni Vakalò.
Texte de Giuliano Serafini
C’est ainsi que s’annonce le Gaitis “extrême”, si l’on veut reprendre la dénomination donnée, en 1949, au groupe des “Akreï” (“extrêmes”, justement) fondé avec Condopoulos, récemment de retour de Paris, Aperghis, Maltezos (en), Lameras, Antypa, Chytiris et Gavriélla Símossi, qui en 1954 deviendra son épouse.
Il était presque évident que son adhésion à la “modernité”, la “vraie”, l’européenne, passe sur le corps des deux courants qui avaient le plus révolutionné les certitudes esthétiques du XXe siècle.
Pour Gaïtis, c’est certainement l’heure de Dionysos. Il se rend compte que, comme l’a écrit Kandinskij, “l’art commence là où la nature se termine”. Et qui, plus que les cubistes et les surréalistes était allé “contre nature” dans l’imagination et l’accomplissement de l’œuvre ? Le réveil de la mariée (1946) (cat.53) et Portrait de Marianna Koutouzis (cat.84) sont parmi les essais plus réussis de Gaïtis néo-cubiste. Et si la décomposition prismatique de l’image se résout encore en une synthèse équilibrée, “classique”, l’anti-naturalisme déstructurant du cubisme revient de manière explicite jusque dans le registre chromatique qui s’éteint dans la gamme des gris et des terres (cat.72, 75, 77, 87)[1]. Gaïtis procède en tous cas, comme l’a écrit Jacques Laval, en “évolution instinctive” , il “corrige” un style historique qui se fonde par contre sur l’élaboration méditée des plans picturaux et des volumes en un troisième et quatrième espace.
On le doit à ce paroxysme expérimental si, vers la fin des années 1940, l’artiste empiète sur un no man’s land où la forme va du géométrisant à l’ellyptique et au curviligne. Regardons Fuseau (cat.89) et Moments d’angoisse (cat.92)[1] mais aussi toute une riche production de la même époque (cat.107, 109, 112, 114, 128, 134)[1] où la déformation de la figure humaine évolue en un tourbillon délirant de tentacules et de prothèses monstrueuses, avec Dalì, Ernst et Masson faisant fonction de dieux protecteurs, bien qu’avec une certaine virtuosité inventive, le grotesque sait se fondre en un chiffre ludique et même parodistique.
Il faut alors rappeler que, comme l’a déjà annoncé Cézanne, la dimension du cubisme se base sur la simultanéité du regard, engageant in primis la perception de la rétine, tandis que celle du surréalisme exige l’implication de l’inconscient et de l’évasion fantastique.
Comment dire que la contamination convient à Gaitis. Indifférent à l’inconciabilité de poétique des deux mouvements, il devine et résout leur synthèse, un cas tout à fait anormal dans la “logique” de la conscience esthétique du temps (avant lui seul Picasso avait essayé).
Il en est de même pour la sculpture, épisode intense et bref qui autour de 1948 voit Gaïtis aux prises avec des matériaux pauvres, comme le plâtre – un rappel sans doute ancestral à ses origines cycladiennes – et le fil de fer. Il s’agit d’œuvres de petites et de moyennes dimensions (cat.150, 158, 168, 170, 174, 175 , 181)[1], qui confirment encore un paradoxe : c’est-à-dire que pour Gaïtis des disciplines différentes peuvent devenir interchangeables : là où la sculpture devient peinture “traduite” dans la troisième dimension, comme la peinture s’approprie de la consistance volumétrique et “tactile” de la sculpture.
Nous sommes au début des années 1950, pour la peinture il faut signaler le splendide Portrait de Gavriélla Símossi (cat.232) qui conjugue la métaphysique de De Chirico et le verbe cubiste. Un verbe qui, même s’il est converti à la géométrie plus rigoureuse et constructive, est confirmé dans une série de travaux qui précèdent immédiatement l’exode parisien (cat.235, 239, 241)[1], exposés en 1954 à la galerie Kentrikon avec la sculpture, lors de l’exposition des “adieux”.
Texte de Giuliano Serafini
Si cubisme et surréalisme ont constitué pour Gaïtis le passage nécessaire pour liquider l’impasse de la figuration, le transfert à Paris de 1954 marque le point de démarcation décisif de son parcours d’artiste.
C’est maintenant, et personnellement, qu’il peut vérifier cette modernité pourchassée comme un objectif mobile. Ce qui veut dire se plonger dans une dimension “autre”, tout comme “autre” avait été la définition donnée par le critique parisien Michel Tapié à l’art de la dernière Ecole de Paris”. ”Autres” sûrement devaient sembler aux yeux de l’inconnu grec de trente ans les Wols, Fautrier, Dubuffet, Hartung, Soulages, Mathieu, De Staël qu’il allait espionner dans les galeries du Boulevard Saint-Germain et de Montparnasse et que la nuit il copiait, les défaisant le matin suivant : pour s’exercer, comprendre et surtout “apprendre”, selon ses propres mots.
Dans l’exaltation du moment il sait qu’il doit récupérer un retard important et que depuis Paris sa renommée de révolutionnaire dans sa patrie devient un souvenir pathétique. La très vaste production non datée s’explique ainsi, mais elle se réfère probablement à toute la deuxième moitié des années Cinquante, où Gaïtis traverse avec acharnement même affiché toutes les hypothèses du langage aniconique.
Pendant cette première saison parisienne domine la volupté de vouloir faire, dans le mépris le plus absolu de la “belle” peinture, celle qui séduit l’œil et le marché. Le rendu pictural est sommaire, le style discontinu. On va des bandes à tasseaux structurées fermant l’espace de la toile horizontalement et verticalement (cat.262, 266)[1] au graphisme dense et électrique en noir et blanc avec le signe qui devient un pur automatisme psychique, (cat.301,307, 329, 335, 347)[1]; pour passer à la leçon jamais écoutée de Heidegger et de Husserl, prophètes de l’existentialisme et de la phénoménologie : et nous sommes à Riche Terre, à la matière-mère (cat. 406,408, 445, 481 508)[1].
Mais bien vite revient l’euphorie gestuelle devenue désormais expressionnisme abstrait, mémoire d’une émotion qui est passée (cat.469, 526, 554, 569, 579, 591, 602). Et si les dettes culturelles peuvent se discerner avec une certaine fiabilité - Vieira da Silva. Mathieu, Fautrier. Wols et Hartung - Gaïtis est en train de s’apercevoir que l’objectif – l’œuvre parfaitement accomplie - s’éloigne de plus en plus. Ce qui compte finalement, comme le suggère le poète son compatriote Kavafis en Ithaque, c’est le parcours, qui doit être long et sans attentes héroïques. En définitive, c’est le sentiment de l’inachèvement dans cette phase de travail de Gaïtis. En attendant, les co-nationaux continuent d’affluer à Paris : Takis, Thodoros, Pavlos Danylopoulos, Tetsis, Fassianos e Makris, suivis peu de temps après par Nikos Kessanlis et Tsoclis.
Texte de Giuliano Serafini
L’indifférence à insister sur un moment créatif déterminé – stratégie forcée pour tout artiste qui voudrait se rendre presque reconnaissable - continue à pénaliser la carrière de Gaïtis.
C’est le début des années 1960 lorsque l’artiste admet entrevoir sur les couches de la matière picturale un grouillement d’excroissances qui semblent vouloir émerger ; de même dans la congestion des graffitis abstraits il devine une agitation de la vie à l’état évolutif le plus élémentaire. Mais il ne s’agit pas de suggestions, il y a une nécessité au sein de ces symptômes. On dirait que, selon un processus nettement métonymique, Gaïtis décide que la renaissance de l’image doit se manifester comme naissance de vie.
Hésitant encore entre le signe et le morphème, entre le geste et l’icône, une figurine embryonnaire se présente à son horizon pictural. Elle le fait avec pudeur et méfiance, décidée en tout cas à survivre et à se multiplier. Ce que l’artiste est en train de mettre en scène est une sorte d’entomologie du profond (cat.615, 617, 621, 631, 634, 642)[1].
À partir de son état de larve, l’image progresse petit à petit jusqu’à ce qu’elle prenne des caractères zoomorphisques, (cat-.645, 649, 651, 655)[1] : c’est un petit être entre l’insecte et l’oiseau qui s’hybride avec des formes de plus en plus évoluées, au fur qu’elle augmente en nombre.
On parvient ainsi à une foule vaguement anthropomorphe (cat.709, 715, 723, 739,741, 747,751,761, 813)[1]. qui remplit une sorte de petits théâtres où elle est à la fois protagoniste et spectatrice. Encadrée comme dans les prédelles des icônes byzantines, elle exhibe son habitat : et il apparaît des chevaux, des chèvres, des chats, des bicyclettes, de petits bateaux, de moyens de transport rudimentaires. L’allégorie du début se manifeste comme un divertissement pyrotechnique, un épisode de non engagement au sein d’un parcours créatif complexe et tourmenté.
Mais le micro-cosmos féerique est de courte durée. Au milieu de cette multitude insignifiante se fraie un chemin une figure à l’identité plus marquée, représentée à plus grande échelle, comme si elle voulait suggérer un rôle privilégié, centralisateur, voire autoritaire. Dans ce cas aussi il s’agit d’une physionomie en devenir : tout juste un masque informe avec des yeux énormes, qui se distingue de la masse car il porte un chapeau (cat.842), attestant la classe sociale, quasiment une promotion de rang que l’artiste lui a accordée…
Texte de Giuliano Serafini
C’est ainsi que s’annonce l’ancêtre de l’anthropaki (“bonhomme”). Et au moment où son aspect va se précisant dans la physionomie et le comportement (cat.849, 851, 877, 889, 911, 920, 925, 926, 931, 944, 961, 962, 966), révélant des appétits explicitement ludiques et érotiques, le message de Gaïtis devient de plus en plus déchiffrable et prend le ton de la parabole. A travers un langage pseudo-naïf, l’artiste est en train de représenter la métaphore de sa contemporanéité avec ses aberrations, ses aliénations et surtout sa solitude. Ce sont les années de McLuhan et de Marcuse. Aux Etats-Unis, le pop art stigmatise hypocritement la société de consommation, la massification culturelle, l’uniformité des habitudes métropolitaines. En tant qu’Européen, et surtout en tant que Grec qui retourne au bercail, Gaïtis répond à ce tournant historique avec un esprit de funambule, de rêveur, d’authentique narrateur par images. Et surtout il le fait en donnant une réponse à sens unique.
Le fait est qu’il a enfin trouvé “son” icône, celle qu’il n’abandonnera plus et qui, avant d’être un cliché, est le signe d’un alphabet idéographique à élaborer sans limites, comme une véritable écriture. L’anthropaki peut donc élargir son champ d’action dans un répertoire illimité d’exploits, de provocations, de coups de théâtre et de rébus visuels. Sans oublier l’actualité qui est devenue de l’histoire, celle dont, de 1967 à 1974 la Grèce verra au pouvoir la Dictature des colonels. Obsession sous forme de stéréotype, - nous sommes à présent dans les années 1970 - l’anthropaki plaisante avec austérité et s’acharne avec légèreté. Son image est plate et héraldique, le signe absolument graphique, la couleur typographique. Le monde de Gaïtis devient un monde à deux dimensions (cat.991, 994, 997, 1001, 1006, 1011, 1013, 1019, 1026)[1], pour que le portrait de l’humanité qui l’habite s’avère le moins humain possible, pour qu’il ne reste rien de la consistance spirituelle, morale, sociale.
Car il en est ainsi, et ainsi en est-il devenu. Le succès de la carrière de Gaïtis, désormais national et international, devient en quelque sorte le “prix” de cette révélation amère. Silhouette rigide de mannequin, costume anthracite à fines rayures blanches et chapeau melon – son “uniforme” – dans sa stylisation toujours plus abstraite et incisive l’anthropaki devient ainsi le symbole triomphant d’une perte. Gaïtis travaille sur cette absence, en quelque sorte pour l’exorciser. C’est pour une sorte d’horror vacui qu’il peint des barrières, des haies, des totems, des armées d’anthropakia devenus des éléments structurels et architecturaux qui “construisent” l’image finale (cat.1129, 1132,1136, 1142, 1146, 1202, 1413, 1424, 1426, 1444,1452, 1484,)[1].
Avec une ironie froide il parvient à contaminer les lieux sacrés du mythe (cat. 1494, 1504, 1527)[1], à condition de ne pas succomber au malaise d’une civilisation qui ne peut plus nous promettre ni espoir ni avenir.
Il s’agit au fond d’une apocalypse joyeuse, où, par procuration de ses anthropakia, Gaïtis nous dit que seul l’art a un pouvoir consolatoire et salvateur. Comme Nietzsche l’a écrit, “Nous n’aurons que l’art pour ne pas mourir de vérité”.Et même lorsque, s’enfuyant de la toile devenue trop étroite pour lui, l’anthropaki devient une sculpture faite de profils peints sur bois et occupe de complexes installations-happening aux dimensions de plus en plus monumentales et de plus en plus technologiques, envahissant les rues, les places, les théâtres, les grands magasins pour se confronter avec la vraie humanité, avec le public, avec la vie, sa nouvelle condition d’ “objet” ne produit aucune contagion conceptuelle, ni d’avancement sémantique : l’anthropaki reste un robot à deux dimensions multiplié à l’infini, il n’existera que comme pure quantité numérique.
Si l’on est anthropakia, telle est la confession extrême de Gaïtis, on reste prisonniers de l’artifice de la création, condamnés à servir de sentinelle à un humanisme jamais atteint (cat. 1038, 1076, 1085, 1105, 1118, 1240, 1241, 1371, 1373, 1395, .1618, 1689,1693,)[1].
Texte de Giuliano Serafini
Depuis toujours passionné de théâtre, Gaïtis dessine en 1950 des scènes et des costumes pour Le mariage de Figaro de Beaumarchais aménagé à l’Institut Français d’Athènes. Douze ans plus tard il reprendra cette expérience en réalisant pour le théâtre Verghi, un des “sanctuaires” de l’avant-garde grecque, des scènes et des costumes du Balcon de Jean Genet, une pièce en odeur d’obscénité et de blasphème, comme toute l’œuvre du plus “maudit” des écrivains de cette époque. Le sujet est une allégorie tragique, surréelle de la condition humaine à laquelle l’auteur enlève sadiquement toute possibilité de rédemption. L’action se déroule dans une maison de plaisir où les clients décident d’entrer dans des rôles institutionnels pour oublier la révolution qui est en train d’éclater au dehors et qui bientôt les balaiera tous. Il y a le Général, l’Evêque et le Juge. Mais il y a aussi le Chef de la Police qui dans un délire de puissance s’attribue le rôle du tyran absolu. Gaïtis joue la carte du grotesque et du caricatural en exaspérant dans les costumes tous les oripeaux et la rhétorique du pouvoir – médailles, galons, panaches et toges – jusqu’à transformer les personnages de Genet en fantoches pathétiques et sordides. Et pour une histoire où tout peut arriver d’un moment à l’autre et où le risque imminent se transforme en tension claustrophobique, la scène devient la projection des fantasmes de ses protagonistes. Ce sont des décors à la perpendiculaire précaire et à la stabilité suspecte, des structures élémentaires superposées et disjointes dans des perspectives sans fond et qui pourraient rappeler des stylèmes de la scénographie expressionniste allemande.
Texte de Giuliano Serafini
Pas professionnelle dans le sens strict, l’activité de Gaïtis “architecte” doit être considérée comme un autre chapitre de sa versatilité d’artiste. On compte deux projets qui l’ont impliqué dans ce secteur, et ce n’est pas par hasard si cela s’est déroulé dans les lieux de l’appartenance atavique : les Cyclades, notamment dans l’île d’Ios, au nord de Santorin. La première maison, commencée en 1964, est celle de Jean-Marie Drot, écrivain et cinéaste français et grand passionné de l’œuvre de Gaitis. La deuxième, la sienne, qui suivra en 1972, lui fait face dans la baie d’Aghios Yannis, une des toiles de fond de paysages les plus extraordinaires de l’île. Avant même d’être une habitation entendue comme lieu individuel à vivre conformément aux besoins du propriétaires, Gaïtis a voulu rendre hommage dans le sens plastique et conceptuel, à la morphologie géniale et spontanée du village égéen, faite de regroupements de construction sans solution de continuité, où l’extérieur et l’intérieur ne sont plus des secteurs conçus comme des unités autonomes et fonctionnellement séparées. Bref, l’artiste n’a pas cherché, mais “trouvé” in situ l’idée constructive, et sans jamais s’abandonner au folklore, justement grâce à sa connaissance “génétique” de l’habitat égéen. Il en dérive que les deux habitations se présentent en elles-mêmes comme des micro-villages, aux modules structurels essentiellement cubiques (Gaïtis soutenait que le cubisme avaient été inventé par les maçons de Cyclades), avec la splendeur éblouissante d badigeonnage blanc à la chaux, le plan irrégulier suivant la dénivellation du terrain rocheux, les arcades s’ouvrant sur l’horizon marin, les escaliers qui deviennent des sentiers de jonction des diverses zones résidentielles. Et sur le tout, le thème conducteur graphique des carreaux en mica profilé de blanc du carrelage. Si pour la maison de Drot, Gaïtis a trouvé des solutions à l’effet scénographique spectaculaire – avec le pigeonnier qui la fait ressembler à un château méditerranéen et les sculptures en ciment blanc de Gavriélla Símossi – pour la sienne il a identifié dans la complexe et sévère conformation à grandes marches son concept de construction fondamental.
Texte de Giuliano Serafini
L’invention de l’anthropaki, qui remonte à la fin des années 1960 et constituera le thème absolu d’inspiration de son travail, a permis à Gaïtis des variantes heureuses et des expérimentations parallèles étendues à ce qu’on appelle les arts mineurs. On est alors obligés de se rattacher à la sculpture de la dernière période, aux installations et aux constructions en bois, aux anthropakia ailés en équilibre sur des monocycles, ou devenus des totems pivotants au profil double et quadruple ; également aux chorégraphies bondées et symétriques de guerriers, aux chars de guerre inoffensifs, aux balançoires et aux sarcophages ; bref, à l’œuvre unique, celle qui est destinée à la galerie et au musée. En passant par cette dimension “élevée” consacrée par l’histoire de l’art (mais aussi par des habitudes académiques discriminantes), à celle de la vie, du quotidien, Gaïtis ne fait qu’accomplir une œuvre de dédramatisation : c’est-à-dire qu’il passe de l’art ”majeur”, à l’art en version utilitaire, qui ensuite devient l’objet industriel à reproduire en série et à mettre à la portée de tous. Si, au niveau idéologique, l’air du temps est celui du pop art qui entend banaliser l’œuvre d’art en prenant comme sujet des produits à consommer ou en tout cas d’usage commun, Gaïtis ne “représente” pas mais réalise matériellement l’objet, le rend utile et praticable. Ce sont des meubles et des éléments d’ameublement – des tables, des chaises, des divans, des paravents, des lits, des coiffeuses - où le dessin, les matériaux et les couleurs ramènent invariablement à la formule “classique” de l’anthropaki. C’est comme si on disait que chez le disigner Gaïtis le processus de prolifération de l’anthropaki se re-signifie dans la prolifération du multiple et de la production sérielle. Sa silhouette immuable cherche en quelque sorte de la confidence, la confrontation humaine, rentre à part entière dans notre habitat privé et social. Ce rapport se fait encore plus confidentiel et intime lorsque l’anthropaki devient l’objet de service minimum et même de jouet : tirelires, serre-livres, cintres, couvertures, fausse boite de conserve, puzzles. Il ne manquera même pas la mode lorsqu’en 1982, en collaboration avec le styliste Yannis Tseklenis, Gaïtis réalise une collection s’inspirant de ses propres patterns graphiques.
Texte de Giuliano Serafini
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