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conception du bien commun développée depuis la fin du XXe siècle De Wikipédia, l'encyclopédie libre
Le développement durable, parfois qualifié de développement soutenable par anglicisme (sustainable development), est une conception du développement qui s'inscrit dans une perspective de long terme et en intégrant les contraintes environnementales et sociales à l'économie. Selon la définition donnée dans le rapport de la Commission mondiale sur l'environnement et le développement de l'Organisation des Nations unies, dit rapport Brundtland, où cette expression est apparue pour la première fois en 1987, « le développement durable est un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs ».
Cette notion s'est imposée à la suite de la prise de conscience progressive, depuis les années 1970, de la finitude écologique de la Terre, liée aux limites planétaires à long terme. La notion fait toutefois l'objet de critiques, notamment de la part des tenants de la décroissance, pour lesquels cette notion reste trop liée à celle de la croissance économique, mais aussi de la part de ceux qui y voient un frein au développement.
Dix-sept objectifs de développement durable ont été définis en 2015 par l'Organisation des Nations unies (ONU).
La première définition du développement durable apparaît en 1987 dans le rapport Brundtland[N 1] publié par la Commission mondiale sur l'environnement et le développement[2] :
« Le développement durable est un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs. Deux concepts sont inhérents à cette notion :
- le concept de « besoins », et plus particulièrement des besoins essentiels des plus démunis, à qui il convient d'accorder la plus grande priorité, et
- l'idée des limitations que l'état de nos techniques et de notre organisation sociale impose sur la capacité de l'environnement à répondre aux besoins actuels et à venir. »
En 1991, Ignacy Sachs propose une définition proche de ce qu'il nomme l'écodéveloppement : « développement endogène et dépendant de ses propres forces, soumis à la logique des besoins de la population entière, conscient de sa dimension écologique et recherchant une harmonie entre l'homme et la nature »[3],[4].
Parmi les besoins essentiels, représentés par la pyramide des besoins de Maslow, figurent en premier lieu les besoins indispensables à l'être humain en tant qu’élément de base vivant dans un environnement défini, que l'on appelle les besoins primaires ou physiologiques. Parmi ceux-ci figure notamment le besoin de se reproduire, qui établit pour les individus une filiation et assure de la sorte le renouvellement des générations[N 2].
Face à la crise écologique et sociale qui se manifeste désormais de manière mondialisée (réchauffement climatique, raréfaction des ressources naturelles, pénuries d'eau douce, rapprochement du pic pétrolier, écarts entre pays développés et pays en développement, sécurité alimentaire, déforestation et perte drastique de biodiversité, croissance de la population mondiale, catastrophes naturelles et industrielles), le développement durable est une réponse de tous les acteurs (États, acteurs économiques, société civile), culturels et sociaux, du développement. Tous les secteurs d'activité sont concernés par le développement durable : l'agriculture, l'industrie, l'habitat, l'organisation familiale, mais aussi les services (finance, tourisme, etc.).
Il s'agit enfin, en s'appuyant sur de nouvelles valeurs universelles (responsabilité, participation écologique et partage[N 3], principe de précaution, débat[5]) d'affirmer une approche double :
Le premier à avoir révélé la dimension multi-dimensionnelle et systémique des problèmes de notre époque est l'économiste français René Passet dans un ouvrage devenu classique : L'économique et le vivant (1979)[6].
Les experts distinguent habituellement trois domaines de durabilité, qui sont l'environnemental, le social et l'économique. Plusieurs termes sont en usage pour ce concept. Les auteurs peuvent parler de trois piliers, dimensions, composantes, aspects, perspectives, facteurs. Les trois piliers apparaissent dans l'Agenda 21 défini à la Conférence des Nations unies sur l'environnement et le développement dite « sommet de la Terre de Rio » en 1992[7] :
« Les pays pourraient élaborer des systèmes de surveillance et d'évaluation des progrès accomplis dans le sens d'un développement durable, en adoptant des indicateurs qui permettent de mesurer les changements dans les domaines économique, social et environnemental. »
L'idée d'une durabilité avec trois dimensions est une interprétation dominante dans la littérature. Elle est confirmée par une résolution adoptée par les Nations unies au sommet mondial de 2005[8] :
« Nous réaffirmons que le développement est un objectif essentiel en soi et que le développement durable dans ses dimensions économiques, sociales et écologiques constitue un élément fondamental du cadre général de l’action de l’Organisation des Nations Unies. »
L'objectif du développement durable est de définir des schémas viables qui concilient ces trois aspects des activités humaines : « trois piliers » à prendre en compte par les collectivités comme par les entreprises et les individus[9]. La finalité du développement durable est de trouver un équilibre cohérent et viable à long terme selon ces trois aspects.
Les économistes Ballet Jérôme, Bazin Damien et Mahieu François-Régis estiment que ces 3 domaines (ou piliers) ont des imbrications spécifiques[10]. Ces auteurs ont montré que le développement soutenable peine à exister en tant que réelle alternative au modèle économique standard car le pilier social est considéré comme une interface entre les piliers économique et environnemental. Depuis les écrits de Amartya Sen et la notion de capabilité, il est admis que la soutenabilité sociale prime sur les deux autres piliers (économiques et environnementaux)[11]. Tenir compte de la dimension sociale comme une dimension à part entière permet de repenser la redistribution, la protection et la précaution sociale.
Pour les entreprises, en anglais, on parle des 3 P, « People, Planet, Prosperity », pour désigner ces trois piliers : People pour le social, Planet pour l'environnement, et Prosperity (ou Profit) pour l'économie. Ils sont associés à la notion de triple performance des entreprises (triple bottom line en anglais)[12].
L'analyse extra-financière de la performance des entreprises s'appuie sur les deux piliers environnemental et social, auquel s'ajoute un pilier indispensable à la mise en œuvre de stratégies de développement durable : la gouvernance. Ces trois piliers constituent les critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG)[13], le pilier économique étant pris en compte par la comptabilité classique.
La gouvernance consiste en la participation de tous les acteurs (citoyens, entreprises, associations, élus…) au processus de décision ; elle est de ce fait une forme de démocratie participative. Ainsi, plusieurs pays d'Afrique ont adopté des plans socio-économiques impliquant les collectivités locales via des moyens de production autonomes[14]. Selon les termes du rapport Brundtland (1987), « le développement durable n'est pas un état statique d'harmonie, mais un processus de transformation dans lequel l'exploitation des ressources naturelles, le choix des investissements, l'orientation des changements techniques et institutionnels sont rendus cohérents avec l'avenir comme avec les besoins du présent »[15].
L'expression sustainable development, traduite par développement durable, apparaît dans la littérature scientifique au début des années 1980 (voir par exemple, les articles par Vinogradov ou Clausen de 1981), et pour la première fois dans une publication destinée au grand public en 1987 dans le rapport intitulé Our Common Future (Notre avenir à tous) de la Commission mondiale pour le développement et l'environnement de l'Organisation des Nations unies rédigé par la Norvégienne Gro Harlem Brundtland.
Une controverse sémantique portant sur la question de savoir s'il fallait parler de développement durable ou soutenable a existé depuis la deuxième traduction en français où l'éditeur canadien a traduit sustainable par le mot français soutenable[N 4].
Les tenants du terme « durable » plutôt que du mot « soutenable » insistent sur la notion de durabilité définie comme cohérence entre les besoins et les ressources globales de la Terre à long terme, plutôt que sur l'idée d'une recherche de la limite jusqu'à laquelle la Terre sera capable de nourrir l'humanité. Cependant, la traduction du terme par soutenable, plutôt que durable, peut s'expliquer aussi par de vieilles traces du mot en langue française. En effet, on trouve le mot soutenir employé dans une optique environnementale dès 1346, dans l'ordonnance de Brunoy, prise par Philippe VI de Valois, sur l'administration des forêts, recommandant de les « soutenir en bon état »[16]. Ainsi, en matière forestière, la notion de forêt cultivée soumise à une exigence de soutenabilité, un renouvellement perpétuel de la ressource, capable d'approvisionner une flotte navale[N 5], existe en France depuis plus de six siècles.
L'émergence du concept de développement durable remonte au début du XXe siècle. L'idée d'un développement pouvant à la fois réduire les inégalités sociales et réduire la pression sur l'environnement a fait son chemin. Nous pouvons en retracer quelques jalons majeurs :
La révolution industrielle du XIXe siècle introduit des critères de croissance essentiellement économiques, principal critère aisément mesurable : ainsi le produit intérieur brut dont l'origine remonte aux années 1930 est souvent vu comme l'indicateur de la richesse d'un pays. Des corrections ont été apportées dans la deuxième moitié du XXe siècle sur le plan social, avec d'importantes avancées sociales. L'expression « économique et social » fait depuis partie du vocabulaire courant.
Mais les pays développés ont pris conscience depuis les chocs pétroliers de 1973 et de 1979 que leur prospérité matérielle reposait sur l'utilisation intensive de ressources naturelles finies, et que par conséquent, outre l'économique et le social, un troisième aspect avait été négligé : l'environnement (comme dans l'exemple de l'impact environnemental du transport routier). Pour certains analystes[45], le modèle de développement industriel n'est pas viable ou soutenable sur le plan environnemental, car il ne permet pas un « développement » qui puisse durer. Les points cruciaux en faveur de cette affirmation sont l'épuisement des ressources naturelles (matières premières, énergies fossiles pour les humains)[N 7], la pénurie des ressources en eaux douces susceptible d'affecter l'agriculture[46], la destruction et la fragmentation des écosystèmes, notamment la déforestation qui se manifeste par la destruction des forêts tropicales (forêt amazonienne, forêt du bassin du Congo, forêt indonésienne)[47], ainsi que la diminution de la biodiversité[48] qui diminuent la résilience de la planète. Surtout, le réchauffement climatique dû aux émissions de gaz à effet de serre liées aux activités humaines, pourrait s'accélérer encore à cause du risque de fonte du permafrost (pergélisol en français), véritable bombe à retardement climatique qui pourrait libérer des quantités considérables de gaz à effet de serre (du CO2, et surtout du méthane), menaçant la survie même de l'espèce humaine[49]. En faisant le pari du « tout technologique » dans l'optimisation de la consommation énergétique et la lutte contre le changement climatique, notre civilisation recourt de façon accrue aux métaux que nous ne savons pas bien recycler. La déplétion de ces ressources pourrait devenir un enjeu mondial au même titre que la déplétion du pétrole[50].
Au problème de viabilité subsiste une pensée humaine à adapter. Ce qui s'ajoute à un problème d'équité : les pauvres subissent le plus la crise écologique et climatique[51], et il est à craindre que le souhait de croissance des pays les moins avancés ou en développement vers un état de prospérité similaire à celui des pays les plus développés, fondé sur des principes équivalents, n'implique une dégradation encore plus importante et accélérée de l'habitat humain et peut-être de la biosphère. Ainsi, si tous les États de la planète adoptaient l'American way of life (qui consomme près de 25 % des ressources de la Terre pour 5 % de la population), il faudrait cinq planètes pour subvenir aux besoins de tous selon l'association écologiste WWF.
À cause des désastres dus au réchauffement climatique - cyclones, montée du niveau de la mer, méga-incendies de forêts, sécheresses récurrentes ou désertification - des millions de personnes sont chassées de leurs villages et sont obligées de partir provisoirement, ou définitivement, en perdant leur maison, leurs troupeaux et leurs récoltes. Ces réfugiés – ou plutôt ces déplacés climatiques, car la plupart ne franchissent pas de frontière – ont été 4,4 millions dans le monde en 2019, 7 millions en 2020, 6 millions en 2021 et 8,7 millions en 2022, selon le Centre de suivi des déplacements intérieurs (IDMC) basé à Genève[52].
Le développement actuel étant consommateur de ressources non renouvelables et considéré par ces critiques comme très gourmand en ressources compte tenu de la priorité donnée aux objectifs patrimoniaux à courte vue, tels que la rentabilité des capitaux propres, voire inéquitable, une réflexion a été menée autour d'un nouveau mode de développement, appelé « développement durable ».
En 2020, les économistes Jérôme Ballet et Damien Bazin plaident pour une meilleure prise en compte du pilier social dans les politiques de développement durable, sur la base de trois critères, la cohésion sociale, l'équité et la sécurité. Ils recommandent la prise en compte de ces critères dans les politiques qui s'intéressent plus spécifiquement à la durabilité environnementale[53].
C'est le philosophe allemand Hans Jonas qui a le premier théorisé la notion de développement durable dans Le Principe responsabilité (1979). Selon lui, il y a une obligation d'existence des générations futures, qui pourrait être remise en cause par la forme qu'a prise le progrès technique à l'époque contemporaine. Il s'agit donc pour les générations présentes de veiller, non aux droits des générations futures, mais à leur obligation d'existence. « Veiller à l'obligation des générations futures d'être une humanité véritable est notre obligation fondamentale à l'égard de l'avenir de l'humanité, dont dérivent seulement toutes les autres obligations à l'égard des hommes à venir »[54]. Le problème du développement durable ne se pose donc pas seulement sous l'angle des droits, mais aussi des obligations et des devoirs.
Les aspects essentiels du développement durable, sur les capacités de la planète et les inégalités d'accès aux ressources posent des questions philosophiques et éthiques.
Hans Jonas avança l'idée selon laquelle le modèle économique de l'Occident pourrait ne pas être viable à long terme s'il ne devenait pas plus respectueux de l'environnement. En effet, Jonas posa l'idée d'un devoir vis-à-vis des êtres à venir, des vies potentielles et « vulnérables » que nous menaçons et il donne à l'homme une responsabilité[55]. Depuis, l'un des thèmes de la philosophie qui interpelle le plus nos contemporains est celui de la philosophie de la nature, qui interroge sur la place de l'homme dans la nature. Ainsi, en 1987, Michel Serres décrit l'homme comme signataire d'un contrat avec la nature[56], reconnaissant les devoirs de l'humanité envers celle-ci. À l'inverse, le philosophe Luc Ferry souligne, dans Le Nouvel Ordre écologique, que l'homme ne peut pas passer de contrat avec la nature et estime que cette vision qui consiste à donner des droits à la nature participe d'une opposition radicale à l'Occident, de nature révolutionnaire et non réformiste, doublée d'un anti-humanisme prononcé.
Jean Bastaire voit l'origine de la crise écologique chez René Descartes selon qui l'homme devait se « rendre comme maître et possesseur de la nature »[57]. Au contraire, la géographe Sylvie Brunel critique le développement durable, car elle y voit une conception de l'homme comme un parasite, et la nature comme un idéal. Or, pour elle, l'homme est souvent celui qui protège la biodiversité, là où la nature est le règne de la loi du plus fort, dans lequel « tout milieu naturel livré à lui-même est colonisé par des espèces invasives »[58].
Sans en aborder tous les aspects philosophiques, le développement durable comporte également des enjeux très importants en matière d'éthique des affaires. André Comte-Sponville entre autres, aborde les questions d'éthique dans Le capitalisme est-il moral ?. Paul Ricœur et Emmanuel Levinas le firent aussi sous l'angle de l'altérité et Patrick Viveret et Jean-Baptiste de Foucauld[59] sur celui de la justice sociale.
Le philosophe français Michel Foucault aborde ces questions sur le plan épistémologique. Il parle de changements de conception du monde, qui se produisent à différentes époques de l'Histoire. Il appelle ces conceptions du monde, avec les représentations qui les accompagnent, des épistémès. Selon certains experts, le développement durable correspondrait à un nouveau paradigme scientifique, au sens que Thomas Kuhn donne à ce terme[60].
La formule « penser global, agir local », employée pour la première fois par René Dubos en 1977, puis par Jacques Ellul en 1980[61], est souvent invoquée dans les problématiques de développement durable[62]. Elle montre que la prise en compte des enjeux environnementaux et sociaux nécessite de nouvelles heuristiques, qui intègrent le caractère global du développement durable. Elle fait penser à la philosophie de Pascal[N 8], plutôt qu'à celle de Descartes, celle-ci étant davantage analytique. En pratique, elle devrait se traduire par des approches systémiques[63]. Elle est très bien illustrée par le concept de réserve de biosphère créé par l'Unesco en 1971.
L'expert américain Lester R. Brown affirme que nous avons besoin d'un bouleversement analogue à celui de la révolution copernicienne dans notre conception du monde, dans la manière dont nous envisageons la relation entre la planète et l'économie : « cette fois-ci, la question n'est pas de savoir quelle sphère céleste tourne autour de l'autre, mais de décider si l'environnement est une partie de l'économie ou l'économie une partie de l'environnement »[64].
Le philosophe français Dominique Bourg estim