Hector Berlioz
compositeur et critique musical français De Wikipédia, l'encyclopédie libre
compositeur et critique musical français De Wikipédia, l'encyclopédie libre
Hector Berlioz (/bɛʁ.ljoz/ en français[1], /'bɛr.ʎo/ en arpitan[2]) est un compositeur, chef d'orchestre, critique musical et écrivain français, né le à La Côte-Saint-André (Isère) et mort le à Paris.
Naissance |
La Côte-Saint-André, Isère (France) |
---|---|
Décès |
Paris 9e (France) |
Activité principale | Compositeur |
Style | Musique romantique |
Activités annexes |
Chef d'orchestre, Critique musical, écrivain |
Lieux d'activité | Paris, Londres, Baden-Baden, Berlin, Brunswick, Dresde, Gotha, Hambourg, Hanovre, Leipzig, Weimar, Vienne, Budapest, Prague, Wrocław, Saint-Pétersbourg, Moscou |
Années d'activité | 1824-1867 |
Formation | Conservatoire de Paris |
Maîtres |
Jean-François Lesueur, Antoine Reicha |
Ascendants |
Louis Berlioz, Joséphine Marmion |
Conjoint |
Harriet Smithson, Marie Recio |
Descendants | Louis Berlioz |
Récompenses | Prix de Rome (1830) |
Distinctions honorifiques |
Officier de la Légion d'honneur, Ordre de l'Aigle rouge de Prusse, Ordre de la Maison ernestine et Ordre du Faucon blanc de Saxe, Croix des Guelfes de Hanovre, Ordre de Hohenzollern |
Œuvres principales
Reprenant, immédiatement après Beethoven, la forme symphonique créée par Haydn, Berlioz la renouvelle en profondeur par le biais de la symphonie à programme (Symphonie fantastique), de la symphonie concertante (Harold en Italie) et en créant la « symphonie dramatique » (Roméo et Juliette).
L'échec de Benvenuto Cellini lui ferme les portes de l'Opéra de Paris, en 1838. En conséquence, l'opéra-comique Béatrice et Bénédict est créé à Baden-Baden en 1862, et son chef-d'œuvre lyrique, Les Troyens, ne connaît qu'une création partielle à l'Opéra-Comique, en 1863. Berlioz invente les genres du « monodrame lyrique », avec Lélio ou le Retour à la vie, de la « légende dramatique », avec La Damnation de Faust, et de la « trilogie sacrée », avec L'Enfance du Christ, œuvres conçues pour le concert, entre l'opéra et l'oratorio.
Faisant souvent appel à des effectifs considérables dans sa musique symphonique (Symphonie funèbre et triomphale), religieuse (Requiem, Te Deum) et chorale (L'Impériale et Vox populi pour double chœur, Sara la baigneuse pour triple chœur), Berlioz organise d'importants concerts publics et crée le concept de festival. Enfin, avec La Captive et le cycle des Nuits d'été, il crée le genre de la mélodie avec orchestre, qui se développe aussi bien en France — où s'illustrent notamment Duparc, Chausson, Ravel et André Jolivet — qu'à l'étranger, avec les cycles de Wagner, Wolf, Mahler, Berg, Schönberg, Richard Strauss et Benjamin Britten.
Toujours en difficultés financières, le compositeur entreprend de présenter lui-même sa musique au cours de vastes tournées de concerts en Allemagne, en Europe centrale et jusqu'en Russie, où sa musique est bien accueillie. Avec son ami Franz Liszt, Berlioz est à l'origine des grands mouvements nationalistes musicaux de la fin du XIXe siècle et du XXe siècle, russes (du Groupe des Cinq jusqu'à Stravinsky et Prokofiev), tchèques (de Dvořák à Janáček) et hongrois (jusqu'à Bartók et Kodály).
Reconnu de son vivant comme un maître de l'orchestration et un chef d'orchestre novateur, Berlioz publie, en 1844, son Traité d'instrumentation et d'orchestration, qui inspire de nombreux compositeurs et demeure un modèle pour les ouvrages traitant du même sujet au XXe siècle, tels ceux de Rimski-Korsakov et de Charles Koechlin.
Éminent représentant du romantisme européen, Berlioz se considérait lui-même comme un compositeur classique[3], prenant comme modèles Gluck, Beethoven et Weber. Sa musique a longtemps fait l'objet de controverses ou de malentendus, principalement en France. C'est en partie pour les dissiper que Berlioz entreprend la rédaction de ses Mémoires, en 1849, et rassemble certains de ses articles et nouvelles, dans des ouvrages aux titres volontiers humoristiques (Les Soirées de l'orchestre, Les Grotesques de la musique, À travers chants).
Il faut pourtant attendre les célébrations du centenaire de sa mort (1969) et du bicentenaire de sa naissance (2003) pour que la valeur artistique et l'importance de son œuvre, ainsi que son rôle déterminant dans l'histoire de la musique, soient enfin reconnus, surtout dans son pays natal, et que l'intégralité de ses partitions majeures soit enregistrée.
La vie de Berlioz a fait l'objet de nombreux commentaires sans nuances : « Quelle vie riche, fine, forte, débordante ! » s'enthousiasme Romain Rolland[4]. « Sa vie fut un martyre[5] », répond André Boucourechliev ; « une suite de catastrophes par lui-même provoquées », selon Antoine Goléa[6] ; une vie « à la fois agitée et tendue, exubérante et crispée[7] » pour Claude Ballif ; « une vie romantique[8] », en somme, selon l'expression de son premier biographe Adolphe Boschot, qui annonce d'emblée « aventures d'amour, suicides, extases, rugissements de douleur, activité fébrile, lutte pour l'argent, misère et ruine, triomphes enivrants, chutes à plat, « volcaniques » aspirations à l'idéal, hantise de la mort, grandes envolées lyriques jusqu'aux sommets du rêve, vieillesse désespérée qui semble l'agonie et le martyre d'un fantôme — vraiment, rien n'a manqué à Berlioz, et pas même les illuminations du génie, pour être le héros le plus représentatif du romantisme français[9] ».
« Je suis né le 11 décembre 1803, à La Côte-Saint-André, très petite ville de France, située dans le département de l'Isère, entre Vienne, Grenoble et Lyon[10]. »
Issu d'une vieille famille de marchands tanneurs du Dauphiné, établis à La Côte-Saint-André dans la plaine de Bièvre depuis le XVIe siècle[11], Hector Berlioz naît le 19 Frimaire An XII, soit le , à cinq heures du soir[12]. Il est le fils du docteur Louis Berlioz, né le , et de Marie-Antoinette-Joséphine Marmion, née le à Grenoble[12].
Le père d'Hector Berlioz, Louis Berlioz est médecin. « Il a toujours honoré ses fonctions en les remplissant de la façon la plus désintéressée, en bienfaiteur des pauvres, plutôt qu'en homme obligé de vivre de son état[13]. ». Il publie des Mémoires sur les maladies chroniques, les évacuations sanguines et l'acupuncture et est à ce titre considéré comme introducteur de l'acupuncture en France.
Ayant envoyé son fils Hector au séminaire à l'âge de six ans pour y entreprendre ses études, il décide de se charger personnellement de son éducation à la fermeture de l'établissement en 1811. Berlioz décrit ainsi son père et l'éducation qu'il en a reçue dans ses Mémoires : « Il est doué d'un esprit libre. c'est dire qu'il n'a aucun préjugé social, politique ou religieux. Pauvre père, avec quelle patience infatigable, avec quel soin minutieux et intelligent il a été mon maître de langues, de littérature, d'histoire, de géographie et même de musique ! […] Combien une pareille tâche, accomplie de la sorte, prouve dans un homme de tendresse pour son fils ! et qu'il y a peu de pères qui en soient capables[13] ! »
Le docteur Berlioz apprend à son fils à jouer du flageolet et à lire la musique. Il lui transmet aussi les rudiments de la flûte. Découvrant les dons de son fils et afin de les encourager, il fait venir de Lyon, en 1817, un maître de musique, Imbert[14], qui enseigne à Hector le chant et la flûte. En 1819, celui-ci est remplacé par Donant[14] qui lui apprend à jouer de la guitare. Mais le docteur refusera que son fils entreprenne l'étude du piano, de crainte qu'il ne soit entraîné trop loin et se détourne de la médecine à laquelle il le destine[14]. Berlioz est promu bachelier ès lettres à Grenoble, le . Son père lui donne alors des cours d’ostéologie dans l'attente de son départ pour Paris (en octobre) où il doit commencer les études de médecine et assister aux cours d'histoire de Lacretelle[15] et de littérature de François Andrieux[15].
Si le docteur Berlioz fut très opposé à la vocation artistique de son fils, à la fin de sa vie il se rapprochera de lui assez sensiblement. À propos du décès de son père, Berlioz écrit : « Mais à l’affection qui existe naturellement entre un père et son fils, s’était ajoutée pour nous une amitié indépendante de ce sentiment, et plus vive peut-être. Nous avions tant de conformité d’idées sur beaucoup de questions....Il était si heureux d’avoir eu tort dans ses pronostics sur mon avenir musical ! A mon retour de Russie, il m’avoua que l’un de ses plus vifs désirs était de connaître mon Requiem[16]. »
La mère de Berlioz est rarement mentionnée dans ses Mémoires. En , le docteur Berlioz ayant autorisé son fils Hector à retourner à Paris étudier la musique pour un certain temps, Berlioz relate l'opposition formelle de celle-ci : « Votre père, me dit-elle, en quittant le tutoiement habituel, a eu la faiblesse de consentir à votre retour à Paris, il favorise vos extravagants et coupables projets ! je n’aurai pas, moi, un pareil reproche à me faire, et je m’oppose formellement à ce départ ! Oui, je m’y oppose, et je vous conjure, Hector, de ne pas persister dans votre folie. Tenez, je me mets à vos genoux, moi, votre mère, je vous supplie humblement d’y renoncer… Et, après un instant de silence : « Tu me refuses, malheureux ! tu as pu, sans te laisser fléchir, voir ta mère à tes pieds ! Eh bien ! pars ! Va te traîner dans les fanges de Paris, déshonorer ton nom, nous faire mourir, ton père et moi, de honte et de chagrin ! Je quitte la maison jusqu'à ce que tu en sois sorti. Tu n’es plus mon fils ! je te maudis ! »… et je dus m’éloigner sans embrasser ma mère, sans en obtenir un mot, un regard, et chargé de sa malédiction[17] ! ».
Une autre anecdote est relatée dans les Mémoires : « Ma mère, qui me taquinait quelquefois au sujet de ma première passion, eut peut-être tort de me jouer alors le tour qu’on va lire. « Tiens, me dit-elle, peu de jours après mon retour de Rome, voilà une lettre qu’on m’a chargée de faire tenir à une dame qui doit passer ici tout à l’heure dans la diligence de Vienne. Va au bureau du courrier, pendant qu’on changera de chevaux, tu demanderas madame F*** et tu lui remettras la lettre. Regarde bien cette dame, je parie que tu la reconnaîtras, quoique tu ne l’aies pas vue depuis dix-sept ans. » Je vais, sans me douter de ce que cela voulait dire, à la station de la diligence. À son arrivée, je m’approche la lettre à la main, demandant madame F***. « C’est moi, monsieur ! » me dit une voix. C’est elle ! me dit un coup sourd qui retentit dans ma poitrine. Estelle !… encore belle !… Estelle !... On prit la lettre. Me reconnut-on ?… je rentrai tout vibrant de la commotion. « Allons, me dit ma mère en m’examinant, je vois que Némorin n’a point oublié son Estelle. » Son Estelle ! méchante mère[18] ! »
Son décès, le , est seulement mentionné à l'occasion de celui de son époux : « Je reçus la nouvelle de la mort de mon père. J’avais perdu ma mère dix ans auparavant, et cette éternelle séparation m’avait été cruelle[16]… ».
Hector est l'aîné d'une fratrie de six enfants, dont deux mourront très jeunes : Louise-Julie-Virginie, née le , morte le [19] et Louis-Jules-Félix, né le [19], mort le [20]. Il sera toujours très attaché à ses deux sœurs, Anne-Marguerite, dite Nanci ou Nancy, née le [19] et qui mourra le [21] — plus encore Adèle-Eugénie, née le [19] et dont la mort, le [22], laissera le compositeur « anéanti » au point d'éclater en sanglots lorsqu'il revoit son portrait dans le salon de son beau-frère à Vienne, en 1864[23]. Il est également très proche de son plus jeune frère, Prosper, né le [20]. Ce dernier le rejoint à Paris en [24], pour y faire ses études[25]. Il meurt à dix-huit ans, le , probablement emporté par une fièvre typhoïde, malgré une légende voulant que sa mort ait résulté de l'exaltation éprouvée en assistant à Benvenuto Cellini, l'opéra de son frère[26].
C'est à l'âge de douze ans que Berlioz découvre l'amour en la personne d'Estelle Dubœuf, âgée de 17 ans, vivant à Meylan, village où réside son grand-père maternel et où il passe une partie de l'été avec ses sœurs et sa mère. « En l’apercevant, je sentis une secousse électrique ; je l’aimai, c’est tout dire. Le vertige me prit et ne me quitta plus. Je n’espérais rien... je ne savais rien… mais j’éprouvais au cœur une douleur profonde.... La jalousie, cette pâle compagne des plus pures amours, me torturait au moindre mot adressé par un homme à mon idole… Non le temps n'y peut rien… d'autres amours n'effacent point les traces des premiers[18]. »
À la fin de sa vie, il reverra Estelle, devenue Mme Veuve Fornier et vivant au domaine des Allavets de Vif, en Isère. Il entretiendra une correspondance avec elle et lui proposera le mariage, étant lui-même veuf pour la deuxième fois. Elle n’acceptera pas. Estelle est toutefois mentionnée dans son testament : « Je donne et lègue à Mme Estelle Fornier, qui vit en ce moment chez son fils notaire à St-Symphorien-d’Ozon (Isère)[alpha 1], la somme de seize cents francs de rente annuelle et viagère. Je la supplie d’accepter cette petite somme comme un souvenir des sentiments que j’ai éprouvés pour elle toute ma vie. »[27]
Au même moment, Berlioz se met à composer[28]. C'est à l'écoute des quatuors de Pleyel et grâce au traité d'harmonie de Charles-Simon Catel qu'il s'initie à l'harmonie. Il compose un pot-pourri à six parties qu'il cherchera vainement à publier, ainsi que deux quintettes pour flûte et cordes dont il reprendra l'un des thèmes dans l'ouverture des Francs-juges (1826)[14]. Ses premières publications sont des mélodies (Pleure, pauvre Colette ; Le Dépit de la bergère ; Le Maure jaloux). Il soumet au jugement de Jean-François Lesueur une cantate à grand orchestre (Le Cheval arabe) en vue de son admission dans la classe de composition du maître[14] et compose une scène empruntée au drame de Saurin, Beverley ou le Joueur[29].
« Je passai vingt-quatre heures sous le coup de cette première impression, sans vouloir plus entendre parler d'anatomie ni de dissection, ni de médecine, et méditant mille folies pour me soustraire à l'avenir dont j'étais menacé[30]. »
— Mémoires, 1870
Inscrit à l'école de médecine de Paris, il quitte sa famille fin octobre et suit les cours du programme pendant une année, avant d'écrire à son père qu'il préfère l’art à la médecine : « Je sentis ma passion pour la musique s’accroître et l’emporter sur mon désir de satisfaire mon père »[31]. Il se brouille avec sa famille, fréquente l'Opéra de Paris et suit les enseignements de Jean-François Lesueur, puis d'Antoine Reicha. Un soir, il assiste à une représentation d'Iphigénie en Tauride de Gluck qui le bouleverse.
« Ce fut le coup de grâce donné à la médecine […] Le jour où, après une anxieuse attente, il me fut enfin permis d’entendre Iphigénie en Tauride, je jurai, en sortant de l'Opéra, que, malgré père mère, oncles, tantes, grands-parents et amis, je serais musicien[32]. »
— Mémoires, 1870
En 1823, il est admis parmi les élèves particuliers de Jean-François Lesueur et est inscrit au Conservatoire de Paris en . Il découvre la musique de Weber et compose en 1824 (Berlioz a alors 20 ans) sa première œuvre d'envergure, Le Passage de la mer Rouge[15] (perdue), suivie d'une Messe solennelle. Créée en l'église Saint-Roch le [33], cette Messe est exécutée une seconde fois à l'église Saint-Eustache en 1827. Excepté le Resurrexit, Berlioz affirme avoir brûlé cette partition, la jugeant de « peu de valeur »[34]. Il en reprend néanmoins des éléments dans Benvenuto Cellini, le Requiem et la Symphonie fantastique. De même, le thème de l’Agnus Dei est repris 25 ans plus tard dans son Te Deum (1849).
Malgré des échecs répétés au concours de Rome (en 1826, il est éliminé à l'examen préliminaire qui consiste en la composition d'une fugue ; en 1827, sa cantate La Mort d'Orphée est déclarée « inexécutable » par le jury ; en 1828, il n'obtient que le second prix avec la cantate Herminie interprétée par Louise Dabadie qui avait obtenu le prix pour Jean-Baptiste Guiraud en 1827), il poursuit ses études au Conservatoire, dirigé alors par le grand maître de l'époque, Luigi Cherubini, avec Antoine Reicha pour la fugue et le contrepoint, et Jean-François Lesueur pour la composition.
L'exécution en 1828 des symphonies de Beethoven par François-Antoine Habeneck, sera une révélation, pour Berlioz. « Je venais d’apercevoir en deux apparitions Shakespeare et Weber ; aussitôt, à un autre point de l’horizon, je vis se lever l’immense Beethoven. La secousse que j’en reçus fut presque comparable à celle que m’avait donnée Shakespeare. Il m’ouvrait un monde nouveau en musique, comme le poète m’avait dévoilé un nouvel univers en poésie[35]. »
Fiancé à la pianiste Marie-Félicité Moke, il découvre également Goethe et son Faust dans la traduction de Gérard de Nerval, et compose en 1829 Huit scènes de Faust qui, remaniées, deviendront la légende dramatique La Damnation de Faust en 1846.
C'est en 1830, à sa cinquième tentative – éliminé à l'examen préliminaire en 1826, il est admis à concourir en 1827 mais La Mort d'Orphée est déclarée « inexécutable » ; il n'obtient qu'un second prix en 1828 avec Herminie ; le premier grand prix n'est pas décerné en 1829, année où il compose Cléopâtre – que Berlioz remporte finalement le Prix de Rome avec sa cantate Sardanapale. Dans son esprit, ce concours n'a pour objectif que de convaincre sa famille de sa valeur grâce à la recommandation que constitue un prix attribué par l'Académie des beaux-arts. Dans sa lettre du à sa sœur Nancy[36], il écrit en effet : « Que veux-tu que je te dise, ma pauvre sœur, ce maudit concours ne m'intéressait que pour mon père. »
Désappointé par son échec de l'année précédente avec sa cantate Cléopâtre, incomprise du jury (aucun grand prix n'ayant été décerné cette année-là), il décide de refréner son audace habituelle[alpha 2], ce qui s'avère payant. Le , il écrit à sa mère : « Et voyez la bonhomie de Cherubini qui disait à M. Lesueur « Mais diable c'est un homme ; il faut qu'il ait terriblement travaillé depuis l'année dernière ». Peut-on imaginer un aveuglement pareil, attribuer à l’excès de travail l'invention de quelques mélodies bienheureuses, et me croire grandi quand je me suis rapetissé de moitié »[36].
La remise des prix a lieu le et la cantate couronnée est exécutée. Berlioz avait modifié l'ouvrage en ajoutant un morceau purement orchestral plus conforme à sa pensée musicale et décrivant l'incendie final. Malheureusement, le corniste qui doit jouer la note déclenchant l'incendie compte mal ses mesures à vide et l'incendie « ne part pas ». Berlioz écrit : « Ce fut encore une catastrophe musicale et plus cruelle qu'aucune de celles que j'avais éprouvées précédemment… si elle eût été pour moi la dernière[37]. »
S'il flatte peu l'amour-propre de Berlioz, ce prix représente en revanche une reconnaissance officielle. « C'était un diplôme, un titre, et l'indépendance et presque l'aisance pendant cinq ans[38]. »
Créée le de la même année, sa Symphonie fantastique lui attire quant à elle le succès public[39]. Après de vaines démarches pour être dispensé du séjour à l'académie de France à Rome (villa Médicis) récompensant les lauréats, c'est donc contrarié que Berlioz quitte Paris le .
C'est durant son séjour que Marie-Félicité rompt avec lui pour se fiancer avec Camille Pleyel, fils du célèbre compositeur et fabricant de pianos Ignace Pleyel. Berlioz décide alors de rentrer à Paris avec le projet de se venger en la tuant mais son escapade s'arrête heureusement à Nice où il reste un mois (du au ), composant l'ouverture du Roi Lear et esquissant celle de Rob Roy, avant de repartir pour Rome[40]. « C'est ainsi que j'ai passé à Nice les vingt plus beaux jours de ma vie. Ô Nizza[41] ! »
Durant son séjour à Rome, Berlioz pérégrine beaucoup et compose relativement peu. « Il faut, on le voit, renoncer à peu près à entendre de la musique, quand on habite Rome ; j’en étais venu même, au milieu de cette atmosphère anti-harmonique, à n’en plus pouvoir composer. Tout ce que j’ai produit à l’Académie se borne à trois ou quatre morceaux : 1° une Ouverture de Rob-Roy, longue et diffuse, exécutée à Paris un an après, fort mal reçue du public, et que je brûlai le même jour en sortant du concert ; 2° la Scène aux champs de ma Symphonie fantastique, que je refis presque entièrement en vaguant dans la villa Borghèse ; 3° Le Chant de bonheur de mon monodrame Lélio que je rêvai, perfidement bercé par mon ennemi intime, le vent du sud, sur les buis touffus et taillés en muraille de notre classique jardin ; 4° cette mélodie qui a nom La Captive, et dont j’étais fort loin, en l’écrivant, de prévoir la fortune[42]. » Il rencontre également Mendelssohn, mais l'Italie l'inspire et le déçoit tout à la fois. Il rentre définitivement à Paris en .
Plusieurs de ses ouvrages porteront néanmoins l'empreinte de l'Italie : ses symphonies Harold en Italie (1834) et Roméo et Juliette (1839) mais également son opéra Benvenuto Cellini (1838).
Berlioz tombe amoureux au cours d'une représentation de Hamlet de Shakespeare, d'une actrice irlandaise qui joue dans la pièce, Harriet Smithson. « L'effet de son prodigieux talent, ou plutôt de son génie dramatique, sur mon imagination et sur mon cœur, n'est comparable qu'au bouleversement que me fit subir le poète dont elle était la digne interprète[43]. » Il l'épouse en 1833 et un fils, Louis, naît le .
Louis Berlioz ne suit pas la carrière paternelle : il choisit d'être marin. D'abord aspirant dans la marine de guerre, il passe ensuite à la marine marchande, obtient un brevet de capitaine au long cours[44], commande le grand paquebot mixte (voiles et hélice) La Louisiane de la toute récente Compagnie générale transatlantique et meurt à Cuba de la fièvre jaune, à l'âge de 32 ans, en 1866.
Dès 1834, Berlioz se fait connaître comme critique dans la Gazette musicale, puis dans le Journal des débats, où il soutient son système musical, qui subordonne l'harmonie à la recherche de l'expression. Sur ces questions, on constate avant tout que, dans la Symphonie fantastique comme ailleurs, son langage harmonique est d'une grande originalité et ignore bien souvent les traditions établies.
La période 1840-1841 voit la composition de la Symphonie funèbre et triomphale et le cycle Les Nuits d'été pour voix et piano sur six poèmes de Théophile Gautier (Villanelle, Le Spectre de la rose, Absence, Sur les lagunes, Au cimetière, L'Île inconnue), que Berlioz orchestre par la suite. Son mariage, en revanche, est un échec, et le couple se sépare. Il entame peu de temps après une liaison avec la cantatrice Marie Recio[45], qu'il épousera à la mort d'Harriet en 1854[alpha 3].
Pendant cette période, Berlioz est reconnu davantage en sa qualité de chef d'orchestre que de compositeur, et est plus apprécié à l'étranger qu'en France. Il dirige ses propres œuvres, mais aussi des œuvres de ses confrères en Belgique, en Allemagne, en Angleterre, en Hongrie ou en Russie, accompagné de Marie. L'Enfance du Christ est accueillie triomphalement (1864). La période anglaise de 1847-1848 est particulièrement fertile en aventures. Berlioz dirige l'orchestre de Drury Lane à Londres, dont le chef d'orchestre est le compositeur Louis-Antoine Jullien, le roi des concerts promenades et des concerts monstres. Jullien avait sollicité la participation de Berlioz, et celui-ci le maudira après l'avoir encensé. Louis-Antoine Jullien est un fou à plus d'un titre[46].
En 1847, sur les conseils de son ami Balzac, à un moment où il était à court d'argent, comme c'était souvent le cas[47], il se rend en tournée en Russie, où il remporte un triomphe à Saint-Pétersbourg et à Moscou. Il est logé chez la grande-duchesse Hélène, qui l'accueille avec faste. Aux concerts qu'il dirige dans la salle de l'Assemblée de la noblesse, il est bissé jusqu'à douze fois ! Pendant son premier bis, il s'écrie : « Je suis sauvé ! », au deuxième « Je suis riche ! »[48] Il dirige alors Roméo et Juliette, Le Carnaval romain et la Symphonie funèbre et triomphale. Il reviendra en 1867 dans ce qu'il appelle « la fière capitale du Nord ».
En 1856, il entame la composition de ce que certains considèrent comme son opus magnum (son « grand œuvre »), Les Troyens, et écrit le livret de cet opéra inspiré de L'Énéide de Virgile, poète auquel il est d'ailleurs dédié (la partition porte en effet la dédicace Diuo Virgilio « Au divin Virgile »). La genèse de son ouvrage remonte à sa plus tendre enfance, et l'influence de Virgile et de Shakespeare sont récurrentes dans son œuvre. Les Troyens sont achevés deux ans plus tard, mais Berlioz ne peut les faire jouer dans son intégralité, car les administrateurs sont rebutés par la durée de l'œuvre et les moyens exigés.
En 1862, Berlioz compose l'opéra-comique Béatrice et Bénédict, inspiré de Beaucoup de bruit pour rien de Shakespeare, mais il doit affronter la mort de Marie la même année, puis de son fils Louis, en 1866. Après une tournée triomphale en Russie, au cours de laquelle il va influencer les jeunes Moussorgski, Rimski-Korsakov et Borodine, il fait un voyage à Nice en , où il se blesse en faisant une chute. En , il effectue son dernier voyage à Grenoble, la ville de résidence de sa sœur et de sa famille. Invité par le maire Jean-Thomas Vendre à l'occasion de trois journées de festivité organisées pour l'inauguration d'une statue équestre de Napoléon Ier, il préside un festival de musique.
Il meurt le à Paris, au 4 rue de Calais, dans le quartier de la « Nouvelle-Athènes » (9e arrondissement de Paris). Il repose au cimetière de Montmartre (avenue Berlioz, 20e division, 1re ligne), auprès de ses deux épouses Harriet Smithson et Marie Recio[49].
Le Minutier central des notaires de Paris, aux Archives nationales, conserve son testament olographe, daté du et accompagné d'un codicille du . Un inventaire de ses biens a été dressé à la suite de son décès entre les 5 et [50].
Hector Berlioz laisse 124 œuvres musicales.
Dès 1830, six ans seulement après la symphonie no 9 de Beethoven, encore sous l'influence du Faust de Goethe qu'il venait de lire, Berlioz compose la Symphonie fantastique, op. 14, qui enthousiasme Franz Liszt. Elle est créée le , dans la salle du conservatoire où fut également exécutée sa cantate Sardanapale avec laquelle il obtint le prix de Rome en 1830. « L’exécution ne fut pas irréprochable, ce n'était pas avec deux répétitions seulement qu'on pouvait en obtenir une parfaite pour des œuvres aussi compliquées. L'ensemble toutefois fut suffisant pour en laisser les traits principaux.Trois morceaux de la symphonie, Le Bal, La Marche au supplice et Le Sabbat, firent une grande sensation. La Marche au supplice surtout bouleversa la salle. La Scène aux champs ne produisit aucun effet. Elle ressemblait peu, il est vrai, à ce qu'elle est aujourd'hui. Je pris aussitôt la résolution de la récrire[51]. »
Avec cette œuvre, Berlioz va lancer une toute nouvelle forme de « musique descriptive », appelée « musique à programme » et va avoir un écho important chez les musiciens des pays germaniques (auprès du hongrois Franz Liszt et plus tard chez l'allemand Richard Strauss). Par la suite, elle influencera la musique française (Saint-Saëns, Dukas, Franck et d'Indy).
Lélio ou le Retour à la vie, est composé lors du séjour de Berlioz à la villa Médicis et constitue une suite et complément de la Symphonie fantastique (pour cette raison, Berlioz demande que cet ouvrage soit exécuté immédiatement après la Symphonie fantastique). Lélio alterne chant, chœurs et monologues. Berlioz a puisé des éléments de ses ouvrages antérieurs, en particulier La Mort d’Orphée (1827) pour le Chant de bonheur et La Harpe éolienne et la Fantaisie sur la Tempête de Shakespeare qu'il avait écrit en 1830 avant son départ pour Rome. Le texte, composé par Berlioz lui-même, a pour sujet sa passion alors non partagée pour l'actrice Harriet Smithson, ainsi que ses conceptions sur l'art.
C'est le dans la salle du Conservatoire qu'est créé Lélio, précédé de la Fantastique. Harriet Smithson, qui était présente au concert, accepte alors d'être présentée à Berlioz[52].
Cette symphonie fut écrite à l'initiative du violoniste Niccolò Paganini. En effet, celui-ci se disant trop malade pour composer demanda à Berlioz d'écrire une pièce pour le Stradivarius alto qu'il venait d'acquérir. Quand Berlioz lui propose les premières esquisses de l'ouvrage, les nombreuses pauses que comportait la partie solo firent échouer le projet. En effet, Paganini s'attendait à un concerto, ce qui ne correspondait pas à la pensée créatrice de Berlioz. « Reconnaissant alors que mon plan ne pouvait lui convenir, je m'appliquais à l'exécuter dans une autre intention et sans plus m'inquiéter des moyens de faire briller l'alto principal. J'imaginais d'écrire pour l'orchestre une suite de scènes, auxquelles l'alto solo se trouverait mêlé comme un personnage plus ou moins actif conservant toujours son caractère propre ; je voulus faire de l'alto, en le plaçant au milieu des poétiques souvenirs que m'avaient laissées mes pérégrinations dans les Abruzzes, une sorte de rêveur mélancolique dans le genre du Childe Harold de Byron. De là le titre de la symphonie : Harold en Italie[53]. »
Cette symphonie se compose de quatre mouvements : Harold aux montagnes, Marche des Pèlerins, Sérénade et Orgie des brigands. Elle est créée le , salle du Conservatoire, puis redonnée le 14 et le sous la direction de Girard. C'est à cette occasion que devant les erreurs de direction de Girard, Berlioz prit la décision de diriger lui-même ses ouvrages, devenant ainsi un chef d'orchestre reconnu tant en France qu'au niveau européen.
Paganini entendit l'œuvre en concert le . Son enthousiasme fut tel qu'il fit don de 20 000 francs à Berlioz, ce qui permit à celui-ci de se consacrer à sa troisième symphonie Roméo et Juliette.
« Ah ! cette fois, plus de feuilletons, ou du moins presque plus, j'avais de l'argent, Paganini me l'avait donné pour faire de la musique et j'en fis. Je travaillais sept mois à ma symphonie sans m'interrompre plus de trois ou quatre jours sur trente. […] Enfin, après une assez longue hésitation, je m’arrêtais à l'idée d'une symphonie avec chœurs, solos de chant et récitatif choral, dont le drame de Shakespeare, Roméo et Juliette, serait le sujet sublime et toujours nouveau. J'écrivis en prose tout le texte destiné au chant entre les morceaux de musique instrumentale ; Émile Deschamps, avec sa charmante obligeance et sa facilité extraordinaire, le mit en vers, et je commençai[54]. »
La première audition a lieu le , salle du Conservatoire sous la direction de Berlioz (200 exécutants), suivie de deux autres, les 1er et . Richard Wagner, présent à une de ces auditions, écrit dans ses mémoires[55] : « C'était sans contredit un monde tout nouveau pour moi....Tout d'abord, j'avais été presque étourdi par la puissance d'une virtuosité d'orchestre dont je n'avais encore aucune idée. La hardiesse fantastique et la sévère précision avec lesquelles on abordait les combinaisons les plus osées, rendaient celles-ci comme palpables ». Le succès est grand. Berlioz rapporte dans sa lettre du , adressée à son père : « L'affluence a été telle qu'on a refusé au bureau pour plus de quinze cents francs de location… C'est probablement le succès le plus grand que j'ai obtenu… Balzac me disait ce matin : “C'était un cerveau que votre salle de concert”. On y remarquait en effet toutes les notabilités intelligentes de Paris[56]. »
La Symphonie funèbre et triomphale est une commande du ministre de l'Intérieur, Charles de Rémusat, pour le transfert des victimes des trois journées de la révolution de 1830 vers le monument qui venait d'être élevé sur la place de la Bastille, la colonne de la Bastille. Destinée à être exécutée en plein air (au moins la première fois), cette symphonie est conçue pour une masse d'instruments à vent et de percussions (Berlioz y emploie en particulier un chapeau chinois). Elle se compose de trois mouvements : Marche funèbre, Oraison funèbre et Apothéose, les deux derniers s’enchaînant sans interruption. Par la suite, Berlioz a ajouté un orchestre à cordes et un chœur dans le final de l’Apothéose. Les deux versions sont toujours jouées en concert. Richard Wagner en a fait ainsi le commentaire : « Je n’aurais vraiment nulle répugnance à donner le pas à cette composition sur les autres œuvres de Berlioz : elle est noble et grande de la première à la dernière note…; un sublime enthousiasme patriotique, qui s’élève du ton de la déploration aux plus hauts sommets de l’apothéose, garde cette œuvre de toute exaltation malsaine. »[57]
L'atmosphère de cabale organisée par les adversaires de Berlioz pour son entrée à l'Opéra de Paris avec Benvenuto Cellini en 1838 conduit à l'échec des représentations. Toutefois, son engagement à la bibliothèque du Conservatoire et l'estime que lui porte Paganini lui permettent d'écrire Roméo et Juliette.
La lecture du Faust de Goethe inspira à Berlioz l'écriture des Huit scènes de Faust en 1828. « Je dois encore signaler comme un des incidents remarquables de ma vie, l’impression étrange et profonde que je reçus en lisant pour la première fois le Faust de Goethe traduit en français par Gérard de Nerval. Le merveilleux livre me fascina de prime abord ; je ne le quittai plus ; […] Cette traduction en prose contenait quelques fragments versifiés, chansons, hymnes, etc. Je cédai à la tentation de les mettre en musique […] Quelques exemplaires de cet ouvrage publié à Paris sous le titre de Huit scènes de Faust, se répandirent ainsi[58]. »
Berlioz, trouvant de « nombreux et énormes défauts » à cette œuvre « incomplète et fort mal écrite »[58] la renia. « Dès que ma conviction fut fixée sur ce point, je me hâtai de réunir tous les exemplaires des Huit scènes de Faust que je pus trouver et je les détruisis[58]. »
C'est en 1845, lors d'un voyage en Autriche, en Hongrie, en Bohème et en Silésie que Berlioz reprit son projet de 1828. Le livret, constitué des fragments retouchés utilisés dans les Huit scènes de Faust, auxquels il rajoute deux ou trois scènes écrites par M. Gandonnière[58], est complété par les vers de Berlioz. Il composa cet ouvrage avec beaucoup de facilité, ne cherchant pas les idées mais les laissant venir à l'improviste. Dans une auberge de Passau, sur les frontières de la Bavière, il composa l’introduction « Le vieil hiver a fait place au printemps » ; à Vienne sur les bords de l’Elbe, l’air de Méphistophélès « Voici des roses » ; à Pesth, à la lueur du bec de gaz d’une boutique, la Ronde des paysans ; à Prague, il se leva au milieu de la nuit pour noter le chœur d’anges de l’apothéose de Marguerite « Remonte au ciel, âme naïve » ; à Breslau, il imagina les paroles et la musique de la chanson latine des étudiants « Jam nox stellata velalina pandit ». L’effet extraordinaire que produisit la marche sur le thème hongrois de Rákóczy, exécutée à Pesth le , décida Berlioz à l’introduire dans sa nouvelle œuvre.
Les première et deuxième auditions de La Damnation de Faust, légende dramatique en 4 partie eurent lieu les 6 et à l'Opéra-Comique à Paris devant des salles à moitié vides. Le chroniqueur du journal satirique Le Charivari rapporte dans un trait spirituel : « La Chanson du rat va passer inaperçue, puisqu'il n'y a pas un chat dans la salle ». Berlioz qui avait tout investi dans l’entreprise se trouva ruiné et projeta alors de s'en sortir par une tournée en Russie. Berlioz envisagea une adaptation à la scène qui n'aboutira pas. La première mise en scène réalisée par Raoul Gunsbourg à l'Opéra de Monte-Carlo le rencontra un grand succès. Depuis, l’ouvre est donnée dans ses deux versions, en concert ou avec des mises en scène.
L'Enfance du Christ a pour origine une mystification. Lors d'une soirée passée chez son ami l'architecte Joseph-Louis Duc, Berlioz qui détestait les jeux de cartes montre un tel ennui qu'on lui propose de composer une pièce musicale pour s'occuper. Un premier morceau d'orgue voit le jour, auquel l'auteur ajoutera des paroles et qui deviendra L'Adieu des bergers à la Sainte Famille. La forme proche des mystères médiévaux, et l'envie sans doute de mystifier la critique parisienne hostile à sa musique, pousse Berlioz à l'attribuer à un certain Pierre Ducré, musicien ayant vécu au XVIIIe siècle et dont Berlioz aurait retrouvé le manuscrit à la bibliothèque du Conservatoire. La partition porte de ce fait la mention « L’Adieu des bergers à la Sainte Famille. Fragment de la Fuite en Égypte, mystère en 6 actes par Pierre Ducré, maître de musique de la Sainte-Chapelle de Paris, 1679 ». Dans sa lettre à Théophile Gautier le , Berlioz relate la création de cette pièce : « On exécuta à Paris le Chœur des bergers dans deux concerts de la Nouvelle société philharmonique sous le nom de Pierre Ducré, maître de chapelle de mon invention qui ne vivait pas au XVIIe siècle. Le chœur eut beaucoup de succès auprès des personnes surtout qui me font l'honneur de me détester[59]. » Le , Berlioz dirige le 6e concert de la Old Philarmonic Society de Londres où il fait entendre pour la première fois Le Repos de la Sainte Famille[59]. Le succès est tel que Berlioz décide de compléter son œuvre.
L’Enfance du Christ, dont les paroles sont également de Berlioz, se compose finalement de trois parties : Le Songe d'Hérode (achevé le ), La Fuite en Égypte (donnée en concert le à Paris)[59] et L'Arrivée à Saïs. La première audition dans sa totalité est donnée lors du concert du salle Herz sous le titre « L’Enfance du Christ, trilogie sacrée, paroles et musique de M. H. Berlioz. »[59] Le succès est unanime et indigne Berlioz qui le trouve calomnieux pour ses œuvres antérieures : « Plusieurs personnes ont cru voir dans cette partition un changement complet de mon style et de ma manière. Rien n'est moins fondé que cette opinion. Le sujet a amené naturellement une musique naïve et douce, et par cela même plus en rapport avec leur goût et leur intelligence, qui, avec le temps, avaient dû en outre se développer. J'eusse écrit L'Enfance du Christ de la même façon il y a vingt ans. »
L'opéra en 5 actes Les Troyens est très largement inspiré des livres II et IV de L'Énéide de Virgile (livre de chevet d'Hector Berlioz depuis son enfance). Cet opéra représente la plus ambitieuse de toutes les créations d'Hector Berlioz et est considéré comme un sommet du répertoire lyrique.
M. Masson, maître de chapelle de l’église de Saint-Roch, demanda à Berlioz d’écrire une messe solennelle qu’il ferait exécuter, le jour des Saints-Innocents, fête patronale des enfants de chœur. La copie fut confiée à ses jeunes élèves et c'est Henri Valentino alors à la tête de l’orchestre de l’Opéra qui devait en assurer la direction grâce à l’intervention de Lesueur. Le la répétition générale fut un fiasco : « il se trouva que nous avions pour tout bien vingt choristes, dont quinze ténors et cinq basses, douze enfants, neuf violons, un alto, un hautbois, un cor et un basson... Valentino, résigné, donne le signal, on commence ; mais, après quelques instants, il faut s’arrêter à cause des innombrables fautes de copie que chacun signale dans les parties. Ici on a oublié d’écrire les bémols et les dièses à la clef ; là il manque dix pauses ; plus loin on a omis trente mesures. C’est un gâchis à ne pas se reconnaître,... Cette leçon au moins ne fut pas perdue. Le peu de ma composition malheureuse que j’avais entendu, m’ayant fait découvrir ses défauts les plus saillants, je pris aussitôt une résolution radicale dans laquelle Valentino me raffermit, en me promettant de ne pas m’abandonner, lorsqu’il s’agirait plus tard de prendre ma revanche. Je refis cette messe presque entièrement[29]. ». L’exécution qui devait avoir lieu le lendemain fut reportée.
Grâce à un emprunt de 1 200 francs contracté auprès d'Augustin de Pons et après avoir copié lui-même les parties, Berlioz fit exécuter la nouvelle version de sa Messe solennelle à Saint-Roch le . Son maître lui déclara : « Venez que je vous embrasse ; morbleu ! vous ne serez ni médecin ni apothicaire, mais un grand compositeur ; vous avez du génie, je vous le dis parce que c'est vrai ; il y a trop de notes dans votre messe, vous vous êtes laissé emporter, mais, à travers toutes ses pétulances d'idées, pas une intention n'est manquée, tous vos tableaux sont vrais ; c'est d'un effet inconcevable. »[60] »
N'ayant jamais été éditée, l’œuvre fut longtemps considérée comme perdue jusqu'à ce que le chef de chœur et organiste Frans Moors retrouve par hasard le manuscrit autographe (que Berlioz avait affirmé avoir brûlé) en 1991 à l'église Saint-Charles-Borromée d'Anvers[61]. Recréée le sous la baguette de John Eliot Gardiner en l'église Saint Petri de Brême, elle est publiée pour la première fois en 1994 dans la New Berlioz Edition chez Bärenreiter.
Bärenreiter ayant accordé les droits de la création française et du premier enregistrement mondial de l’œuvre à la structure de production Opéra d'Automne, la création française eut lieu le 7 octobre 1993 dans la basilique Sainte-Madeleine de Vézelay, sous la direction de Jean-Paul Penin, à la tête de l'orchestre de la Philharmonie Nationale de Cracovie, sous les auspices de la Présidence de la République et de l'UNESCO (Direction du Patrimoine mondial). Les interprètes étaient : Christa Pfeiler (mezzo-soprano),(Ruben Velasquez (ténor), Jacques Perroni (baryton-basse) et le chef de chœur, Jacek Mentl. Le même soir eut lieu une deuxième excécution, pour les besoins de l'enregistrement par France Télévision (France 3) et France Musique (enregistrement publié chez Musidisc-mars 1994)[62],[63]. L'année suivante, la Messe Solennelle fut donnée au festival Berlioz de la Côte Saint-André, toujours sous la direction de Jean-Paul Penin, avec l'orchestre de la Philharmonie Nationale de Cracovie. Avec l'appui de l'UNESCO, des ambassades de France au Paraguay et en Argentine, La création américaine de la Messe Solennelle eut dans la mission Jésuite d'Encarnaçion, puis au Teatro Colon de Buenos Aires (Orchestre Philharmonique de Buenos Aires), sous la direction du même chef.
Tout aussi anticlérical que le roi Louis-Philippe, Berlioz écrivit néanmoins de la musique d'inspiration religieuse. Celle-ci est avant tout marquée par une théâtralisation bien éloignée de l'esprit liturgique.
Alors qu'il était considéré dans toute l'Europe comme un héros romantique, tourné vers l'Allemagne (mais au langage très « personnel », unique), Berlioz avait en fait de nombreux ennemis à Paris. Le romantisme allemand n'avait pas encore pris pied en France où l'inspiration française et italienne restaient toujours très présentes, comme lors des siècles précédents. De ce fait, l'art musical pouvait être soumis à la politique, au pouvoir, aux alliances et aux trahisons…
En Berlioz obtint une commande sur proposition du ministre de l'intérieur Adrien de Gasparin[64], (à qui le requiem fut dédié) pour une messe des morts, sur les fonds du département des Beaux-Arts. Les partisans du directeur du Conservatoire, Luigi Cherubini, tentèrent en vain de faire résilier le contrat[alpha 4]. D'un point de vue purement musical, Berlioz était trop hors-normes et trop proche du mouvement romantique. Après qu'il eut terminé l'œuvre (en moins de trois mois) et que les arrangements eurent été pris pour la création en concert, le ministère annula celui-ci, sans explication.
Le Requiem eut cependant sa chance, grâce au service solennel organisé à l'hôtel des Invalides pour l’inhumation du général Damrémont[65]. Le , il fut joué dans la chapelle des Invalides, décorée de milliers de chandelles pour la circonstance, en présence de la famille royale, du corps diplomatique et de toute la haute société parisienne ; Berlioz avait obtenu cent quatre-vingt-dix instrumentistes, deux cent dix choristes, quatre ensembles de cuivres placés dans les coins de la chapelle, ainsi que seize timbales.
« Au moment de [l'entrée des quatre orchestres de cuivres], au début du Tuba mirum qui s’enchaîne sans interruption avec le Dies irae, le mouvement s’élargit du double ; tous les instruments de cuivre éclatent d’abord ensemble dans le nouveau mouvement, puis s’interpellent et se répondent à distance, par des entrées successives, à la tierce supérieure les unes des autres. Il est donc de la plus haute importance de clairement indiquer les quatre temps de la grande mesure à l’instant où elle intervient. Sans quoi ce terrible cataclysme musical, préparé de si longue main, où des moyens exceptionnels et formidables sont employés dans des proportions et des combinaisons que nul n’avait tentées alors et n’a essayées depuis, ce tableau musical du Jugement dernier, qui restera, je l’espère, comme quelque chose de grand dans notre art, peut ne produire qu’une immense et effroyable cacophonie.
Par suite de ma méfiance habituelle, j’étais resté derrière Habeneck et, lui tournant le dos, je surveillais le groupe des timbaliers, qu’il ne pouvait pas voir, le moment approchant où ils allaient prendre part à la mêlée générale. Il y a peut-être mille mesures dans mon Requiem. Précisément sur celle dont je viens de parler, celle où le mouvement s’élargit, celle où les instruments de cuivre lancent leur terrible fanfare, sur la mesure unique enfin dans laquelle l’action du chef d’orchestre est absolument indispensable, Habeneck baisse son bâton, tire tranquillement sa tabatière et se met à prendre une prise de tabac. J’avais toujours l’œil de son côté ; À l’instant je pivote rapidement sur un talon, et m’élançant devant lui, j’étends mon bras et je marque les quatre grands temps du nouveau mouvement. Les orchestres me suivent, tout part en ordre, je conduis le morceau jusqu’à la fin, et l’effet que j’avais rêvé est produit. Quand, aux derniers mots du chœur, Habeneck vit le Tuba mirum sauvé : “Quelle sueur froide j’ai eue, me dit-il, sans vous nous étions perdus ! — Oui, je le sais bien”, répondis-je en le regardant fixement. Je n’ajoutai pas un mot […] L’a-t-il fait exprès ? Serait-il possible que cet homme, d’accord avec M. XX., qui me détestait, et les amis de Cherubini ait osé méditer et tenter de commettre une aussi basse scélératesse ? Je n’y veux pas songer… Mais je n’en doute pas. Dieu me pardonne si je lui fais injure. »
— [66] .
Le Requiem valut à Berlioz un succès critique et public. Berlioz écrit le à Humbert Ferrand[67]: « Si j'étais menacé de voir brûler mon œuvre entière, moins une partition, c'est pour la Messe des morts que je demanderais grâce. »
Le Te Deum fut composé entre novembre- et août-. Berlioz attendait une grande cérémonie pour le créer. En 1852, il espéra un moment le faire exécuter pour le sacre de Napoléon III; mais cet événement n'ayant pu aboutir, c'est finalement à l'inauguration de l'exposition universelle le , qu'il fut entendu la première fois à Saint-Eustache sous sa direction. Ce fut une exécution grandiose avec 900 exécutants et un orgue spécialement créé pour l'occasion. L’œuvre emprunte plusieurs passages à sa Messe solennelle (en particulier le thème de l’Agnus Dei), écrite vingt-cinq ans plus tôt, et des partitions inachevées du compositeur. Le Te Deum est composé de plusieurs mouvements, appelés Hymnes ou Prières par Berlioz :
En ce qui concerne le Prélude, Berlioz précise : « Si le Te Deum n’est pas exécuté dans une cérémonie d’actions de grâce pour une victoire ou toute autre se ralliant par quelque point aux idées militaires, on n’exécutera pas ce prélude[68]. » Dans une lettre à Liszt le [28], il écrit : « À propos du Te Deum, j’ai purement et simplement supprimé le prélude où se trouvent les modulations douteuses. » Celui-ci ne fut ni publié ni exécuté du vivant de Berlioz.
Il n'en est pas de même du mouvement Marche pour la présentation des drapeaux, nécessitant, à la demande de l'auteur, la présence de 12 harpes et de ce fait souvent omis dans les enregistrements. Le mouvement fut pourtant bien exécuté à la création du Te Deum en 1855.
Cette création fut couronnée de succès. Dans Le Pays, Journal de l'Empire, Escudier rapporte dans son feuilleton musical du 1er mai : « œuvre grandiose qui a produit un effet immense […] Ce chant pompeux d'actions de grâce a des proportions gigantesques, […] nouvelle preuve de son génie[69]. »
Les thèmes beethovéniens et shakespeariens, qui s'entrecroisent dans toute la production de Berlioz, ont fortement marqué son œuvre. À cela il faut ajouter l'attachement qu'il portait à la réforme de l'opéra français, qui s'était développée à l'initiative de Gluck, sous les règnes du Louis XV et Louis XVI, à l'orée de l'ère classique (au début du troisième tiers du XVIIIe siècle). Il ne faudrait surtout pas oublier le goût de Berlioz pour la musique de la période révolutionnaire et de l'Empire (à noter que cela ne l'empêchait nullement d'être monarchiste : le romantisme se développa en France à l'époque du roi Louis-Philippe Ier, monarque orléaniste et donc favorable à la monarchie constitutionnelle que les débuts de la Révolution avaient instaurée).
C'est ainsi que Berlioz est l'auteur d'une orchestration de La Marseillaise, encore souvent entendue actuellement. Mais il est aussi (et surtout) une grande figure romantique à l'humour ravageur, mais très rigoureux dans l'écriture et très exalté dans l'exécution. Son œuvre va peu à peu se dégager de la forme musicale académique de son temps pour s'orienter vers des orchestrations d'une grande richesse de timbres et de couleurs, une écriture contrapuntique toute personnelle et un penchant pour les très grandes formations orchestrales. Ses velléités de liberté le conduiront à s'affranchir des textes qu'il met en musique, au point de les écrire lui-même, comme le fit aussi Richard Wagner.
Sans tomber dans l'exagération qui prévalait à l'époque, Berlioz s'intéressa énormément à la nature des timbres. Il fut également l'ami d'Adolphe Sax, dont il encourageait fortement les travaux, notamment ceux concernant la famille des saxophones.
Irréductible à toute école, la musique de Berlioz est d'une grande originalité. Cependant, en dépit des succès considérables remportés à l'étranger, son œuvre est restée longtemps méconnue dans son propre pays, voire mésestimée, mis à part certains extraits de la Damnation de Faust et, bien sûr, la Symphonie fantastique, qui a fait l'objet de superbes et indémodables enregistrements dus à Pierre Monteux, Charles Munch et Igor Markevitch.
L'œuvre de Berlioz a cependant été reçue avec chaleur en Allemagne, et ce depuis les premières représentations des Troyens par Félix Mottl, à la fin du XIXe siècle, jusqu’à Rafael Kubelík, qui fut l’artisan de sa résurrection dans les années 1960. Depuis, les Allemands n'ont pas hésité à organiser des congrès Berlioz dans leur pays, par exemple à Essen-Werden, en , sous l’initiative d’Hermann Hofer et de Matthias Brzoska. Ces toutes dernières années, Les Troyens et Benvenuto Cellini sont passés dans le répertoire habituel de Dresde, Leipzig, Mannheim, Hambourg, Dortmund, Düsseldorf et Gelsenkirchen.
En France, sous la direction de Serge Baudo, Lyon a accueilli pendant quelque dix ans le festival international Hector-Berlioz. Ce festival a maintenant lieu à La Côte-Saint-André (Isère), la ville natale de Berlioz. En outre, c'est l'ouvrage lyrique Les Troyens qui a été présenté lors de l'inauguration de l'Opéra Bastille à Paris, en .