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prêtre catholique et homme politique français De Wikipédia, l'encyclopédie libre
Henri Grouès, dit l’« abbé Pierre », né le à Lyon 4e et mort le à Paris 5e, est un prêtre catholique français.
Député français Meurthe-et-Moselle | |
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Naissance | |
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Décès | |
Sépulture | |
Nom dans la langue maternelle |
Henry Grouès |
Nom de naissance |
Marie Joseph Henry Grouès |
Surnoms |
Castor méditatif, Le père, l'Abbé Pierre |
Nationalité | |
Formation | |
Activités |
Prêtre catholique (à partir du ), homme politique, résistant, aumônier catholique militaire |
Période d'activité |
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Nom en religion |
Frère Philippe |
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Ordre religieux | |
Parti politique | |
Membre de | |
Conflit | |
Personne liée | |
Distinctions | Liste détaillée Médaille de la Résistance () Croix du combattant volontaire de la Résistance () Médaille de la résistance armée () Grand prix de l'Académie des sciences morales et politiques () Prix Balzan () Grand officier de l'Ordre national du Québec () Grand-croix de la Légion d'honneur () Médaille commémorative de la guerre 1939-1945 Officier de l'ordre national du Cèdre Croix de guerre 1939-1945 Médaille des Évadés Docteur honoris causa de l'Université Laval |
Archives conservées par |
Vicaire du diocèse de Grenoble en 1939, il est mobilisé pendant la Seconde Guerre mondiale, puis résistant. Il est passeur de familles juives, puis maquisard. À la Libération, il est élu député de Meurthe-et-Moselle sous l'étiquette du Mouvement républicain populaire.
Il est connu pour être le cofondateur du mouvement Emmaüs, une organisation non confessionnelle de lutte contre l'exclusion comprenant la Fondation Abbé-Pierre pour le logement des défavorisés et de nombreuses autres associations, fondations et entreprises de l'économie sociale et solidaire en France.
Un rapport commandé par Emmaüs International a révélé en juillet 2024 que l'abbé Pierre aurait commis des agressions sexuelles sur des femmes entre la fin des années 1970 et 2005. Des faits plus anciens, jusque dans les années 1950, ont aussi été rapportés par la presse et par un second rapport, qui fait également état de violences sexuelles, y compris sur des mineures.
Marie Joseph Henry Grouès[1] naît le au domicile de ses parents, petite-rue des Gloriettes[note 1] à Lyon (4e)[2]. Il est issu d'une famille aisée de la bourgeoisie catholique lyonnaise de négociants en soie, originaire, du côté paternel, du hameau de Fouillouse à Saint-Paul-sur-Ubaye et de Tarare dans le Rhône du côté maternel. Il est le cinquième de huit enfants. Il est baptisé à l'église Saint-Eucher de Lyon, dans le 4e arrondissement. Il passe son enfance à Irigny, une commune au sud-ouest de Lyon. Dès l'âge de six ans, il suit son père chaque dimanche pour s'occuper des sans-abris et des mendiants aux alentours du quai Rambaud[3]. À douze ans, il accompagne son père à la confrérie séculaire des hospitaliers veilleurs où, le dimanche, les bourgeois se font coiffeurs barbiers pour les pauvres.
Élève des Jésuites à l'internat Saint-Joseph (actuel lycée Saint-Marc), il est scout de France : il reçoit le totem de « Castor méditatif ». Il se lie alors d'amitié avec François Garbit[4]. Il connaît, à cette époque ce qu'il appelle des « illuminations » qui orientent sa vie. En 1928 à seize ans, à l'occasion d'un pèlerinage de Rome, il est frappé d'un « coup de foudre avec Dieu » selon ses propres mots, à la suite duquel il souhaite entrer chez les franciscains[5]. Selon une autre version avancée par son biographe Bernard Violet, c'est à cet âge qu'il tombe follement amoureux d'un condisciple. Cette passion homosexuelle qu'il cherche à réfréner par des mortifications est en partie la cause de sa décision d'entrer dans la vie religieuse[6].
En 1931, il fait sa profession religieuse chez les capucins. Par vœu de pauvreté, il renonce à sa part du patrimoine familial et donne tout ce qu'il possède à des œuvres caritatives. En religion, il devient frère Philippe. En 1932, il termine sa période de noviciat et est assigné au couvent des Capucins de Crest dans la Drôme[7].
Le , Henri Grouès est ordonné diacre par Camille Pic, évêque de Valence, dans la chapelle du Grand Séminaire qui abrite aujourd'hui le lycée privé catholique Montplaisir.
Il est ordonné prêtre catholique le dans la chapelle de son ancien collège, le lycée Saint-Marc de Lyon, en même temps que le jésuite Jean Daniélou, futur cardinal. En accord avec ses supérieurs, il quitte l'ordre des Capucins le et intègre le diocèse de Grenoble où il est incardiné le et nommé le suivant vicaire à la basilique Saint-Joseph de Grenoble par l'évêque Alexandre Caillot[8].
Il est mobilisé comme sous-officier dans un régiment du train des équipages, en , au début de la Seconde Guerre mondiale. Souffrant de pleurésie, il passe la totalité de la drôle de guerre à l'hôpital. En , il est nommé aumônier de l'hôpital de La Mure (Isère) puis de l'orphelinat de La Côte-Saint-André[9].
Selon sa biographie officielle issue des archives du ministère de la Défense nationale[10], « vicaire à la cathédrale Notre-Dame de Grenoble[11], [il] recueille des enfants juifs dont les familles sont arrêtées lors des rafles des Juifs étrangers en zone sud, en »[note 2][source insuffisante].
En , il fait passer en Suisse le plus jeune frère du général de Gaulle, Jacques de Gaulle, ainsi que son épouse qu’il confie au réseau de l’abbé Marius Jolivet, curé de Collonges-sous-Salève[12]. Il participe à la création de maquis, dont il est l'un des chefs, dans le massif du Vercors et dans le massif de la Chartreuse. C’est à cette époque qu’il rencontre Lucie Coutaz, qui le cache sous un faux nom et devient sa secrétaire particulière jusqu'à son décès en 1982. Elle est considérée comme la cofondatrice du mouvement Emmaüs.
Il aide les réfractaires au service du travail obligatoire. Dans la clandestinité, il adopte le nom d'abbé Pierre qu'il garde jusqu'à la fin de sa vie. En 1944, il est arrêté par l'armée allemande à Cambo-les-Bains, dans les Pyrénées-Atlantiques. Relâché, il passe en Espagne et rejoint par Gibraltar le général de Gaulle à Alger en Algérie française[13]. Il devient aumônier de la Marine sur le cuirassé Jean Bart à Casablanca (Maroc). Toute sa vie il gardera sa croix d'aumônier de la marine sur la poitrine.
À la Libération de la France, ses actions dans la Résistance lui valent la croix de guerre 1939-1945 avec palme.
Henri Grouès | |
Henri Grouès en 1955 | |
Fonctions | |
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Député français | |
– (5 ans, 7 mois et 27 jours) |
|
Élection | 21 octobre 1945 |
Réélection | 2 juin 1946 10 novembre 1946 |
Circonscription | Meurthe-et-Moselle |
Législature | Ire Constituante IIe Constituante Ire et IIe (Quatrième République) |
Groupe politique | MRP (1945-1950) Gauche indépendante (1950-1951) |
Biographie | |
Parti politique | MRP (1946-1950) JR (1950-1951) |
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Après la guerre, sur les conseils de l’entourage du général de Gaulle et avec l’approbation de l'archevêque de Paris, il se présente aux élections législatives et est élu par trois fois député en Meurthe-et-Moselle comme indépendant apparenté au Mouvement républicain populaire (MRP) : le 21 octobre 1945 puis le 2 juin 1946, dans les deux assemblées nationales constituantes successives ; puis à l'Assemblée nationale, de 1946 à 1951, où il siège d’abord au sein du groupe MRP[14]. Sa profession de foi politique soutient un programme dit de troisième force (« ni capitaliste, ni collectiviste »)[15]. Il siège sous le nom de Grouès (M. l'abbé Pierre) puis, à partir du , est enregistré au nom de Pierre-Grouès (M. l'abbé)[16].
Le , il fonde le groupe parlementaire fédéraliste français avec 80 autres députés[17]. Il participe ensuite au Congrès de Montreux des - à la fondation du mouvement fédéraliste mondial[18]. Il en devient le vice-président. Avec Albert Camus et André Gide, il fonde en 1948 le comité de soutien à Garry Davis, fondateur des Citoyens du Monde. En 1966, il lance avec des personnalités internationales un appel à s'inscrire dans le registre international des citoyens du monde[19].
Il se désolidarise de son parti politique après l'incident sanglant de Brest, en , qui provoque la mort d'un ouvrier, Édouard Mazé. Dans sa lettre de démission du , Pourquoi je quitte le MRP, il dénonce les positions politiques et sociales du mouvement. Il rejoint ensuite la Ligue de la Jeune République, mouvement chrétien socialiste, ainsi que le groupe de la Gauche indépendante[14].
Il se présente aux élections législatives de 1951, à la tête d’une liste de Défense des intérêts démocratiques et populaires, sans le soutien du MRP ni celui de la hiérarchie catholique. Il n'est pas réélu[14].
L'abbé Pierre retourne à sa vocation première de prêtre-aumônier et s'investit, avec sa petite rente d’ex-député, dans ses actions caritatives. Il dit plus tard qu'il est plus intéressant d'être « ex-député » que député[20]. Il participe néanmoins à certaines campagnes, en parrainant par exemple, lors de la guerre d'Algérie, le Comité pour la défense du droit à l'objection de conscience créé par Louis Lecoin, aux côtés d'André Breton, Albert Camus, Jean Cocteau et Jean Giono. Ce comité obtient un statut, restreint, en pour les objecteurs.
Il fonde en 1949 le mouvement Emmaüs (en référence à Emmaüs, village de Judée apparaissant dans un épisode du dernier chapitre de l'Évangile selon Luc). Ce mouvement est une organisation laïque de lutte contre l'exclusion. Il commence ainsi dès l'été 1949 par fonder la communauté Emmaüs de Neuilly-Plaisance, au 38 avenue Paul-Doumer, au départ une auberge de jeunesse[21].
La rencontre avec un certain George, homme désespéré qui a perdu toute raison de vivre, et à qui l'abbé Pierre demande « Viens m'aider à aider », marque le véritable acte fondateur du mouvement Emmaüs[22].
Les communautés Emmaüs se financent par la vente de matériel et d'objets de récupération et construisent des logements[23] : « Emmaüs, c'est un peu la brouette, les pelles et les pioches avant les bannières. Une espèce de carburant social à base de récupération d'hommes broyés[24]. »
Non réélu en 1951 en raison du système des apparentements, il perd ses 12 000 francs d'indemnités de député et est réduit à mendier ou à vendre des publications à la dérobée pour subvenir aux besoins d'Emmaüs. Dans le même temps, les compagnons d'Emmaüs systématisent la chine qui est complétée à partir de par la « biffe sur le tas »[25].
Le , il participe au jeu Quitte ou double animé par Zappy Max sur Radio Luxembourg pour alimenter financièrement son combat, où il gagne 256 000 francs de l'époque[26] (somme représentant environ 6 000 € en 2022[27]).
En 1954, il reçoit sa fameuse cape de la part du lieutenant-colonel Sarniguet, pompier de Paris, qu'il porte jusqu'à la fin de sa vie. Il considère ce don comme un simple prêt et la restitue à sa mort à la brigade de sapeurs-pompiers de Paris par disposition testamentaire[28],[29].
La notoriété de l’abbé Pierre croît à partir de l'hiver de 1954, particulièrement froid et meurtrier pour les sans-abri. Il lance le un appel mémorable sur les antennes de Radio-Luxembourg (future RTL)[30], qui devient célèbre sous le nom d'« Appel de l'abbé Pierre ».
Le lendemain, la presse titre sur « l’insurrection de la bonté ». L’appel rapporte 500 millions de francs[note 3] en dons (dont deux millions par Charlie Chaplin qui dit à cette occasion : « Je ne les donne pas, je les rends. Ils appartiennent au vagabond que j'ai été et que j'ai incarné. »)[31], une somme considérable pour l’époque et totalement inattendue. Des appels et des courriers submergent le standard téléphonique de la radio. Les dons en nature atteignent un tel volume qu’il faut des semaines pour simplement les trier, les répartir et trouver des dépôts pour les stocker convenablement un peu partout en France.
Avec l'argent rassemblé, l'abbé Pierre fait construire des cités d'urgence, dont celle de Noisy-le-Grand, qui évoque un bidonville car elle s'inspire du projet de l'architecte américain Martin Wagner : les bâtiments sont en forme de demi-bidon métallique[32],[33]
Son appel a aussi des conséquences politiques. Des crédits pour les logements d’urgence sont votées et, en 1956, une loi interdit les expulsions locatives pendant la trêve hivernale[34].
L’appel de 1954 attire des bénévoles de toute la France pour aider à la redistribution des dons, mais aussi fonder les premiers groupes se réclamant de l'appel de l'abbé Pierre. Rapidement, ce dernier doit organiser cet élan inespéré de générosité. Aussi, , il fonde l'association Emmaüs, avec pour objectif le regroupement de l'ensemble des communautés Emmaüs. L'association se concentre sur la gestion des centres d'hébergement et d'accueil Emmaüs de Paris et sa région.
À l'époque, ces communautés construisent des logements pour les sans-abri, et les accueillent en leur procurant non seulement le toit et le couvert en situation d’urgence mais aussi un travail digne. Nombre de compagnons d’Emmaüs seront ainsi d’anciens sans-abri, de tous âges, genres et origines sociales, sauvés de la déchéance sociale ou parfois d’une mort certaine et rétablis dans leurs droits fondamentaux, par les communautés issues de cet élan de générosité à qui ils retournent leurs remerciements par leur propre engagement caritatif.
Le mouvement Emmaüs se développe ensuite rapidement dans le monde entier, au gré des voyages de l'abbé Pierre, principalement en France et en Amérique latine.
En 1963, l'abbé Pierre est victime d'un naufrage dans le Río de la Plata (Argentine). Il prend alors conscience que sa mort signifierait la disparition du seul lien entre les groupes Emmaüs du monde, et potentiellement la disparition du mouvement. C'est donc à la suite de cet événement que l'abbé Pierre décide de préparer la fondation d'Emmaüs International, qui voit le jour en 1971.
Ainsi, d'abord très désorganisé et très spontané, le mouvement Emmaüs se structure progressivement jusqu'à acquérir sa forme actuelle. En 1985 est créée l'association Emmaüs France, qui regroupe alors tous les groupes Emmaüs français, alors que l'association Emmaüs se focalise sur Paris et ne joue plus son rôle initial de fédération.
En 1988, l'abbé Pierre crée avec son ami Raymond Étienne la Fondation Abbé-Pierre, chargée de poursuivre son combat. Reconnue d'utilité publique en 1992, la Fondation Abbé-Pierre a pour objet la lutte contre le mal-logement.
L'abbé Pierre est, avec sa secrétaire Lucie Coutaz, à l'origine d'Emmaüs. Cependant, il n'en a jamais été un dirigeant opérationnel. Peu porté par tempérament sur les questions d'organisation, il préfère initier et mener à bien de nouveaux projets, plutôt que gérer les structures existantes[35].
Il marque ainsi à plusieurs reprises son opposition à la création de l'Union centrale de communautés Emmaüs, qui en 1958 se donne pour but de professionnaliser la gestion des communautés Emmaüs, ne souhaitant pas qu'on donne une « trop rigide définition de tout »[35].
Conscient malgré tout de la nécessité d'une telle structuration, l'abbé Pierre encourage la fondation d'Emmaüs International en 1971.
L’abbé Pierre meurt le , à l'âge de 94 ans, à l’hôpital du Val-de-Grâce à Paris, des suites d’une infection pulmonaire consécutive à une bronchite[36],[37].
L’ensemble de la classe politique française ne tarit pas d’éloges et reconnaît le travail réalisé par l’abbé Pierre, notamment le président de la République Jacques Chirac, le Premier ministre Dominique de Villepin, la candidate socialiste Ségolène Royal et le candidat de l'UMP Nicolas Sarkozy. De très nombreuses associations et fondations françaises ou internationales qui ont milité avec l’abbé Pierre dans des causes communes en faveur des plus démunis lui rendent le jour même un vibrant hommage par des communiqués officiels.
L’ancien président de la République Valéry Giscard d'Estaing demande que soient célébrées des obsèques nationales en son honneur. Une journée de deuil national est même envisagée. Conformément aux souhaits de la Fondation Abbé-Pierre et de la famille, c’est la première option qui est retenue[réf. nécessaire].
Une chapelle ardente est ouverte à tous, les et , toute la journée, à l'église du Val-de-Grâce à Paris, où son cercueil simplement surmonté de sa canne et de son béret est exposé aux remerciements du public. Un hommage populaire à l’abbé Pierre est organisé par le mouvement Emmaüs le au palais omnisports de Paris-Bercy, de 19 heures à 23 heures[38]. Des livres d’or collectent les hommages populaires à Paris, Metz et dans plusieurs communautés Emmaüs du sud de la France. Face aux demandes, d’autres communautés Emmaüs en France ou dans le monde recueillent aussi les hommages du public.
À Lyon, sa ville de naissance, une messe commémorative est dite[Quand ?] par l'archevêque de Lyon et primat des Gaules, le cardinal Philippe Barbarin en la primatiale Saint-Jean.
À la suite de la demande de la famille, les drapeaux français ne sont pas mis en berne lors de l’hommage national. Les obsèques se déroulent le à 11 heures dans la cathédrale Notre-Dame de Paris, en présence de la famille, de nombreux membres du mouvement Emmaüs. Des personnalités politiques de tous bords sont présentes, comme Jacques Chirac, Valéry Giscard d'Estaing, Dominique de Villepin, Nicolas Sarkozy, Bertrand Delanoë, Jack Lang, et François Bayrou, ainsi que plusieurs ministres[39].
Durant la cérémonie sont aussi présents le président du Conseil français du culte musulman Dalil Boubakeur, un dignitaire orthodoxe et un moine bouddhiste[39] qui lui remettent symboliquement des cadeaux placés sur son cercueil, posé à même le sol. Le cortège funéraire est applaudi par le public dans la cathédrale et à l'extérieur[40].
Son cercueil est transféré vers le village d’Esteville dans la Seine-Maritime, à « La Halte d’Emmaüs » (maison de repos, foyer de vacances pour personnes âgées, principalement du mouvement Emmaüs) où l’abbé Pierre a résidé pendant plusieurs années, et où se trouve désormais un lieu de mémoire, le centre abbé Pierre Emmaüs, propriété de la Fondation Abbé-Pierre[41]. Son enterrement se déroule dans la plus stricte intimité[42].
Plusieurs personnalités politiques se prononcent en faveur d'un transfert de sa tombe au Panthéon, contre le souhait de l’abbé[43][source insuffisante].
L’abbé Pierre a rencontré au cours de sa vie les papes Pie XI, Pie XII, Jean XXIII et à plusieurs reprises Jean-Paul II ; trop fatigué pour voyager, il n’a pas pu rencontrer directement le nouveau pape de l'époque Benoît XVI, mais il a noué des contacts épistolaires.
Il a rencontré des personnalités éminentes du monde scientifique, politique et religieux :
Après l’appel de 1954 et la sortie du film Les Chiffonniers d'Emmaüs, Roland Barthes analyse en 1957 le personnage de l'abbé Pierre dans ses Mythologies. Il évoque son visage « qui présente clairement tous les signes de l’apostolat : le regard bon, la coupe franciscaine, la barbe missionnaire, tout cela complété par la canadienne du prêtre-ouvrier et la canne du pèlerin. Ainsi sont réunis les chiffres de la légende et ceux de la modernité. »[49] Il commente sa coupe, « équilibre neutre entre le cheveu court […] et le cheveu négligé », qui rejoint, selon le sémiologue, l’intemporalité de la sainteté et l’identifie à Saint François d'Assise. La barbe du capucin et du missionnaire symbolise quant à elle la pauvreté et la vocation apostolique comme pour le père Charles de Foucauld. Son visage suggère à la fois la spiritualité de l’Homme, le combat de son sacerdoce, et sa liberté vis-à-vis de sa hiérarchie. Pour Pierre Bourdieu, l’abbé est un genre de prophète qui « surgit en temps de disette, de crise » et « prend la parole avec véhémence et indignation »[50]. Cependant Roland Barthes se demande si « la belle et touchante iconographie de l’abbé Pierre n’est pas l’alibi dont une bonne partie de la nation s’autorise, une fois de plus, pour substituer impunément les signes de la charité à la réalité de la justice. »
Cette grande popularité en France ne s’est jamais démentie : les enquêtes d’opinion de la presse le placent pendant une dizaine d’années en tête des personnalités préférées des Français, ce qui constitue un record inégalé, à peine éclipsé durant un an par une seconde place temporaire imputée à l’affaire Garaudy. Il demande à être retiré du palmarès en 2003, estimant que « c’est à la fois une arme et une croix », pour laisser la place des honneurs aux plus jeunes[51].
L'abbé Pierre est sorti indemne de plusieurs situations dangereuses :
L’abbé Pierre s’est constamment appuyé sur son image diffusée par les médias, depuis son appel sur Radio Luxembourg en 1954 jusqu’à sa présence à l’Assemblée nationale en , en faveur de la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains sur le logement social. Il descend dans la rue pour soutenir l’association Droit au logement (DAL), notamment en 1991 et en 1994[55]. Selon Bernard Kouchner, fondateur de Médecins sans frontières, il est ainsi l’inventeur de « la loi du tapage médiatique »[56].
En , son ami de longue date Roger Garaudy (penseur marxiste et ancien responsable politique communiste converti au catholicisme et ensuite à l'islam) est poursuivi pour négationnisme à la suite de la publication de son livre Les Mythes fondateurs de la politique israélienne. Au cours de ce procès, l'abbé Pierre lui apporte son soutien, ce qui lui vaut d’être exclu du comité d’honneur de la Ligue internationale contre le racisme et l'antisémitisme (LICRA). Dans une lettre de soutien à l'auteur rendue publique le , l'abbé Pierre écrit tout le respect que lui inspire « l'énorme travail » réalisé par Roger Garaudy pour l'écriture du livre, et son « éclatante érudition, rigoureuse ». Il affirme qu'accuser Roger Garaudy de « révisionnisme » — remise en cause de la réalité de la Shoah — est une « imposture », une « véritable calomnie »[57],[58].
Il expliquera par la suite avoir agi « à titre amical[59] » et se démarquera des tentatives pour « nier, banaliser ou falsifier la Shoah » dont il avait été lui-même témoin. Mais, selon les termes du quotidien L'Humanité, « ce revirement tardif ne dissipe cependant pas le malaise. »[60]. L’historien Pierre Vidal-Naquet déclare pour sa part craindre « que la prise de position de l’abbé Pierre ouvre les vannes d’une poussée antisémite. »[61]
Certains[évasif] critiquent les propos de l’abbé Pierre sur l’idée de la terre promise dans l’Ancien Testament. En effet, il dénonce la prise très violente de cette terre par les Israélites, telle qu’elle est décrite dans la Bible : « Que reste-t-il d’une promesse lorsque ce qui a été promis, on vient de le prendre en tuant par de véritables génocides des peuples qui y habitaient, paisiblement, avant qu’ils y entrent », dira-t-il à Bernard Kouchner[62]. Il n’hésitera pas à en déduire une véritable vocation à l’exil de ce peuple : « Je crois que — c’est ça que j’ai au fond de mon cœur — que votre mission a été — ce qui, en fait, s’est accompli partiellement — la diaspora, la dispersion à travers le monde entier pour aller porter la connaissance que vous étiez jusqu’alors les seuls à porter, en dépit de toutes les idolâtries qui vous entouraient »[62].
Certains[évasif] voient dans ces déclarations une reprise tout juste voilée de l'ancienne thématique chrétienne de l'auto-malédiction d'un peuple juif « avatar de Caïn[63] » (thématique désavouée par l'Église à l'occasion de la déclaration Nostra Ætate issue de Vatican II[64]) et, finalement, « une lecture de la Bible très conforme à l'antijudaïsme de certains catholiques avant Vatican II[65],[64] ».
L'abbé Pierre considère que le débat sur la Shoah reste ouvert : « ils [la LICRA] n’acceptent absolument pas le dialogue, contrairement à Garaudy. Ils considèrent que le débat (sur le génocide des juifs) est clos. Qu’oser le rouvrir n’est pas possible. Par exemple sur la question des chambres à gaz, il est vraisemblable que la totalité de celles projetées par les nazis n’ont pas été construites »[66], propos auquel l’abbé Pierre ajoute toutefois : « Mais mes amis de la LICRA me disent qu’avancer de telles affirmations, c’est contester la Shoah. Ce n’est pas sérieux »[66]. Roger Garaudy est finalement condamné pour contestation de crimes contre l’humanité et incitation à la haine raciale.
Selon Jean-Claude Duclos[Qui ?], son amitié avec Roger Garaudy ne doit toutefois pas masquer les faits qui plaident pour l'abbé Pierre, notamment son combat pendant la Seconde Guerre mondiale pour sauver des Juifs[note 4]. Lui-même a toujours souligné[67] que ses actions contre les persécutions anti-juives avaient précédé et motivé son entrée dans la Résistance et que ses positions politiques sont sans ambiguïtés quand il dénonce le fait que ces rafles anti-juives ont été conduites par la police française en un temps (été 1942) et un lieu (Grenoble, en zone non occupée) qui ne permettent pas d'invoquer le prétexte de la contrainte allemande[réf. nécessaire].
La polémique, qui meurtrit durablement l’abbé Pierre, lui vaut le désaveu de certains de ses amis. Bernard Kouchner lui reproche « d'absoudre l’intolérable[66] ». L'abbé est publiquement fustigé par le cardinal Jean-Marie Lustiger[65]. Sommé par sa hiérarchie de prendre une retraite médiatique temporaire[68], il part en Italie, où il déclare au Corriere della Sera que la presse française est « inspirée par un lobby sioniste international[69] ». L'affaire ne reçoit cependant que peu d’écho auprès de l'opinion française[note 5], qui lui renouvelle sa confiance pendant de nombreuses années, le classant en tête des personnalités françaises les plus aimées (jusqu’à ce que l’abbé retire lui-même son nom du classement)[70].
L'abbé Pierre a spontanément témoigné dans les années 1980 en faveur d'un groupe d'Italiens résidant à Paris et animant l'école de langues Hypérion. Le directeur de cette école, Vanni Mulinaris, avait été arrêté et emprisonné le , lors d'une visite en Italie. Il était accusé d'être membre des Brigades rouges (BR). Il sera par la suite relaxé, totalement blanchi de cette accusation[71] et même dédommagé par l'État italien pour trois ans de détention injustifiée[72].
L'abbé Pierre se rend plusieurs fois en Italie pour protester contre les conditions de détention sans motivations et sans procès de Vanni Mulinaris, il rencontre le président Sandro Pertini, les juges, les avocats, plusieurs autorités morales, qui constitueront un comité italien demandant justice pour Vanni Mulinaris (le cardinal Martini, le sénateur et philosophe Norberto Bobbio, Giuseppe Branca ancien président de la Cour constitutionnelle, bientôt rejoints par 75 autres personnalités dont le journaliste Giorgio Bocca et le cinéaste Luigi Comencini).
L'abbé Pierre effectue également, pour réclamer justice, une grève de la faim durant 8 jours du au , dans la cathédrale Saint-Jean-Baptiste de Turin.
Il témoigne alors de son expérience personnelle des dérives de la justice italienne de l'époque. François Mitterrand décidera à partir de d'accorder l'asile aux réfugiés politiques italiens, pour ceux qui auraient clairement rompu avec la violence[73],[74],[75].
En 2005, dans son livre Mon Dieu… pourquoi ?, rédigé avec Frédéric Lenoir, il reconnaît à mi-mot avoir eu des relations sexuelles dans sa vie de prêtre, ce qu'Henri Tincq présente comme une « rupture du vœu de chasteté » : « Il m'est arrivé de céder à la force du désir de manière passagère, mais je n'ai jamais eu de liaison régulière, car je n'ai pas laissé le désir sexuel prendre racine. Cela m'aurait conduit à vivre une relation durable avec une femme [...]. J'ai donc connu l'expérience du désir sexuel et de sa très rare satisfaction. »[76]. À ce sujet, il invite les dirigeants d'Église à réfléchir sur une éventuelle réforme de la discipline de l’Église en faveur de l’ordination des hommes mariés. Il estime ne pas comprendre l’opposition des papes Jean-Paul II et Benoît XVI à cette possibilité, l’ordination des hommes mariés étant permise par l’Église dans certains rites catholiques orientaux. Il voit dans cette permission un moyen de lutter contre la pénurie des vocations. Il invite également à la réflexion sur la question de l’ordination des femmes[77].
Le , Emmaüs International publie un rapport de huit pages[78] commandé au cabinet Egaé, qui présente les témoignages de sept femmes rapportant des « comportements pouvant s'apparenter à des agressions sexuelles ou des faits de harcèlement sexuel » de la part de l'abbé Pierre entre la fin des années 1970 et 2005, l'une d'entre elles étant mineure au moment des premiers faits[79],[80],[81]. Les témoignages recueillis rapportent notamment des attouchements répétés sur la poitrine généralement commis lorsque l’abbé Pierre est seul avec ses victimes, sur lesquelles il semble exercer une emprise psychologique[82].
Une enquête du magazine La Vie, sortie le jour de la parution du rapport, fait état de faits connus plus anciens remontant aux années 1950 et 1960[80]. Le , quatre chercheurs qui ont collaboré de 2019 à 2021 à la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l'Église (Ciase) révèlent que parmi les 1 200 témoignages adressés à la Ciase qu'ils ont eus à traiter, trois mettaient en cause l'abbé Pierre. Ils estiment que « la compulsion sexuelle de l’abbé Pierre qui débouche dans l’agression récidivante paraît indubitable. Données archivistiques et témoignages sont nombreux et cohérents. » Ils mettent en cause le silence volontaire de la hiérarchie catholique et des responsables d'Emmaüs[83].
Le , le cabinet Egaé publie un second rapport[84] faisant état de dix-sept nouveaux témoignages qui évoquent des propos à caractère sexuel, des baisers imposés, des agressions sexuelles sur une personne vulnérable et sur une mineure ainsi que des fellations imposées qui peuvent être qualifiées de viols. Les accusations concernent la période comprise entre les années 1950 et 2000 et émanent de différents pays qui comprennent, outre la France, les États-Unis, le Maroc, la Suisse et le Canada. Dans un communiqué commun[85] avec Emmaüs France et Emmaüs International, la Fondation Abbé-Pierre annonce le changement de son nom et de son logo, la fermeture du lieu de mémoire d'Esteville dédié au fondateur et la mise en place d'une commission indépendante d'historiens chargée d'enquêter sur les dysfonctionnements qui ont permis à l'abbé Pierre de commettre des abus pendant plus de 50 ans[86],[87],[88]. Selon le quotidien La Croix, « les accusations de femmes mineures au moment des faits, dont une était alors âgée de 9 ans, marquent un tournant particulièrement grave dans l’affaire concernant le fondateur d’Emmaüs [et] une escalade brutale [...] de nature à changer radicalement la perception du "héros" de la lutte contre le mal-logement »[89].
Dans un entretien accordé au Parisien, Véronique Margron, qui avait recueilli la première l'un des témoignages publiés dans le rapport, demande de la part d'Emmaüs la mise en place d'une instance de réparation destinée aux victimes de l'abbé Pierre, sur le modèle de l'Instance nationale indépendante de reconnaissance et réparation (Inirr) et de la Commission reconnaissance et réparation (CRR). Elle fait valoir que la responsabilité « échoit au mouvement Emmaüs car l'abbé Pierre, jusqu'à la fin, en a été l'image et le fondateur ». Selon elle, les accusations portées contre le prêtre évoquent un « prédateur en série », comparable à Jean Vanier ou aux frères Thomas et Marie-Dominique Philippe[90],[91]. Interrogé sur RTL le , Adrien Caboche, directeur général d'Emmaüs international, déclare que le mouvement réfléchit et travaille sur la question de l'indemnisation[92]. Le même jour, la cellule investigation de Radio France publie une enquête documentée qui reproduit différentes archives sur les abus de l'abbé Pierre dans les années 1950-1960[88].
De nombreuses communes envisagent de renommer des lieux publics portant le nom de l'abbé Pierre[93]. Interrogé par RCF et Radio Notre-Dame, le président de la CEF, Éric de Moulins-Beaufort annonce le 12 septembre 2024 l'ouverture des archives, notamment à l'intention des chercheurs de la commission indépendante mise en place par Emmaüs[94]. Le 13 septembre, le pape François, interrogé par un journaliste du Monde lors d'une conférence de presse, fait savoir que les faits de violences sexuelles de l'abbé Pierre étaient connus du Vatican depuis des années, au moins depuis sa mort en 2007[95]. Des enquêtes journalistiques basées sur l'analyse des archives montrent que les abus sexuels de l'abbé Pierre étaient connus de l’Église catholique en France comme d'Emmaüs dès la fin des années 1950[96],[97],[98].
Après les révélations d'abus sexuels commis par l'abbé Pierre, de nombreux hommages présents dans l'espace public sont retirés.
Les droits d’auteur et autres droits dérivés provenant de la vente ou de la diffusion de ses livres, disques audio et vidéo sont reversés par l’abbé Pierre tout au long de sa vie au mouvement Emmaüs puis à la Fondation Abbé-Pierre à partir de la création de celle-ci en 1988. Depuis sa mort, Emmaüs International est légataire universel de ces droits[114].
Le fonds d'archives de l'abbé Pierre, renfermant toute sa documentation ainsi que celle d'Emmaüs International, est conservé aux Archives nationales du monde du travail[115].
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