Top Qs
Chronologie
Chat
Contexte
Volney
philosophe et orientaliste français (1757-1820) De Wikipédia, l'encyclopédie libre
Remove ads
Constantin-François Chassebœuf de La Giraudais, dit Volney, puis comte[2] de Volney, né le à Craon et mort le à Paris, est un voyageur, historien, philosophe, orientaliste et homme politique français.
Hôte dans sa jeunesse des salons du baron d’Holbach et de Madame Helvétius, il se fit connaître avec son Voyage en Égypte et en Syrie (1787). Il siégea comme député aux États généraux de 1789, puis à l’Assemblée nationale constituante. Son ouvrage le plus célèbre, Les Ruines (1791), fut le premier à défendre la thèse mythiste concernant les origines du christianisme.
Il échappa de justesse à la guillotine pendant la Terreur et s’exila aux États-Unis d’Amérique en 1795, où l’accueillirent Thomas Jefferson et George Washington. Le président John Adams le soupçonna d’être un espion et le fit chasser du pays en 1798. À son retour, il fut l’un des principaux instigateurs du coup d'État du 18 brumaire. Conseiller intime de Bonaparte au début du Consulat, il prit ses distances à la suite du Concordat de 1801. Tout au long de l’Empire, ce sénateur « idéologue », élevé à la dignité de comte en 1808, fit partie des rares et discrets opposants tolérés par Napoléon Ier. Il se rallia en 1814 à Louis XVIII, qui le nomma à la Chambre des pairs.
Membre de l’Académie française, de la Société américaine de philosophie, de la Société asiatique de Calcutta et de l’Académie celtique, il publia des recherches sur la chronologie antique et de travaux linguistiques – il rêva jusqu’à sa mort d’un alphabet universel.
Remove ads
Premières années
Résumé
Contexte
Constantin-François Chassebœuf[3] de La Giraudais naquit le 3 février 1757 à Craon. Son père, Jacques-René Chassebœuf (1727-1796), était un avocat issu d’une lignée d’hommes de loi[4]. Sa mère, Jeanne Gigault (1728-1759), était la fille de Joseph Gigault (1688-1771), sieur de La Giraudais (un domaine situé à côté de la baronnie de Candé). Les Gigault habitaient un manoir et entretenaient des relations avec des parlementaires de Rennes et de riches négociants de Nantes.
Après son mariage en 1756, la mère de Volney s’installa à Craon, dans la maison paternelle de la rue des Juifs. Elle y mourut à l’été 1759, alors que son unique fils avait deux ans. Souffrant dès l'enfance d’une santé fragile, Constantin-François fut élevé par deux gouvernantes superstitieuses[5], qui lui transmirent la « terreur des revenants ». Ses relations avec son père étaient froides et distantes ; elles le restèrent jusqu’au bout.
À l’âge de sept ans, il fut placé dans un petit internat religieux d’Ancenis[6], où il subit les châtiments corporels de ses maîtres, comme beaucoup d'écoliers de son temps. Il se rapprocha de sa famille maternelle, en particulier de son oncle Louis, père de sa cousine Charlotte (1766-1864) qu'il épousa un demi-siècle plus tard.
À douze ans, Constantin-François fut inscrit chez les Oratoriens d’Angers, qui lui inculquèrent une solide culture latine. Il passa aussi par le Collège des Jésuites de Rennes[2]. Connu sous le nom de Boisgirais[7] – toponyme d’une métairie de son père[8] –, il manifesta une défiance précoce à l’égard de l’enseignement historique et religieux qui lui était professé. Il s’intéressa aux origines des livres de l’Ancien Testament et se mit en tête d’apprendre l’hébreu pour en réaliser ses propres traductions.
Son tempérament studieux et solitaire lui valut le sobriquet « d’ermite » de la part de ses condisciples. L’un d’eux, François-Yves Besnard (qui demeura son ami jusqu’à sa mort), lui aussi pensionnaire chez un libraire angevin, témoigna à son sujet : « Volney était le seul de la maison qui ne prenait pas de part à nos différents jeux, quoiqu’il en restât volontiers le spectateur silencieux pendant des heures entières ».
À l’approche de ses dix-huit ans, il s’inscrivit à la Faculté de droit d’Angers, et sollicita son indépendance, qui fut entérinée lors d’un conseil de famille réuni à Craon. Disposant d’une rente de 1 100 livres sur la succession de sa mère, il quitta ses terres natales pour Paris à l’été 1775.
Paris et les Lumières
À son arrivée dans la capitale, sa santé délicate l'incita à délaisser le droit pour la médecine[9]. Il approfondit pendant trois ans ses connaissances pratiques à l’Hôtel-Dieu – au pied de la cathédrale Notre-Dame – et se lia d’amitié avec Delamétherie et Proust.
En 1777, il fit la connaissance de Cabanis à l’École de médecine. Celui-ci, introduit par Turgot chez le baron d'Holbach, l'y présenta à son tour. Dans les salons d’Holbach, rue Royale Saint-Roch, Boisgirais croisa notamment Chamfort, Marmontel et Saint-Lambert, ou encore Diderot, d’Alembert et Buffon. Le jeune homme fut inspiré par l’athéisme et le matérialisme du baron, exposés dans son Système de la nature. L’idée d’une morale rationaliste, procédant de la nécessité sociale plutôt que de la superstition, eut une influence durable sur sa pensée.
À partir du printemps 1778, au moment du retour triomphal de Voltaire et de sa mort à Paris, Cabanis et Boisgirais fréquentèrent aussi le salon de Madame Helvétius, rue d'Auteuil. Ils eurent même le privilège d’être logés chez elle. Veuve depuis 1771, Madame Helvétius avait perdu son unique garçon (né comme eux en 1757) alors qu’il était encore un nourrisson. Elle développa une relation quasi filiale avec les deux amis, tous les deux orphelins de mère depuis l’enfance.
La maison d'Auteuil comptait parmi ses habitués Diderot, d’Alembert, Lavoisier, Condorcet ou Malesherbes. Boisgirais s’entretint fréquemment avec l’ambassadeur américain Benjamin Franklin, ami intime de Madame Helvétius. Il fut probablement initié à cette époque au sein de la loge maçonnique des Neuf Sœurs[10].
Il abandonna ses études de médecine avant leur terme pour se consacrer à l'orientalisme. Maîtrisant le grec ancien et lisant l’hébreu, il suivit en 1780 le cours d’arabe donné au collège de France par Le Roux Deshauterayes[11], qui lui fit découvrir Erpenius, Michaelis et Niebuhr, auteurs des ouvrages de référence pour les arabisants du XVIIIe siècle. Boisgirais se convainquit qu’il lui fallait voyager en Orient pour approfondir ses connaissances par l’expérience, et non se contenter d’être un savant de bibliothèque.
À l’été 1782, il se retira chez son oncle en Anjou et se soumit à un entraînement méthodique pour s’habituer aux privations et à la fatigue qui l’attendaient. Ce fut au moment de son départ qu’il prit le pseudonyme de Volney – contraction de Voltaire et de Ferney, le village adoptif du philosophe qu’il admirait.
Remove ads
Voyage en Égypte et en Syrie
Résumé
Contexte
Les raisons de son voyage ne se limitaient pas à des motivations savantes, ou à la quête d’aventure d’un jeune homme de vingt-cinq ans. Une mission secrète de renseignement lui fut probablement confiée à cette occasion par les services du comte de Vergennes[12],[13], comme semble l'indiquer l'importance qu'il donna aux considérations politiques et militaires[14] dans l’ouvrage publié à son retour.
Itinéraire (1783-1785)
Il embarqua sur une corvette à Marseille en décembre 1782 et débarqua à Alexandrie au début de l’année 1783. Il vogua ensuite sur le Nil en direction du Caire[15].
Après la visite des pyramides de Gizeh – aux pieds desquelles il passa une nuit à la belle étoile –, il partit en juillet en excursion à Suez, sur les rivages de la mer Rouge. Le 26 septembre 1783, il quitta Le Caire et redescendit le Nil jusqu’à Damiette, pressé de quitter l’Égypte où se propageaient la famine et la peste[16],[17].
Volney privilégia d’abord la navigation, plus sûre et plus rapide. Il passa par les ports de Jaffa, Acre, Tyr, Sidon et Beyrouth, avec une escale en novembre à Larnaca, sur l’île de Chypre. Il débarqua finalement en Turquie, à Alexandrette, et progressa vers le sud à l’intérieur des terres. Il séjourna à Alep au tournant de l’année 1784, puis à Tripoli sur le littoral.
Au mois de mars, il gravit le mont Liban encore enneigé, et atteignit le couvent de Dhour Choueir où il fut accueilli par les moines basiliens. Il réalisa plusieurs expéditions à partir du monastère : Beyrouth, Antoura, Deir-el-Qamar, Djebel el-Druze, Damas, et Baalbek en août – où il visita les ruines des temples romains sous un soleil brûlant.
Volney fit ses adieux à ses hôtes basiliens en octobre et descendit le Jourdain jusqu’à Jérusalem. Il passa par Bethléem et Jéricho, s’enfonça dans les terres jusqu’aux rivages de la mer Morte, puis regagna Jaffa sur la côte, avant de descendre à Gaza en janvier 1785. C’est là qu’il côtoya brièvement une tribu de Bédouins, les Ouâhydât, dont les mœurs et les conditions d’existence sont détaillées dans son ouvrage. Rebuté par l’extrême frugalité du mode de vie nomade[18], il se sépara de la tribu après quelques semaines.
Au début du mois de mars, il rembarqua à Acre en compagnie du peintre Cassas, qui le documenta sur les vestiges de Palmyre – décor des Ruines que Volney ne vit jamais de ses propres yeux – et lui offrit un dessin du Sphinx de Gizeh et des pyramides. Après une courte escale à Alexandrie, il débarqua à Marseille en avril 1785, achevant un périple de vingt-huit mois.
Retour en France
À son arrivée, Volney se rendit aussitôt à Paris[19]. Il reprit contact avec le baron d’Holbach et réintégra le cercle d’Auteuil de Madame Helvétius. Benjamin Franklin, sur le point de regagner l’Amérique, le présenta à Thomas Jefferson, son successeur à l’ambassade des États-Unis.
Il rentra en juin 1785 à Craon. Les fêtes organisées en son honneur et la curiosité bavarde des provinciaux, qui satisfirent d’abord son orgueil, l’ennuyèrent rapidement. Son mutisme affecté et dédaigneux blessa ses amis d’enfance[20]. De surcroît, il apprit avec amertume que sa jeune cousine Charlotte Gigault de la Giraudais, qu'il aimait secrètement, avait épousé un notaire nantais. Cette déconvenue le poussa à vendre ses propriétés de Candé héritées de sa mère et à regagner à l’automne la maison Helvétius, qui lui paraissait son véritable foyer. Ce fut donc à Auteuil qu’il travailla à la rédaction de son premier ouvrage, sollicitant les réflexions et les conseils stylistiques de son entourage.
Publication

La publication du Voyage en Syrie et en Égypte fut approuvée par la censure royale le 1er février 1787.
Suivant les préceptes de l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert – tous les deux décédés pendant son voyage –, Volney mit en œuvre une approche pluridisciplinaire : le livre comporte pour chacun des deux pays étudiés une « description de l’état physique » (géologie, hydrologie, météorologie et épidémiologie[21]) suivie d’une « description de l’état politique » (où se mêlent l’ethnologie, la politologie, la psychologie, l’économie et l’agronomie).
L’attention portée aux détails et aux quantités[22], la précision, la sobriété et la sécheresse[23] scientifiques de son style ; tout cela contraste avec les épanchements de ceux qu’il nommait les « conteurs aux rêveries systématiques ». Conscient de la tendance qu’avaient les voyageurs à enjoliver leurs récits[24], il critiqua en particulier les descriptions enchantées de l’Égypte par Savary, auxquelles il opposa un réalisme austère[25].
À partir de la multitude d’observations qu’il avait récoltées, Volney peignit une vision désabusée et pessimiste de la société orientale, en proie à la misère, à la violence et à l’ignorance[26]. Pour expliquer cette détérioration de la condition humaine, il s’écarta de la théorie des climats de Montesquieu en insistant sur le rôle des institutions politiques et religieuses. Il s’en prit au « despotisme militaire » des Ottomans, qu’il jugeait inaptes à gouverner[27].
Sa critique de l’arbitraire et du fanatisme fait écho aux idées formulées par ses maîtres intellectuels, Voltaire, Helvétius et d'Holbach. La théocratie et la tyrannie induisent une léthargie des individus, qui se fondent dans la masse d’une communauté soupçonneuse, profondément angoissée et résignée. De cette vision désenchantée de l’Orient[28] se dégage entre les lignes un réquisitoire contre l’absolutisme et le cléricalisme de l’Ancien régime.
Réflexions sur l’Égypte ancienne


À propos de la pyramide de Khéops, la fascination initiale[29] qu'il éprouva devant le monument s’estompa rapidement. Il y vit « l’orgueil d’un luxe inutile », le vestige d’une injustice millénaire : « on s’afflige de penser que pour construire un vain tombeau, il a fallu tourmenter vingt ans une nation entière[30]. »
Volney attribua au Sphinx de Gizeh un visage de nègre[31],[32] : « Quel sujet de méditation, de voir la barbarie et l'ignorance actuelles des Coptes, issues de l'alliance du génie profond des Égyptiens et de l'esprit brillant des Grecs ; de penser que cette race d'hommes noirs, aujourd'hui notre esclave et l'objet de nos mépris, est celle-là même à qui nous devons nos arts, nos sciences et jusqu'à l'usage de la parole. D'imaginer enfin que c'est au milieu des peuples qui se disent les plus amis de la liberté et de l'humanité que l'on a sanctionné le plus barbare des esclavages et mis en problème si les hommes noirs ont une intelligence de l'espèce des hommes blancs[33] ! ».
La thèse d’une origine subsaharienne des anciens Égyptiens est aujourd'hui contestée par les recherches génétiques[34].
Réception et postérité de son ouvrage
La publication du Voyage de Volney fut un événement littéraire. Son témoignage fut comparé à l’Enquête d’Hérodote. Une version anglaise fut publiée à Londres dès 1787, suivie de traductions dans plusieurs langues européennes. Le baron de Grimm, rencontré chez d’Holbach, fit parvenir un exemplaire à l’impératrice Catherine II.
Dix ans plus tard, les membres de l’expédition d’Égypte furent unanimes quant au réalisme de ses descriptions. Bonaparte, Berthier et Bourrienne estimèrent que Volney était le seul à ne jamais les avoir trompés. Le dessinateur Vivant Denon écrivit : « forme, couleur, sensation, tout y est, et peint avec un tel degré de vérité, que quelque mois après, relisant ces belles pages de son livre, je crus que je rentrais de nouveau à Alexandrie. »
Le Voyage de Volney lui conféra une réputation de jeune aventurier énigmatique, revenu d’Orient muni des secrets de la sagesse. Son récit influença les écrivains romantiques, comme Chateaubriand[35],[36] (Itinéraire de Paris à Jérusalem, 1811), Lamartine (Voyage en Orient, 1835) et Nerval (Voyage en Orient, 1851), qui le citèrent tous les trois[37].
Considérations sur la guerre des Turcs et des Russes
Le succès de son Voyage l’avait fait connaître dans les milieux diplomatiques : il était en relation avec le secrétaire d’ambassade de Venise, avec le représentant du roi d’Espagne, et surtout avec l’ambassadeur Thomas Jefferson.
Le 26 février 1788, il publia un deuxième ouvrage, les Considérations sur la Guerre des Turcs et des Russes, qu’il avait rédigé en réaction au déclenchement, à l’été 1787, de la septième guerre opposant les deux empires. Volney examinait les suites probables du conflit et la conduite que devait selon lui adopter la France pour défendre ses intérêts.
Il fit le constat de la décadence de la Turquie, dont les tentatives de réformes lui semblaient condamnées à l’échec, du fait de la mentalité obscurantiste de ses élites. À l’inverse, la puissance de la Russie, alors rejetée par l’Europe au rang des « barbares asiatiques », n’avait fait que croître depuis Pierre le Grand. Volney souligna la dimension religieuse du conflit, sur lequel planait le « rêve grec » de Catherine II.
La victoire de la Russie, civilisation en plein essor, lui apparaissait certaine. Face à ces événements, Volney prôna la neutralité de la France, seule position raisonnable. Il jugeait irréaliste le projet de conquête de l’Égypte formulé par le baron de Tott : il eût exigé une triple guerre contre l’Angleterre, la Turquie et les Mamelouks, que la France surendettée eût été incapable de mener. Selon lui, la priorité était le rétablissement interne du royaume[38].
Catherine II lui adressa en juin 1788 une médaille d’or par l’intermédiaire du baron de Grimm[39],[40]. Les Considérations de Volney furent assez mal reçues dans les cercles diplomatiques français, qui virent en lui un profane indiscret, mésestimant le dangereux ascendant que la Russie aurait tiré du démembrement de l’Empire ottoman. Un ancien consul en Turquie, Claude-Charles de Peyssonnel, publia une réponse acerbe à ces « inconsidérations ».
Remove ads
La Révolution française
Résumé
Contexte
En 1787 et 1788, Volney gravitait dans plusieurs cercles intellectuels parisiens. Il fréquentait l’hôtel de la Monnaie, où Condorcet et sa femme Sophie recevaient à dîner[41]. Delamétherie l’introduisit dans les foyers de discussion maçonniques ; il se rapprocha de Lalande (fondateur des Neuf Sœurs) et de Dupuis, qui l’initia à l’interprétation astronomique des mythes. Ce fut à cette époque qu’il fit la connaissance de Mirabeau, de Sieyès, ou encore du docteur Guillotin.
Il devint membre, aux côtés de Lacépède ou Lavoisier, de la Société des amis des Noirs, fondée en février 1788 par Brissot et l’abbé Grégoire. Ses vues abolitionnistes, alors que sa fortune était placée dans le commerce nantais, lui valurent l’hostilité d’une partie des notables de sa province.
La Sentinelle du Peuple
Le 8 août 1788, Louis XVI convoqua les états généraux du royaume pour le printemps suivant. Volney décida de partir pour Rennes, la capitale parlementaire de la Bretagne, afin d’y participer activement à la lutte politique.
Conscient de l’importance croissante de la presse, il multiplia les pamphlets[42]. Le premier numéro de la La Sentinelle du Peuple[43], périodique adressé à tous les membres du tiers état de la province de Bretagne, parut en novembre. Ce fut d'abord dans une humble mansarde de la rue Saint-Georges que Volney imprima clandestinement ses feuillets. Prévenu que ses ennemis avaient découvert sa retraite, il alla se réfugier dans le château de Maurepas, alors inhabité et délabré[44] (une superstition répandue voulait que ce château fût hanté par des revenants[2]).
Incitant les roturiers à la désobéissance, Volney réclamait l’égalité de tous devant l’impôt, la suppression de l’hérédité des fonctions officielles et le vote par tête – et non par ordre –, condition de la victoire du tiers aux états généraux. Il n’hésita pas à s’attaquer à l’un des principaux aristocrates de la province, le comte de Serrant, qui l’avait accusé d’être un agitateur stipendié[45].
L’hiver glacial de 1788-1789 accrut la misère et la colère du peuple. À la fin de 1788, Volney a été désigné directeur de l’agriculture de l’île de Corse par Jacques Necker, mais il n'a jamais occupé ce poste en raison de son élection à la députation[46].
L’émeute rennaise de la fin janvier 1789 le décida à partir pour Angers, où il présenta sa candidature à la députation. Les procédures engagées contre Volney par un Parlement très impopulaire, qui fit brûler ses brochures, contribuèrent à son élection le 19 mars 1789[47]. Il était l’un des neuf représentants du tiers état de la sénéchaussée d’Angers, avec notamment La Révellière, Milscent et Desmazières.
Député aux états généraux
Il arriva à Versailles à la mi-avril 1789 et s’installa au 66 rue de la Paroisse-Notre-Dame. Son nom était alors un des plus célèbres parmi les élus du tiers. Du fait de son rôle dans les événements de Rennes, il fut considéré comme un allié par le groupe des députés bretons menés par Lanjuinais et Le Chapelier. Il fut l'un des fondateurs du club breton, futur club des jacobins.
Les états généraux s’ouvrirent le 5 mai avec le discours du roi. Au cours des jours suivants, les dissensions se crisallisèrent autour de la question du vote – le tiers souhaitant la fusion des trois ordres dans une assemblée unique.

Le 17 juin, alors que la situation demeurait bloquée, les députés du tiers votèrent une motion de Sieyès : considérant qu'ils représentaient au moins 96% du pays[48], ils se constituèrent en « Assemblée nationale ». Trois jours plus tard, lors du serment du Jeu de paume, ils s’engagèrent à rédiger une Constitution. Louis XVI, résigné, demanda le 27 juin au clergé et à la noblesse de se joindre au tiers, pour former une seule assemblée.
Le caractère mélancolique et hautain de Volney, qui se lassa rapidement des discussions stériles entre des députés qu'il jugeait vaniteux[49], ne l’empêcha pas de prendre une part active aux événements de 1789. Il n’était pas grand orateur[50],[51] mais exerça en coulisses une influence de premier plan. En bien des occasions, il laissa au tribun Mirabeau le soin d’animer ses idées de son éloquence[réf. souhaitée].
L’Assemblée nationale constituante
Volney fut l’un des 30 membres du comité de Constitution créé le 7 juillet[52]. Après la prise de la Bastille, il s’agaça du temps perdu aux débats portant sur les désordres de la rue, qui empiétaient sur les discussions relatives à l’organisation des nouvelles institutions[53]. Loin d'adhérer à ses vues, les députés se lancèrent dans l’élaboration de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen[54]. Sa lassitude devant des méthodes de travail qu’il estimait incohérentes s’accompagna d’un épuisement physique[55].
À l’occasion du plan financier proposé par Necker, il défendit ardemment l’abolition de la gabelle, particulièrement impopulaire dans sa province[56], et prôna avec Mirabeau la mise à disposition des biens du clergé, seul remède à ses yeux au déficit abyssal du royaume. Arguant que « l’État est d’autant plus puissant qu’il compte un plus grand nombre de propriétaires », il était partisan d’une division et d’une redistribution maximales des biens nationaux, afin d’en multiplier les bénéficiaires[57].
Au mois d’octobre, l’Assemblée quitta Versailles pour Paris, s’installant au manège du jardin des Tuileries. Volney, qui fut élu secrétaire de l’Assemblée le 23 novembre, logeait non loin, dans un appartement de l’hôtel de Malte, rue Saint-Nicaise. Il reprit ses habitudes à la maison Helvétius. Le député philosophe était un commensal du duc de La Rochefoucauld-Liancourt et se réunissait souvent avec Talleyrand, Garat et Barnave, ainsi qu’avec le comte de Lameth et le vicomte de Noailles, représentants de la noblesse ralliés aux jacobins. Il fréquentait également les cercles des partisans de Philippe d’Orléans. Autour de lui, Volney vit grandir la couardise de ses collègues constituants, terrorisés par la gronde populaire[58].
Nommé par Necker directeur de l’agriculture et du commerce en Corse – il renonça finalement à cette fonction[59] –, il conseilla Saliceti, le député du tiers état de l’île, et réclama devant l’Assemblée la réunion de la Corse à la France, qui fut adoptée le 30 novembre 1789.
En mai 1790, lors du grand débat de la constituante sur le droit de paix et de guerre, Volney préconisa de mettre fin à la diplomatie secrète, pour que les représentants du peuple pussent décider eux-mêmes de la politique étrangère. Il proposa dans son discours du 18 mai que la France s’interdît toute « guerre tendant à accroître son territoire actuel. » L’attitude prise par Mirabeau dans les débats le surprit ; il pressentit la collusion de son ami avec le roi[60].
Dès lors, il assista avec moins d’assiduité aux séances pour se consacrer à l’écriture des Ruines. Inquiet et déçu par la tournure que prenait la Révolution, il ne se faisait pas d’illusions sur le culte de la Patrie instauré au moment de la Fête de la Fédération – prélude de l'oppression à venir. Après la mort de Mirabeau, Volney ne parut plus à l’Assemblée qu’en témoin silencieux.
Les Ruines
Querelle avec le baron de Grimm
Le 5 décembre 1791, Le Moniteur universel publia une courte lettre de Volney à « M. le baron de Grimm, chargé d’affaires de S.M. l’Impératrice de Russie ». Déplorant le soutien de Catherine II aux princes émigrés qui rassemblaient leurs forces à Coblence, Volney chargea Grimm de rendre à l’impératrice le prix reçu en 1788 pour ses Considérations sur la guerre des Turcs et des Russes. « Veuillez lui dire que, si je l’obtins de son estime, je le lui rends pour la conserver ». Il déclara refuser de croire que la tsarine, admirée des philosophes français, voulût en connaissance de cause « épouser la querelle des champions iniques et absurdes de la barbarie superstitieuse et tyrannique des siècles passés ».
Le 1er janvier 1792, une violente réponse à cette lettre parut à Coblence sous le nom de Grimm, sans que ce dernier démentît en être l’auteur[61],[62],[63]. Le pamphlétaire, raillant la vanité de Volney – qui aurait prétendument obtenu sa « petite médaille » après « maintes sollicitations » –, prit la défense des émigrés et accusa le philosophe de vénalité (citant la somme de six mille livres de rente sur les fonds du royaume à de multiples reprises)[64].
Les sarcasmes visaient également le médecin Cabanis, accusé d’avoir tué Mirabeau, et tout le cercle d’Auteuil – « la loge de fous les plus ridicules de la terre ». Volney était désigné responsable de « quelques incendies dans l’Anjou » et de « quelques douzaines d’assassinats ».
Ce pamphlet eut un écho limité, tandis que la lettre de Volney, qui se distanciait d’une ennemie déclarée de la Révolution, fortifia sa réputation de patriote.
Mésaventure en Corse
Vers la fin de 1792, préoccupé par le projet corse, Volney envisage d'offrir à la France des marchés agricoles qui pourraient compenser les pertes des colonies américaines[46].
« Vers la fin du printemps de 1791, je reçus la visite de M. de Volney, dont le but principal était de se concerter avec moi sur l’exécution d’un projet dont il m’avait déjà entretenu par lettres. Il s’agissait de fonder un établissement agricole dans l’île de Corse, sur une propriété nationale dont nous ferions l’acquisition en commun.— François-Yves Besnard, Souvenirs d’un nonagénaire. »
Volney perçoit également un moyen de contribuer à la régénération de la Corse, en pleine effervescence révolutionnaire[46].
En février 1792, Volney débarqua avec Saliceti à Bastia, souhaitant conduire des expériences agricoles sur l'île. Il fit la connaissance à Corte du lieutenant Napoléon Bonaparte[65], qui le guida jusqu’à Ajaccio[66] où il le présenta à sa mère Letizia.
Le 1er mai, suivant les conseils de la famille Bonaparte, il acheta la Confina, un immense domaine[67],[68] aux portes d’Ajaccio, qui fit de lui le plus important propriétaire foncier de la région. La Confina est un domaine exploité jusqu'en 1786 par le marquis de Marbeuf, qui était un ami de Letizia Bonaparte[46]. Ces « Petites-Indes », lui coûtèrent 100 000 livres, payables en 12 annuités. Imprégné des idées physiocrates et hostile à la colonisation[69], Volney voulait prouver qu’il était possible d’établir en Méditerranée les cultures des tropiques (orangers, dattiers, cannes à sucre, caféiers, cotonniers et indigotiers).
Son séjour corse était aussi motivé par ses ambitions politiques. À son arrivée, il fit d’amères constatations sur l’état du corps social, qui reposait entièrement sur le clientélisme[70]. Il essaya de se faire nommer au directoire du département, avec l’espoir d’être ensuite élu à la Convention aux côtés de Saliceti, grâce à la diffusion d’un journal sur le modèle de la Sentinelle.
Il compta sur l’appui de Pascal Paoli, qu’il avait soutenu devant l’Assemblée constituante ; mais le vieux chef corse désapprouva les évènements de l’été 1792 et prit ses distances avec la République naissante[71]. Paoli l’évinça du directoire de l’île et s’employa à entacher sa réputation, en le faisant passer pour un espion et un hérétique[72]. Ces accusations menacèrent sa sécurité[73] et l’intégrité de son domaine[74]. Craignant pour sa vie, il prit la fuite en février 1793[75],[76]. Paoli ordonna la vente aux enchères des « Petites-Indes ».
La Terreur
Quand il retrouva son appartement parisien de la rue Saint-Nicaise, un mois après l’exécution de Louis XVI, l’atmosphère de la capitale était transformée. Le pays était assiégé par la première coalition et la Convention se déchirait entre montagnards et girondins.
S’étant massivement endetté pour investir dans son domaine corse, il fut incapable de payer la première annuité qui lui était réclamée. Grâce à son ami Garat, ministre de l’intérieur, il obtint le 21 avril un sursis de six mois pour s’en acquitter.
La trahison du général Dumouriez, qui avait rejoint les rangs autrichiens, vint jeter la suspicion sur tout l’entourage du duc d’Orléans. Le nom de Volney fut éclaboussé par l’affaire. Pour l’éloigner de la capitale, Garat lui confia une mission d’observation dans l’ouest de la France[77]. Il était à Nantes en mai, puis à Rennes en juin, et n’assista donc pas à l’arrestation des députés girondins.
Catéchisme du citoyen français
Au début du mois de septembre 1793, il publia depuis la Bretagne[2] un petit ouvrage, La Loi naturelle, ou Catéchisme du citoyen français, qui visait à synthétiser et à rendre accessibles à tous les idées exposées dans Les Ruines. Volney cherchait à établir une morale universelle, soumise aux règles du calcul à l’instar de la physique et de la géométrie[78],[79]. Il y faisait profession de déisme[80] : « Qu’est-ce que la loi naturelle ? C’est la loi éternelle, immuable, nécessaire, par laquelle Dieu régit l’univers, et qu’il présente lui-même aux sens et à la raison des hommes pour leur servir de règle égale et commune, et les guider, sans distinction de pays ni de secte, vers la perfection et le bonheur. »
Incarcération
De retour à Paris, Volney vit les arrestations se multiplier autour de lui, du fait de la loi des suspects nouvellement promulguée. Il tenta de se mettre à l’abri. Malgré la recommandation de Garat, le citoyen Deforgues – ministre des Affaires étrangères – lui refusa un poste de consul. Le 18 octobre, le Conseil exécutif lui proposa un voyage d’étude aux États-Unis (on savait qu’il avait été lié avec l’illustre Benjamin Franklin, et qu’il était l'ami de Thomas Jefferson).
Il préparait son départ lorsqu’il fut arrêté le 16 novembre 1793, sur ordre du Comité de sûreté générale. Le motif officiel de son incarcération était le non remboursement de ses dettes contractées en Corse : le délai qu’il avait obtenu au printemps pour le versement de la première annuité s’était écoulé, et Garat, destitué de son ministère et attaqué par les montagnards, n’était plus en mesure de le protéger.
Détenu à la prison de La Force, Volney fut transféré le 24 janvier 1794 à la pension Belhomme pour raison de santé. Le 21 février, peu après son trente-septième anniversaire, il fut envoyé à la maison Coignard sur ordre du citoyen Froidure, qui lui évita par ce transfert la guillotine[81],[82]. Il sortit de prison le 16 septembre 1794, quelques semaines après la chute de Robespierre.
L’École Normale
En octobre 1794, il se rendit dans les Alpes-Maritimes, pour y rétablir sa santé qui s’était détériorée dans les geôles parisiennes. À Nice, il retrouva Napoléon Bonaparte, élevé l’année précédente au grade de général de brigade. Au cours d’un dîner[83], Bonaparte exposa à Volney son plan de conquête de l’Italie, plus d’un an avant sa campagne victorieuse[84].
Il fut beaucoup sollicité par les autorités politiques au cours de l’automne. Son ami Garat avait pris la tête de la Commission exécutive de l’instruction publique, et des personnalités le tenant en haute estime siégeaient au Comité d'instruction publique, en particulier Lakanal et l’abbé Grégoire. Dix écrivains furent désignés pour composer les livres dévolus à l’enseignement dans les écoles primaires[85]. Volney fut chargé de rédiger un manuel d'explication des Droits de l’Homme et de la Constitution (qui ne vit jamais le jour[86]).
Il fut également appelé par Miot, commissaire aux relations extérieures, en tant que spécialiste de l’Empire ottoman. Il publia deux opuscules à l’usage de la diplomatie française : une Simplification des langues orientales[8], présentant une méthode pour apprendre l’arabe, le persan et le turc avec l’alphabet latin[87], et des Questions de Statistique à l’usage des Voyageurs, qui devaient servir à une enquête à l’échelle planétaire[88].
À la création de l’École normale – destinée à former de manière accélérée des instituteurs pour les disséminer ensuite à travers la France –, Volney fut choisi comme professeur d’histoire. Le 20 janvier 1795, jour de l’ouverture de l’École au Muséum du Jardin des plantes, il prononça sa première leçon.
Il commença par définir la spécificité de l’histoire par rapport aux sciences naturelles[89], avant de s’interroger sur l’intérêt moral de cette discipline, son utilité pour le progrès humain[90] et ses potentiels effets délétères[91],[92],[93],[94]. Dans les six leçons qu’il donna, il présenta les éléments d’une méthode visant à reconstruire rationnellement le passé, à la manière d’un enquêteur[95],[96], en privilégiant les sources écrites, immuables, aux traditions orales, où « se déploient tous les caprices, toutes les divagations volontaires ou forcées de l’entendement ». Il prôna l’interdisciplinarité (la géographie, l’économie, la linguistique et l’étude des religions devaient enrichir la connaissance historique des sociétés) et insista sur l’importance des détails, parfois plus révélateurs que les grands événements[97].
Sa vision du devenir humain apparaissait alors profondément pessimiste ; l'espoir révolutionnaire des Ruines s'était visiblement éteint avec son incarcération. Le destin de l’espèce lui semblait cyclique et dénué de sens : « Sous des noms divers, un même fanatisme ravage les nations ; les acteurs changent sur la scène ; les passions ne changent pas, et l’histoire n’est que la rotation d’un même cercle de calamités et d’erreurs[98]. »
L’École normale ferma ses portes en mai 1795, après seulement cinq mois d’existence. Il reprit alors les préparatifs de son voyage en Amérique, interrompus par son arrestation en 1793. Dans les semaines précédant son départ, il reçut la visite de Napoléon Bonaparte. Peu confiant quant à ses perspectives d’avenir, celui-ci était en quête de renseignements sur la Turquie, où il songeait à proposer ses services. Volney le dissuada de partir, lui disant que c’était en France que ses talents avaient le plus de chances d’être reconnus.
Remove ads
Voyage en Amérique
Résumé
Contexte
En 1795, les relations franco-américaines connaissaient des tensions croissantes dues au traité de Londres, qui signala le rapprochement des États-Unis avec la Grande-Bretagne[99]. Volney espérait obtenir par son séjour un poste de consul général, ou même d’ambassadeur.
Marqué par son incarcération pendant la Terreur, il envisageait de s’installer durablement dans le nouveau monde et d’y acquérir des terres[100],[101]. « Triste du passé, soucieux de l’avenir, j’allais avec défiance chez un peuple libre, voir si un ami sincère de cette liberté profanée trouverait, pour sa vieillesse, un asile de paix dont l’Europe ne lui offrait plus d’espérance. »
Il demanda à James Monroe, alors ambassadeur à Paris, de lui écrire des lettres d’introduction auprès d’hommes de confiance à Philadelphie. Tout au long de son voyage, il entretint une correspondance avec des membres du gouvernement français, en particulier avec l’abbé Grégoire[102] et avec La Révellière[103], récemment nommé Directeur.
Volney quitta Le Havre le 13 juillet 1795. La traversée de l’Atlantique dura près de trois mois. Son navire passa par les Bermudes, arriva dans la baie de la Delaware et remonta le fleuve jusqu’à Philadelphie. Il y retrouva de nombreux Français en exil[104], dont plusieurs anciens collègues à la constituante qui se réunissaient chez Theophilus Cazenove : Talleyrand, La Rochefoucauld-Liancourt, Moreau de Saint-Méry[105], ou encore le vicomte de Noailles – beau-frère de La Fayette –, qui le présenta au très influent sénateur William Bingham et aux trois fils du duc d’Orléans en exil, Chartres (futur Louis-Philippe Ier), Montpensier et Beaujolais.
Il passa l’hiver à apprendre l’anglais et fréquenta assidûment la Société américaine de philosophie, fondée par Franklin[106]. On lui apprit qu’il avait été élu en octobre au Conseil des Cinq-Cents par les citoyens de la Mayenne (il n’y siégea pas du fait de son absence). Il fut également informé de sa nomination à l’Institut national des sciences et des arts[107].
Dans ses lettres à La Révellière, Volney dénigra l’ambassadeur Pierre Auguste Adet[108], affirmant que les Américains percevaient très mal une certaine condescendance française (« Ne parlez plus de « bienfait » ni de « gratitude » : vos agents ont ulcéré les cœurs par ces reproches. Tenons nous quittes, parlons d’intérêts, c’est la boussole de ce pays[109]. »). Il prônait une diplomatie de séduction culturelle[110].
Expédition à l’intérieur des terres
Au printemps 1796, il partit pour Georgetown, où l’architecte William Thornton lui fit visiter le chantier du Capitole : « les villes d’Asie ressemblent un peu à celle-ci, mais ce sont des squelettes ; ici, c’est un embryon. » Il suivit ensuite le Potomac jusqu’à Fredericksburg, avant d’obliquer vers le sud-ouest, arrivant le 8 juin à Monticello, chez Thomas Jefferson. Il demeura trois semaines dans le domaine de son ami, où étaient exploités quelque 150 esclaves.
Volney se mit en route vers l’ouest après la moisson. Au cours de l’été, il passa par Gallipolis – y constatant l’échec de la colonie française –, descendit l’Ohio jusqu’à Louisville (il fit un détour par Fort Vincennes) et visita Frankfort et Cincinnati. En septembre, il partit pour Detroit avec un convoi militaire destiné au général Wayne. Il traversa le lac Érié jusqu’aux chutes du Niagara, puis il prit le chemin du retour, longeant l’Hudson jusqu’à New York et regagnant Philadelphie en décembre.
Conflit avec John Adams
La guerre franco-britannique portait atteinte au commerce américain et les relations avec Paris se dégradèrent nettement après l’élection à la présidence de John Adams, qui se méfiait des révolutionnaires français[111].
Malgré l’hostilité croissante envers son pays, Volney fut élu membre de la Société américaine de philosophie le 20 janvier 1797. Cette consécration provoqua la colère de Joseph Priestley, chimiste anglais exilé aux États-Unis, qui diffusa un pamphlet l’accusant d’athéisme ; ce qui dégrada sa réputation dans la société puritaine de Philadelphie. Il publia une réponse emplie d’ironie, tournant en dérision l’hypocrisie de son adversaire.
À l’été 1797, il se rendit de nouveau à Georgetown. William Thornton le présenta à George Washington, qui l’accueillit pendant deux jours à Mount Vernon et lui témoigna publiquement son estime. Thomas Jefferson l’invita ensuite une seconde fois à Monticello. Volney passa l’hiver à Philadelphie, où il étudia la langue des Miamis à la Société américaine de philosophie.
En avril 1798, l’affaire XYZ déclencha une « quasi-guerre » entre la France et les États-Unis. Le gouvernement de John Adams fit voter une loi permettant d’emprisonner ou d’expulser tout étranger suspect (la loi étant spécialement dirigée contre Volney selon Jefferson). On l’accusait à tort d’intriguer pour livrer la Louisiane au Directoire[112]. William Cobbett, pamphlétaire à la solde des Britanniques, mena une violente campagne pour le discréditer. Il fut contraint de quitter précipitamment l’Amérique en juin 1798.
Tableau du climat et du sol
Dans le sillage de Crèvecœur, Brissot, Talleyrand ou La Rochefoucauld-Liancourt, Volney rendit compte de son expérience américaine auprès des lecteurs français : il publia en 1803 un traité de géographie, le Tableau du Climat et du Sol des États-Unis.
Il commença par présenter la configuration générale du territoire (les plaines côtières de l’Atlantique, la chaîne des Appalaches et le bassin du Mississippi), puis il consacra différents chapitres à la géologie[113], aux lacs, aux chutes d’eau, aux séismes, aux climats et aux courants aériens. Son ouvrage se concluait par un exposé des principales maladies affectant la population du pays. Il conseillait au gouvernement des États-Unis de créer des « sociétés savantes » pour mesurer les phénomènes naturels et travailler si possible à les maîtriser.
Volney insista sur le caractère empirique de son enquête. Quand il n’avait pas constaté lui-même un fait, il nomma des témoins dignes de foi (magistrats, officiers, ecclésiastiques ou médecins, qui lui avaient presque toujours été recommandés par Jefferson et Thornton). À son retour, il avait confié à Delamétherie l’étude des échantillons minéraux qu’il avait rapportés, et à Lamarck celle des fossiles.
Dans sa préface, il fit état de ses démêlés avec John Adams et rendit hommage à Thomas Jefferson, élu président en 1801. Il fit l’apologie de la liberté de la presse américaine, alors même que Napoléon Bonaparte restreignait celle des journaux français[114].
Il avait d’abord conçu son livre sur le même plan que son Voyage en Égypte et en Syrie, avec un « tableau politique » en seconde partie, mais seul le traité géographique fut publié[115] : se croyant mourant[116], il laissa inachevées ses réflexions politiques. Toutefois, son Tableau, sa correspondance et ses manuscrits laissaient entrevoir sa vision de la jeune démocratie américaine, trente ans avant l’ouvrage de Tocqueville.
Observations sur les Américains
Ses considérations sur la société américaine se voulaient dénuées d’illusions, comme celles qu’il avait tirées de son séjour en Orient. Il en résulta une vision assez sombre, à rebours de l’engouement de ses contemporains pour le nouveau monde[117]. Il se plaignit par exemple dans ses lettres de la saleté des villes[118], de l’alimentation indigeste des habitants[119] et de leur ivrognerie – vice très répandu à travers le pays.
Volney remarqua l’esprit mercantile des Américains, qui réduisaient « tout en calcul », et l’importance des juristes (« les prêtres du pays »). Il compara l’orgueilleuse caste des grands propriétaires terriens à la noblesse française de l’Ancien régime. Disciple des physiocrates, convaincu que la richesse venait avant tout du sol, il se montra dithyrambique quant aux efforts héroïques des pionniers de l’agriculture américaine. Selon lui, les États-Unis tiraient leur prospérité bien moins de la sagesse de leurs législateurs, que des richesses naturelles de leur immense territoire.
Il discerna les aspirations isolationnistes et l’impérialisme panaméricain de cette nation bénéficiant d’une position géopolitique avantageuse, isolée du théâtre militaire européen. Malgré la guerre d’indépendance qui les avait opposés, Britanniques et Américains avaient conservé des liens privilégiés. Il put constater pendant son voyage la prégnance des sentiments antifrançais[120],[121].
Il nota également l’opposition fondamentale entre les états du Nord, où commençait à se développer l’industrie, et ceux du Sud, où prédominait une économie agricole reposant entièrement sur l’esclavage.
L’esclavage des Noirs
Son manuscrit non publié comportait de longs passages critiquant l’esclavage, tant pour son inhumanité que pour ses effets économiques néfastes[122],[123].
À Monticello[124], les invités de Jefferson conversaient à propos du « problème des nègres », auquel diverses solutions étaient envisagées : « Les uns veulent qu’on renvoie tous les Noirs en Afrique ; les autres veulent qu’on en fasse une république, isolée dans un canton de l’ouest, par-delà le Mississippi. D’autres enfin pensent qu’il vaudrait mieux éduquer les Noirs et les rendre capables de bien user de la liberté qui deviendrait le prix certain de leur bonne conduite. »
Face aux saillies racistes d’un planteur carolinien, Volney rétorqua qu’en Bretagne, les enfants de paysans arriérés étaient devenus « des notaires, des procureurs et des ecclésiastiques d’esprit distingué ». Il en concluait : « Éduquez vos Noirs, rendez-les libres, et la même chose leur arrivera[125]. »
Suggérant que les mariages mixtes pussent favoriser à terme une société sans distinction de couleurs[126], il remarqua cependant que les enfants métis – nombreux dans les plantations en dépit de l’indignation qu’ils suscitaient –, n’en demeuraient pas moins des esclaves[127].
Les « Sauvages »
Volney termina son ouvrage avec un chapitre intitulé « éclaircissements sur les sauvages ». Il s’intéressa aux autochtones d’autant plus qu’il craignait que, « dans cent ans », ces peuples seraient éteints, et que leur histoire[128] et leur culture auraient disparu avec eux.
Sa première intention était de vivre quelque temps avec une tribu pour l’étudier, comme il l’avait fait avec les bédouins de Gaza, mais les colons l’en dissuadèrent, lui assurant qu’il n’existait aucune loi d’hospitalité chez les sauvages, que leur « état social était celui de l’anarchie et d’une nature féroce et brute ». Il fut conforté dans cette idée à Fort Vincennes, où les Piankashaw[129] qu’il observa lui parurent « sales, ivrognes, fainéants, voleurs, d’un orgueil excessif, d’une vanité facilement blessée, et alors, cruels, altérés de sang, implacables dans leur haine, atroces dans leur vengeance[130],[131] ».
Au début de l'année 1798, à Philadelphie, il eut l’occasion de s’entretenir plusieurs fois avec Michikinikwa – « petite tortue » –, le célèbre chef des Miamis[132], que Volney décrivit comme un homme sage et lucide. Michikinikwa comprenait que la cause première du pouvoir des Européens résidait dans leur maîtrise de l’agriculture, qui leur donnait la capacité de nourrir d’immenses populations sur des espaces restreints. Il se désolait de l’expansion des colons : « nous fondons comme la neige devant le soleil du printemps ; si nous ne changeons pas de marche, il est impossible que la race des hommes rouges subsiste. »
La question de la propriété foncière s'avère centrale dans le regard que porta Volney sur les autochtones d'Amérique. À l’image de nombreux députés de 1789, il pensait que la propriété était nécessaire au sentiment d’appartenance à une société[133]. Il était convaincu des bienfaits de la sédentarité, de la civilisation comme « enclos » défensif face à une nature hostile. Le sauvage lui semblait condamné à disparaître ou à s’assimiler[126].
Son aversion pour les mœurs indigènes contrastait avec l’image du « bon sauvage » popularisée au XVIIIe siècle. Il y voyait le fantasme de ceux « qui jamais n’ont quitté le coin de leur cheminée » et critiquait en particulier le fameux Discours de Rousseau – auteur d’un « monde d’abstractions », qui aurait vécu « presque aussi étranger à la société où il naquit qu’à celle des sauvages[126],[134]. »
Volney égratigna également Chateaubriand[135] quand, évoquant la pédérastie des Chactas et des Chicachas, il écrivit malicieusement que « ces honnêtes gens-là auraient bien besoin du missionnaire d'Atala[136]. »
Remove ads
Conseiller de Bonaparte
Résumé
Contexte
Volney débarqua à Bordeaux au début du mois de juillet 1798. Il rentra à Paris, où il retrouva son appartement de la rue Saint-Nicaise. Madame Helvétius accueillait dans son salon d'Auteuil la société des idéologues, qui rassemblait plusieurs de ses confrères de l’Institut (Destutt de Tracy, Cabanis, Daunou, Garat, Lakanal, Andrieux, Ginguené, ou encore Jean-Baptiste Say).
En septembre, il partit à Craon pour s’occuper de la succession de son père, décédé au printemps 1796. Il vendit tous les biens dont il avait hérité et s’acheta une vaste propriété agricole à Pringy, au nord de Meaux.
Il suivit attentivement l’expédition en Égypte, dont les échos dans les journaux se raréfièrent après la bataille d’Aboukir. L’inquiétude se répandit dans l’opinion publique et Volney signa un article dans Le Moniteur universel du 21 novembre 1798, à la demande de La Révellière. Il y exposa les difficultés de la situation dans laquelle se trouvait Bonaparte et réfuta l’idée absurde, entretenue par certaines gazettes, d’une percée jusqu’en Inde pour y déloger les Anglais. Il traça le plan d’un retour vers la France à travers la Syrie, la Turquie (avec une entrée dans Constantinople) et les Balkans[137].
Le 27 novembre, il écrivit sans le signer un second article pour Le Moniteur universel, mettant en scène une entrevue fictive entre Bonaparte et « plusieurs muftis et imams » à l’intérieur de la grande pyramide de Gizeh[138]. Assis sur le sarcophage de granit où reposait jadis la momie du pharaon Khéops, le général français s’adressait aux musulmans : « Gloire à Allah. Mohammed est son prophète et je suis de ses amis. » Affirmant avoir « tempéré l’orgueil du vicaire d’Issa [le pape] en diminuant ses possessions terrestres », il sollicitait ainsi ses interlocuteurs : « Favorisez les commerces des Francs dans vos contrées (…) et éloignez de vous les insulaires d’Albion, maudits entre les enfants d’Issa. » Dans ce texte de propagande, qui mystifia certains biographes[139], les Égyptiens se montraient très révérencieux envers Bonaparte, « invincible général », « envoyé de Dieu » et « favori de Mohammed ».
À l’exception de ces deux interventions, Volney resta en retrait de la politique. Le coup d'État du 30 prairial an VII (18 juin 1799), qui chassa son ami La Révellière du Directoire, lui fit craindre une résurgence des excès jacobins : l’éphémère club du Manège réveillait le souvenir de 1793.
Le coup d’État du 18 brumaire
En octobre 1799, Bonaparte débarqua à Saint-Raphaël et rentra triomphalement à Paris. Quelques jours après son arrivée dans la capitale, il fit appeler Volney, qui devint dès lors un visiteur régulier de l’hôtel de la rue de la Victoire.
Le philosophe participa aux préparatifs du coup d'État du 18 Brumaire an VIII (9 novembre 1799)[140]. Sa connaissance du milieu parlementaire fut utile au général – les institutions du Directoire étaient peuplées d’anciens collègues de la Constituante[141] –, ainsi que ses relations à la maison Helvétius : Cabanis, député au Conseil des Cinq-Cents, prononça le 19 brumaire un discours important en soutien au coup d’État.
Les idéologues d’Auteuil accueillirent avec enthousiasme ce nouveau régime. Bonaparte, membre de l’Institut, incarnait à leurs yeux l’ordre et la modération. Volney espérait que le général renouerait avec l’esprit de la Constituante, qu’il se comporterait en citoyen, sur le modèle du président américain George Washington.
Après la nomination de Cambacérès au poste de deuxième consul, le troisième fut proposé à Volney, qui déclina l’offre en alléguant des raisons de santé. Soucieux de préserver son indépendance, il refusa également le ministère de l’Intérieur[142]. Il accepta finalement un siège au Sénat conservateur le 24 décembre.
Au début du Consulat, il joua le rôle d'éminence grise[143]. Il fut un habitué du château de Malmaison (où Bonaparte aimait à dîner avec des sénateurs savants, comme Monge ou Laplace). Le philosophe se lia d’amitié avec Joséphine de Beauharnais et sa fille Hortense[144]. Ses relations avec le Premier consul relevaient selon certains de la courtisanerie[145], même s’il ne versa jamais dans l’obséquiosité et garda une liberté de ton qui finit par précipiter sa disgrâce.
La rupture avec Bonaparte
Ses relations avec le Premier consul se dégradèrent à mesure que les desseins tyranniques de celui-ci se dévoilèrent. Il réprouva les atteintes à la liberté de la presse – le décret du 17 janvier 1800, au tout début du Consulat, musela les journaux parisiens. Ce fut à côté de chez lui, rue Saint-Nicaise, qu’explosa la machine infernale, le 24 décembre 1800, sur le trajet du carrosse de Bonaparte. Cet attentat, perpétré par les royalistes, fut attribué à l’opposition jacobine qui fut sévèrement réprimée.
Volney fut hostile aux mesures d’amnistie générale qui furent accordées aux aristocrates émigrés. S’il intervint à plusieurs reprises pour plaider le cas du vicomte de Noailles – dit « Noailles la nuit », en référence au 4 août 1789 –, qu’il avait retrouvé aux États-Unis, il fut mécontent du retour de certains seigneurs arrogants, comme La Galissonnière, son ancien collègue à la députation de l’Anjou. Il vit d’un mauvais œil la cour qui s’organisait au palais des Tuileries, où « la parade civile continuait la parade militaire ». Néanmoins, il se montrait encore favorable dans l’ensemble à l’action du gouvernement[146].
Ce fut surtout au moment du concordat, signé avec le Saint-Siège à l’été 1801, que ses rapports avec Bonaparte se détériorèrent nettement. L’instrumentalisation de la religion à des fins personnelles l’indignait, et il ne dissimula pas ses opinions sur ce sujet. Une dispute éclata : répondant à l’argument selon lequel le peuple réclamait cet accord avec l’Église catholique, Volney affirma que le peuple souhaitait aussi le retour des Bourbons, ce qui déclencha la colère du Premier consul, qui l’aurait alors frappé[147],[148].
Les républicains libéraux, attachés aux prérogatives du pouvoir législatif, protestèrent devant le tournant monarchique pris par le régime. Bonaparte s’agaça de cette minorité de mécontents, de ces idéologues[149],[150] qui l’avaient soutenu en 1799. Daunou, Guiguené, Andrieux, Chénier, Laromiguière et Constant furent ainsi écartés du Tribunat en 1802. L’arrêté consulaire du 23 janvier 1803 réorganisa l’Institut national en supprimant la classe des sciences morales et politiques, foyer des contestations. Volney fut transféré à cette occasion vers la classe de littérature (l’Académie française).
Il était en villégiature dans la cité thermale de Spa à l’été 1802, et ne vota donc pas la constitution de l’an X qui mit fin de facto à la République, après le plébiscite du consulat à vie.
Vente de la Louisiane
Malgré leurs désaccords, Bonaparte continua de le consulter, en particulier au sujet de l’Amérique. Ayant obtenu de l’Espagne la restitution de la Louisiane en 1800, le Premier consul décida l’expédition de Saint-Domingue, pour reprendre possession de l’île et s’assurer l’accès à la vallée du Mississippi. Volney s’opposa vigoureusement à cette ambition coloniale, estimant très improbable le succès du général Leclerc (« si vous envoyez trente mille hommes à Saint-Domingue, il vous reviendra trente mille chapeaux »). Il s’employa vainement à convaincre Bonaparte que les Américains se rapprocheraient des Britanniques pour contrer l’impérialisme français.
Les évènements lui donnèrent raison : en 1802, le corps expéditionnaire français échoua à reprendre le contrôle de Saint-Domingue et les relations franco-américaines se crispèrent. Le président Thomas Jefferson envoya Dupont de Nemours à Paris pour tenter une conciliation, puis James Monroe pour assister l’ambassadeur Robert R. Livingston, avec la mission d’acheter La Nouvelle-Orléans. Jefferson confia à Monroe une lettre destinée à Volney, lui écrivant que les États-Unis étaient disposés à un arrangement, mais qu’ils n’excluaient pas une alliance avec l’Angleterre dans l’éventualité d’un refus français.
Bonaparte fut contraint de renoncer à son rêve américain et de négocier la cession de ce territoire trop lointain pour être défendu. La vente de la Louisiane fut signée le 30 avril 1803. Volney, qui exerçait alors la vice-présidence du Sénat, constata amèrement la validité de ses conseils initiaux. Tout au long de cette affaire, il n’avait pas hésité à contredire frontalement le Premier consul, à qui son « austère franchise[151] » déplaisait de plus en plus. Dans une lettre à Jefferson, il regretta « la perte de tant d’hommes, de richesses et de temps », et tandis que se disloquait la paix d'Amiens avec le Royaume-Uni, il conclut : « Pauvre Europe, théâtre de carnage et jouet de Conquérants ! »[152] Ses dernières illusions sur Bonaparte s'étaient alors évanouies.
Après la mort de Madame Helvétius, Volney ne fréquenta plus les salons, vivant reclus dans un petit hôtel de style égyptien qu’il fit bâtir en 1802, rue de La Rochefoucauld. Un croquis de son fidèle ami Besnard l'y représente dans son jardin, appliqué à la confection de machines hydrauliques.
Le 9 août 1803, sur un quai de Seine, il assista avec Prony et Carnot au premier essai du bateau à vapeur de Robert Fulton. Le soir même, il fut pris d’une terrible fièvre qui le mena au bord du tombeau. Il passa les derniers mois du Consulat en convalescence dans le Midi.
Remove ads
L'Empire
Résumé
Contexte

Indigné par l’arrestation du général Moreau[153] et par l’exécution du duc d'Enghien, Volney fit partie des quelques sénateurs qui s’opposèrent à l’avènement de l’Empire[154] (aux côtés notamment de Grégoire et de Garat). Le 18 mai 1804, quand fut adoptée la constitution de l’an XII, qui mit officiellement fin à la République, il présenta sa démission. Irrité, l’empereur la refusa et le Sénat décréta quelques jours plus tard qu’il n’accepterait le départ d’aucun de ses membres. Dès lors, résigné devant la servilité et la vénalité de la Chambre, il s’y astreignit à une abstention presque complète. Le Sénat conservateur, loin de protéger les libertés constitutionnelles, n’avait « conservé que soi-même. »
Il écrivit à Jefferson : « Dans cette grande scène historique, le sort m’a accordé une place en petite loge d’où je puis assez tranquillement contempler le spectacle. J’avoue pourtant que plus ami du genre comique que du larmoyant, je préférerais à cette grande tragédie quelque petite pièce[155]. » Volney observa sans grand enthousiasme la Grande Armée conquérir le continent. Il témoignait déjà dans ses leçons d’histoire à l’École normale, en 1795, d'une certaine distance à l’égard des rêves de gloire militaire.
L’académie celtique
Volney fut membre, dès sa création en 1804, de l’Académie celtique qui se réunissait au Louvre[156],[157],[158]. Son souhait était d’en faire un équivalent français de la Société asiatique de Calcutta, dont il était membre depuis 1797[159]. Il participa à l’élaboration d’un questionnaire visant à cartographier l’usage des différents dialectes dans les départements français. Il voulait recueillir les idiomes locaux avant qu’ils ne disparussent, comme il avait suggéré à la Société américaine de philosophie de le faire pour les langues amérindiennes.
Le lycée asiatique
Il travailla aussi à un projet qui resta à l’état d’ébauche. Vers 1804, il rédigea ses Vues nouvelles sur l’enseignement des langues orientales, publiées à titre posthume en 1821. Il y critiquait les établissements existants[160] et plaidait pour l’ouverture d’une chaire d’arabe « vulgaire » (son rival Silvestre de Sacy professait seulement l’arabe littéraire à l’École des langues orientales).
Volney imagina un « lycée asiatique », qui aurait été divisé en deux sections : un collège de drogmans situé à Marseille et un collège des traducteurs installé à Paris. Le premier aurait compris quatre professeurs « nés dans les langues qu’ils enseigneraient » (turc, persan, arabe barbaresque et arabe levantin) et formé une cinquantaine d’élèves selon la méthode de l’enseignement mutuel[161]. Le second, composé d’une dizaine de membres (dont un professeur d’hébreu et un de sanskrit), aurait eu la tâche de dresser l’inventaire des manuscrits, d’éditer et d’étudier les plus importants, tout en traduisant dans les langues orientales les chefs-d’œuvre de la littérature européenne, ainsi que les meilleurs livres scientifiques. Ce collège des traducteurs aurait servi de centre d’accueil pour les voyageurs asiatiques. Selon Volney, les intérêts diplomatiques et commerciaux de la France auraient profité des relations amicales qui s’y seraient nouées[162].
Un sénateur indépendant
Sa santé l’éloigna le plus souvent de Paris. En plus de sa ferme de Pringy, il fit l’acquisition en 1806 d’une propriété de onze hectares à Sarcelles, pour 70 000 francs[163]. Il voulut en faire une exploitation modèle, convaincu qu’une propriété sagement gouvernée faisait le bonheur du citoyen. Il éleva des ovins, des bovins et des équidés, planta et tailla lui-même divers arbres fruitiers, cultiva ses vignes et son potager, et constella son jardin de fleurs. Le diplomate hollandais Isaac Titsingh lui fournit des graines et des plants.

De sable à deux colonnes ruinées d’or, surmontées d’une hirondelle d’argent[164].
Lors de ses rares présences au palais du Luxembourg, il fit partie, avec Cabanis, Destutt de Tracy, Garat, Grégoire, Sieyès, Lanjuinais et Lambrechts, de l’irréductible minorité d’opposants tolérée par Napoléon, qui les surnommait les « boudeurs d’Auteuil ».
L’empereur le nomma néanmoins commandeur de la Légion d’honneur le 14 juin 1804[165] et l’éleva à la dignité de comte de l’Empire le 26 avril 1808. Napoléon lui témoigna son amitié fidèle en 1810, lorsqu'il envoya Corvisart, son médecin personnel, pour soigner le philosophe qui avait reçu un coup de corne dans sa ferme de Sarcelles.
La chute de Napoléon
Dès juin 1808, Volney fut l’un des 22 sénateurs impliqués dans la conjuration républicaine du général Malet, membre de la société secrète des philadelphes. Le complot fut découvert par Dubois, le préfet de police de Paris, qui fit emprisonner Malet. Napoléon, préoccupé par le soulèvement de l’Espagne, préféra étouffer l’affaire : les sénateurs mis en cause ne furent pas inquiétés[166].
Le 23 octobre 1812, tandis que la Grande Armée quittait Moscou pour entamer la retraite de Russie, le général Malet profita de l’absence de l’empereur pour tenter un coup d’État. Prétendant que Napoléon était mort le 7 octobre, il mit en place un gouvernement provisoire composé de quinze membres. Volney faisait partie des quatre sénateurs cités, avec Garat, Lambrechts et Destutt de Tracy. Le coup d’État échoua en quelques heures et ses principaux instigateurs furent exécutés.
En 1814, la France fut envahie par la sixième coalition. Au lendemain de la bataille de Paris, Volney fut l’un des signataires du procès verbal de la séance du 1er avril, au cours de laquelle le Sénat nomma Talleyrand à la tête d’un gouvernement provisoire. Il s’abstint toutefois de voter la déchéance de l’empereur[167]. Louis XVIII le nomma pair de France le 4 juin.
En mars 1815, le retour de Napoléon le préoccupa d’abord, et il s’éloigna de Paris. Il fut rassuré par la présence de libéraux auprès de l’empereur, comme Constant et Carnot[168] et décida de rentrer, convaincu que personne ne songerait à l’inquiéter. Volney se tint néanmoins à l’écart des Cent-Jours, aventure qu’il réprouvait : « Que vient encore faire cette bête féroce ? Il fera payer bien cher à la France le peu de bien qu’il lui a fait. »
Mariage
On ne lui connaît jusqu’à la cinquantaine aucune histoire d’amour, hormis sa passion de jeunesse pour sa cousine Charlotte Gigault de La Giraudais (1766-1864), encore adolescente, dont il avait appris avec dépit le mariage à son retour d'Égypte.
Ses récits de voyage, en Égypte comme en Amérique, témoignent de son rapport conflictuel aux dames[169] et d’une certaine répugnance envers les femmes indigènes[170]. Pendant la Révolution, il estimait que les cercles et les associations de femmes étaient « des institutions fâcheuses et fécondes en mauvais résultats ». Il considérait que le luxe féminin, excessif dans la capitale, était « un des premiers foyers de corruption dans les mœurs d’un peuple[171] ».
Il n’était cependant pas insensible à ces « appas » que sont chez les femmes « la fraîcheur et la santé ». La solitude affectait son moral et finalement, rattrapant une déception amoureuse de trente ans, il épousa le 6 novembre 1810 sa cousine Charlotte, dont le mari était mort l’année précédente. Il ne demanda pas son autorisation à Napoléon comme l’exigeait la coutume – l’empereur souhaitant que les dignitaires de son régime s’unissent à des représentantes de l’ancienne noblesse.
La quête d’une chronologie de l’Antiquité
Volney était passionné par « l’arithmétique de l’histoire » depuis ses discussions avec le baron d’Holbach et sa lecture de Fréret à la fin des années 1770. Il avait inséré en 1790 une Chronologie des douze siècles antérieurs au passage de Xerxès en Grèce dans l’Encyclopédie méthodique de Panckoucke[172].
Tout au long de l’Empire, il se plongea dans « l’océan ténébreux de l’antiquité » pour tenter d’y fixer un cadre temporel fiable. En 1808 parut un Supplément à l'Hérodote de M. Larcher, puis l’année suivante une Chronologie d’Hérodote, conforme à son texte, en réfutation des hypothèses de ses traducteurs et de ses commentateurs.
Au début de l’année 1814 furent publiées ses Recherches nouvelles sur l’histoire ancienne. Cette somme d’érudition[173] avait pour ambition de reconstituer aussi loin que possible l’histoire de l’Orient pré-hellénistique[174].
La première partie est consacrée à la Bible hébraïque, qu’il examina sans tenir compte de son caractère sacré. Son étude s’appuie notamment sur les Antiquités judaïques de Flavius Josèphe. Il commence par la période des rois (de Saül à la destruction du temple), avant de remonter le temps. Il lui paraissait incontestable[175] que le Pentateuque n’avait pas Moïse pour auteur, contrairement à ce que prétendait la tradition. Si les éléments rituels et législatifs énoncés dans l’Exode, le Lévitique, les Nombres et le Deutéronome pouvaient remonter à Moïse, les passages historiques et chronologiques avaient été d’après lui rédigés par le grand-prêtre Helqiah, sous le règne de Josias.
La Genèse, qui évoque un temps où le peuple juif n’existait pas encore – du moins pour les passages précédant l’apparition d’Abraham –, lui paraissait entièrement empruntée aux mythes chaldéens, comme l’écrivaient avant lui d’Holbach et Boulanger. L’épisode du déluge dériverait ainsi d’une fable ayant pour héros le roi Xisouthros, dixième et ultime patriarche antédiluvien, comme Noé. Il citait à ce sujet l’œuvre de Bérose, dont des fragments lui étaient parvenus via Alexandre Polyhistor et Georges le Syncelle. Volney situait la construction de la Tour de Babel à la fin du IVe millénaire avant notre ère[176].
Selon lui, le patriarche Abraham[177] n’était pas un individu historique, mais un être mythologique, une figure astrologique « comme celle d’Osiris, d’Hermès, de Ménou, de Krishna ». Le récit biblique ne présenterait une vraisemblance historique qu’à partir de l’Exode – qu’il situait au XVe siècle av. J.-C. –, et une continuité chronologique qu’à partir d’Éli.
Il conclut ainsi son exposé sur la Bible : « les livres du peuple juif n’ont point le droit de régir les annales des autres nations, ni de nous éclairer exclusivement sur la haute antiquité ». Son ouvrage fut mis à l’index par l’Église catholique en 1826[178].
Le reste de ses Recherches, alourdies par un grand nombre de redites et de digressions, visait à reconstituer et accorder entre elles les chronologies des Sabéens, des Assyriens, des Lydiens, des Mèdes, des Perses[179], des Babyloniens et des Égyptiens. Il y analyse notamment le zodiaque de Dendérah et étudie la succession des ères astrologiques découlant de la précession des équinoxes.
Ses conclusions, publiées au début du XIXe siècle – avant les fouilles archéologiques et le déchiffrement des écritures hiéroglyphiques et cunéiformes –, sont très largement dépassées. Il écrivait par exemple que la construction de la pyramide de Khéops était contemporaine de la guerre de Troie, qu’il situait au XIe siècle avant notre ère, soit quinze siècles après le règne de ce pharaon.
Volney se mêla aussi à un débat qui occupait les historiens et les astronomes de son temps : l’année de l’éclipse solaire prédite par Thalès. En conjuguant le récit d’Hérodote avec les tables astronomiques de Pingré, il data à tort l’évènement du 3 février 625, alors que Thalès n’était pas encore né. Il est aujourd’hui admis que la date correcte était celle donnée par Pline l'Ancien, à savoir l'an 585, le 28 mai précisément.
Remove ads
La Restauration
Résumé
Contexte

La Chambre des pairs
Volney considérait Louis XVIII non comme un monarque de droit divin, mais comme une sorte de magistrat suprême[180]. Son ralliement à la monarchie fut contractuel : il espérait que la charte constitutionnelle garantît les libertés individuelles. Sa fidélité pendant les Cent-Jours fut récompensée par le roi, qui confirma et rendit héréditaire son titre de pair de France le 19 août 1815.
Il assista impuissant au retour en force de l’Église[181],[182], s’indigna de la dilapidation du trésor public en faveur des nobles et des prêtres, et déplora les conséquences du congrès de Vienne, où fut cédée la quasi-totalité des territoires conquis depuis la Révolution. En novembre 1815, il refusa de siéger au procès du maréchal Ney.
Les ultraroyalistes de la Chambre introuvable, qui voulaient renouer avec l’Ancien Régime (« Versailles pour les uns, et pour les autres, leur vieux donjon »), lui paraissaient des fanatiques. Il ne se fit pas d’illusion sur le rôle qu'il pouvait jouer dans ce contexte – y compris après la victoire des doctrinaires à l’automne 1816. Ses apparitions en séance furent aussi rares et silencieuses qu’au temps du Sénat conservateur.
Volney était convaincu que l’émancipation politique du peuple ne pouvait advenir qu’avec la diffusion des « Lumières » par l’école primaire. Partisan de l’enseignement mutuel venu de Grande-Bretagne, il finança, dans sa ville natale de Craon, la création d’une école fonctionnant selon ce principe et accueillant une centaine d’enfants. Il songea à ouvrir d’autres établissements dans la région de Candé, mais son projet rencontra l’opposition des prêtres, soucieux de conserver leur autorité exclusive sur les élèves.
La question du sacre du roi
Louis XVIII, âgé de soixante ans à la Restauration et immobilisé par ses infirmités, refusa de se prêter dans un tel état à la traditionnelle cérémonie du sacre dans la cathédrale Notre-Dame de Reims.
Volney prit la plume pour exprimer le scepticisme et l’ironie des libéraux devant cette institution archaïque, empruntée aux anciens Hébreux[183]. Il publia en 1819 une Histoire de Samuel, inventeur du sacre des rois.
À la manière d’un conte de Voltaire, il mit en scène deux Américains : Josiah Nibbler, un quaker voyageant en Terre sainte[184], rend compte de ses impressions à un ami philadelphien, Kaleb Listener. Relisant la Bible à la lumière de son expérience orientale, et appliquant au texte sacré « les règles de notre critique historique moderne », il propose une nouvelle interprétation de la naissance du royaume d'Israël.
Volney dépouille les héros bibliques de leur mystérieuse grandeur (l’ouvrage contraste avec l’exaltation du sentiment religieux par les écrivains romantiques de son époque), ramenant Samuel, Saül, David et les fondateurs de la « horde hébraïque » à leur condition de « bédouins », pareils à ceux qu’il avait observés en Syrie. Ces personnages légendaires étaient à ses yeux sans prestige ; leur conduite ne fut pas dictée par une inspiration surnaturelle, mais par des intérêts personnels et des calculs politiques. Derrière le « voile de prodiges et de merveilles qui l’enveloppe », Samuel aurait passé sa vie à exploiter l’ignorance et la crédulité du peuple.
Il retrace la vie du prophète, son enfance dans la maison du grand-prêtre Éli, où il fut initié aux secrets de la « corporation sacerdotale », ses manœuvres pour écarter de la succession les fils d’Éli, et son accession au pouvoir dans des circonstances exceptionnelles, après la victoire des Philistins – qui s’emparèrent un temps de l’Arche d'alliance. Samuel choisit d’abord ses deux fils pour lui succéder, mais ils se révélèrent inaptes et corrompus comme ceux d’Éli[185]. Les chefs tribaux lui demandèrent alors de nommer un roi, à l’image des autres nations. Il sacra Saül, « un brave guerrier » aisément manipulable, qu’il finit par déposer en oignant secrètement le berger David.
Volney termine son pamphlet par une série de questions rhétoriques : « Si chez les Juifs, le sacre par l’onction fut le transport du caractère sacerdotal sur la tête du roi, chez les Français un roi qui se fait sacrer entend il participer à la prêtrise ? Si un roi de France reconnaît à un prêtre quelconque le droit de le sacrer aujourd’hui, n’est-ce pas lui reconnaître aussi le droit d’en sacrer un autre demain, à l’imitation du prophète Samuel ? De quel droit un individu quelconque peut-il sacrer un roi de France ? Ce droit vient-il de l’évêque de Rome[186] ? Le roi de France est donc le vassal d’un prince étranger. Ce droit est-il octroyé au prêtre par le roi lui-même ? Le roi se donne donc des droits. (…) Si un sacre est une affaire d’État, pourquoi cette affaire est-elle de pur arbitre ? Si c’est une cérémonie d’amusement, pourquoi la faire payer au peuple plus qu’une partie de chasse ? (…) Quand toute la morale de l’Évangile n’est qu’humilité et simplicité, pourquoi sa pratique n’est-elle que faste et dissipation ? »
« L'alfabet universel »
À la fin de sa vie, Volney reprit son grand dessein initié en 1795, avec la Simplification des langues orientales[8]. Il publia en 1819 L'alfabet européen appliqué aux langues asiatiques. Considérant que la barrière linguistique, qui fit de tout temps obstacle au commerce et à la circulation des savoirs, résultait dans une large mesure de la multitude des systèmes d’écriture, « inutile redondance de tant de signes divers pour un fond semblable », il pensait qu’une cinquantaine de signes – une vingtaine de voyelles et trente-deux consonnes – seraient suffisants pour figurer la prononciation des différentes langues, facilitant ainsi leur apprentissage[187].
Il choisit comme base de son « alfabet universel » l’écriture latine[188]. Pour signifier les sons étrangers, il y ajouta des lettres grecques et des caractères originaux de sa confection, ainsi que des diacritiques. En guise d’illustration de sa méthode, il publia la même année L’Hébreu simplifié.
Abel-Rémusat contesta dans le Journal des savants[189] l’utilité pratique du système de Volney, affirmant que son alphabet était incomplet et qu’il serait illusoire de prétendre l’imposer à des peuples attachés à leurs traditions littéraire et religieuses[190] ; qu’il faudrait pour cela « plus de siècles d’efforts dirigés vers le même but que l’expérience du passé ne permet d’en supposer. »
Volney défendit sa méthode dans un Discours sur l’étude philosophiques des langues, prononcé le 7 décembre 1819 devant l’Académie française[191].
Sainte-Beuve jugea ainsi cet alphabet universel[192],[193] : « Au lieu de laisser ces langues ce qu’elles sont, de les prendre historiquement et par groupes, et de respecter leur génie, leur physionomie distincte, il veut les traiter un peu comme il a fait les religions, et les faire passer sous le joug d’une unité artificielle qui les dépouille et les dénature. (…) L’homme positif, pour s’être opiniâtré à ses procédés mécaniques d’analyse, est allé cette fois manifestement jusqu’à la chimère. »
Le rêve de Volney fut concrétisé en 1888, avec la création de l’alphabet phonétique international. Un siècle après sa mort, la « révolution des signes » dans la Turquie kémaliste consacra une autre victoire posthume de ses idées.
Remove ads
Mort, funérailles et hommages
Résumé
Contexte

En 1818, Volney vendit sa maison de la rue de La Rochefoucauld[194] et sa propriété de Sarcelles, pour acquérir un hôtel avec un grand jardin au 73 rue de Vaugirard, non loin du palais du Luxembourg. Besnard, qui vécut chez lui une partie du printemps 1819, vit passer le baron Denon, les comtes Lanjuinais, Chaptal, Destutt de Tracy et Boissy d’Anglas, ou encore le duc de Broglie.
Le 31 mars 1820, en réaction à l’assassinat du duc de Berry, les ultraroyalistes firent passer à la Chambre le rétablissement de la censure.
Sentant ses forces le quitter, Volney dicta son testament le 22 avril[195]. Il mourut chez lui trois jours plus tard, le 25 avril 1820, « très décidément incrédule » selon le témoignage de son ami l’abbé Grégoire.
Cédant probablement à une pression politique liée à son statut de pair de France, l’Église accorda à cet hérétique notoire des funérailles chrétiennes, célébrées le 29 avril à Saint-Sulpice. Il fut enterré au cimetière du Père-Lachaise, en présence de nombreuses personnalités parmi lesquelles La Rochefoucauld-Liancourt, Daru, Destutt de Tracy, Lanjuinais, Richebourg, Sémonville, Raynouard, Lemercier, Parseval-Grandmaison, Sicard, Picard et Laya, qui prononça l’oraison funèbre[196].


Le comte Daru salua sa mémoire dans un discours[197] devant la Chambre des pairs le 14 juin, et le marquis de Pastoret, successeur de Volney au 24e fauteuil de l’Académie française, lui rendit hommage le 24 août[198].
Postérité en France
Conformément à ses dernières volontés, l’Institut de France créa un prix Volney de philologie comparée, financé par un fonds qu’il avait prévu à cet effet. Les sept membres de la commission chargée de décerner le prix se réunirent pour la première fois au printemps 1822. Trois étaient issus de l’Académie française (Daru, Andrieux et Destutt de Tracy), trois de l’Académie des inscriptions et belles-lettres (Langlès, Caussin de Perceval et Silvestre de Sacy), et un de l’Académie des sciences (Cuvier).
Depuis 1822, ce prix continue d'être décerné par l’Institut de France à un ouvrage de philologie comparée, sur proposition de l’Académie des inscriptions et belles-lettres.
Il existe par ailleurs, depuis 1879, une rue Volney à Paris dans son 2e arrondissement. Le numéro 7 de cette artère a longtemps accueilli un cercle artistique et littéraire, le Cercle Volney[199].
D’autres voies publiques portent ce nom à Lyon, Angers, Rennes (boulevard[2], villa et ex-polyclinique adjacentes, proches de l'ancien château de Maurepas évoqué plus haut), Brest ou Clermont-Ferrand. Dans sa ville natale de Craon, une place et un collège ont été baptisés en son souvenir.
Une loge maçonnique portant son nom fut fondée en 1911 à Laval (Mayenne).
Postérité aux États-Unis et en anglophonie
- La ville de Volney (État de New York, comté d'Oswego) fut renommée ainsi de son vivant dès 1811.
- Dans Frankenstein ou le Prométhée moderne, roman de la Britannique Mary Shelley (en 1818, soit deux ans avant l'année du décès de Volney), la créature écoute la lecture des Ruines en espionnant une famille française. Ce livre lui permet d'entrevoir l'histoire des civilisations et les différents systèmes politiques et religieux de l'humanité[200].
Et voir publications ci-après.
- Volney (Iowa, comté d'Allamakee), est répertoriée depuis 1853.
- Une troisième localité porte ce nom en Virginie, dans le comté de Grayson.
- The Volney est un immeuble résidentiel de la 74e rue (à Manhattan, dans l'Upper East Side), situé non loin du consulat général de France à New York. La poétesse Dorothy Parker y mourut en 1967.
Remove ads
Publications
Résumé
Contexte
Divers
Volney fut un contributeur de la Revue encyclopédique. Il inséra plusieurs articles dans le Moniteur universel pendant la Révolution française.
Ses ouvrages
1781 - 1789
- 1781 : Mémoire sur la Chronologie d'Hérodote
- 1787 : Voyage en Syrie et en Égypte, pendant les années 1783, 1784 & 1785, Paris, Volland et Dessenne. (tome 1 et tome 2 disponibles sur Gallica) ;
- 1788 :
- Considérations sur la guerre actuelle des Turcs, Londres (en ligne)[201]
- Des Conditions nécessaires à la légalité des États généraux, Paris
- Lettre de M. C.-F. de Volney à M. le comte de S...t., Paris, 1788[202] ;
- 1789 : Les ruines ou Meditation sur les révolutions des Empires. Précédé d'une notice par le comte Daru, Paris, 1826. Réédition (1789, édition princeps, voir supra)[203]
1790 - 1799
- 1790 : Chronologie des douze siècles antérieurs au passage de Xercès en Grèce ;
- 1791 : Les Ruines Ou Méditations Sur Les Révolutions Des Empires, Par M.Volney, Député a L'Assemblée Nationale De 1789, Genève[204] ;
- 1793 :
- 1794 : Simplification des langues orientales, ou méthode nouvelle et facile d'apprendre les langues arabe, persane et turque, avec des caractères européens, Paris, Impr. de la République, an III, in-8° (en ligne sur Gallica) ;
- 1795 : Letter to Priestley[208] ;
1800 - 1815
- 1803 : Tableau du climat et du sol des États-Unis d'Amérique Suivi d'éclaircissements sur la Floride, sur la colonie Française au Scioto, sur quelques colonies Canadiennes et sur les Sauvages, Paris[209] ;
- 1805 : Rapport fait à l'Académie Celtique sur l'ouvrage russe de M. le professeur Pallas. « Vocabulaires comparés des langues de toute la terre », Paris ;
- 1808 :
- Recherches nouvelles sur l'histoire ancienne, Paris[210] ;
- Supplément à l'Hérodote de M. Larcher, Paris ;
- 1809 : Chronologie de Hérodote, conforme à son texte, en réfutation des hypothèses de ses traducteurs et de ses commentateurs, Paris, 1809, Bossange, 1821 ;
- 1813 : Questions de statistique à l'usage des Voyageurs, Paris ;
1816 - 1820, puis post-mortem au XIXe siècle
- 1819 :
- 1820 :
- L'Hébreu simplifié par la méthode alfabétique, contenant un premier essai de la grammaire et un plan du dictionnaire écrit sans lettres hébraïques, et cependant conforme à l'hébreu ; avec des vues nouvelles sur l'enseignement des langues orientales, Paris, J.-M. Eberhart, 1820 (édition de 1826 disponible sur Gallica)[211] ;
- Discours sur l'étude philosophique des langues, lu à l'Académie des sciences, Paris 1820[212] ;
- 1821 (à 1837) :
- Œuvres choisies, précédées d'une Notice sur la vie de l'auteur (par Adolphe Bossange). Les ruines. - La loi naturelle. - L'histoire de Samuel, Paris, 1821, Nouvelle édition, Lebigre Frères, 1836. Une Notice sur la vie et les écrits de G.-F. Volney, par Adolphe Bossange, se trouve en tête de l'édition des Œuvres complètes de Volney, publiée chez Bossange, 8 vol. in-8°, Paris, nouvelle édition, mais moins complète, Paris, 1837, grand in-8° ;
- 1822 : Leçons d'histoire prononcées à l'École normale, en l'an III de la République française. Paris, 1799[213] ;
- 1823 : Lettres de M. de Volney à M. le baron de Grimm, suivi de la réponse de ce dernier[214], Paris.
XXe – XXIe siècles
- 1954 : Œuvres complètes. Précédées d'une Notice sur la Vie et les Écrits de l'Auteur, Firmin-Didot.
- 2008 : Observations générales sur les Indiens ou sauvages d’Amérique du Nord, suivi de Les Ruines et de La Loi naturelle. Éditions CODA (ISBN 9782-84967-063-7).
- 2023 : lien externe infra en anglais, d'Audrey Borowski.
Bibliographie
- Yves Besnard, Mémoires d'un nonagénaire ;
- Jean-François Bodin[Bib 1] donne sur lui une notice étendue et huit de ses lettres inédites (Recherches sur Angers et le bas Anjou, chap. 39 et 40)[Bib 2] :
- il regarde Volney comme l'homme le plus illustre qu'ait produit l'Anjou sous le rapport littéraire.
- Narcisse Henri François Desportes, Bibliographie du Maine ;
- Jean Gaulmier, Un Grand témoin de la Révolution et de l'Empire : Volney, Hachette, 1959 ; Hérault éditions, 1992 ;
- Célestin Port, Dictionnaire de Maine-et-Loire, t. II, p. 692 ; t. III, p. 749 ;
- Revue d'Anjou, t. VII, p. 63, 321 : année 1852, t. II, p. 95 ;
- Sainte-Beuve, Causeries du lundi, t. VII, p. 209-344 ;
- L. Séché, Notice sur Volney ;
- Jean Sibenaler, Il se faisait appeler Volney : approche biographique de Constantin-Francois Chassebeuf, 1757-1820.
Remove ads
Sources partielles
- « Volney », dans Louis-Gabriel Michaud, Biographie universelle ancienne et moderne : histoire par ordre alphabétique de la vie publique et privée de tous les hommes avec la collaboration de plus de 300 savants et littérateurs français ou étrangers, 2e édition, 1843-1865 [détail de l’édition] ;
- « Volney », dans Alphonse-Victor Angot et Ferdinand Gaugain, Dictionnaire historique, topographique et biographique de la Mayenne, Laval, A. Goupil, 1900-1910 [détail des éditions] (BNF 34106789, présentation en ligne).
Remove ads
Notes et références
Voir aussi
Liens externes
Wikiwand - on
Seamless Wikipedia browsing. On steroids.
Remove ads
